samedi 14 novembre 2009

Le Capitaine Fracasse, de Théophile Gautier

Rien de tel qu'une "vâleur sûre" pour vous installer confortablement dans le fort de LA Littérature. Et vous ne voulez pas en être délogé. Vous voulez demeurer là pour le restant de vos jours. A moins d'avoir suffisamment d'attrait pour vous attirer dehors, on ne réussit pas à vous faire sortir de cette forteresse. Seul le temps vous oblige à quitter les lieux. Lui seul en effet est assez puissant, et assez cruel pour vous infliger la douleur de quitter l'univers d'un livre, celui-ci terminé.
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Figurez-vous un jeune homme d'une vingtaine d'années, dernier descendant d'une noble famille
qui s'est malheureusement ruinée au fil des siècles pour diverses raisons. Le baron de Sigognac, car tel est son nom, se morfond au fond de son manoir décrépit, avec pour seule compagnie celle d'un vieux et fidèle serviteur et de quelques animaux domestiques ; tous reflétant, par leur maigreur et la pauvreté de leur mise, la situation critique du chateau.
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Un soir, une troupe de comédiens égarés vient demander à passer la nuit au manoir. En homme généreux, le baron de Sigognac ne leur refuse pas l'hospitalité. Il déplore seulement de ne pas pouvoir les recevoir dignement, il n'a pas de provisions de bouche, et la couche qu'il leur offre est bien ingrate. Mais qu'importe ! Les comédiens sont bien contents d'être à l'abri des intempéries. Et eux ont des victuailles qu'ils partagent avec les habitants du manoir. Ainsi le baron offre le gîte, et les comédiens le couvert.
C'est le commencement d'une nouvelle vie pour Sigognac. Sa jeunesse, qui s'étiolait dans la solitude, se réveille soudain au contact de ces hôtes imrévus, d'autant plus qu'il y a parmi eux une jeune comédienne, celle qui joue le rôle de l'ingénue, Isabelle, qui allume dans son coeur quelque chose qu'il va découvrir comme étant la flamme de l'amour. Forts de leur expérience, les comédiens proposent à Sigognac de ne pas rester là à attendre la ruine complète de son château et avec elle l'extinction de son nom. Il doit faire quelque chose : aller par exemple à Paris où réside le Roi, dans l'espoir que celui-ci se souviendra peut-être de la fidélité des Sigognac et offrira au dernier descendant de cette illustre famille, la possibilité de retrouver, si ce n'est la prospérité d'antan, du moins une certaine aisance. Mais comment Sigognac peut-il se rendre à Paris, la ville lumière, où tout et tous brillent, dans l'indigence qui est la sienne ?
Comme il est poète et cultivé - ce que fut le cas de Gautier lui-même -, les comédiens lui suggèrent de faire partie de leur troupe et de retoucher les pièces qu'ils jouent. Plus tard, lorsque l'un des membres de la troupe diparaît, il accepte de prendre un rôle dans la troupe. Sigognac devient le capitaine Fracasse. Réussira-t-il à redorer son blason ? Mais surtout son amour pour Isabelle connaîtra-t-il une fin heureuse ? Celle-ci l'aime autant que lui, mais elle souffre les assiduités d'un jeune Seigneur, riche à souhait, qui aime voir tout le monde à ses pieds, même les femmes, et Isabelle lui résiste.
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Voici une oeuvre qui comblera les âmes romantiques, qui instruira celui qui veut connaître les dures conditions du métier de comédien il y a quelques siècles. Et surtout, si vous être friand de descriptions admirables, vous serez servis.
L'amour et l'amitié, y compris l'amitié des animaux, la haine et la jalousie, la lâcheté et la dignité, la simplicité et l'orgueil, la fidélité, la vaillance, les coups d'éclats, l'éclat de la langue classique... tout y est pour passer un très bon moment de lecture. Le dénouement est inattendu, non pas dans la fin, qu'on devine heureuse, mais dans la manière dont celui-ci se met en place : suspense et retournements de situation jusqu'au bout.
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Théophile Gautier (1811-1872) connu surtout pour ses nouvelles fantastiques, fut un excellent critique littéraire, initiateur de la théorie de l'art pour l'art. Il était également le poète dont Baudelaire se déclare "le plus dévoué, le plus respectueux et le plus jaloux des disciples". Pour lui, c'était un "parfait magicien ès Lettres Françaises" (Dédicace des Fleurs du Mal). Et on lui donne raison, quand on lit le Capitaine Fracasse.

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