mercredi 31 décembre 2008

Bonne Année !

Aventuriers qui découvrez cet espace au hasard de vos excursions
Amis qui répandez ici les richesses de votre cœur et de votre esprit
Lecteurs masqués, lecteurs déguisés, lecteurs à visage découvert
Je vous souhaite à tous une année pleine de découvertes
Un compte bancaire à l’abri des découverts
Sur la route de vos projets, des feux toujours verts
Pour la santé, elle a ses revers, mais les maladies sévères
Que le bon Dieu vous en préserve !
Bonne année 2009 !

lundi 22 décembre 2008

Comme un roman, Daniel Pennac

Daniel Pennac ? J’avais d’abord fait sa connaissance au travers de la littérature de jeunesse, avec le titre L’œil du Loup, cette belle histoire entre un petit africain et un loup, tous deux arrachés à leur famille, et qui apprennent à communiquer, histoire lue par une large majorité de CM2 et 6e de France et toujours appréciée de ces jeunes lecteurs. Et puis j’ai découvert que Pennac avait dans sa gibecière des livres pour tous les âges et pour tous les goûts : enfants, ados, adultes, comment ne pas l’aimer ?


On propose plus facilement un titre plutôt qu’un auteur à un lecteur qui nous demande de guider son choix, car toutes les oeuvres d’un même auteur ne plaisent pas forcément ou du moins ne plaisent pas de la même manière, à moins de remonter aux classiques : les génies du XIXe, les ‘‘éclaireurs’’ du XVIIIe, les ‘‘Grands’’ du XVIIe...
Pourtant, des écrivains dans l’âme, des gens nés pour la chose écrite, dont l’atelier ne produit que de purs joyaux, de vrais auteurs en somme, pas des fabricants de best-sellers, ça existe aussi de nos jours. Oh oui que ça existe ! Ils ne courent pas les rues bien évidemment, mais je suis sûre de pouvoir en citer au moins un : Daniel PENNAC. Le pourcentage de livres que j’ai lus de lui est pourtant bien infime par rapport à toute sa production : après L’œil du Loup, j’ai lu La Fée Carabine et Au Bonheur des Ogres, avec un bonheur égal à celui d’un ogre qui a bien dîné et qui regrette de ne plus avoir de place dans sa panse. Ce qui m’allait droit au cœur, c’est surtout cette déclaration d’amour au récit, aux auteurs qui l’ont enchanté, à la lecture, à l’écriture, que Pennac distille dans chacune de ses pages.

Le plaisir du lecteur, la perte ou la quête de ce plaisir, les causes qui font que ce plaisir semble éteint, les intempéries qui peuvent nuire à son éclosion, Pennac sait formidablement bien en parler, et c’est ce qu’il fait dans Comme un roman, que je viens de terminer. Je n’en connaissais que quelques extraits auparavant. Que vous dire de cet essai ? Faut-il vous en parler ? le résumer ? Le commenter au risque de pécher aux yeux de cet auteur que j’adore ? En effet Pennac n’épargne pas les ‘‘commentateurs’’ – bloggeurs, critiques littéraires... nous nous reconnaîtrons – qui se substituent trop à l’œuvre elle-même au point de lui porter ombrage, mais en même temps il reconnaît l’importance pour un livre d’avoir un héraut qui dit ses mérites et attire à lui des lecteurs... Bon, en un mot Comme un roman parle du rapport à la lecture, abordé sous tous les angles. Intéressant et révélateur sur nos propres habitudes de lecteur. On se reconnaît dans pas mal de situations, c’est comme si ce livre a été écrit pour nous. C’est peut-être parce qu’il part de son expérience, parce qu’il sait si bien se mettre à la place de l’autre, parce qu’il comprend vraiment le fond des choses que son message est si directement acquis. Son plus grand souci, c’est de faire comprendre à chacun, surtout à ceux qui se croient ‘‘exclus de la lecture’’ que... Mais attendez, je suis en train de me mettre à raconter le livre ! alors que je m’étais promis de ne pas le faire. Je m’arrête immédiatement, non sans vous avoir dit que vous faites une grossière erreur si vous vous dites lecteur et que vous tardez à ouvrir ce cadeau que vous offre Pennac – ouvrez-le, offrez-le à vos amis lecteurs ! – ; si vous pensez que vous n’avez pas le temps de lire, surtout pas un essai ; si vous croyez que cette lecture n’est pas pour vous ; si vous n’inscrivez pas tout de suite cette œuvre en tête de la liste de vos prochaines lecteurs ; et surtout si vous ne possédez pas de Pennac dans votre bibliothèque, quel désespoir ! Combien malheureux êtes-vous alors, même si vous, vous vous croyez heureux avec ce que vous avez de ‘‘bons bouquins’’ dans vos rayons. Croyez-moi, ça ne suffit pas, courez vite vous trouver un Pennac, n’importe lequel : bonheur assuré, garanti cent pour cent.

Son Chagrin d'école, Prix Renaudot 2007, je ne l'ai toujours pas dégusté, oui je sais, je suis impardonnable, d'autant plus que je sens que ce livre-là a été écrit pour moi.

lundi 1 décembre 2008

ENTRETIEN avec FATOUMATA KANE


Publié dans le magazine AMINA N°464 de décembre 2008.


Fatoumata Kane est celle que nous nous plaisons à appeler une « africaine sans frontières ». En effet, elle est sénégalo-malienne de naissance, burkinabé par le mariage et brazzavilloise eu égard à son lieu de résidence actuel. Où qu’elle se trouve, sa plume ne la quitte jamais. En deux ans, elle a déjà publié trois ouvrages : Plaidoyer (2007), un recueil de nouvelles, Senteurs terrestres (2008), recueil de poésies, et un roman, Mirages (2008), tous parus aux éditions Le Manuscrit. Elle a aussi conçu et réalisé un CD ROM, « Mémoires d’un historien : Joseph KI-ZERBO », sous l’égide du Centre d’études pour le développement africain (CEDA) et de l’Université de Ouagadougou (RESAFAD).
Fatoumata Kane s’autorise également quelques séjours en Europe, notamment en France. Elle s’est trouvée doublement interpellée par les départs massifs des Africains vers l’Europe et par la vraie vie des immigrés dans ce soi disant ‘‘Eldorado’’.

Après Plaidoyer, votre premier texte dans le genre de la prose, où vous explorez les difficultés des femmes, les défis qu’elles ont à relever dans leur foyer, vous publiez à présent roman. Comment s’est effectué ce passage de la nouvelle au roman ?
L’écriture est un exercice vital pour moi et l’appel de la feuille blanche est aussi irrésistible qu’incontrôlable ; tous ceux qui écrivent peuvent vous le confirmer. Je trouve plutôt agréable de changer de genre.


Le thème cette fois est différent, mais les questions liées à la femme restent toujours présentes dans votre œuvre, vous évoquez le mariage forcé, la polygamie et ses causes, ses avantages et ses inconvénients. Vous êtes plutôt féministe ?
Si souhaiter l’épanouissement de la femme, c’est être féministe, alors je le suis profondément. Le drame des femmes c’est qu’elles sont souvent elles-mêmes partie prenante des violences subies, soit par peur, soit par inconscience et inconsistance et je pèse mes mots. Nous ne pouvons pas mettre tous nos maux sur le dos des hommes sans chercher la solution de nos problèmes en nous et trouver les ressources qui nous permettront de sortir la tête de l’eau.

Dans le cas de Souhaibou, c’est sa stérilité qui pousse son mari à prendre une seconde épouse. Souhaibou et Racky, sa coépouse, font penser à Léa et Rachel, les épouses de Jacob. Cependant Souhaibou n’a pas eu autant de chance que Rachel qui avait finalement pu donner des enfants à son mari. Vous montrez comment cette épreuve qu’est la stérilité pour une femme n’est pas insurmontable.
Comme toute difficulté ou contrariété, elle est bien sûr surmontable. Il est évident que nous souhaitons laisser une trace de notre passage sur terre à travers notre progéniture mais les actes que nous posons sont aussi très importants. Rien ne sert de se morfondre sur ce sur quoi nous n’avons aucune emprise. Chaque action porteuse de fruits que nous posons en assistant les autres peut humainement nous apporter autant de joie que la procréation

Comment trouvez-vous l’interprétation de votre héroïne concernant la polygamie : elle dit que c’est « la volonté de Dieu », est-ce pour montrer comment la société, les hommes en particulier détournent la parole sacrée pour faire accepter une chose qui en réalité n’a pas été dictée par Dieu ?
C’est ce qui est imposé aux femmes comme une vérité absolue, qui ne peut souffrir d’aucune contradiction ; comme lorsqu’on lui fait accepter que son paradis dépend de la satisfaction de son conjoint. Ce sont des sentences qu’elle a acceptées depuis des lustres. Qui peut l’en défaire si ce n’est elle-même ? Mais c’est bien plus facile pour elle de mettre toutes ces pesanteurs subies comme la volonté de Dieu. Pourtant nous savons tous que Dieu est avant tout Amour et Miséricorde.

Parlons de l’immigration, thème central de votre roman intitulé « Mirages ». Dès le titre, vous montrez combien l’entreprise de tous ces innombrables jeunes gens est vouée à l’échec : pour ceux qui ne meurent pas en pleine mer ou ne sont pas pris par la police, c’est tout de même une vie misérable qui les attend. Et très souvent la famille restée au pays ignore leurs conditions de vie en Europe...
C’est une évidence depuis de décennies que l’immigration occidentale a atteint ses limites et que la tentative de migration clandestine est une pure aberration. Nul, aujourd’hui ne peut dire qu’il ne sait pas ce qui l’attend sur cette voie scabreuse vers l’inconnu. Pourtant, chaque jour des centaines de jeunes se jettent sur cette voie en espérant fuir la misère économique, en rêvant de richesse fantasque pour finir engloutis aux fonds de l’océan. C’est une tragédie.

Vous dénoncez également l’attitude de ces familles qui encouragent leurs enfants à partir au péril de leur vie, ils sont plus préoccupés de recevoir des mandats, des euros en provenance de l’Europe, que de la vie que mènent leurs enfants là-bas...
Nous ne voyons hélas que cela sur le continent, des familles meurtries par la pauvreté qui mettent tout leur espoir, la résolution de tous leurs problèmes sur les fragiles épaules de jeunes à peine sortis de l’adolescence et qui dans un acte de bravoure et de désespoir absolus se jettent à la mer en espérant réaliser leurs propres fantasmes et les rêves de toute une famille. Ceci est une violence morale terrible.

Malgré tous les efforts de Souhaibou et de son mari pour convaincre Samba et ses parents qu’il est possible de se construire une vie infiniment, sinon aussi meilleure dans leur propre pays, ils ne sont pas entendus. Est-ce que votre livre ne risque pas le même sort ? Pensez-vous que votre message sera entendu ?
J’espère que mon livre sera lu et mon message entendu. J’espère avoir la possibilité d’en faire la promotion au niveau des ministères de l’éducation nationale afin qu’il puisse être disponible sinon dans les programmes scolaires du moins dans toutes les bibliothèques scolaires.

Revenons aux femmes, ce sont elles qui se battent, qui se lèvent vraiment pour faire bouger les choses, jusqu’à se faire élire Maire de la ville. L’avenir de l’Afrique est donc entre les mains des femmes ?
D’une certaine manière oui. Je suis convaincue que les femmes peuvent faire évoluer les choses lorsqu’elles se regroupent et qu’elles arrivent à se défaire des mesquineries inopportunes et des querelles de leadership absurdes qui mènent au nombrilisme et aux guerres intestines et fratricides où tous les coups sont permis. Elles sont certainement plus courageuses que beaucoup d’hommes. Elles ont un rôle fondamental à jouer dans notre société et elles ne doivent plus s’autocensurer et se priver d’être actrices actives et positives de leur temps.

En fait plusieurs questions sont soulevées dans votre roman mais qui, en général ne sont que succinctement développées, puisque le roman ne fait que 80 pages, c’est comme si vous l’avez écrit dans l’urgence... Qu’est-ce qui urgeait pour vous ?
Je ne l’ai pas vraiment écrit dans l’urgence, mais je ressentais tout de même l’urgence de dénoncer ce phénomène du mirage de l’émigration. Je crois que j’ai eu un peu de mal à me départir du style de la nouvelle. Je pense tout de même avoir écrit l’essentiel de ce que je voulais dire sur ce sujet.

Parlez-nous de vos futurs projets, vos prochaines publications.
J’ai plusieurs projets en cours, un nouveau roman mais surtout un essai sur les femmes africaines, un projet de création d’une maison d’édition et de promotion de la littérature africaine…

Un dernier mot ?
Je paraphraserai une de nos aînées, le Professeur Adam Bah Konaré : « Les femmes doivent impérativement se dire qu’elles ont d’autres rôles à jouer auprès des hommes que de les séduire ». C’est à mon avis le premier pas vers l’estime de soi et l’émancipation véritables.

mercredi 26 novembre 2008

Johnny Chien méchant, Emmanuel Dongala

Les lecteurs du 20 minutes auront sans doute remarqué, comme moi, que l’Afrique, le Congo en particulier, était au cœur de l’édition de ce mercredi 26 novembre. Il y a d’abord eu un article sur le trafic des crèmes blanchissantes, avec en encadré la présentation du livre Ces Noirs qui se blanchissent la peau, paru chez L’harmattan et dans lequel l’auteur, Gaston M’Bemba-Ndoumba, d’origine congolaise, étudie ce phénomène de société.

Puis le « pillage des ressources naturelles en république démocratique du Congo » a occupé une page entière, ces ressources dont l’exploitation illégale « alimente directement le conflit depuis 1996 ». Or, diamant, cobalt « mais aussi et surtout coltan qui entre dans la composition des fusées et des téléphones portables... », voilà ce dont regorge le pays. A cause de ces richesses, des centaines de milliers de personnes continuent de périr, aujourd’hui encore, ou sont contraintes de quitter leurs demeures pour vivre en errants. Ce sont les civils, la population congolaise qui non seulement ne profite pas de ces richesses mais encore doit payer les pots cassés. Des voix s’élèvent bien sûr, comme celle de Monsieur Christophe Lutundula, auteur d’un rapport sur ce ‘‘pillage’’ : « il y a un manque de volonté politique à l’échelle internationale. Les lobbies sont puissant, d’autant que les portables et les fusées sont des affaires qui marchent ». Et l’auteur de l’article de conclure : « Le conflit a déjà fait 5,4 millions de morts dans le pays depuis 1998, le bilan le plus lourd depuis la Seconde Guerre mondiale » (c’est moi qui souligne).

Ce sont également ses richesses, notamment les intérêts liés au pétrole, qui sont au centre des guerres civiles qui ont ravagé le Congo Brazzaville dans les années 90, guerres dont s’est inspiré l’écrivain Emmanuel Dongala pour écrire son Johnny Chien méchant. Ce roman a été adapté au cinéma. Le film Johnny Mad Dog, par le réalisateur Jean-Stéphane Sauvaire, était le troisième sujet lié au Congo dans cette édition du 26 novembre. Du coup, j’ai pensé faire une rapide présentation de ce roman.

Johnny Chien Méchant, Le Serpent à plumes, 2002.

Ce dernier roman de Dongala propose, sur la guerre civile , deux regards : celui de Johnny, dit « chien méchant » alias « matiti mabé », jeune milicien de 16 ans qui se livre au pillage, au vol, au viol, qui tue sans état d’âme ; et celui de Laokolé, jeune fille de 16 ans, armée de courage et de la volonté de croire encore en l’homme. Elle doit sauver sa peau ainsi que celle de ses proches, elle doit survivre. Les deux héros ont le même âge, leurs regards se succèdent, se croisent pour offrir au lecteur une vue détaillée et différemment commentée de la situation.

Johnny se prend pour un grand personnage, un dur, un intellectuel, mais ses propos et ses actes révèlent toute l’étendue de sa bêtise et de sa lâcheté ; il nous semble encore un enfant même si lui-même se croit adulte. Tandis que Laokolé paraît mâture. Issue d’une famille modeste, fille de maçon, elle a vécu des expériences qui l’ont grandie. Les événements tragiques vécus à cause de la guerre (assassinat du père par exemple) contribuent à la projeter prématurément dans l’âge adulte.

Ce livre, qui essaie de dire avec des mots les atrocités de la guerre civile, n’est pas pour autant dépourvu d’humour. Le talent de l’auteur ne se dément pas avec ce dernier roman.

jeudi 20 novembre 2008

Chroniques martiennes, de Ray Bradbury


Qu’est-ce qui fait la valeur d’un livre ? Est-ce son thème, le genre adopté par l’auteur, les louanges de la critique, la faveur du public ? La réponse à cette question ne peut être expédiée en deux mots, car il est certain que divers ingrédients composent une recette et lui donnent une saveur particulière. Tout au moins pouvons-nous dire qu’un livre figure en bonne place dans notre mémoire de lecteur d’autant plus qu’il conserve une éternelle fraîcheur. Un bon livre, un ‘‘classique’’ aurais-je envie de dire, est un livre qui donne l’impression d’avoir été écrit la veille et qu’on relit toujours avec émerveillement. Ouvrez les pages des Chroniques martiennes, de Ray Bradbury, et vous vous trouverez inondé de lumière et de beauté.
Il s’agit de nouvelles, écrites par Bradbury à la fin des années 40, réunies ensuite (1950) sous le titre de "Chroniques martiennes". Elles peuvent être lues comme un roman, car les différentes nouvelles sont placées dans un ordre chronologique, de Janvier 2030 à Octobre 2057, et font écho les unes aux autres.
C’est un livre que l’on classe dans la littérature de science-fiction, mais il n’a de futuriste que l’exploration de Mars par les hommes de la Terre et leur installation progressive sur la planète dite ‘‘rouge’’. Ce livre prend à bras-le-corps les problèmes qui gangrènent la société moderne et invite à revenir au spirituel.
Voici quelques pistes de lecture : l’orgueil humain ; le sens de la vie ; les questions majeures de notre époque comme l’immigration, les guerres, la pollution ; le rêve comme réalité…


L’orgueil, source de bien de déconvenues
Une première expédition de deux hommes est envoyée sur Mars, qui ne donnera plus signe de vie. Une seconde expédition débarque sur Mars, mais les Martiens ne leur accordent pas l’attention, les honneurs qu’ils estiment être en droit de recevoir ; ils ne sont pas portés en triomphe comme cela aurait dû être pour des gens venus d’aussi loin et ayant réussi la prouesse d’un voyage interplanétaire. Or les Martiens s’avèrent télépathes : ils captent les pensées, la mémoire des terriens au point de pouvoir connaître parfaitement la vie terrestre ; en outre, ils ont la capacité de matérialiser leurs fantasmes, provoquant des illusions d’optique et prenant ainsi leurs rêves pour la réalité. Ainsi, puisque le capitaine Williams et ses hommes – dépités par l’indifférence des martiens – persistent à crier sur tous les toits qu’ils viennent de la Terre, à rechercher la reconnaissance, ils sont internés, enfermés avec des Martiens qui disent aussi venir de planètes différentes. On les considère donc comme des fous. Le psychiatre martien, pour les soigner, les éliminera.
Quand la quatrième expédition arrive, après l’échec des trois précédentes, ceux qui la composent espèrent qu’elle sera « la bonne », nourrissant « des rêves d’honneur et de gloire » (p.88) Aussitôt sortis de la fusée, ils veulent fêter leur « exploit », ils ont « envie de se saouler, de crier et de tirer en l’air pour montrer quels types formidables ils étaient d’avoir foré l’espace à bord d’une fusée jusqu’à la planète Mars. » (p. 89-90) Les rappels à l’humilité, à la sérénité du capitaine Wilder n’y feront rien : musique, danse, mangeaille, beuverie sont organisés, certains allant jusqu’à polluer les eaux martiennes pour les « baptiser », ce manque de respect de la nature a fait de la terre une planète en danger, mais si on offrait aux hommes une planète nouvelle, pure, vierge de toute pollution, saisiraient-ils cette seconde chance ? Il semble que l’homme ait plutôt le « don d’abîmer les belles et grandes choses », l’homme a tendance à se considérer comme étant un « géant », alors qu’il apparaît comme un enfant, par exemple devant les réalités qui le dépassent. Face à l’inconnu, il veut donner l’impression et se persuader lui-même d’être le maître, mais que maîtrise-t-il ? Pas même son orgueil.

La vraie religion
L’orgueil apparaît aussi sous l’habit des hommes d’Eglise, qui veulent aller traquer le péché sur Mars, confondre les Martiens, démasquer leurs péchés quand bien même ils auraient la subtilité de les déguiser en vertu. Qu’est ce donc que le péché, et d’où vient-il ?

« Seul, Adam n’a pas péché. Ajoutez Eve et vous ajoutez la tentation. Ajoutez un deuxième homme et vous rendez l’adultère possible. Avec l’ajout du sexe ou des gens, vous ajoutez le péché. Si les hommes n’avaient pas de bras, ils ne pourraient pas étrangler. Vous n’auriez pas ce péché particulier qu’est le meurtre. Ajoutez les bras, et vous ajoutez la possibilité d’une nouvelle violence. Les amibes ne peuvent pas pécher parce qu’elles se reproduisent par scissiparité. Elles ne convoitent pas la femme d’autrui ni ne s’entre-tuent. Donnez-leur un sexe, des bras et des jambes, et c’est la porte ouverte au meurtre et à l’adultère. » (p. 147)

Cela voudrait-il dire que, pécheurs par la force des choses, tous ceux qui commettent le mal en devraient être dédouanés ? Sommes-nous responsables de nos actes ? Voilà une question métaphysique qui nous est posée. En tout cas les Pères Peregrine et Stone veulent aller annoncer aux Martiens que, quelque mal qu’ils aient commis, le Christ est mort pour tous. Pour qu’ils comprennent mieux ce message, ils projettent de représenter le Christ sous une forme martienne. En fait chaque peuple a sa représentation du divin, comme l’attestent par ailleurs les noms, différents selon les peuples et les croyances, qui désignent le Créateur : Yahvé, Nzambi, Allah… Au fond, s’opposent-elles vraiment, toutes ces religions ? Pourquoi cet entêtement à vouloir convertir les autres à sa religion, quitte à verser du sang ? Est-ce là le plus important d’appartenir à telle ou telle confession religieuse ? Le plus important, semble dire Ray Bradbury entre les lignes, c’est de faire le bien, de hisser toujours plus haut ces drapeaux appelés BIEN, BEAU, BON. C’est une belle leçon d’humanisme que les Pères reçoivent des anciens de Mars, eux qui croyaient être venus les enseigner…


(la couverture originale)
L’immigration, une ‘‘plaie’’ ?C’est le propre de l’homme d’avoir une haute opinion de soi et de dévaloriser, bien plus d’assujettir l’autre que l’on juge en fonction de ses propres valeurs, en fonction de l’idée que l’on se fait du beau, du vrai, du juste. Tout ce qui ne correspond pas à ce que nous estimons est vu comme inférieur, indigne, ignoble. Ainsi sont traités les noirs en Amérique dans les années 40. On sait pourtant comment ils sont arrivés là. On avait besoin d’eux, on les a arrachés de force à leurs terres natales pour faire marcher l’économie de ces terres qui leur sont étrangères. Quant à reconnaître qu’ils rendent aux autochtones la vie plus facile, à leur être reconnaissant, à quoi bon ? Ils ne sont que des instruments, et un instrument est là pour servir, c’est normal. C’est ce mépris que Ray Bradbury dénonce dans une de ses Chroniques. Les noirs d’Amérique veulent mettre fin à ce mépris quotidien. Puisque leur présence est perçue comme envahissante, ils décident d’aller tous sur Mars, tous sans exception. Jugez donc de la réaction des blancs :

« Vous connaissez la nouvelle ?
- Quelle nouvelle ?
- Les nègres, les nègres !
- Eh bien, quoi, les nègres ?
- Ils s’en vont, ils fichent le camp, ils mettent les voiles ; vous êtes pas au courant ?
- Qu’est-ce que tu nous chantes, ils fichent le camp ? Comment ça se pourrait ? (…)
- Il faut que je voie ça. J’arrive pas à y croire. Et où vont-ils ? En Afrique ?
Silence.
- Sur Mars. »
(p. 187)

Chacun a en effet remarqué la disparition des noirs de la circulation, les patrons se demandent où est passé le leur, comme Samuel Teece qui s’interroge sur le noir qui est à son service, Simplet, un nom qui donne la mesure du mépris, des préjugés qui pèsent sur les noirs. Comment de simples noirs pourraient-ils se rendre sur Mars ? De quoi sont-ils capables sinon de malhonnêteté ? Jugez plutôt de ces préjugés :

« Je me demandais, aussi, où était passé Simplet. Ça fait une heure que je l’ai envoyé livrer avec mon vélo. Et il est pas encore revenu de chez Mrs. Bordman. Tu crois que cet idiot de négro est parti pour Mars en pédalant ? »
Les hommes ricanèrent.
« En tout cas, il a intérêt à me rapporter ma bécane. Je suis pas du genre à me laisser voler. »
(p. 188)

Pourtant les noirs partent vraiment, on apprend qu’ils s’étaient cotisé, qu’ils avaient « fabriqué leurs fusées tout seuls ». L’heure n’est plus pour les patrons à faire de l’ironie, il s’agit désormais de trouver des voies et moyens pour empêcher leur départ, car ils se rendent comptent que si vraiment ils « fichent le camp », ce serait la catastrophe.
Voici plus d’un demi-siècle que Ray Bradbury a écrit ce texte, cependant il semble décrire parfaitement la situation de la France, avec ses enfants indésirables issus de l’immigration – les enfants indésirables étant essentiellement ceux venant des pays d’Afrique noire et du Maghreb. On fait de l’immigration une cause essentielle du mal-vivre en France, au point que des équations sont établies ; en tout cas les medias présentent les choses telles que dans l’esprit du public, insécurité = immigration ; violence = immigration ; chômage = immigration. Certains Français proposent LA solution magique pour guérir cette plaie de l’immigration : fermer à triple tour les portes de la France, renvoyer ceux qui sont installés dans le pays et qui ‘‘bouffent’’ le travail des autochtones ; leur départ contraindrait ces derniers à prendre les emplois qu’ils auront laissés. Quels résultats donnerait la mise en pratique de cette idée ? Si les Noirs et les Arabes, à défaut d’aller sur Mars, retournaient chez eux, la France se porterait-elle mieux ou mal ?
Dans la nouvelle de Bradbury, c’est un vieillard qui se propose de remplacer Simplet. Ray Bradbury passe par la science-fiction pour exprimer l’idée que ceux qu’on méprise, qu’on malmène aujourd’hui constitueront peut-être une force demain, et qu’il sera alors trop tard pour leur témoigner des égards. N’est-ce pas également ce renversement de situation qu’exprime le roman d’Abdourahman Waberi : Aux Etats-Unis d’Afrique ?

De la Liberté en LittératureLes Chroniques peuvent également être lues comme une lettre ouverte à ceux qui tuent l’imagination en Littérature. L’histoire littéraire est truffée de débats autour de ce qui devrait être et ce qui ne devrait pas être en Littérature : querelle des Anciens et des Modernes, hiérarchisation des genres (à une époque le roman par exemple fut perçu comme étant moins noble que d’autres genres comme la poésie) sont quelques exemples. Ray Bradbury s’insurge contre ces ‘‘décrets’’, ces ‘‘lois’’, qui n’ont pas lieu d’être en Littérature, il rejette plus que tout le Réalisme comme critère de recevabilité d’un roman. La littérature de science-fiction serait-elle une sous-littérature tandis qu’il y aurait une vraie littérature ? Les textes fantastiques d’un Edgar Allan Poe par exemple ne méritent-ils pas autant de considération que d’autres ? Dans le texte « Usher II », un amoureux de la Littérature fait venir, sur Mars, dans une maison construite d’après la nouvelle de Poe, ces ‘‘inspecteurs’’ de littérature et se venge d’eux. Bradbury fait essentiellement référence à la censure, mais on pourrait également faire le lien avec la critique littéraire : quel est son rôle ? Quelle est sa place ?
Pour ne pas « perdre toute élasticité et toute saveur », la littérature doit être ce champ que l’esprit explore à volonté, et qui ne rencontre dans sa course aucune barrière, aucune flèche pour lui dicter la direction à suivre. La littérature doit inviter à l’ « évasion », au voyage. C’est d’ailleurs une autre piste de lecture : les Chroniques Martiennes sont comme une « invitation au voyage ». Si, dans les Fleurs du Mal, le poète invite son interlocutrice à aller dans ce lieu où « tout n’est qu’ordre et beauté / Luxe, calme et volupté », Bradbury nous invite dans son livre à une ascension similaire. Le voyage des hommes de la Terre vers Mars, cette élévation dans l’espace pour atteindre un lieu qui serait un refuge contre les guerres, la pollution, le conflit de générations, l’intolérance… figure aussi la nécessaire élévation de l’esprit pour une vie qui ‘‘fasse sens’’. Nous devons savoir « associer l’art à la vie ». Or il semble que l’on soit de moins en moins sensible à la volupté, à la paix que peut procurer un bon livre, nous ne savons plus percevoir le langage de la nature, ne savons plus dialoguer avec elle…


Conclusion
On entre dans l’univers des Chroniques Martiennes et on s’y promène sans se lasser. La poésie de certains passages, l’imagination foisonnante de l’auteur dégourdissent l’esprit. Ray Bradbury est à juste titre considéré comme un grand maître de la littérature de science-fiction. Mais laissons-là les classifications, l’auteur des Chroniques Martiennes et de Fahrenheit 451 est, tout simplement, un grand auteur ! Ces deux œuvres ont toutes deux été adaptées pour le Cinéma.


N.B. : Les numéros de page renvoient à la collection Folio Science-Fiction.

samedi 15 novembre 2008

Ci-gît..., Dominique Mfouilou


Nous sortons d’une semaine de commémoration. En effet, avec la date du 11 novembre, c’est toute la période de la première guerre mondiale qui a été rappelée à notre mémoire et ce au travers de cérémonies, de documents – écrits comme audio-visuels. Grâce à ceux-ci nous savons qui a fait quoi durant cette guerre, qui s’est illustré par une décision salvatrice ou regrettable et en quel lieu...
L’histoire doit être gardée en mémoire pour éviter d’autres déboires, mais certains pensent qu’on en fait trop. En effet un débat a fait irruption cette année : « y a-t-il trop de commémorations ? » Fichtre ! Au moins les jeunes gens ainsi que tous ceux qui sont nés après cette sombre période de l’histoire ne peuvent ignorer celle-ci : toutes les informations la concernant sont à leur portée. Qu’en est-il du Congo Brazzaville ?

Presque tous les événements marquants de ce pays se diffusent de façon officieuse, on en parle loin des médias, et surtout loin de tous ceux qui représentent les autorités politiques, qui s’obstinent à ne pas lever le voile sur ces événements qui les concernent au plus haut point. Dans ces conditions, on rêverait d’avoir des émissions comme « Secrets d’actualité » ou « Complément d’enquête » pour apprendre la vérité sur ce passé nébuleux. Heureusement, quelques auteurs osent élever la voix pour dire tout haut ce qu’on se chuchote, ce qu’on se dit sous le sceau de la confidence. J’ai déjà eu l’occasion de saluer le travail de Dominique M’Fouilou, qui s’applique à reconstituer des pages de notre histoire dans ses romans.

Le dernier en date s’intitule Ci-gît le Cardinal achevé. Il retrace les derniers jours du Cardinal Emile Biayenda, dont la disparition tragique est étroitement liée à celle du Président Marien-Ngouabi et de son prédécesseur, le Président Alphonse Massamba-Debat, à quelques jours d’intervalle. Pourquoi ces assassinats ? Comment ceux-ci furent présentés au public ? Quelles furent les motivations des instigateurs de ces trois disparitions ? Voilà les questions auxquelles l’auteur tente de donner de la consistance.
Le roman fait 255 pages mais ce sont moins de 48h que l’auteur fait vivre au lecteur, le temps de la lecture, depuis l’appel téléphonique convoquant le cardinal à une soi-disant audition jusqu’à son assassinat ainsi que les efforts de ses proches collaborateurs pour que son corps soit restitué. Les dialogues sont nombreux et peuvent paraître trop ralentir le rythme de l’action. Peut-être l’auteur a-t-il ainsi voulu plonger le lecteur dans cette lourdeur qu’avait pu connaître le prélat avant sa disparition, qu’il avait pressentie.

Dominique M’FOUILOU, Ci-gît le Cardinal achevé, Editions Paari, juillet 2008, 22 €.

samedi 8 novembre 2008

Les Sirènes de Bagdad, Yasmina Khadra

J'ai regardé l'émission "Ce soir ou jamais" du lendemain de l'élection de Barack Obama , titrée, actualité oblige, "La fin de l'impérialisme américain?" Parmi les invités, choisis avec soin, il y avait entre autres Aminata Traoré, ancienne ministre du Sénégal qui devient comme une porte-parole de l'Afrique, A. Waberi, avec son roman Aux Etats-Unis d'Afrique, et, on pouvait s'en douter, Yasmina Khadra, dont l'oeuvre est essentiellement consacrée au bras de fer Orient-Occident. Avec cet auteur, vous n'avez pas à vous poser de questions quant au choix du titre à lire, prenez n'importe quel Khadra, vous allez vivre un moment passionnant. C'est l'occasion pour moi de remettre en ligne un commentaire que j'avais fait des Sirènes de Bagdad, mais comme mon ancien blog n'est plus disponible, alors je me suis dit : pourquoi me laisser faire ? Je vais donc republier ces anciens articles, certains d'entre eux du moins, dans la "Vallée des livres".
Qui, mieux que Yasmina Khadra, vous emmène au cœur du conflit qui oppose l’Orient à l’Occident, vous fait prendre la mesure de la haine que peuvent ressentir les Arabes contre les Occidentaux, une haine portée à ébullition, et qui explose en attentats-suicides ? Ces kamikazes qui « partent à la mort comme à la fête »1, ces gens qu’on appelle des terroristes, sont-ce vraiment des êtres humains, avec un cœur de chair et de sang ? Comment peut-on se livrer corps et âme à une violence aussi implacable, aussi meurtrière ? Pourquoi cette barbarie ?
Avec une remarquable justesse de ton, Yasmina Khadra nous invite à comprendre la guerre qui s’est déclenchée en Irak, à remonter le fleuve de la rancœur et vivre la mutation d’un paisible paysan en terroriste, d’un enfant en bête féroce, d’une ville entière en cimetière.

Le narrateur, un natif de Kafr Karam, était un garçon d’une grande sensibilité (en fait il le demeure, malgré les apparences). Il voyait les jours se succéder aux jours dans ce village perdu d’Irak, jusqu’au jour où il intègre l’Université, à Bagdad. Mais très vite il doit regagner son petit village car Bagdad devient le théâtre d’une guerre sanglante au centre de laquelle se trouvent les Américains, représentés par leurs soldats en grand nombre sur le territoire irakien. Des autochtones, venus de toutes parts leur résistent. A Kafr Karam, on suit tout d’abord le conflit à distance. Mais force est de constater que désormais tout ce qui bouge est suspect, tout le monde est considéré comme des terroristes et l’on est traité avec infiniment peu d’égards. La révolte chez les jeunes grossit au rythme des bavures qui se succèdent. Le narrateur, lui, refusera obstinément de participer à la violence, jusqu’au jour où l’honneur de sa famille est profané. Pour un Bédouin, la dignité est plus que la vie, et lorsqu’elle est souillée, on ne la reconquiert que par le sang. Le héros se rend aux premières lignes de la résistance, à Bagdad. Il a son honneur à laver dans le sang, mais aussi l’honneur de son pays, que les Américains veulent mettre à genoux. La fierté nationale irrigue la détermination de nombreux jeunes gens. Leurs attentats causent la mort d’innombrables compatriotes, des innocents. Ils sont en colère, mais leur colère doit-elle être aveugle ? « Notre cause est juste, mais on la défend très mal », déclare Hossein, membre d’une de ces unités de jeunes qui se sont vigoureusement engagés dans la lutte terroriste. Bien qu’étouffée, la voix de la concession se fait entendre là où on l’y attend le moins. Et le narrateur lui-même se surprendra à reculer devant sa mission, la plus importante du genre, celle qui « ramènera le 11 septembre à un chahut de récré. »2

Le conflit américano-irakien se nourrit essentiellement de la différence de culture, laquelle implique une différence de valeurs, et cette dernière conduit malencontreusement à un dialogue de sourds. On apprend à connaître le monde arabe et ses valeurs fondamentales. Certaines d’entre elles se retrouvent également chez les Africains : le respect aux aînés, l’aura qui entoure les géniteurs par exemple. Voici comment Yacine, un personnage à la langue tranchante, décrit l’Occidental :
« Il ne sait même pas ce que c’est, un sacrilège. Dans son monde à lui, on expédie les parents dans des asiles de vieillards et on les y oublie comme le cadet de ses soucis ; on traite sa mère de vieille peau et son géniteur de connard… »3

Ces propos auraient pu sortir de la bouche d’un Africain.

L’auteur de L’Attentat propose, avec Les sirènes de Bagdad, une œuvre poignante de vérité, notamment en ce qui concerne les différents enjeux à l’œuvre dans ce conflit Orient-Occident.


Notes
Les sirènes de Bagdad, Pocket, p. 246.
p. 258
p. 185-186

Yasmina Khadra, de son vrai nom Mohammed Moulessehoul, est né en 1955 dans le Sahara algérien. Il est aujourd'hui connu et salué dans le monde entier où ses romans, notamment A quoi rêvent les loups, L'écrivain, L'imposture des mots, Cousine K sont traduit dans 32 pays. Les Hirondelles de Kaboul et L'attentat sont les deux premiers volumes d'une trilogie consacrée au dialogue de sourds qui oppose l'Orient et l'Occident et qui s'achève avec la parution des Sirènes de Bagdad (Julliard 2006).
L'Attentat a reçu de nombreux prix et est en cours d'adaptation cinématographique aux Etats-Unis. Le prix Nobel J.M. Coetze voit en cet écrivain prolifique un romancier de premier ordre.

mercredi 5 novembre 2008

BARACK casse la BARAQUE

Si je vous dis "B.O.", vous me répondez ?... "Bulletin Officiel" ? Pas du tout ! Essayez encore... "But Olympique" ? Vous n’y êtes toujours pas... quoique, ça a quelque chose à voir avec ce sentiment composé de contentement, de fierté, d’exaltation, de reconnaissance (à Dieu et à tous ceux qui l’ont soutenu) qui remplit le cœur de celui qui remporte une victoire olympique, une victoire qui était loin d’être acquise dès le départ. Une prouesse olympique tient toujours un peu du prodige, car outre la performance physique, il y a aussi tous les autres facteurs que l’on pourrait mettre sur le compte de la chance, tout ce qui fait que la médaille vous revienne à vous et pas à votre ou vos adversaires, tout ce qui vous fait sentir que c’est votre jour à vous, que c’est un moment comme vous n’en vivrez peut-être plus... C’est ce qui s’appelle vivre l’histoire en direct !

"B.O." Je pensais à Barack Obama bien sûr ! Cette histoire, qu’il vient de marquer de son nom, nous la vivons avec lui, et je suis émue, comme tant d’autres à cette heure, de la décision que viennent de prendre les Etats-Unis : accepter de tordre le cou au racisme, à la question de couleur. Certes celle-ci n’est pas pour autant morte et enterrée, elle ne disparaîtra pas, comme par enchantement, avec cette élection d’un métis à la Maison Blanche, mais elle se trouve néanmoins sérieusement mise à mal et affermit la volonté des Américains de tourner la page, de vaincre leurs vieux démons, de s’élever au-dessus de leurs contradictions, au-dessus de l’hypocrisie ...

Maintenant, le plus dur reste à faire, car plus qu’à aucun autre, il lui sera beaucoup exigé, il n’aura pas droit à l’erreur, il lui faut maintenant « prouver » qu’il est « capable », il lui faut vraiment être ce carrefour, ce cœur vers lequel afflue le sang américain, le sang blanc, le sang noir, le sang des riches, des pauvres... Il doit être ce poumon qui va oxygéner toute l’Amérique et lui donner une vigueur nouvelle.

J’ai relu récemment la légende du Roi Arthur, ce tout jeune roi, choisi alors que de nombreux chevaliers, parmi les plus chevronnés, et les plus âgés, avaient souhaité être couronnés à sa place. Le royaume sur lequel il doit régner est entouré d’ennemis de toutes sortes, fragilisé par la précarité : il doit relever le pays. Le jeune Arthur est conscient de cela le jour de son couronnement :

« J’aurais dû être heureux, ce jour-là, mais je ne l’étais pas. Je n’étais pas intimidé. Je n’étais pas effrayé. J’étais hébété. »
(Michael Morpurgo, Le Roi Arthur, Gallimard jeunesse, p. 41.)

Arthur avait à ses côtés Merlin l’enchanteur et Excalibur, son épée surnaturelle. Le jeune David, lui, avait la bienveillance de Dieu, qui le choisit à la place du roi Saül. Il triompha de Goliath et devint, encore adolescent – comme Arthur – , le nouveau roi d’Israël, lui, le dernier des huit fils d’Isaï.

Obama est aussi, en quelque sorte, un adolescent en politique, au regard de ses années d’expérience, mais aux âmes bien nées la valeur n’attend pas le nombre des années, et si son cœur est juste, si ses intentions sont saines, si la main de Dieu est sur lui comme elle fut sur David, alors il conduira véritablement les Etats-Unis, et par ricochet le monde, vers une justice et une union plus parfaites. Il sera le berger qui fera paître son peuple dans de verts pâturages.

Si je vous dis « B.O », vous me répondez ? « Bravo Obama ! »
- Barack Obama ngôôô !
- Ngôô !
- Barack Obama Omama !
- Omama !

dimanche 26 octobre 2008

De la race en Amérique, Barack Obama

Un homme né d’un père noir et d’une mère blanche, d’un Africain et d’une Américaine. Un candidat métis à l’élection présidentielle aux Etats Unis.

Il y a encore quelques dizaines d’années, cela était impensable, inimaginable, cela relevait de l’utopie. Les Noirs n’avaient déjà pas le droit à la parole, pas le droit d’exercer un emploi un tant soit peu valorisant, pour ne citer que ces exemples, comment espérer, même dans ses rêves les plus fous, qu’un Noir pourrait se présenter à l’élection présidentielle, et de surcroît avoir autant, voire plus de chance que son adversaire ? Qu’on lise donc les romans de Richard Wright, Black Boy par exemple, publié en 1945, pour mesurer le chemin parcouru depuis cette époque ; qu’on lise Toni Morrison pour toucher du doigt, pour vivre, le temps d’une lecture, la vie d’hommes et de femmes noirs aux USA, pour connaître ce que fut la ségrégation raciale.

La popularité d’Obama, sa carrière politique nationale se sont bâties en quelques trois années environ seulement, c’est-à-dire à la vitesse d’une étoile filante, si l’on considère le nombre d’années qu’il faut en général à un homme politique pour être reconnu, apprécié de son peuple au point d’être élu premier citoyen. Oui, Obama est la nouvelle étoile de la politique américaine, une étoile à l’échelle internationale également, car les Américains ne sont pas les seuls à se réjouir de sa probable élection à l’investiture suprême : dans tous les continents, dans tous les pays, de nombreux cœurs espèrent qu’il fera luire la lumière de la réconciliation entre les races et aussi entre toutes les classes de la société, encore faut-il qu’on lui donne cette occasion.

L’ascension de Barack Obama a été tellement fulgurante que l’opposition, ainsi que tous ceux qui ne veulent pas d’un Noir à la tête du pays, doivent trouver des arguments puissants pour contrer sa candidature. Et ils ont trouvé de quoi ternir l’étoile « Obama » en la personne du révérend Jeremiah Wright, dont les sermons, du moins les extraits les plus incendiaires, ont été abondamment diffusés. Obama fréquentant son église et étant très proche de lui ne pense-t-il pas comme lui ?

L’élan du candidat démocrate risquait, avec cette affaire, d’être brisé net ou de connaître un sérieux ralentissement. Il fallait d’urgence organiser la riposte. Le résultat, c’est le Discours prononcé par Barack Obama à Philadelphie, le 18 mars 2008. Selon François Clémenceau, qui a traduit et fait paraître ce discours sous le titre De la race en Amérique, « l’objectif n’est pas seulement de répondre à la polémique sur le révérend Wright », il s’agit de « dire ce que personne d’autre n’avait osé dire au cours d’une campagne présidentielle. Remettre dans un contexte historique l’évolution des rapports raciaux depuis les origines des Etats Unis et de la démocratie américaine. »1 Le texte anglais porte le titre "A more perfect Union."

Je ne vais pas résumer ni commenter tout le discours, qu’il est préférable de lire ou écouter dans sa totalité. Juste vous livrer quelques extraits pour vous convaincre de vous le procurer vous-même. Et j’ai bien du mal à choisir ces extraits, car si Obama a été interrompu par des applaudissement 17 fois en 40 mn, c’est bien plus de 17 passages que j’ai soulignés dans mon livre. Si j’ai choisi de me présenter à l’élection présidentielle à ce moment de notre histoire, c’est parce que je crois profondément que nous ne pourrons résoudre les défis de notre temps et parfaire notre union qu’en comprenant que, si nos parcours sont différents, nous avons les mêmes espoirs ; que, si nous n’avons pas tous la même apparence et si nous ne venons pas tous du même endroit, nous voulons tous aller dans la même direction : vers un avenir meilleur pour nos enfants et nos petits-enfants.2

Sur le pasteur Wright, Obama confirme que les propos que ce dernier a tenus ne sont pas de ceux qui peuvent contribuer à « former une union plus parfaite », mais il déclare :

Je ne peux pas plus le renier que je ne peux renier la communauté noire. Je ne peux pas plus le renier que je ne peux renier ma grand-mère blanche, (...) une femme qui m’aime plus que tout au monde, mais aussi une femme qui m’a un jour avoué qu’elle avait peur des Noirs qu’elle croisait dans la rue, une femme qui, plus d’une fois, a émis des remarques racistes qui m’écoeuraient.3

Les conséquences de l’esclavage et de la discrimination raciale, les frustrations mais aussi les responsabilités des uns et des autres, le malaise qui entache les rapports entre les différentes communautés, Barack Obama ne dissimule rien. C’est d’ailleurs là que commence la guérison, là que doit être sonné le départ pour une union plus parfaite :

Une Union plus parfaite suppose de reconnaître que ce qui fait souffrir la communauté afro-américaine n’est pas le produit de l’imagination des Noirs [...] Les Américains doivent comprendre que les rêves de l’un ne doivent pas se réaliser au détriment des rêves de l’autre. [...] En somme, ce que l’on attend de nous n’est ni plus ni moins ce que toutes les grandes religions du monde exigent : que nous nous comportions envers les autres comme nous aimerions qu’ils se comportent envers nous.4

Il n’y a pas si longtemps les fidèles de l’Eglise Evangélique du Congo ont médité, durant une année entière, cette parole de l’Evangile selon Matthieu, au chapitre 7, verset 12 : « Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le de même pour eux. »
Ce discours de Barack Obama m’apparaît comme un discours inspiré – de Dieu ai-je envie de rajouter, ou, pour ménager les susceptibilités, de la croyance en la fraternité humaine. C’est un message de paix et de réconciliation. Les mots et le ton sont d’une justesse désarmante et, pour peu qu’on soit sensible, chargés d’une émotion qui vous submerge, même lorsqu’on a simplement lu le discours. J’imagine ce qu’ont pu ressentir les millions de personnes qui ont entendu Barack Obama, en direct ou par le biais d’Internet. « Le texte et la vidéo du discours de Philadelphie ont été téléchargés sur Internet plusieurs millions de fois, record absolu dans l’histoire de la vie politique américaine »5, précise François Clémenceau. (p. 23)

Nous sommes à quelques jours des élections. Barack, l’Amérique va-t-elle accepter de tourner avec toi les pages d’une histoire douloureuse ?


Barack Obama, De la race en Amérique, , Grasset, 2008. Discours que l’on peut écouter sur Internet, avec la traduction française pour ceux qui tâtonnent encore en anglais comme moi.

Notes
De la race en Amérique, p. 20.
p. 29
p. 38
p. 49-50
p. 23

dimanche 19 octobre 2008

Le Café littéraire en images

J'avais promis quelques images sur le café littéraire dont j'ai fait un bref compte-rendu sous le titre "Rencontres culturelles". Voilà ce que c'est que de ne pas être autonome : le texte d'abord, les images encuite ; ça fait couic, ça fait couac mais il faut que je me rattrape.


Des livres, en veux-tu, en voilà !



Pierre Henry, Directeur Général de l'organisation France Terre d'Asile, auteur de l'ouvrage Immigration : Lettre ouverte aux humanistes en Général et aux socialistes en particulier. Il est ici encadré par Messieurs Kodia et Mawawa. On peut voir déjà, dans la pose de M. Henry, l'assurance, l'aisance de celui qui maîtrise son sujet : il est incollable sur les politiques d'immigration de ces dernières décennies.


Une partie du public, une partie seulement, et pas choisie au hasard, la vicieuse !



Goliath et... pardon, Tima Ouamba, auteur du roman Terre Pourpre, et Liss. Voilà encore une chose que je m'étais promise, et que je n'ai pas réalisée : un commentaire de ce roman qui avait atterri sur mon bureau en empruntant un chemin des plus inattendus.



Deux critiques littéraires. Non, plutôt un spécialiste de la Littérature, congolaise en particulier, M. Martin Le Motieu, et une curieuse de la chose littéraire qui se croit aussi auteur et critique littéraire.

J'aurais aussi aimé proposer une photo du groupe Keta-Nganga Quartet (ballet-théâtre) en pleine action, mais je n'en ai pas. Bon, les quelques photos que vous avez sous les yeux vous donnent tout de même une petite idée de ce qu'avait été cette rencontre.

samedi 18 octobre 2008

Blog supprimé

"Cher utilisateur, Nous sommes au regret de vous informer que le Service AOL Blogs fermera définitivement et ne sera plus accessible à compter du 31 octobre 2008."
Voilà le gentil message qui a été adressé à tous ceux qui, comme moi, s'était créé un espace web chez AOL. Comment est-ce possible ? C'est comme si vous aviez hérité d'un petit lopin de terre où planter vos impressions, cultiver vos envies, faire pousser vos cris, et qu'on vous criait du jour au lendemain : "Dehors !" Qu'est-ce que c'est que ce tremblement de terre ? Heureusement pour moi, il y a d'autres terres où ces séismes ne risquent pas de se produire (enfin je l'espère), heureusement que j'avais pris les devants pour me ménager un coin chez blogspot. Mes archives sur mon ancien blog vont donc en partir en fumée le 31 octobre, mais pour la majorité d'entre eux, vous pouvez les retrouver sur les sites : congopage.com ; Exigence Littérature ; grioo.com ; afrik.com ; ZEO (Zone Entièrement Ouverte)...

vendredi 17 octobre 2008

Mirages, de Fatoumata kane

Fatoumata kane ? Je l’avais découverte avec son Plaidoyer, un recueil de nouvelles qu’on lit aussi vite qu’un petit garçon naît des étoiles... euh ! je voulais dire ‘‘mange une tartine au Nutella’’. Elle vient de publier un recueil de poésie, des Senteurs terrestres qui attendent que nous y mettions notre nez, ainsi qu’un roman : Mirages. Eh oui ! C’est un auteur qui se diversifie.

Ce premier roman, bien que tourné vers la problématique de l’immigration, ses mirages et ses ravages, poursuit l’œuvre commencée dans le Plaidoyer : s’intéresser à des visages de femmes. Les femmes sont à tous les fronts : même lorsqu’elles n’ont pas reçu de l’instruction, elles sont capables d’endosser des responsabilités politiques, car leur expérience, leur tendance naturelle à penser aux enfants, aux générations futures, à préparer leur avenir, font d’elles des élues ou des militantes parfois bien plus engagées que leurs congénères masculins. Fatoumata Kane rêve, dans ce roman, d'une Afrique où les femmes prennent les choses en mains.

Ce qui n’est pas un rêve par contre, mais une réalité quotidienne, c’est le nombre de destins brisés à cause du désir absolu de se retrouver en Europe. Désir entretenu par les familles, prêtes à tout pour avoir un représentant en Europe, quels que soient les sacrifices à consentir. « Stop ! », s’écrie Fatoumata, il est temps que ceux-là qui sont tant bien que mal parvenus à échapper à la mort et à la police repartent dans leur pays natal pour édifier les futurs candidats à l’immigration clandestine sur la misère occidentale, car à celle-là, on échappe rarement. Il est temps d’inverser la tendance : quitter le nord pour repartir construire au sud. C’est possible, et ce sera salutaire. Pourvu que les politiques des pays africains changent. A quand ce changement ?

samedi 11 octobre 2008

Le Clézio ou l'éclosion d'un titre

Un titre qui a pris le temps de l’incubation ; un titre que l’auteur considère comme une reconnaissance de son talent. Les écrivains, a dit J.M.G. Le Clézio au micro de David Pujadas sur la 2, sont des êtres fragiles, ils ont besoin de cette reconnaissance. Reconnaissance ? s’est récrié le journaliste, en avait-il vraiment besoin, après plusieurs dizaines d’ouvrages et des distinctions notoires ?
Mais oui, David, les grands hommes se reconnaissent par leur humilité, même hissés au faîte de la gloire. Et puis ils diffusent quelque chose d’indéfinissable, quelque chose qui vous retient ou vous appelle comme l’abeille est attirée par l’agréable senteur d’une fleur.
Ma première rencontre avec Le Clézio remonte à quelques années. Il s’agissait de Cœur brûlé, et je garde le souvenir d’une écriture poétique qui sut dévoiler les souffrances humaines, des souffrances de jeunes femmes surtout, des cœurs ayant beaucoup d’amour à donner, mais transpercés, brûlés par la méchanceté, l’ingratitude, l’indifférence de l’autre... A l’époque je n’avais pas et ne pensais même pas un jour disposer d’un espace web où rendre hommage aux auteurs qui nous font cadeau de beaux textes. Maintenant que j’ai un blog, va falloir que je me rattrape...

lundi 6 octobre 2008

Rencontres... culturelles

Un salon de livre, une conférence-débat, un café littéraire... sont d’abord et avant tout pour moi un lieu de rencontres, de retrouvailles, de mains tendues pour que se nouent une amitié, une collaboration. Pour cette troisième édition du « café littéraire » animé par les éditions Paari, littérature, actualité, poésie, musique et tradition étaient au rendez-vous. Oui, j’ai apprécié la variété du programme, ainsi que la ferveur d’un public qui a abondamment nourri le débat.

Ce café s’est tenu le 27 septembre dernier à l’Espace Conférences des Diaconesses de Reuilly, 18 rue du Sergent Bauchat à Paris, dans le 12e arrondissement. La séance a été ouverte par le doyen Dominique M’Fouilou, avec son dernier roman intitulé Ci-Gît le Cardinal achevé, qui a été autopsié par un professeur de l’Université de Yaoundé, grand spécialiste de la littérature congolaise, Monsieur Martin Lemotieu. Nous avons retrouvé la magie du conte avec la vivante interprétation de Fatimane Moussa Aghali, dont le livre, Contes des dunes et des sables, a été brièvement présenté par Liss. Nous avons dû aborder des questions plus graves avec la Lettre ouverte, que Pierre Henry, Directeur Général de l’organisation « France Terre d’Asile » adresse aux humanistes en Général et aux socialistes en particulier, sur le thème de l’immigration. Côme Kinata et son livre consacré à Monseigneur Firmin Singha ont été présentés par Noël Kodia, ce qui a conduit l’auditoire à s’exprimer sur le tribalisme, dans tous ses états, ce tribalisme qui n’est pas étranger à la teinte pourpre donnée à notre terre natale dans les années 90. Je viens ainsi de nommer le roman Terre pourpre de Tima Ouamba qui, avec beaucoup de conviction, a précisé les contours, non du jour qui vient, mais de l’œil avec lequel il a observé la guerre civile au Congo-Brazzaville. Ce qui est bien lorsqu’on a l’occasion de discuter avec l’auteur d’un livre qu'on a lu, c’est qu'on peut obtenir des clés, ou tout simplement des éclairages précieux sur le livre.

La séance a été assaisonnée par les prestations du groupe Keta-Nganga Quartet ; et du sel et du piment, ils en ont mis à volonté. Bref c’était, à mon humble avis, un succulent repas qui a été présenté au public de ce 3e café littéraire.

Je sais, il manque les photos, pour illustrer mon propos, elles ne vont pas tarder...

dimanche 14 septembre 2008

Les souffrances du jeune Werther, Goethe

France 2 a réussi le pari, non seulement de rendre l’opéra populaire, mais encore de susciter chez les téléspectateurs le désir de lire ou relire les classiques. J’ai particulièrement apprécié les interprétations de Roberto ALAGNA, diffusées à la télé, notamment celle de Faust cet été. Je voulais donc relire Faust et je suis tombée sur Werther, la première œuvre de Goethe : romantique, avec des accents lyriques poignants. C’est qu’une œuvre touche d’une façon autrement plus incisive, plus profonde, lorsqu’elle prend sa source dans le vécu même de l’auteur.

En un mot c’est une histoire d’amour à trois. Plus précisément, deux esprits se rencontrent, deux cœurs se répondent, deux âmes se trouvent mais ne peuvent fusionner. Un jeune homme, Werther, trouve en une jeune fille, Charlotte, dite Lotte, l’écho de son propre être, mais elle est promise à un autre, Albert. Cette situation met de plus en plus le héros au supplice.
Auparavant il était vivifié, transporté par la grandeur, la beauté de la nature, expression de la grandeur, de la bonté du créateur... Il était en parfait accord avec le monde. Depuis qu’il la connaît, seule la présence de Lotte pourrait nourrir son existence. Mais que faire ? Elle ne peut lui appartenir ! Il décide de « partir ». « Ce n’est pas du désespoir, affirme-t-il, c’est la certitude d’être parvenu au terme et de me sacrifier pour toi. Oui, Lotte ! pourquoi devrais-je le taire ? L’un de nous trois doit disparaître et je veux être celui-là ! » (p.142)

Lui, pourtant croyant, envisage cette disparition volontaire avec sérénité. Il raille d’ailleurs ceux qui craignent de regarder la mort en face, qui pensent que le pire nous y attend :

« Lever le rideau et passer derrière ! C’est tout ! Et pourquoi tergiverser et tarder ? Parce qu’on ne sait pas ce qu’on trouvera derrière ? et qu’on ne revient pas ? Et que c’est le propre de notre esprit de n’imaginer que confusion et ténèbres là où nous ne pouvons rien mettre de précis ? » (P. 138)

Ces paroles me font penser à Baudelaire : « Enfer ou Ciel, qu’importe ? », l’essentiel étant de plonger « au fond de l’Inconnu pour trouver du nouveau ! » (Les Fleurs du Mal, « Le Voyage », VIII)

On comprend aisément que, à côté du vif succès que remporta ce roman épistolaire, des voix se soient élevées pour dénoncer l’incitation au suicide. Il y eut semble-t-il un taux plus élevé de suicides après la publication des Souffrances du jeune Werther.
Incitation au suicide ? Tous ne partagèrent pas cette opinion, et aujourd’hui non plus on ne pourrait faire l’unanimité. Ce qui en revanche mettra tous les lecteurs d’accord, c’est la grande facture poétique du texte, un texte beau comme je les aime, des pages de prose qui peuvent se lire comme des poésies, il y en a à volonté. Tendez donc l'oreille, recueillez ces morceaux choisis :

Avant :
« Tout, tout est peuplé de mille formes, cependant que les hommes se rassemblent à l’abri de leurs chaumières et se font un nid en s’imaginant qu’ils règnent sur le vaste monde ! Pauvres insensés ! qui jugent tout si infime, parce qu’ils sont si petits. – Depuis la montagne inaccessible jusqu’à l’extrémité de l’Océan inconnu, par-dessus le désert que nul pied ne foula, souffle l’Esprit de L’Eternel Créateur. Et il se réjouit du moindre grain de poussière qui le perçoit et qui vit – Ah ! que de fois alors n’ai-je pas envié les ailes de la grue qui volait par-dessus ma tête pour atteindre la rive de la mer immense, pour boire à la coupe écumante de l’infini cette volupté de vivre qui dilate le cœur, afin de sentir, ne fût-ce qu’un instant, dans la force limitée de mon sein, une goutte de félicité de l’Être en qui et par qui tout fut créé. » (p. 90)

Après :
« Hier, cela aurait dû être le dernier moment de ma vie. O mon ange ! Pour la première fois, oui pour la première fois sans que j’en puisse, j’ai senti jusqu’au fond de mon être pénétrer l’ardeur de ce sentiment bienheureux : elle m’aime ! elle m’aime ! Il brûle encore sur mes lèvres, le feu sacré qui affluait des tiennes... [...] Te souviens-tu des fleurs que tu m’envoyas, le jour où dans cette maudite réunion tu n’avais pu ni me dire un mot ni me tendre la main ? [...] Tout cela est périssable, mais nulle éternité n’éteindra l’ardente vie que j’ai savouré hier sur tes lèvres, que je sens en moi. » (p. 154)


N.B. : La pagination renvoie à l’édition Garnier-Flammarion, 1968, traduction de Joseph-François Angelloz.

mercredi 27 août 2008

Beloved, de Toni Morrison

Le premier arrivé sera le premier servi ? Ça ne marche pas avec les livres. Les premiers à atterrir sur la table de travail ne sont pas forcément les premiers à être lus, on ne les dévore pas par ordre d’apparition dans notre carnet des lectures futures. Ne voilà-t-il pas que j’ai demandé à certains des romans qui attendent sagement, depuis longtemps, que je dialogue avec eux d’attendre encore un peu, pour que je puisse plonger dans l’environnement de Toni Morrisson ? Ne possédant encore aucun Morrison, je me suis rendue à la bibliothèque municipale. Sur les rayons, pas grand chose : Sula et aussi Love dont je me suis tout de même emparée. Ce ne peut être possible ! Ils n’ont pas Beloved ? Un habitué de Morrison classe celui-ci ainsi que L’œil le plus bleu au top des œuvres de cet auteur. Je vérifie sur le catalogue et là, soulagement : la bibliothèque possède bien d’autres titres de Morrison mais ils sont rangés en magasin. Une gentille bibliothécaire va me chercher Beloved et revient en disant qu’il y a là-bas bien d’autres choses, dont L’œil le plus bleu. Me voilà servie.

Mes emplettes faites, je m’attable, espérant faire un bon repas. De la 4e de couverture émerge un mot : malédiction. Malédiction d’un bébé. Une petite fille. Egorgée par sa mère. Pourquoi ? Comment ? Suffit ! Inutile de tourner autour. Faisons le grand plongeon.

Je sors de là encore toute éclaboussée de la vie à part du Bon abri et des mystères de Bluestone Road, N°124. Nous sommes aux Etats Unis, vers la fin du dix-neuvième siècle. Les Noirs ne sont pas encore libres. Ils appartiennent encore corps, âme et descendance à des fermiers Blancs. Mais déjà des voix s’élèvent, des combats sont menés pour faire cesser l’esclavage. Et parmi les Maîtres blancs, on relève des différences de traitement vis à vis de leurs esclaves noirs.

Au Bon abri, la devise des maîtres, M. et Mme Garner, est : faire de leurs esclaves « des hommes », ne pas simplement les considérer comme une vulgaire marchandise. Ainsi ils leur enseignent tout ce qu’ils souhaitent apprendre, leur permettent même certaines libertés comme d’avoir un fusil de chasse, chose impensable et condamnée chez d’autres fermiers. Les Garner possèdent au total cinq jeunes hommes : Paul D, Paul F, Paul A, Halle et N°Six, ainsi qu’une jeune fille, Sethe, arrivée en remplacement de Baby Suggs, dame déjà âgée et à la santé abîmée par la condition d’esclave. Elle est la mère de Halle et celui-ci a sacrifié tous ses jours libres pour racheter la liberté de sa mère. Baby Suggs avait eu bien d’autres enfants avant Halle qu’elle n’a pas vu grandir, car ils ont tous été vendus à tel ou tel autre fermier blanc. Les esclaves dont l’esprit est déjà modelé par leurs années d’expérience s’interdisent d’ailleurs de trop s’attacher à leurs proches car ils savent qu’ils seront un jour ou l’autre séparés, ils ne formeront jamais une famille, chacun sera perdu dans une plantation, comme s’il était seul au monde, sans père, ni mère, ni frère, ni sœur, ni oncle, ni cousin..., baptisé et rebaptisé en fonction de leur propriétaire. Ils sont en fait anonymes, d’où ces dénominations : Paul D, Paul A, N°Six...

Quant aux femmes, le pire pour elles, c’est d’être non seulement des esclaves utiles dans les champs, pour les travaux domestiques, mais aussi des esclaves sexuelles dont parfois tous les hommes de la Maison à laquelle elles appartiennent usent et abusent. Elles ont forcément des grossesses à répétition : œuvres de l’esclavage sexuel ou fruit de leurs amours. Peut-on avoir ne fut-ce qu’un brin d’amour pour les enfants nés de « la lie » ? Nombreuses répondent « Non » et font mourir ces bébés. Mais quand on a eu un enfant avec quelqu’un qu’on a aimé, quand cet enfant grandit et que l’on voit qu’il va vivre les mêmes ignominies, les mêmes souffrances morales et physiques, alors on a envie de le protéger. C’est ce qui anime Sethe, la seule fille du Bon Abri.

Sethe avait choisi Halle parmi les cinq garçons. Ils ont eu des enfants, puis M. Garner est décédé, un parent des Garner arrive pour reprendre les choses en mains et les règles changent au Bon Abri. Le traitement est tel que les esclaves décident de s’enfuir. La plupart sont pris, tués. Sethe réussit à faire fuir ses enfants puis à se sauver elle-même. Mais elle est poursuivie. Au moment où les maîtres la retrouvent, avec renfort de la police, elle sait ce qui l’attend. Mais est-ce que ses enfants devront être aussi des proies à broyer ? « J’ai pris mes bébés et je les ai mis en sécurité », déclare-t-elle. En Sécurité, c’est mettre fin à leurs jours. Trois sont sauvés in extremis, mais l’avant-dernière meurt. Pourtant Sethe l’aimait comme aime une mère. N’ayant pas d’argent elle acceptera de coucher avec le graveur de tombes pour que celui-ci puisse marquer au moins un mot sur la tombe de sa petite fille : "Beloved", bien-aimée.

C’est cette enfant qui plus tard vient hanter le 124, à Bluestone Road, là où Baby Suggs, Sethe et ses enfants ont élu domicile loin de l’esclavage. Les deux aînés partiront : chassés par le fantôme ou par le souvenir de l’acte de leur mère ? La grand-mère Baby-Suggs s’éteindra avec l’âge, ne resteront que Sethe et Denver, sa dernière fille.
Un jour apparaît un des hommes du Bon Abri : Paul D, qui avait aimé Sethe et l’avait convoitée comme les autres. Il chasse le fantôme revanchard et s’installe avec Sethe et Denver. Mais aussitôt après, une jeune femme du nom de Beloved vient demander asile au 124...

Beloved est une interrogation sur l’amour, dans tous les sens du terme. C’est quoi l’amour ? Cette question est aussi le titre d’une émission, mais je ne puis trouver mieux pour exprimer la source où le roman puise sa densité. C’est également une affirmation que notre monde et le monde de l’au-delà sont plus proches qu’on ne le croit. Il est évident, d’après le roman, que ‘‘les morts ne sont jamais morts’’, les manifestations de la petite égorgée ne choqueront ni ne surprendront un lecteur africain ; d’autres lecteurs s’empresseront de classer le livre dans le fantastique pour apaiser leur esprit sceptique.
Le lecteur doit reconstituer l’histoire des personnages comme une araignée qui tisse sa toile, avec les fils que l’auteur lui livre page après page, mais la distribution de ces fils est si savamment faite qu’il faut arriver jusqu’à la dernière page pour avoir tous les éléments en mains.

Beloved, un premier plongeon rafraîchissant dans l’univers du Prix Nobel 1993.

dimanche 10 août 2008

Roméo et Juliette, de Shakespeare

Roméo et Juliette, l’histoire est universellement connue. Mais combien comme moi la connaissaient sans vraiment l’avoir lue ? Entendre l’écho, est-ce entendre la voix ? Connaître l’air est-ce connaître les paroles ? Il vaut mieux se laisser habiter par les paroles, les laisser vous porter, vous traverser, vous encercler, vous délivrer. Oui, c’est autre chose d’entrer au cœur du texte plutôt que de regarder uniquement à travers la fenêtre. La grandeur, l’humour, le tragique lustrent toutes choses dans cette tragédie shakespearienne.

Pourquoi pas un résumé de l’histoire pour ceux qui le souhaitent ?

Les Montaigu sont depuis toujours ennemis des Capulet. Que ce soient les membres de la famille ou bien les personnes attachées à leur service, les uns ne peuvent être en présence des autres sans que cela ne dégénère en affrontement parfois sanglant. Cependant le fils des Montaigu, Roméo, et la fille des Capulet, Juliette, tombent amoureux l’un de l’autre. Ils s’aiment et se marient en cachette, aidés par un homme de Dieu, le frère Laurent, qui voit en leur union la possible réconciliation des deux familles.
De son côté le père de Juliette accorde sa main à un riche parti de la ville, le gentilhomme Paris. Le mariage doit être célébré dans quelques jours. Juliette est au comble du désespoir, surtout lorsqu’elle apprend que Roméo a été banni de la ville car il a malgré lui versé le sang d’un Capulet, alors qu’il voulait rétablir la paix entre les gens de leurs deux maisons.
Pour ne pas irriter son père et rester malgré tout fidèle à son amour, Juliette accepte le plan du frère Laurent : prendre un breuvage qui la fera passer pour morte, puis alors qu’elle sera mise dans le caveau familial, être délivrée par Roméo, qui aura été secrètement averti par un messager. Tous deux pourraient alors aller vivre leur amour dans le plus grand secret et surtout loin de leurs familles incapables de se supporter.

Juliette est donc apparemment morte. Devant Paris, Capulet se lamente :

Ô mon fils, la nuit d’avant ton mariage,
L’Ange de la mort a couché
Avec ta femme. Elle est là, gisante,
Cette fleur qu’elle était, il l’a déflorée,
L’Ange de la mort est mon gendre, mon héritier,
Le mari de ma fille ! Je veux mourir,
Lui laissant tout : ma vie, mon train de vie,
Que tout aille à la mort !
(acte IV, scène V)

On la met dans le caveau. Malgré sa secrète espérance, le lecteur sait que l’adversité va se dresser de façon impitoyable et empêcher les prévisions humaines de se réaliser. Le messager envoyé par le frère Laurent pour avertir Roméo des événements n’a pu accomplir sa mission. Roméo par contre apprend la mort de Juliette par un fidèle serviteur. Il décide de la rejoindre dans l’au-delà en prenant du poison, de préférence dans la tombe même de Juliette, près de laquelle veille Paris, l’infortuné prétendant. Les deux hommes se battent, Roméo tue Paris avant de boire son poison sur le sein de Juliette. C’est alors que celle-ci s’éveille de son long sommeil.

Qu’est ceci ? Une coupe, serrée
Entre les doigts de mon fidèle amour !
C’est le poison, je vois, qui l’a fait mourir
Si prématurément ! Tu as tout bu, avare,
Tu ne m’as pas laissé une goutte amie
Pour m’aider à venir auprès de toi ?
Mais je te baiserai les lèvres. Il se peut bien
Qu’elles soient humectées d’assez de poison encore
Pour que je puisse mourir de ce cordial.
(Acte V, scène III)

Le texte, comme je l’ai dit, a cette grandeur et cette puissance de la tragédie classique. Et c’est surtout une œuvre qui fait triompher l’amour sur la haine. L’endurcissement, l’entêtement des familles respectives a bien été vaincu face à la pureté des sentiments des deux jeunes gens, sacrifiés non par des dieux en colère comme dans la tragédie grecque, mais par les humains eux-mêmes.

L’homme bien sûr ne maîtrise pas son destin, mais combien, bien souvent, nous nous acharnons nous-mêmes à compliquer les choses, à créer une sorte de fatalité alors que nous aurions pu goûter à la joie du désir accompli ? Pour Roméo et Juliette, leur bonheur est complet, et s’accomplit jusque dans la mort. Pour leurs parents, ce n’est qu’après les avoir perdus tous deux qu’ils s’ouvrent à l’amitié. N’attendons pas qu’il soit trop tard pour nous aimer les uns les autres.

mardi 5 août 2008

Le Nid des corbeaux, de Barly LOUBOTA

Quel avenir pour la jeunesse en Afrique ? Cas du Congo Brazzaville. Voilà en quelque sorte la question à laquelle tente de répondre Le Nid des corbeaux, premier roman de Barly LOUBOTA, jeune auteur congolais vivant actuellement à Montréal.

On nous a sûrement posé, ou nous nous sommes nous-mêmes posé la question de savoir ce que nous voudrions faire plus tard. C’est d’ailleurs la préférence ou l’attirance pour tel corps de métier qui détermine notre choix pour la filière ou la formation suivie à la Fac. Au Congo comme ailleurs dans le monde, les jeunes diplômés espèrent, au sortir des Etablissements de formation, embrasser la vie professionnelle à laquelle ils se destinaient. Cependant au Congo, quand un jeune veut réaliser ses projets professionnels, vivre en fonction de ses principes, de ses rêves, la dure réalité se charge de lui couper l’herbe sous les pieds, de le pousser au bord de ses retranchements jusqu’à faire de lui un autre homme.

Charles Zolani, le héros du roman, est un jeune homme plein de projets, de vigueur, de fougue même, surtout lorsqu’il faut défendre la démocratie dans son pays. Il croit que la vie peut être belle dans son pays, pourvu que les responsables politiques fassent ce qu’ils ont à faire. Mais voilà, après avoir milité dehors, il faut rentrer chez soi et affronter des questions plus pratiques : Charles est marié et sa compagne n’entend pas se transformer en fée pour qu’apparaisse dans la casserole de quoi lui mijoter de bons petits plats.

Pourtant Charles n’est pas resté les bras croisés : activité commerciale entre Brazzaville et Kinshasa, travail dans un journal où il est plus exploité qu’équitablement payé, lancement de son propre journal... toutes ces tentatives professionnelles se soldent par un échec. L’Etat, bien sûr, point n’est besoin d’en parler, il n’utilise pas de ses jeunes cadres, les laisse à l’écart jusqu’à ce que des personnes peu scrupuleuses les récupère. C’est ce qui arrive à Charles Zolani, il finit par s’associer à des personnes qui lui ouvrent le chemin de la prospérité mais qui en contrepartie exigent sa participation dans des magouilles financières de grande envergure. Le jeune Charles, garçon autrefois honnête, plein de rêves et de principes, a désormais les ‘‘mains sales’’. De quelle manière peut se solder une telle vie ? le dénouement ne surprend nullement le lecteur.

L’auteur interroge le lecteur : Charles s’est-il montré trop gourmand de la vie ? Aurait-il pu se tracer une autre destinée ? est-il possible pour la jeunesse de s’en sortir à peu près convenablement en restant honnête ? Faut-il être obligé de fricoter avec la politique ou les milieux mafieux ? Le roman ne l’évoque pas, mais l’une des issues de secours par laquelle s’engouffrent ces jeunes gens, c’est de quitter le pays. Lentement mais sûrement, le Congo, comme d’autres pays d’Afrique, se vide de son sang frais. Quels seront les effets de cette hémorragie dans quelques années ?


Barly LOUBOTA, Le nid des corbeaux, L’harmattan, juin 2008, 24.50 €, 270 pages.

lundi 28 juillet 2008

Cent ans de solitude de G. G. Marquez

Pour célébrer les 40 ans de son chef-d’œuvre Cent ans de solitude, publié en 1967, Gabriel Garcia Marquez s’était rendu, le 30 mai 2007, à Aracataca, son village natal, le « Macondo » imaginaire du roman. Le quotidien Matin Plus du 4 juin 2007 consacra une page à cet événement et laissa en moi une vive impression : une immense foule ou plutôt une marée humaine avait envahi les lieux, absorbant le moindre espace au point que l’auteur, surnommé « Gabo », alors âgé de 79 ans, ne put librement descendre du train, ni faire quelques pas. Il était lui-même ahuri de cette frénésie, de cette hystérie de la foule. Les yeux humides, il s’exclama : « Regardez tous ces gens... Et après ils disent que c’est moi qui ai inventé Macondo ». Et voilà ma curiosité allumée pour ce ‘‘Macondo’’ et cet auteur élevés au rang de mythe par un public hystérique. « Un instituteur insistait pour s’approcher, furibond, ajoutait le journal, ‘‘Nous sommes venus avec les enfants pour leur montrer Gabo, ils ne l’ont jamais vu, ils pensent même qu’il n’existe pas !’’ » Ce qui est curieux, c’est que cette réaction fait écho dans le roman à la mystification du colonel Aureliano, dont les générations ultérieures crurent qu’il avait été entièrement inventé par le gouvernement...

Ce n’est que cet été que j’ai pu me plonger dans cette œuvre maîtresse de Garcia Marquez, avec qui j’avais commencé par faire connaissance avec Chronique d’une mort annoncée. Il m’était apparu comme un maître du récit. C’est comme si on lui avait dit « raconte ! », et voilà notre maître prêt à tisser des histoires rocambolesques dans lesquelles vous risquez de vous entortiller si vous ne restez pas vigilants.

Cent ans de solitude raconte l’histoire d’une famille, les Buendia, depuis José Arcadio le père, fondateur de Macondo où s’installent aussi d’autres familles qui ont bien voulu le suivre, jusqu’au dernier de sa descendance, Aureliano. Il vaut mieux lire crayon en main et faire une grille des personnages, car entre les garçons, toujours baptisés soit du nom de « José Arcadio » soit de « Aureliano », nom de son second fils, et les filles appelées parfois « Ursula » (nom de l’épouse de José Arcadio père) il faut veiller à savoir qui est qui : fils, petit-fils, cousin, neveu...
On peut se perdre dans la filiation des Buendia comme dans les transformations que subit le village au contact de la modernité : l’apparition des grands moyens de communication, les ‘‘inventions’’ comme le téléphone ou le cinéma, l’industrialisation... transforment tellement le visage et les mœurs de Macondo que cette modernisation peut être considérée comme une mort lente. En effet, les Buendia s’éteignent, tous jusqu’au dernier, conformément aux prophéties du gitan Melquiades, après s’être multipliés à travers des amours marqués par l’inceste ainsi que la répétition du cercle vicieux qui les fait naître.

Cent ans de solitude, c’est un univers épique, fantastique dont la saveur littéraire est relevée par des parodies savoureuses... Monde mythique dont je saisis mieux aujourd’hui l’influence chez Sony Labou Tansi. Bref c’est un roman qui m’attendait depuis longtemps et maintenant c’est chose faite.

dimanche 13 juillet 2008

Les Yeux dans les arbres, Barbara Kingslover

Publié dans le N°14 de la revue Z-E-O : http://pagesperso-orange.fr/z-e-o/
Titre original : The Poisonwood Bible, 1998
Traduit de l’anglais par Guillemette Belleteste, Ed. Rivages, 1999.

Voici un livre qui m’a été gentiment proposé par une dame qui, connaissant mon penchant pour la littérature, me fait partager les lectures qu’elle a appréciées et que je suis aussi susceptible d’apprécier. Barbara Kingslover, je ne connaissais pas auparavant, et je la remercie infiniment de m’avoir fait découvrir cet auteur américain. Si vous hésitez entre plusieurs lectures, croyez-moi, laissez-les tomber, attachez plutôt votre ceinture et préparez-vous à atterrir avec la famille Price dans un village aux confins du Congo-Kinshasa.

Le père, Nathan Price, pasteur baptiste américain, est envoyé là-bas, à Kinanga, comme missionnaire. Naturellement, il emmène avec lui sa femme, Orleanna, ainsi que leurs quatre filles : Rachel, l’aînée, Leah et sa sœur jumelle Adah, handicapée, Ruth-May, la petite dernière. La mère et les filles ne sont franchement pas enchantées de débarquer dans un trou perdu où ne pourra les suivre le confort occidental, mais ont-elles le choix ? Nathan Price dirige sa maison comme un chef militaire, et c’est aussi ainsi qu’il compte convertir les congolais. Obsédé par ses idéaux religieux, il néglige de considérer ceux qui l’entourent, de comprendre leur être profond, leurs coutumes, leurs habitudes, leur manière de penser, ce qui l’aurait infiniment éclairé sur la manière la plus apte à leur faire accepter sa foi. Même ses propres filles, Nathan ne les connaît pas comme devrait les connaître un père. C’est un homme qui, bien que mû quelquefois par de bonnes intentions, se montre malhabile, entêté, rigide, prenant des décisions aux conséquences désastreuses pour les siens.

Les Yeux dans les Arbres raconte donc la tragédie d’une famille aussi bien que celle d’un pays renfermant d’immenses richesses minières, au point de devenir la proie des vautours. Nous sommes dans les années 60. Le Congo aspire à l’indépendance et l’obtient. Barbara Kingslover récrit ces pages de l’histoire postcoloniale du Congo-Kinshasa : elle raconte le combat de Patrice Lumumba, si cher à Tchicaya U Tam’si ; elle met en lumière avec force d’une part l’engagement de tous ceux qui, avec lui, crurent à la liberté et la prospérité de leur pays ; et d’autre part les complicités qui se sont tissées, même là où on s’y attendait le moins, pour bâillonner le peuple et le délester de ce qui aurait dû lui revenir de droit. L’éviction et l’assassinat de Patrice Lumumba, l’accession de Mobutu au trône ainsi que son règne sont racontés d’une manière si réaliste que l’on aimerait dire que c’est un livre historique, s’étendant de 1959 à la fin des années 80.

Le charme de ce roman réside dans la force et la variété du discours construit par chacune des narratrices. En effet, toutes les Price prennent la parole à tour de rôle pour raconter les faits chacune selon sa sensibilité, son degré de maturité, sa perception des choses, offrant ainsi au lecteur des styles variés, des tonalités différentes où dominent tour à tour l’humour, l’ironie, la légèreté, la philosophie, les croyances, la subtilité du langage, les regrets, la conscience de sa couleur...
Oui, s’il existe beaucoup de livres qui évoquent la difficulté pour un Noir de gérer l’hostilité dont il peut faire l’objet dans un univers majoritairement blanc, ce livre montre combien ce peut être aussi le cas pour une personne blanche : Leah, la deuxième fille des Price, épousera l’Afrique au propre et au figuré, acceptant de vivre avec elle pour le meilleur et pour le pire, mais malgré la pureté de ses aspirations, sa peau la désignera toujours aux yeux des Congolais comme faisant partie des oppresseurs...


Voici un extrait des dernières pages du roman :

Le même jour, à cette heure matinale, l’homme Mobutu est couché sur son lit dans sa cachette. Les stores sont baissés. Sa respiration est si ténue que le drap tiré sur sa poitrine ne se soulève ni ne retombe plus : aucun signe de vie. Le cancer a attendri ses os. La chair de ses mains est si profondément effondrée que les os de ses doigts sont parfaitement apparents. Ils ont pris la forme de tout ce qu’il a volé. Tout ce qu’on lui a dit de faire, et plus, il l’a fait. A présent, dans la pièce assombrie, la main droite de Mobutu retombe. Cette main qui a volé plus qu’aucune autre main dans l’histoire du monde, pend, molle, de l’autre côté du lit. Les lourdes bagues d’or glissent vers les phalanges, hésitent, puis tombent, l’une après l’autre.

mardi 8 juillet 2008

Tels des astres éteints, de L. Miano

publié sur grioo.com
Léonora MIANO a la ferme intention d’être un astre qui diffuse sa lumière dans le ciel des belles lettres. Dès L’Intérieur de la nuit, publié en 2005 chez Plon, elle avait retenu l’attention de ceux qui suivent l’actualité littéraire. Nul ne pouvait plus l’ignorer avec l’obtention en 2006 du Prix Goncourt des Lycéens pour Contours du jour qui vient, chez le même éditeur. L’action de ces deux premiers romans se passait en Afrique, avec une présentation des choses qui a pu faire polémique, notamment du point de vue des Africains. Elle revient cette année avec Tels des astres éteints, prenant à bras-le-corps dans ce roman ce qu’on pourrait appeler la « question noire » : comment le Noir est-il perçu ? Comment se perçoit-il lui-même ? Pourquoi les êtres humains ayant la peau la plus foncée du monde semblent-ils avoir plus de mal que d’autres à tisser la toile de leur vie ?

On aura remarqué le changement qu’opère Miano dans ce troisième roman : changement de cadre géographique et j’ai envie de dire d’optique : Alors qu’elle s’était précédemment assignée comme tâche de dénoncer les attitudes, les comportements qui font que l’Afrique s’enfonce elle-même dans une nuit qui semble interminable, elle veut plutôt dans ce dernier roman faire prendre conscience de la valeur de l’être humain, de la valeur des Noirs qui sont des êtres humains comme les autres. Ce sont des astres. S’ils semblent ‘‘éteints’’, il importe pour eux de retrouver l’éclat qu’ils ont perdu, qu’ils recherchent ou qui est tout simplement dissimulé. Face à ce changement, une constante demeure dans les romans de Léonora Miano : l’éclat du verbe.

A travers l’histoire de trois personnages : deux natifs d’Afrique, Amok et Shrapnel et une antillaise, Amandla, le lecteur découvre comment la vie d’un Noir en Europe (d’où qu’il vienne), comment les choix qu’il peut faire, les liens qu’il peut nouer avec les autres, mènent nécessairement au bord de pentes escarpées. En effet rien n’est simple quand on se demande qui on est vraiment et qui l’on veut être. Peut-on véritablement choisir sa vie dans un environnement où même le droit à la parole vous est refusé ?

Le mépris des Noirs et de tout ce qui les caractérise est à ce point généralisé qu’il a gagné même les Noirs eux-mêmes. L’auteur aborde tous les sujets : coiffures féminines à l’européenne, dépigmentation de la peau dont Biyaoula fait une critique féroce dans son inoubliable Impasse. On peut aussi évoquer, comme parenté avec ce roman, la relation complexe avec la mère, thème constant dans les romans de Miano. Aligossi, la mère d’Amandla, connaît une enfance et une jeunesse semblables à celles de Kala, le héros de L’Impasse, qui fut rejeté par sa mère à cause de sa peau trop sombre.
Les ghettos urbains, la discrimination à l’emploi, les semblants d’efforts consentis par les pouvoirs publics pour que les ‘‘minorités’’ soient visibles, à la télé par exemple avec la nomination d’Harry Roselmarck pour le JT de 20h sur TF1, la création du Musée du quai Branly, les mouvements pour la revalorisation des Noirs, les associations de lutte contre le racisme... Tout passe par le regard critique de la romancière.

L’une des grandes qualités de ce roman, c’est la diversité de points de vue. Il n’est pas d’argumentation, aussi savamment menée soit-elle, qui ne se trouve confrontée à une argumentation opposée. Cela se voit d’ailleurs à travers le jeu de croisement de regards qu’on observe dans une partie du roman, où la même scène est successivement décrite par les différents personnages, jeu sur lequel Emmanuel Dongala a construit Johnny Chien méchant.

L’autre élément qui fait la force de ce roman, c’est l’accompagnement musical qui le sous-tend. Le jazz en particulier. Celui-ci rythme le texte, règle ses respirations. Cette célébration du jazz m’a rappelé Trop de soleil tue l’amour, de Mongo Beti.

Bref Littérature et Musique fusionnent dans ce roman pour offrir au lecteur un texte poétique. Un texte philosophique aussi, car il interroge le sens de l’existence, de l’humanité. Il oblige à un face à face avec ses faiblesses, ses compromissions, ses blessures intérieures... C’est un roman profondément humain, qui n’a pas pour prétention de donner LA réponse. Il n’est pas aisé de cerner La thèse défendue par l’auteur. Elle est à débusquer dans les propos des différents protagonistes. Au lecteur de choisir SA vérité, de se forger son opinion. L’essentiel étant de laisser s’exprimer toutes les voix.
Au fond Léonora Miano veut simplement dire que nous sommes tous des hommes, quelle que soit la terre qui porte nos pas, nous avons tous une vie à remplir, remplissons-la avec le meilleur de nous-mêmes.

lundi 7 juillet 2008

Un questionnaire qui circule

Gangoueus me propose de me soumettre à des devoirs de vacances auxquels je ne pensais pas me plier si tôt. Je me suis prêtée à l’exercice. C’est une sorte de connais-toi toi-même en matière de lecture.


1) Quel(s) souvenir(s) avez-vous de votre apprentissage de la lecture ?
Il faudrait fouiller sous les décombres de la mémoire.

2) Vos lectures préférées lorsque vous étiez enfant ?
Ce serait difficile à déterminer car j’aimais tout simplement toutes les lectures qui me tombaient sous la main, ou plus précisément toutes celles que me proposait ou m’offrait mon père. Il était enseignant, l’est toujours d’ailleurs, c’est lui qui m’a appris à marcher sur le chemin de la lecture et à m’éveiller à sa magie, à sa puissance.

3) Aimez-vous la lecture à haute voix ? Comment ? Pourquoi ?
Seulement lorsque j’ai des auditeurs et que ceux-ci sont mes enfants ou d’autres enfants qui deviennent aussi comme mes enfants. Mais pour mes lectures personnelles, j’entends et savoure mieux dans le silence.

4) Votre conte préféré ?
Lequel citer parmi ceux de Perrault, d’Andersen ou des frères Grimm ? « Les fées », peut-être. Je me souviens aussi d’un recueil de contes russes que j’avais appréciés dans mon enfance, ça s’appelait L’oiseau de feu. Il y a également ces contes africains où on rivalise de ruse, par exemple celui ou un père est tellement jaloux de sa fille qu’il ne veut pas la donner en mariage, alors il invente une condition impossible à réaliser : que le futur beau-fils lui offre un mouton ou brebis, je ne sais plus, ni mâle ni femelle. Il se trouve finalement un prétendant qui se présente et dit posséder l’animal, mais que le beau-père devait venir le chercher chez lui, mais ni la nuit ni le jour... Non je crois plutôt qu’il lui demanda de lui fabriquer une corde avec de la fumée pour qu’il la lui ramène ou quelque chose comme ça.

5) La meilleure adaptation cinématographique d'un roman ou d'une pièce de théâtre ?
Celle de Germinal avec Renaud tenant le rôle principal, je ne me rappelle plus le nom du réalisateur.

6) Apprenez-vous par cœur certains poèmes, répliques de théâtre ou passages de roman ?
Je voudrais bien. Pour l’instant je me contente de les relire à satiété ou de les donner à apprendre à d’autres.

7) Avez-vous des livres ou des magazines dans vos toilettes ? Lesquels ?
Non.

8) Avez-vous plusieurs lectures en chantier ? Combien ? Lesquelles ?
Je viens de terminer Tels des astres éteints de Léonora Miano et j’ai entamé Les Yeux dans les arbres de Barbara Kingslover. Deux autres romans de cet auteur attendent de passer entre mes mains : Les cochons au paradis et L’Arbre aux haricots. Mais il y a déjà, depuis un bon moment, Cent ans de solitude de Garcia Marquez et deux autres classiques que je connais sans les avoir encore vraiment lus. Oserais-je les citer ? Oui, à ma grande honte : Roméo et Juliette de Shakespeare et Notre-Dame de Paris, de Hugo. Va falloir que je rajoute Toni Morrison, d’après ce qu’en dit Gangoueus.

9) Le poète que vous ne cesserez jamais de relire / de vous réciter ?
Baudelaire, je crois.

10) Le livre que vous avez lu le plus rapidement ? Le plus lentement ?
Il y en a eu plusieurs, selon les ‘‘saisons de lectures’’, une saison pourrait correspondre à une année, un peu plus ou un peu moins, cela dépend. Si je me réfère aux dernières saisons, parmi ceux que j’ai avalés, je citerai Les derniers jours de Pompéi d’Edward Bulwer-Lytton, Kaveena de B. B. Diop. Celui que j’ai lu le plus lentement ? Voyons... en fait il faudrait savoir ce qu’on entend par lentement, ou préciser les causes de ce ‘‘lentement’’ : manque de temps ? d’intérêt ? volonté de bien comprendre le livre qui semble difficile ? La réponse va être différente selon le cas...

11) Le(s) livre(s) que vous ne rangez jamais dans votre bibliothèque et qui traîne(nt) toujours ?
Comme Gangoueus, ma bible, ou mes bibles, j’ai différentes versions en français, une en kikongo, une autre en lingala, et une en anglais, pour celle-ci je me disais que ce serait un bon moyen de me familiariser avec la langue de Shakespeare, encore faudrait-il que je m’y mette régulièrement, ce qui n’est pas le cas.

12) Préférez-vous les éditions de poche aux éditions originales ? Pourquoi ?
Tant mieux si je possède l’édition originale, mais franchement cela m’importe peu, ce qui compte c’est l’avoir, en poche ou pas, neuf ou d’occasion, j’ai plein de livres d’occasion d’ailleurs, portefeuille oblige ! En fait c’est plutôt une question financière. Il y a même des livres que je n’ai lus qu’en bibliothèque, n’ayant pas encore eu l’occasion de les posséder moi-même.

13) Quel est votre rapport physique à la lecture ? Debout ? Assis ? Couché ?
Cela dépend des moments. Je pratique régulièrement toutes les positions.

14) Vos lectures sont-elles commentées « crayon à la main » ?
Très souvent, voire presque toujours, sauf lorsque le livre ne m’appartient pas, dans ce cas, j’ai toujours une feuille insérée à l’intérieur sur laquelle je note mes remarques.

15) Offrez-vous des livres ?
De temps en temps.

16) La plus belle dédicace ? (Qu'elle soit de l'auteur ou de celui/celle qui vous l'offrît)
Celle de Florent COUAO-ZOTTI sur mon exemplaire des Fantômes du Brésil, elle témoignait tant de sympathie et de simplicité ! Elle commence par « Pour le plaisir de vous savoir des miens ». Florent COUAO-ZOTTI n’est absolument pas du genre à mépriser les nouveaux venus en littérature, même ceux qui ont encore un bon bout de chemin à faire avant la reconnaissance du public.

17)Quel est votre rapport sensuel au livre ? (son odeur, sa texture, le son des pages tournées, …)
Parfois la couverture peut provoquer certaines sensations, qui me font tourner et retourner le livre un bon moment ou plusieurs jours durant avant de me décider à plonger dedans. Oui, parfois je me plais à tourner autour du pot pour prolonger le mystère, avant de briser celui-ci...

18)Quel(s) est (sont) le(s) auteur(s) dont vous avez lu l'œuvre intégrale ?
Ouh là ! Il faut que je réfléchisse bien, car œuvre intégrale veut bien dire œuvre intégrale et qu’on a lu vraiment tout de l’auteur, tous genres compris. Dongala je crois, Lopes aussi, ah ben non, je n’ai pas encore lu son essai Ma grand mère bantoue et mes ancêtres gaulois, mais tous ses romans oui, comme tous les romans de Mabanckou ; je pourrais aussi citer les Molière, à quelques exceptions près, bref, c’est toujours approximatif... Ah si je peux répondre sans me tromper : j’ai lu tout Yambo Ouologuem (rires).

19) Un livre qui vous a particulièrement fait rire ?
Il y en a eu plusieurs. Le premier qui me vient à l’esprit est 53cm, de Bessora. Je ris beaucoup également avec celui que je suis en train de lire.

20) Un livre qui vous a particulièrement ému ?
Au nom de tous les miens, de Martin Gray : on voit comme un homme peut se relever du pire acharnement du destin. Black Boy de Richard Wright : combien l’écriture a un sens, quelle libération de la parole ! Ah si ! j’aimerais citer African Lady, de Barbara Wood, que j’ai lu il y a de cela de longues saisons de lecture, alors que j’étais encore au pays. Il faudrait que je m’en achète un autre et que je le relise !

21) Le livre qui vous a terrifié ?
Si c’est un homme de Primo Lévi.

22) Le livre qui vous a fait pleurer ?
Pour moi les questions 20 à 22 ont quelque chose en commun. Mes yeux larmoient facilement au cours de mes lectures. Et j’ai larmoyé devant l’ingratitude et l’hypocrisie humaines dans Boule de suif de Maupassant, entre autres.

23) L'avertissement / l'introduction qui vous a le plus marqué ?
Les imprécations de Primo Levi contre les oublieux de la déportation, dans le texte en forme de poème intitulé si « c’est un homme » qui précède le récit. Voici quelques extraits :
Vous qui vivez en toute quiétude
Considérez si c’est un homme
Que celui ...
[...]
Considérez si c’est une femme
Que celle qui a perdu son nom et ses cheveux
Et jusqu’à la force de se souvenir
Les yeux vides et le sein froid
Comme une grenouille en hiver
N’oubliez pas que cela fut
[...]
Ou que votre maison s’écroule,
Que la maladie vous accable,
Que vos enfants se détournent de vous.

24) Le titre le plus marquant / original / décalé / astucieux ?
Gangoueus m’a mise sur les traces de Sony. Je citerais quelques uns de ses titres : La vie et Demie, La parenthèse de sang, Je soussigné cardiaque. Je citerais « Eve de ses décombres » d’Ananda DEVI.

25) Décrivez votre (vos) bibliothèque(s).
Ils sont dans le bureau, entassés les uns sur les autres, ici et là, formant des pyramides qui se font et se défont régulièrement. J’aimerais y mettre de l’ordre...

26) Le(s) livre(s) dont vous vous êtes finalement débarrassé(s) ?
Je ne me débarrasse jamais de mes livres, même ceux que j’apprécie moins. Quand j’en offre, cela veut dire que j’en possède moi-même un exemplaire.

27) L'endroit le plus insolite où vous lisez ?
Je dirais comme mademoiselle Frog : Dans la rue, en marchant. Alors que j’avais autour de 15 ans, je m’étais fait voler ma casquette ainsi. Cela a tempéré cette habitude un bon moment, mais je ne m’en suis pas complètement défait.

28) Il ne vous reste que trois jours à vivre, que souhaitez-vous lire ou relire ? Comme Gangoueus, ma bible.

29) Votre livre d’art préféré ?
En ai-je lu suffisamment pour en élire un ?

30)La bibliothèque idéale ?
On a présenté un jour à la télé la biblio de Karl Lagarfeld, elle fait envie... Mais j’espère pour qu’il les a tous lus, ou du moins 90% de ces livres...

31) L'incipit qui vous a le plus marqué.
Me vient à l’esprit celui du Vieux qui lisait des romans d’amour, de Sepulveda.

32) La fin qui vous a le plus marqué.
Celle de Don Alvaro ou la force du destin, de Rivas. Le bonheur était si proche, la réalisation de ses désirs les plus chers ne tiennent parfois qu’à très peu de choses, sans que l’on s’en doute, mais...

Tata Nkodia, veux-tu bien te prêter au jeu ?