dimanche 30 mai 2010

La Folie dans la pensée Kongo, de G. Mbemba Ndoumba

La croyance à une dimension autre que celle qui est régie par le simple et le naturel est fortement ancrée dans les sociétés africaines. D'aucuns disent qu'elles sont superstitieuses. Mais, en Afrique ou ailleurs, comment considérer une pathologie qui, justement, met en déroute la raison ? Il apparaît même qu'elle a souvent été considérée, au fil des siècles, soit comme une manifestation du "sacré", soit comme une "manifestation démoniaque". L'approche de la folie d'un point de vue médical est relativement récente. La psychiatrie date en effet de la fin du XVIIIe siècle seulement. Qu'en est-il de la société congolaise ? Comment appréhende-t-on la folie dans la pensée kongo ? C'est l'objet du 5e essai de Gaston MBEMBA-NDOUMBA.


Pour comprendre comment la folie est interprétée et soignée en milieu kongo, il faut nécessairement se familiariser un tant soit peu avec ce dernier. Ainsi, le livre devient comme un un guide de la société congolaise : on trouve des chapitres entiers sur l'organisation sociale, sur la structure et l'organisation familiales chez les Kongo, et surtout des chapitres sur la sorcellerie, les fétiches ou nkisi. Là en effet se trouve la clef pour comprendre la situation du point de vue kongo :
"La sorcellerie se présente comme la meilleure représentation pour le groupe, en tant qu'explication causale de tous les malheurs qui menacent l'individu lorsqu'il est atteint dans les sentiments vitaux de la personne, du lignage, du clan."
(La Folie dans la pensée Kongo, p. 97)

Mais le livre est également l'occasion de tordre le cou à certains préjugés. Il suffit d'un rien pour qu'un préjugé trouve matière à s'affermir. Lorsqu'il trouve un terrain fertile, n'en parlons pas : il se développe davantage, il prend racine. Même si j'ai apprécié L'Intérieur de la nuit, qui montre déjà la force de la plume de Léonora Miano, je n'ai pu me départir d'un certain malaise quant à la scène d'anthropophagie relatée dans ce premier roman de l'auteur. C'est un récit métaphorique, sans doute, pour montrer que celui qui accepte de faire une chose immonde, fut-ce sous le coup de la menace, est aussi condamnable que celui qui la lui fait subir ; mais il n'en demeure pas moins que cette scène alimente les bruits selon lesquels les Africains seraient des cannibales.
C'est donc à juste titre que G. M'Mbemba-Ndoumba précise :
"Le sorcier, croit-on, mange l'âme de sa victime, ce qui se traduit par la mort physique de celle-ci. On dit alors qu'on l'a mangé (dia ba ndidi). Mais s'agit-il d'anthropophagie, de cannibalisme ?
Si on peut y lire des pulsions cannibales ou des désirs de meurtre, il ne s'agit pas dans la pratique d'une activité anthropophragique ou cannibale comme l'ont véhiculé trop hâtivement certains ethnologes ne connaissant pas les langues de ces sociétés et notamment leurs tournures idiomatiques
."
A propos des nkisi dont l'auteur parle, en voici quelques-uns (certains se souviendront peut-être en avoir fait usage ou entendu parler) :

- Matompa : Est à l'origine de la maladie du sommeil et de certaines crises de folie.
- Makubungu : Donne la force physique
- Mpini : Rend invisible
- Musselebende : Dispensateur de charmes, philtre d'amour
etc.
(La Folie dans la pensée Kongo, p. 109-110)

Vous l'aurez compris, la "Folie", sujet principal du livre, n'est finalement qu'un prétexte pour parler de la société congolaise en général, car Gaston Mbemba-Ndoumba n'a de cesse de consigner tout ce qu'il observe, d'instruire ceux qui le souhaitent sur les pratiques des Congolais.


Gaston Mbemba-Ndoumba, La Folie dans la pensée Kongo, L'Harmattan, 2010, 160 pages, 15, 50 €.

vendredi 28 mai 2010

Quand Caro rime avec cadeau


Vous êtes blogueur, vous aimez les créations artistiques, vous aimez aussi gagner au sort. Eh oui ! Si on "tire au sort" pour désigner un gagnant, on peut aussi "gagner au sort".

J'ai une bonne nouvelle pour vous : Caroline K, blogueuse qui vient souvent me rendre visite, lance un "Blog Candy". Il s'agit d'un jeu : diffuser l'info sur son blog et peut-être gagner des cadeaux, des créations de Caro dont vous pouvez vous faire une petite idée en allant sur son blog. Pour participer, le règlement ici.

Bonne chance !

dimanche 23 mai 2010

La Guerre des banlieues n'aura pas lieu, d'Abd Al Malik

La Guerre des Banlieues n'aura pas lieu est un livre qui fait signe. Il fait signe déjà par son titre, qui fait écho à La Guerre de Troie n'aura pas lieu, de Jean Giraudoux, une guerre qui opposa Grecs et Troyens pendant dix ans, d'après les récits d'Homère. Elle eut donc bien lieu, cette guerre, mais par cette négation Giraudoux voulait conjurer le sort, expérimenter la possibilité de la paix dans un monde où la guerre est toujours prête à éclater. Est-ce que la guerre de Troie aurait pu ne pas avoir lieu ? Laissons la légende, revenons à notre époque : la première ou la deuxième guerre mondiale auraient-elles pu ne pas avoir lieu ? Toutes les guerres que nous avons connues jusqu'à ce jour auraient-elles pu être évitées si on s'y était pris autrement ?


Les banlieues donnent en France l'impression d'être une poudrière qui explose facilement. On dirait même que certains prennent plaisir à la voir sauter. On ne se rend pas compte qu'on contribue à la faire sauter. « La Tess (autrement dit ''la cité''), c'est comme une grosse usine nucléaire qui pourrait éclairer tout le pays si on l'utilisait à bon escient. Mais, en vrai, c'est des bombes atomiques en devenir qu'on laisse à l'abandon », déclare le personnage narrateur. (La Guerre des banlieues n'aura pas lieu, page 35)

Si on change notre regard – notamment sur ceux qui semblent différents de nous –, si on change nos mentalités, notre manière de considérer les banlieues, bien des feux n'auraient pas besoin d'être éteints car ils n'auraient pas eu l'occasion de s'allumer. La Guerre des banlieues n'aura pas lieu est un livre qui fait un signe de paix. Il peut être lu comme un roman, comme un long poème, comme une autobiographie aussi.

Comme un roman, assurément. Il y a un personnage principal, Peggy, qui plus tard adopte la religion musulmane et saisit la chance de changer de nom (Son prénom de fille est à l'origine de bien des misères). Il devient Suleyman. Il raconte son itinéraire, sa vie dans la cité, ses rencontres, la rencontre de l'islam, la rencontre de l'amour… Parfois le récit est pris en charge par un narrateur externe.


Comme un poème. Pourquoi pas ? La poésie est le lit dans lequel ABD AL MALIK aime faire reposer ses textes. Elle imprègne les pages de La Guerre des banlieues n'aura pas lieu. La disposition des phrases fait même penser aux vers ou versets des livres saints, notamment dans le texte liminaire où « L'auteur annonce la couleur et le récit qui va suivre », dans le premier chapitre ou dans la conclusion, où il faut faire « La Concordance des différences ».


« Comment faire pour que, dans un monde globalisé, sur un globe mondialisé, chacun de nous puisse être un, sans se défaire de sa différence singulière qui fait le multiple dans l'un et la beauté du lien ? […]
Je parle de ma voix, je pars de ma voie, celle que j'ai choisie pour être moi, pour être en paix avec moi
Et avec les autres, puisque nous devons vivre ensemble.
Voilà mon propos : c'est à chacun de trouver la voie qui lui correspond pour une solution commune. » (p. 161 et 163)


Comme une autobiographie. C'est une possibilité qui saute aux yeux. Qui veut apprendre à connaître ABD AL MALIK, connaître sa vision de la France, son rapport à la religion, ses rapports avec les autres ferait bien de prendre ce livre entre ses mains : il dévoile la personnalité de l'auteur, emplie d'humanisme. Que ce soit dans ses chansons ou maintenant dans ses livres, ABD AL MALIK tisse des liens de fraternité avec les autres.


J'ai donc lu ce livre avec plaisir. Il y a juste un chapitre que je trouve de trop. Ce n'est pas que le livre soit volumineux, au contraire il se lit vite. Mais, s'il est justifié que Suleyman, double de l'auteur en quelque sorte, explique ce que représente la religion musulmane pour lui, s'il montre intelligemment le sens et la place de la religion en général dans la vie d'un homme, que ce soit l'islam, le Christianisme ou autre, je trouve que profiter de l'occasion pour faire la genèse de l'Islam, raconter son histoire, l'auteur pourrait avoir le loisir de le faire dans un essai sur l'islam, tandis que là il faut juste montrer que musulman n'est pas égal à terroriste, d'où mon sentiment de trouver le chapitre onze de trop. Mais ce n'est qu'un sentiment, une impression, sinon je vous recommande vivement ce deuxième livre de l'artiste musicien, après Qu'Allah bénisse la France (2004), c'est une autre manière de raconter la banlieue, la cité. Il y a plusieurs romans maintenant sur le sujet et c'est très bien, car là on a une autre présentation des choses, différente de celle que nous donnent les médias.


Bon, un dernier extrait :


Et puis, il y a aussi ces tours de briques rouges de mensonges, tours d'illusionnistes qui s'illusionnent eux-mêmes.

Nos enfants s'en rendront compte, tôt ou tard. Et ils demanderont des comptes à tous ceux qui, par peur, je crois, ou par inconscience, peut-être, se seront laissés car-jacker d'eux-mêmes.

Laissés dépouiller des armoiries de l'universel rêvées, au départ, comme des véhicules positivement consensuels : je parle de patriotisme, de nation et de peuple – des termes si souvent pris en otage et déviés de leur sens par ces toxicomanes de tous bords défoncés à la politique des extrêmes et au choc des civilisations…

Et elle chancelle, fuit du regard, pique du nez comme sous l'effet de l'héroïne, la France.
J'y vois comme une parabole pour nous dire combien elle était belle avant qu'elle ne se came pour supporter le pesant du prestige de ce qu'elle était avant, la France.

Mais il faut bien cesser, d'une manière ou d'une autre, de téter ce sein malin, cette pipe à crack du « tout va bien ». (p. 63-64)



ABD AL MALIK, La Guerre des Banlieues n'aura pas lieu, Le cherche midi, 2010, 190 pages, 10 €.

samedi 15 mai 2010

Si la Cour du mouton est sale, ce n'est pas au porc de le dire, de Florent Couao-Zotti

Quand on a déjà lu un Couao-Zotti, on y revient les yeux fermés. L'Homme dit fou et la mauvaise foi des hommes m'avait frappée par sa singularité : des textes volontiers troublants, à l'image de la vie qui n'est pas un long fleuve tranquille. Mais ce que j'apprécie surtout, ce sont les romans de l'auteur, car au moins, quand vous embarquez dans l'un d'eux, vous en avez pour un moment avant d'arriver à destination, et vous êtes un voyageur heureux, car le maître à bord est un maître du récit. Notre pain de chaque nuit, Le Cantique des cannibales, Les Fantômes du Brésil sont des romans que j'ai avalés, avec une préférence pour le deuxième. Mais après la lecture de La cour du mouton, je placerai bien ce dernier en tête de liste, car il accorde une place encore plus grande à la langue.
En effet, si les histoires contées par Florent Couao-Zotti sont passionnantes, elles sont aussi et surtout un gage de plaisir pour ceux qui ont une langue délicate et qui recherchent des choses un tant soit peu exquises à se mettre sous la dent. Les expressions en particulier retrouvent une fraîcheur nouvelle sous la plume de l'auteur béninois. ... Comment ? ... Vous voulez des exemples ? Voyons, lisez donc ou relisez n'importe lequel de ses romans ! Mais je ne suis pas ingrate, je vais vous servir quelques morceaux du Mouton, dont l'intrigue se joue au Bénin. Là-bas, dans certains quartiers, "la pauvreté restait la star (...) les briques coûtaient la peau des anges" (p. 44) [au lieu de "la peau des fesses"] ; "le quotidien, pour Samuel, était loin d'être une partie de pique-nique" (p. 53) [ça change d'entendre autre chose que "une partie de plaisir"] ; "Rira bien qui se déchirera la gencive le dernier" (p. 82) [alors que l'expression proverbiale est plutôt : "rira bien qui rira le dernier"].


Florent Couao-Zotti au salon du livre de Paris 2010.

En parlant de proverbes, c'est dans ces derniers que l'auteur puise pour titrer les chapitres du roman. Il y en 24 au total. Ce sont donc 24 apophtegmes, 24 paroles de sagesse africaine dont certaines vous sont sans doute familières. C'est comme "Les oreilles ont beau être grandes, elles ne dépassent jamais la tête", proverbe beaucoup utilisé au Congo par exemple. Mes préférés parmi les 24 sont : "Le grain de maïs a beau courir, il finit toujours sa course dans le bec du coq" et "Celui qui se baisse pour voir le postérieur de son voisin ne sait pas qu'il expose le sien à tout le monde". C'est l'un de ces proverbes qui sert de titre au roman, d'où sa longueur.

On lit donc La Cour du mouton (que l'auteur me pardonne cette abréviation) en faisant deux pas en avant, un pas en arrière. En effet, quand on commence un chapitre, le proverbe qui l'intitule n'est pas forcément explicite dès le départ. C'est à la fin du chapitre qu'on éprouve le besoin de revenir au début du chapitre pour relire le proverbe et mieux saisir le lien avec le contenu du chapitre. Ce lien ne saute pas toujours aux yeux et le lecteur doit s'amuser à trouver le sens comme il s'amuse des jeux de langue de l'auteur. Dès le début du roman, une épigraphe vous accueille bien comme il se doit :

"Cette histoire est tellement vraie
que je l'ai totalement inventée et imaginée."

Venons-en donc à l'histoire. Une femme, connue comme prostituée, est retrouvée morte, affreusement mutilée. Le Commissaire Santos et l'inspecteur kakanakou doivent élucider ce meurtre. Celui-ci semble étroitement lié au milieu de la prostitution et au trafic de drogue. L'auteur du crime est connu du lecteur dès le départ. Mais celui-ci, un homme d'affaires libanais que les billets de banque rendent intouchables, pourra-t-il vraiment être épinglé par la police, corrompue en partie ? Les amies de la disparue réussiront-elles à se venger ou à donner elles aussi une leçon d'humilité au tortionnaire ? D'un autre côté, on a un ancien policier, Samuel Dossou Kakpo, en abrégé SDK, qui a décidé de monter sa propre boîte. L'entreprenariat en pays en voie de développement, est-ce chose facile ? Portraits d'hommes et de femmes qui apprivoisent la vie, une vie ingrate parfois dans un pays où la pauvreté réduit votre marge de manoeuvre. Portrait d'une ville aussi, une ville vivante, avec son parler typique.

J'ai bien aimé la manière dont l'auteur a orchestré son roman, faisant converger vers un seul tableau différents tableaux au départ. Et à la fin, on revient au début.

Florent Couao-Zotti, Si la cour du mouton est sale, ce n'est pas au porc de le dire, Le Serpent à plumes, 2010. 204 pages. 16 €. PRIX AHMADOU KOUROUMA 2010 (décerné à l'auteur le 29 avril dernier à Genève)

vendredi 7 mai 2010

Ma première Colo, de G. Mbemba-Ndoumba

Vous souhaitez mieux comprendre les Congolais ? Les ouvrages de Gaston Mbemba-Ndoumba vous seront sans doute d'une grande utilité : ils vous aideront à saisir certaines pratiques, certains faits de société. Après avoir publié trois ouvrages que l'on pourrait qualifier de sociologiques (un quatrième vient tout juste de paraître), l'auteur s'est tourné vers la Littérature avec Un Coup de Théâtre : histoire du théâtre congolais, publié en 2008. Ses oeuvres se diversifient donc, et il ne s'arrête pas en si bon chemin. Il tente l'expérience des ouvrages pour la jeunesse avec Ma première colo.

Ce récit, bien que destiné à la jeunesse, ne sera pas sans intérêt pour les adultes. L'héroïne, Fanny, 9 ans, appréhende de partir en colonie de vacances car cela implique de quitter ses parents. Même si ce n'est que pour quelques jours, cela a de quoi provoquer angoisse et alarmes chez une enfant qui a toujours passé ses vacances avec ses parents.

Encouragée par le témoignage des camarades qui sont déjà partis en colo, Fanny décide de tenter l'aventure. Comment elle aussi bien que les autres enfants vont-ils vivre la séparation d'avec le milieu familial ? Quels sont les temps forts d'une colo ? Quelles difficultés peuvent survenir ? Fanny consigne tout. Ma première colo est le journal qu'elle tient au jour le jour durant cette semaine de vacances.

Ce récit met en lumière le rôle important des animateurs sur qui repose la réussite ou l'échec de l'aventure : ils doivent savoir garder leur calme, faire face à toutes sortes de situations, rassurer les enfants... Il fait également le lien avec la diversité d'origine des enfants, telle qu'on peut la constater dans n'importe quelle classe française. Dans nombre d'écoles aujourd'hui, on entreprend d'apprendre aux enfants des chansons, des berceuses venues d'ailleurs, comme "Olélé moliba makasi" ou "Wa wa wa wa / Eh mwana wu dilé eh" dont on peut trouver les textes à la fin du volume.

Gaston Mbemba-Ndoumba, Ma première colo, Editions Bénévent, Nice, 2010, 60 pages, 10 €.


Ouvrages sociologiques de l'auteur :


- Ces Noirs qui se blanchissent la peau : la pratique du "maquillage" chez les Congolais (2004)
- Les Bakongo et la pratique de la sorcellerie : ordre ou désordre social (2006),

- La Femme, la ville et l'argent dans la musique congolaise : regard sociologique sur l'imaginaire urbain (2007) ; un 4e vient de paraître,

- La folie dans la pensée kongo (2010),

tous publiés chez L'Harmattan.

lundi 3 mai 2010

Langue, tribu, ethnie, région : point fort ou point faible ?

Demander à un compatriote congolais de quelle région ou tribu du Congo il est, chercher à savoir quelle est SA langue, entendez la langue de son terroir, la langue du village d'origine de ses aïeux, est devenu une question taboue, notamment depuis les guerres civiles qu'on a transformées en guerre des tribus. De toutes les façons, on n'a pas vraiment besoin que notre interlocuteur nous réponde pour savoir d'où il est, sauf si on veut connaître précisément le village d'où viennent ses parents, l'histoire de sa famille etc. Sinon sa tribu ou sa région est un secret de polichinelle : il suffit qu'il vous dise son nom, vous devinez à peu près d'où il est. Bien sûr, on peut se tromper, mais la marge d'erreur est plus ou moins faible. Si on peut ne pas déterminer précisément la tribu d'une personne, on peut tout au moins la situer dans l'une des grandes familles tribales congolaises.
Tenez, prenez « Lounda », mon nom de naissance (de là vient le ''L'' de Liss), ou prenez « Kihindou », mon autre nom, qui s'orthographie ordinairement avec un ''Y'', « Kiyindou ». Eh bien ce sont des noms qui sonnent bien du Sud. Les gens diront, c'est une « Lari ». En fait je suis « Kongo ». Mais « Lari » ou « Kongo » font partie d'une même grande famille tribale.
A l'école, on ne s'embarrassait pas de qui était d'où, qui parlait quelle langue, car la langue de rigueur à l'école, c'était le Français. A César ce qui est à César : reconnaissons à la langue française d'avoir été un trait d'union, une langue neutre à l'école. D'ailleurs c'était cette langue qui nous donnait accès à la connaissance mondiale. S'il fallait attendre que les ouvrages importants de l'humanité soient traduits dans nos langues respectives, on en aurait pour des siècles encore et on se priverait de connaissance. C'est pour cela que tous apprennent une des langues trait d'union dans le monde : l'anglais, le Français, par exemple. En parlant d'ouvrage essentiel de l'humanité, la Bible, elle, est traduite dans nos langues, c'est déjà ça.
Le Français langue de connaissance, oui ! Mais pas langue qui annihile nos propres langues ! La langue, c'est elle qui véhicule notre culture, c'est elle qui fait notre identité. L'identité des Congolais, c'est d'être des multilingues, c'est le cas de beaucoup de pays d'Afrique : entre langue officielle (le français ou l'anglais), langues nationales (le munukutuba et le lingala pour le Congo), langues ethniques… On parle ou on comprend plusieurs langues depuis notre plus jeune âge.
Avoir beaucoup de langues, n'est-ce pas une richesse ? La multiplicité des langues issues des différentes ethnies du Congo, est-ce une force ou une faiblesse ? En effet, l'expérience a montré que l'ethnie est le point faible de nombre de Congolais. Les hommes politiques sont les premiers concernés. Mais cette faiblesse, ce ver ou ce poison (selon la proportion des dégâts que l'appartenance à l'ethnie cause chez les uns et les autres) se manifeste aussi dans l'Eglise. Des pasteurs plus enclins à confier des responsabilités aux fidèles appartenant à la même famille tribale qu'eux et complaisants à leur égard, alors qu'ils vont se montrer particulièrement sévères et intransigeants envers d'autres, j'en connais ! La parole divine, censée nous apprendre davantage que ce n'est pas l'appartenance à un peuple, à un pays, à une région, à une tribu qui nous sauvera, mais la qualité de notre cœur, a pourtant bien du mal à éradiquer ce mal qu'est la « préférence régionale ». Tiens, il faudrait que je lise La Préférence nationale de Fatou Diome !
Ce mal sait se rendre invisible et se camoufler sous des dehors innocents et bien pensants d'unité nationale. Mais il montre souvent sa tête à la faveur de certaines circonstances. Sur le plan culturel, littéraire, universitaire, qu'en est-il ? J'ai déjà entendu dire que tel professeur n'avait pas été titularisé parce que tel autre, chef de département avait tout fait pour que cela ne se produise pas, car il n'était pas de la même région que lui. Mais je ne suis pas là pour vous rapporter des expériences que je n'ai pas vérifiées, je préfère parler de ce que je sais, de ce que je vis.
Ce que je vis depuis que je tiens ce blog, c'est un élan de générosité et d'amitié pur (accordez ''pur'' avec ''élan''), je veux dire que cet élan n'est pas entaché ou entravé par nos origines respectives : de France, de Côte-d'Ivoire, du Togo, des Antilles, plus récemment du Maghreb, les échanges qui se tissent ici s'enrichissent les uns des autres. Je vais en particulier parler des blogueurs qui viennent du même pays que moi, parce que c'est l'objet de mon propos et aussi parce que ce sont les premiers à m'avoir fait signe sur la toile.
Tenir un blog, un blog littéraire en particulier, c'est comme crier : « Coucou ? Y a-t-il quelqu'un qui veut faire un brin de conversation avec moi ? On pourra parler de livres et d'autre chose » ; c'est comme préparer une maison et laisser la porte grande ouverte pour que les passants qui le souhaitent puissent s'y arrêter, entrer et vous apporter un petit peu de chaleur humaine, de convivialité, même si cela apparaît un peu paradoxal, derrière un écran.
Gangoueus a été le premier à venir chez moi, à prendre le temps qu'il faut pour s'asseoir et partager un moment avec moi. Sachant l'un l'autre qu'on vient du même pays, on prend aussi le plaisir de s'exprimer dans nos langues, sans nous étendre vraiment car on n'aimerait pas que nos échanges soient inintelligibles aux autres internautes. De quelle ethnie il est précisément, je ne saurais vous le dire, et c'est une question sans importance, je veux dire qu'elle ne nous préoccupe pas, ou plutôt qu'aucune circonstance ne s'est présentée jusqu'alors qui a fait que nous puissions évoquer le sujet. Mais je peux affirmer, depuis que je connais son nom de naissance, que nous ne faisons pas partie de la même famille tribale, pourtant on appartient à la même famille, plus solide qu'une famille ethnique, celle des amoureux des livres, mais surtout celle des personnes pour qui l'amitié, l'amour ne sont pas de vains mots. Et moi, quand on me fait une déclaration d'amour et d'amitié, je ne sais pas dire non. C'est mon point faible. Gangoueus est mon frère, parce qu'il vient du même pays que moi, sans doute, mais surtout parce que nous partageons beaucoup de choses, des valeurs, une belle amitié. Et c'est le cas de plusieurs d'entre vous qui venez de temps en temps me rendre visite, d'où que vous veniez. Je vous remercie.
mais je vais vous parler d'un autre frère, parce que lui aussi vient du Congo : Obambe Gakosso. Il a un nom bien du nord, et moi un nom bien du Sud. Pourtant, il ne s'est pas dit : "c'est qui cette Liss ? Elle vient d'où ? N'est-ce pas une fille du Pool ?" Il a au contraire débarqué chez moi sans crier gare et y a pris ses aises. Il est aussi devenu, très vite, mon frère. Je me suis vite sentie à l'aise avec lui. Nos ethnies ou tribus respectives n'ont jamais eu de raison de distiller un malaise entre nous, au contraire elles fortifient notre amitié. On n'hésite pas à échanger dans nos langues.
Je me demande à quoi nous devons que les liens d'amitié qui se sont noués entre nous soient aussi simples et purs : est-ce parce que nous sommes chrétiens ? (Mais j'ai déjà expliqué qu'on en trouve, des chrétiens qui ont encore beaucoup à apprendre du point de vue égalité des hommes, des races, des tribus) ; est-ce à cause de la relation que nous avons avec les livres, car la lecture affine les esprits ? (mais des hommes versés dans les lettres et les sciences qui ont fait reculer l'humanité, il y en a aussi) ; est-ce parce que nous sommes blogueurs ? Les blogueurs passent leur temps à se faire des déclarations d'amitié, ils sèment l'amour et le partage partout où ils passent (Mais des blogueurs qui se déclarent la guerre il y en a aussi). Alors pourquoi ?
Avec ces frères, nous échangeons aussi par mail, et là Obambe ne se retient pas d'utiliser nos langues pour exprimer certaines choses. Il m'a contactée récemment pour une petite interview, et il terminait son mail en disant « Sala bubote », une formule en lari (la langue de ma famille tribale si je puis m'exprimer ainsi) qui pourrait correspondre à « porte-toi bien ». Ce n'est pas la première fois qu'il inserre des expressions lari dans ses propos, je l'ai donc taquiné, en disant : « Dis-donc, tu es un vrai lari toi !» Et j'ai ajouté : « Tu sais, ça fait tellement du bien de savoir qu'il y a (encore) des gens qui ne s'embarquent pas dans des réflexions tortueuses du genre : cette langue est-ce MA langue, est-ce celle de ma région ? etc... du moment que c'est une langue du Congo, c'est aussi la sienne. Aujourd'hui on marche parfois sur des oeufs lorsqu'il faut s'adresser à un compatriote, alors qu'il y a quelques années, ce genre de questions ne se posait même pas. En classe, on s'en foutait de qui était d'où et de qui parlait quelle langue... Bon allez, je te laisse. Bon week-end ! »
C'est de la réponse qu'il m'a faite que m'est venue l'idée de cette petite réflexion sur les langues comme barrière ou comme trait d'union. Avec son autorisation, je publie sa réponse :
Moi, un vrai lari ? Le mot est faible, car même si avec le temps, je ne suis plus en mesure de discuter deux minutes d'affilée sérieusement en lari, cette langue reste dans ma tête, gravée comme la 3e ou a 4e qui a commencé à s'instiller en moi petit à petit, ma chère sœur.
La 1ère étant le français. Mes parents, en bon colonisés, et comme beaucoup
de ressortissants congolais, non-originaires du Pool et vivants dans une
grande ville (Mfoa notamment, où je suis né), ont estimé à tort, qu'il fallait d'abord m'apprendre le français. Alors que ma mère parle un excellent embosi, un lingala parfait et un kikongo qui me fait pâlir d'envie. Mon père de son côté aurait pu m'apprendre l'embosi que son père et sa mère lui ont appris aussi, dès sa venue au monde. Il aurait pu aussi m'inculquer des rudiments de gangulu, de téké et de mbéti, des langues qu'il a apprises au fil du temps et de ses rencontres. Mais rien de tout cela. Je ne te parle même pas du lingala et du kikongo qu'il maîtrise aussi.
C'est ainsi qu'en s'installant au Camp du 15 août 1963 dans un immeuble en face de l'Hôpital militaire de Mfoa, j'aurais pour voisins dans cet immeuble : trois familles lari, une famille bémbée et une famille vili. Je ne te parle même pas des autres voisins dans les petites maisons derrière les immeubles. Dans de telles conditions, comment ne pas apprivoiser le kikongo et le lari ? A la maison, on parlait français, pendant que les parents eux parlaient en embosi. Et quand j'allais chez les autres, c'était soit le lari, soit le kikongo et j'apprenais. Bel univers qui, je me demande encore s'il existe en 2010.
Nous avons détruit ce pays.
Il n'était certes pas parfait, mais on y vivait, on s'y côtoyait sans chercher à s'emmerder (lemvuaku)*, sans arrière-pensées.
A Ouénzé où nous irons habiter après, à droite, famille lari, à gauche, deux familles lari, en face des « Kongo de Boko » comme on dit (parents très proches du très grand Nsoni Za Buta Nsi* et chez eux, avec un grand que je considérerai à jamais comme mon propre grand frère, tant il m'aimait et me parlait, m'engueulant comme ses frères de sang). Bref !
Je ne vais pas t'abîmer les yeux avec ça.
Le Congo est un peu ce que le peuple en a fait, beaucoup ce que les élites politiques en ont fait. Que chacun, là où il est fasse en sorte que, à défaut d'en faire un paradis, nous y vivions mieux, en parlant les langues qu'on a envie de parler, en parlant aux gens le plus naturellement du monde, sans chercher à savoir si leurs arrières grands-parents viennent du bon coin ou pas. quand un oncle ensorcelle son neveu, ne sont-ils pas du même sang ? Alors, pourquoi craindre celui qui est censé avoir un nom pas bien ou une langue dont on se méfie sur je ne sais quelles bases ?
Wa baka zoba, buéta ntu.
Murété, mbiji sangui to mbiji mamba ?
Kia bueso kimo
Ngulu bakala ba na mbélé*
Et peut-être mon préféré en lari : « Nienge ntubasani we mfwiswa meso ».
Bref ! ne me pose pas de questions, j'ai oublié une bonne partie de mon lari.
Le lari est ma langue, comme celle de mes frères et sœurs avec qui j'ai grandi au Camp du 15/08/1963. Elle n'appartient ni au Pool ni aux natifs de cette région. C'est comme la façade d'une maison, elle appartient à celui qui la regarde. C'est comme ton fils, il ne t'appartient plus dès qu'il sort de ton sein !
Bon, j'en ai trop dit là, n'est ce pas ? Je vais devoir m'arrêter.
Pour finir (c'est vraiment la fin) : « Tu sais, ça fait tellement du bien de savoir qu'il y a (encore) des gens qui ne s'embarquent pas dans des réflexions tortueuses du genre : cette langue est-ce MA langue, est-ce celle de ma région ? etc... du moment que c'est une langue du Congo, c'est aussi la sienne » C'est une maladie, mais nous finirons par en guérir. Si ce n'est pas de mon vivant, nos enfants répareront les choses.
Ton frère, Obambé
Lexique :
*Lemvuaku : « pardon » (pour la familiarité du terme).
*Nsoni za buta nsi : Obambe parle de Soni Labou tansi (c'était son nom, avant qu'il le transforme en Soni Labou Tansi, son nom de plume)
* « Wabaka zoba bueta ntu » et suivants : série de proverbes en lari.

samedi 1 mai 2010

La Fuite des Cerveaux africains, de Gaston-Jonas KOUVIBIDILA

Nous sommes nombreux, originaires d'Afrique, à nous retrouver dans les pays occidentaux, ou bien à vouloir nous y installer, pour une durée plus ou moins longue. Nous sommes nombreux, occidentaux, à trouver trop importante la proportion d'étrangers dans nos pays. La question de la mobilité des personnes d'un pays à l'autre, d'un continent à l'autre, nous interpelle donc tous. Nous avons chacun notre parcours, notre position, notre point de vue par rapport à cette question. Voici par exemple ce qu'a déclaré André MANOUKIAN, animateur de l'émission « Nouvelle Star » sur la 6, dans le quotidien Métro du 13 avril 2010 : « L'immigration en France, c'est tout un paradoxe. On nous explique que c'est positif pour la natalité, qu'on en a besoin pour la main-d'œuvre. Et puis en période électorale, on fait les pires amalgames pour maintenir la peur. »

Derrière les parcours individuels, quelles similitudes ? Quelles différences ? Comment les Etats occidentaux réagissent-ils face à ces flux migratoires ? Voilà des questions auxquelles Gaston-Jonas KOUVIBIDILA se propose de répondre dans La Fuite des Cerveaux Africains, ouvrage sous-titré Le drame d'un continent réservoir, qui vient de paraître chez L'harmattan.

C'est un livre qui a le mérite de constituer une solide source d'information, notamment en ce qui concerne les différentes politiques d'immigration menées dans les pays d'accueil. Une bonne partie du livre y est consacrée avec, en bonne place, le cas de la France. Voici un extrait :

« De toute manière, à cause de la misère et de la pauvreté grandissantes dans les pays du Sud (notamment en Afrique), des crises politiques à répétition et du réchauffement de la planète, pour lesquels le Nord est en grande partie responsable, n'en déplaise à ceux qui n'y voient que victimisation alors que c'est la vérité, la France sera obligée, si elle veut encore faire partie du club des grandes puissances d'ici à 2050, de ne plus prendre des lois aux relents nationalistes, qui font fi de la mondialisation qu'elle appelle d'ailleurs de ses vœux sur le plan commercial. La confusion faite par le président Sarkozy, le 23 avril 2008 dans son interview télévisée, entre la régularisation que demandent les sans-papiers, qui travaillent et payent des impôts, et la naturalisation, qu'ils ne demandent pas, en dit long et semble dénoter une navigation à vue inquiétante, malgré ses affirmations péremptoires. » (La fuite des cerveaux africains, p. 75)
Tous les gouvernements, malgré les différences, tendent vers la politique de l'immigration choisie, ce qui a des conséquences dramatiques pour l'Afrique dont le sous-développement s'accentue. La fuite des cerveaux apparaît, non plus seulement comme une conséquence du sous-développement, mais également comme une de ses causes. Cela est très palpable dans le domaine de la santé : espérance de vie réduite, mortalité infantile importante par exemple sont des maux qui sont entretenus par le manque de personnel soignant qualifié. En l'absence de conditions de travail adéquates, les infirmiers et médecins préfèrent aller exercer à l'étranger.
Que la politique menée par les pays occidentaux creuse le sous-développement en Afrique est une chose, mais les dirigeants africains sont mal placés pour incriminer sans cesse l'occident, car ils sont tout autant responsables, sinon plus. Parmi les causes qui génèrent l'immigration, on peut citer par exemple : « instabilité des régimes et des institutions administratives, insécurité des biens et des personnes, persécution des intellectuels ou des opposants pour leurs idées, pauvreté, corruption généralisée, etc. » (p. 183)
Gaston-Jonas KOUVIBIDILA propose des solutions. En effet, de part et d'autres, des choses pourraient être faites pour endiguer la ''fuite des cerveaux''. Dans les pays de départ, créer les conditions pour encourager à rester sur le territoire ou à y revenir. Certains pays comme le Maroc, l'Ethiopie, le Nigéria… l'ont déjà tenté. Au niveau des pays d'accueil, « mettre en place des visas à entrées multiples favorisant la circulation des cerveaux » (p. 185) entre autres. Parmi les solutions proposées par l'auteur, un accent particulier est mis sur la diaspora africaine, vue comme un « vivier de compétences » (P. 199)
« Les membres de la diaspora réfléchissent à des formes de retour possibles pour contribuer au développement du continent africain, en convertissant leur savoir en capital économique. Aujourd'hui, plus qu'hier, ces Africains sentent qu'ils ont une mission vis-à-vis de l'Afrique : faire quelque chose, en urgence. » (p.203) Mais il faut signaler les difficultés rencontrées par ceux qui veulent investir dans leur pays d'origine, monter des projets là-bas, et cela commence par « la jalousie d'un ami, d'un voisin ou d'un membre de la famille, qui a tout raté dans sa vie, et capable de pires choses pour provoquer l' échec du projet. (p. 205)


Bref, voici un livre qui questionne et met en question l'immigration ou plutôt la fuite des cerveaux.


G.J. Kouvibidila, La fuite des cerveaux africains, L'Harmattan, décembre 2009, 274 pages. 24,5 €.