mercredi 29 juillet 2009

Entretien avec Dominique Ngoïe-Ngalla

Voici une interview que Dominique Ngoïe-Ngalla m'avait accordée il y a quelques années (2002). Elle était destinée à être publiée dans le journal NGOUVOU, une revue pour jeunes collégiens, publiée au Congo-Brazzaville. Dominique Ngoïe-Ngalla est enseignant et écrivain. J'ai eu la chance de l'avoir comme professeur en première année de Fac. C'est quelqu'un qui a beaucoup de modestie, et pourtant c'est une "tête bien faite", (ce n'est pas pour autant qu'elle n'est pas "bien pleine"), j'emprunte l'expression devenue consacrée de Montaigne. J'ai beaucoup de respect pour lui.

"un écrivain qui n'est pas à la cause du petit peuple n'en est pas un"

Qui êtes-vous, Ngoïe-Ngalla ?
J'ai exercé à l'université Marien-Ngouabi pendant près de 25 ans. Je me suis retrouvé dans plusieurs départements : le département de Lettres où j'ai enseigné le latin, le département de philosophie où j'ai enseigné le grec et bien sûr le département d'Histoire où j'ai enseigné l'histoire des anthropologies. A la suite de la guerre j'ai dû partir, je dois dire que j'ai eu beaucoup de chance d'avoir survécu. J'ai perdu tous les miens. Et je me suis retrouvé comme par hasard ici en France : des personnes de charité m'ont trouvé à Abidjan et m'ont demandé, après la lecture de la Lettre d'un pygméee à un Bantou de les suivre ici en France pour quelques conférences dans leur ville puis, chemin faisant, ils ont trouvé à m'employer un peu à l'Université d'Amiens, pour quelques temps.

Ceux qui ont eu la chance de vous cotoyer savent ce que vous représentez intellectuellement, malheureusement votre oeuvre souffre d'une certaine méconnaissance et connaît des difficultés de publication.
Je n'ai pas été publié parce que, dans notre pays, il y a quand même des partis pris. Le ministère de l'Education nationale a publié ceux qu'il a voulu publier. je ne lui en veux pas, modestement je reconnais la valeur de ceux qui ont été publiés. je m'en tiens là. S'il y a des personnes qui s'intéressent à ce que j'ai fait, ces personnes sont bien gentilles.

Quels sont les thèmes qui vous inspirent le plus, ceux qui vous tiennent le plus à coeur ?
Les thèmes, c'est le monde comme il va, le monde ne va pas très bien, et la nécessité pour tout intellectuel d'être impliqué. Malheureusement, les intellectuels, plus le monde avance, moins il y en a, parce que l'intellectuel tel que je le comprends, moi, c'est avant tout un instituteur du peuple et qui s'engage pour les causes du petit peuple. Et je remarque qu'en Afrique, il y a de grands universitaires, mais des intellectuels, est-ce qu'il y en a beaucoup ? Les gens qui se battent, qui se sacrifient pour dire la cause du peuple, je n'en vois pas beaucoup et c'est peut-être parce que je m'engage dans ce combat qu'on ne me publie pas. Bon, je ne regrette rien.

Quel regard portez-vous sur la situation présente au pays, et qui peut se traduire entre autres par une ''fuite de cerveaux" ? On constate par exemple qu'un certain nombre d'écrivains et professeurs congolais exercent actuellement à l'étranger.
Mais c'était prévisible ! Lorsqu'il y a une guerre, le retour à l'ordre prend beaucoup de temps, ça renaît petit à petit. Il faut que l'Etat s'efforce de remettre en confiance ceux qui sont partis, parce qu'ils ne sont pas partis sur un coup de tête, leur vie était en danger. Les chose qui sont arrivées le sont du fait que les intellectuels n'ont pas travaillé. Je ne diabolise personne, aucune ethnie n'a l'exclusivité de la violence, nous sommes tous coupables, que ce soit ceux qui ont repris le pouvoir ou ceux qui ont été chassés. On devrait tout de suite se remettre tous ensemble pour rebâtir ce pays, n'attendons rien de l'Occident, l'occident ne rebâtira pas l'Afrique.

Si on vous demandait quels sont les écrivains pour lesquels vous avez beaucoup d'estime ?
L'estime, en ce moment... Eh bien je me tourne vers les gens que j'ai rencontrés ici, ce sont des philosophes, Pascal BRUTNER par exemple, quel engagement ! quelle humilité ! mais on ne le voit pas à la télé. Il m'a fallu du temps pour le découvrir, j'aime bien sa logique, ça c'est un intellectuel !
Maintenant les autres, ils font beaucoup de bruit, ils sont brillants, c'est des grands crivains, mais un grand écrivain qui n'est pas à la cause du petit peuple n'en est pas un. Victor Hugo a fini en prison parce qu'il défendait le peuple, il était du côté de la justice et des petits, c'est ça l'écrivain. Maintenant il y en a qui reçoivent des prix, Dieu sait qu'est-ce qu'on récompense à travers ce prix.

Un dernier mot ?
Je crois que j'ai tout dit. Mes étudiants qui m'ont suivi pendant 25 ans savent que je suis resté exigeant sur la justice. Il n'y a que la justice qui puisse nous refaire et nous honorer comme humains, tout le reste, c'est des bavardages.


Dominique Ngoïe-Ngalla a publié des nouvelles, par exemple L'ombre de la nuit ; des ''lettres'' : Lettre à un étudiant africain, Lettre d'un pygmée à un bantu... ; des poèmes, par exemple Poèmes rustiques ; des essais, par exemple Le retour des ethnies. La violence identitaire ; un roman, Route de nuit.

4 commentaires:

Liss a dit…

Bonjour,

Désolée de répondre si tard, je suis plus réactive que ça d'ordinaire. Il n'y a aucun souci pour la publication de mes articles sur votre site, du moment que vous citez bien la source et permettez aux internautes de venir les lire intégralement sur le blog. Le but, comme vous dites, c'est de faire découvrir les artistes au plus grand nombre de lecteurs.

A bientôt !

Obambé a dit…

Bonjour liss,

Cet entretien avec le professeur DNN m’avait échappé.
« Je n'ai pas été publié parce que, dans notre pays, il y a quand même des partis pris. Le ministère de l'Education nationale a publié ceux qu'il a voulu publier. je ne lui en veux pas, modestement je reconnais la valeur de ceux qui ont été publiés. je m'en tiens là. S'il y a des personnes qui s'intéressent à ce que j'ai fait, ces personnes sont bien gentilles. » Cela correspond bien à, l’humilité dont cet homme a toujours fait montre. J’ai des Frères et des Sœurs qui ont été ses étudiants, ils m’en ont toujours dit le plus grand bien. Je suis lecteur de son blog où les textes sont de qualité.
Cependant, je ne partage pas sur la forme son propos suivant : « Les chose qui sont arrivées le sont du fait que les intellectuels n'ont pas travaillé. » C’est vraiment sur la forme que je ne le comprends pas. Dans notre pays, le mot « intellectuel » est mis à toutes les sauces, ce qui n’est pas normal. Il faudrait une fois pour toutes que les Congolais comprennent que TOUS les universitaires ne sont pas intellectuels, que point n’est besoin d’être titulaire d’une thèse ou d’un bac+5 pour être qualifié d’intellectuel ou pour se dire intellectuel.

Au plaisir, O.G.

Liss a dit…

Bonjour Obambe et bienvenue dans cette vallée,

Je ne sais si vous avez lu toute l'interview, mais Ngoïe-Ngalla lui-même pose déjà le problème de la définition de l'intellectuel, qui ne peut être appliqué à tous les universitaires. Donc pour moi vos propos et les siens se rejoignent.
Merci de votre visite et au plaisir !

Obambé a dit…

Bonjour Liss et pas de quoi!
En effet, j'aurais du être plus rigoureux dans mon commentaire, j'ai bien lu toute l'interview et il est heureux qu'il ait posé le problème de la sorte.
Cela nécessite que les gens intéressés y travaillent, y réféléchissent afin que demain, nos enfants voire nos petits enfants changent de langage à ce niveau. Mais pour en revenir à son propos, je pense hélas! que nous avons parfois (souvent? de temps en temps?) tendance à trop attendre des intellectuels. Les préoccupations des intellectuels ne sont pas toujours en rapport avec celles de MM. Songolo et Kingani. C'est triste à dire, mais il en est ainsi.
Bon, le débat est vaste, et le temps manque!
Au plaisir, O.G.