vendredi 25 mars 2011

La Géométrie des variables, de Mamadou Mahmoud N'Dongo

J’ai rencontré Mamadou Mahmoud N’Dongo le mois dernier à l’Albarino Passy. Après l’avoir entendu s’exprimer sur son livre, il était très tentant de le lire. J’étais curieuse de voir les lignes qu’il traçait dans sa Géométrie des variables, espérant les voir aussi belles que son propos était nourrissant. Je puis dire, après lecture, que son roman est substantiel, et sa substance, il la tire essentiellement de la vie politique internationale. L’auteur s’intéresse à l’accession aux plus hautes fonctions de l’Etat d’hommes politiques de pays du Nord comme ceux du Sud, avec un accent un peu plus marqué pour la France tout de même.


Ces hommes politiques, que ce soit Sarkozy, Chirac ou Mitterrand, Obama, Bush, Clinton ou Reagan, Taylor ou Prince Johnson etc. occupent (ou occupèrent) le devant de la scène, mais que se passe-t-il à l'arrière ? Qui se trouve pour ainsi dire dans les coulisses ? Qui est à la Régie, pour régler la lumière, pousser le public à porter ses regards sur tel homme politique plutôt que sur tel autre ? Ce sont les communicants. Sont-ce eux qui tirent les ficelles ? Ce peut être un débat passionnant. On peut mesurer, dans le livre, l'importance de la communication en politique, on a presque envie de dire que le secret d'une ascension politique réside là. Mais on peut aussi lire ceci :

- [...] Le pouvoir, c'est le savoir, et ce qui m'effare avec Sarkozy, c'est qu'il soit devenu président de la République !
- Mais tu l'as aidé à le devenir ?
- Daour, avec ou sans nous, il l'aurait été, et toi tu crois toujours, le plus sérieusement du monde, que c'est nous qui l'avons fait roi...
(La Géométrie des variables, p. 278)

C'est un échange entre Daour Tembeley et Pierre-Alexis de Bainville, les deux personnages principaux du roman, tous deux communicants politiques, tous deux Français, l'un Noir aux origines peules, l'autre Blanc. L'un au début de sa carrière, l'autre proche de la retraite. Pierre-Alexis, l'aîné, encadre le jeune Daour, il lui fait profiter de son expérience. Ce n'est pas pour autant que le lecteur les perçoit comme un supérieur avec son subalterne. Au contraire, c'est une véritable relation amicale, basée sur l'échange intellectuel, qui les lie. Tous deux sont amenés, au cours de leur carrière, à travailler pour diverses personnalités politiques de différents pays, indépendamment de leurs convictions personnelles, de leurs sentiments, et quelle que soit l'aura dont ces personnalités bénéficient auprès de l'opinion internationale. C'est dire combien le monde de la communication fait fi des frontières géographiques et des notions de bien ou de mal.

Ce roman nous montre donc comment on fait et on défait les hommes politiques, comment se font et se défont les "tendances". Mode et Politique sont intimement liées, l'une conduit souvent vers l'autre : "C'est en étudiant la mode que j'en suis arrivé aux tendances, et des tendances je suis passé à l'étude des politiques", déclare Daour, p.211.
Ce passage m'a fait repenser à une des célèbres Lettres persanes de Montesquieu, où l'auteur, sous le couvert de dénoncer les extravagances de la mode, se livre en réalité à une sévère critique du pouvoir royal :

Il en est des manières et de la façon de vivre comme des modes : les Français changent de moeurs selon l'âge de leur roi. Le monarque pourrait même parvenir à rendre la nation grave, s'il l'avait entrepris. [...] L'âme du souverain est un moule qui donne la forme à toutes les autres.
(Montesquieu, Lettres persanes, XCIX, 1721.)

On n'apprend pas seulement en politique dans ce roman, mais aussi dans le domaine artistique, celui-ci incluant également la Littérature, en particulier le Théâtre. Et ce que j'apprécie davantage, c'est que l'on peut avoir la sensation d' "entendre" l'auteur, si tant est qu'un roman est l'une des meilleures conversations que l'on peut avoir avec un auteur. Mamadou Mahmoud N'Dongo étant aussi cinéaste, j'ai cru l'entendre ou du moins percevoir ses goûts par exemple dans le passage suivant :

Tu sais la télé, la télé c'est pas pareil, tu es seul, t'as pas de retour, pas comme au cinéma où tu peux croiser le public à la fin de la projection et tu peux leur demander, aux spectateurs, ce qu'ils pensent ou bien tu te glisses dans la salle et t'écoutes. A la télé c'est diffusé tu ne sais où, puis t'as les critiques dans je ne sais quel magazine à la con qui te parlent de parts de marché, et puis ça sort en DVD, encore que ceux qui achètent les DVD, c'est eux le vrai public, sinon les autres ils ont un abonnement et la télé c'est un meuble, elle s'allume quand tu l'ouvres et s'éteint quand tu la refermes comme un frigo, à part qu'on t'apporte ta bouffe, et c'est pas ma conception de l'art, ce n'est pas de l'art, c'est pas comme un film ! (p. 217-218) 

Les personnages entraînent aussi le lecteur dans leurs aventures amoureuses, des aventures qui peuvent, contre toute attente, s'installer dans la durée et désarçonner les intéressés, cette touche d'émotion ne manque pas de donner au roman encore plus d'attrait :

Je retournai dans la chambre, et je contemplai son dos, je repoussai le drap et aperçus son tatouage et soudain j'eus une bouffée d'émotion en pensant : nous ne vieillirons pas ensemble ! Et je me remis à sangloter... ainsi se déroula ma nuit, je dormais et me réveillais, partais pleurer car submergé par le bonheur de me savoir amoureux.
(p. 264)

Bon, je vous ai servi de larges extraits de ce roman, vous n'allez pas vous plaindre. Plaignez plutôt et grondez votre portefeuille, s'il se montre ingrat, apprenez-lui à vous obéir, car je sens que la main vous démange d'aller acheter ce livre.

Mamadou Mahmoud N'Dongo, La Géométrie des variables, Gallimard, collection Continents Noirs, 2010, 310 pages, 19.50 €.

7 commentaires:

kinzy a dit…

""- Daour, avec ou sans nous, il l'aurait été, et toi tu crois toujours, le plus sérieusement du monde, que c'est nous qui l'avons fait roi... """
L'auteur a tout compris!

Heureux ceux qui dans ce monde ont les yeux ouverts, car l'illusion est la pire des maladies de notre siècle.

Bonne semaine ma chère Liss

Liss a dit…

Tout à fait d'accord avec toi, ma chère Kinzy, il est important d'avoir un regard clairvoyant sur les choses de ce monde.
Bonne semaine à toi aussi !

St-Ralph a dit…

Je n'ai jamais cherché à savoir le sujet de ce livre. Plus d'une fois, je l'ai trouvé sur mon chemin, en librairie ou sur le net. Pourquoi ne m'arrêtais-je pas ? je l'ignore ? pourquoi me suis-je arrêté aujourd'hui ? Sans doute parce que je me suis dit : "tiens, elle s'y met aussi !"

Les propos sur le pouvoir constituent souvent un miroir passionnant. Ce sont souvent des anlyses qui permettent de voir les acteurs du monde politique et le pouvoir politique lui-même sous des angles différents. Ils ne cherchent pas à convaincre mais donnent à voir et à réfléchir.

Liss a dit…

Mon cher St-Ralph, je me demande aussi pourquoi tu as passé ton chemin alors que ce roman venait comme à ta rencontre. Enfin, l'essentiel est que, à un moment donné, tu t'arrêtes pour savoir ce que ce livre te voulait.
@ suivre !

Anonyme a dit…

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GANGOUEUS a dit…

Je suis heureux de lire ce billet, conséquence lointaine de la belle et bruyante rencontre d'Afriqua Paris.

Un très beau texte dont tu fournis une lecture complète. J'apprécie chez cet auteur, l'originalité du propos, le désir de démarcation jusque dans la construction de ses personnages et la mise en scène de rapports nouveaux où les hommes se rencontrent au lieu de se ferrer dans leurs particularismes...

Liss a dit…

On sent, en effet, chez l'auteur la volonté d'être original. J'ai bien aimé ce roman, que je n'aurais pas lu de sitôt si tu ne m'en avais pas donné l'envie en chroniquant le livre et en invitant l'auteur à Africa Paris. Merci de me l'avoir fait découvrir.