mardi 8 juillet 2008

Tels des astres éteints, de L. Miano

publié sur grioo.com
Léonora MIANO a la ferme intention d’être un astre qui diffuse sa lumière dans le ciel des belles lettres. Dès L’Intérieur de la nuit, publié en 2005 chez Plon, elle avait retenu l’attention de ceux qui suivent l’actualité littéraire. Nul ne pouvait plus l’ignorer avec l’obtention en 2006 du Prix Goncourt des Lycéens pour Contours du jour qui vient, chez le même éditeur. L’action de ces deux premiers romans se passait en Afrique, avec une présentation des choses qui a pu faire polémique, notamment du point de vue des Africains. Elle revient cette année avec Tels des astres éteints, prenant à bras-le-corps dans ce roman ce qu’on pourrait appeler la « question noire » : comment le Noir est-il perçu ? Comment se perçoit-il lui-même ? Pourquoi les êtres humains ayant la peau la plus foncée du monde semblent-ils avoir plus de mal que d’autres à tisser la toile de leur vie ?

On aura remarqué le changement qu’opère Miano dans ce troisième roman : changement de cadre géographique et j’ai envie de dire d’optique : Alors qu’elle s’était précédemment assignée comme tâche de dénoncer les attitudes, les comportements qui font que l’Afrique s’enfonce elle-même dans une nuit qui semble interminable, elle veut plutôt dans ce dernier roman faire prendre conscience de la valeur de l’être humain, de la valeur des Noirs qui sont des êtres humains comme les autres. Ce sont des astres. S’ils semblent ‘‘éteints’’, il importe pour eux de retrouver l’éclat qu’ils ont perdu, qu’ils recherchent ou qui est tout simplement dissimulé. Face à ce changement, une constante demeure dans les romans de Léonora Miano : l’éclat du verbe.

A travers l’histoire de trois personnages : deux natifs d’Afrique, Amok et Shrapnel et une antillaise, Amandla, le lecteur découvre comment la vie d’un Noir en Europe (d’où qu’il vienne), comment les choix qu’il peut faire, les liens qu’il peut nouer avec les autres, mènent nécessairement au bord de pentes escarpées. En effet rien n’est simple quand on se demande qui on est vraiment et qui l’on veut être. Peut-on véritablement choisir sa vie dans un environnement où même le droit à la parole vous est refusé ?

Le mépris des Noirs et de tout ce qui les caractérise est à ce point généralisé qu’il a gagné même les Noirs eux-mêmes. L’auteur aborde tous les sujets : coiffures féminines à l’européenne, dépigmentation de la peau dont Biyaoula fait une critique féroce dans son inoubliable Impasse. On peut aussi évoquer, comme parenté avec ce roman, la relation complexe avec la mère, thème constant dans les romans de Miano. Aligossi, la mère d’Amandla, connaît une enfance et une jeunesse semblables à celles de Kala, le héros de L’Impasse, qui fut rejeté par sa mère à cause de sa peau trop sombre.
Les ghettos urbains, la discrimination à l’emploi, les semblants d’efforts consentis par les pouvoirs publics pour que les ‘‘minorités’’ soient visibles, à la télé par exemple avec la nomination d’Harry Roselmarck pour le JT de 20h sur TF1, la création du Musée du quai Branly, les mouvements pour la revalorisation des Noirs, les associations de lutte contre le racisme... Tout passe par le regard critique de la romancière.

L’une des grandes qualités de ce roman, c’est la diversité de points de vue. Il n’est pas d’argumentation, aussi savamment menée soit-elle, qui ne se trouve confrontée à une argumentation opposée. Cela se voit d’ailleurs à travers le jeu de croisement de regards qu’on observe dans une partie du roman, où la même scène est successivement décrite par les différents personnages, jeu sur lequel Emmanuel Dongala a construit Johnny Chien méchant.

L’autre élément qui fait la force de ce roman, c’est l’accompagnement musical qui le sous-tend. Le jazz en particulier. Celui-ci rythme le texte, règle ses respirations. Cette célébration du jazz m’a rappelé Trop de soleil tue l’amour, de Mongo Beti.

Bref Littérature et Musique fusionnent dans ce roman pour offrir au lecteur un texte poétique. Un texte philosophique aussi, car il interroge le sens de l’existence, de l’humanité. Il oblige à un face à face avec ses faiblesses, ses compromissions, ses blessures intérieures... C’est un roman profondément humain, qui n’a pas pour prétention de donner LA réponse. Il n’est pas aisé de cerner La thèse défendue par l’auteur. Elle est à débusquer dans les propos des différents protagonistes. Au lecteur de choisir SA vérité, de se forger son opinion. L’essentiel étant de laisser s’exprimer toutes les voix.
Au fond Léonora Miano veut simplement dire que nous sommes tous des hommes, quelle que soit la terre qui porte nos pas, nous avons tous une vie à remplir, remplissons-la avec le meilleur de nous-mêmes.

12 commentaires:

GANGOUEUS a dit…

J'attends la sortie au format de poche de ce livre et je vais affuter mon crayon à papier pour le travailler sérieusement.

Très beau commentaire.
Je te propose un podcast réaliser par Wrath avec Léonora Miano à l'occasion de la sortie de ce roman :
http://wrath.typepad.com/wrath/2008/02/podwrath-lonora.html

L'interview est agressive, mais très instructive sur le travail de création de l'auteure camerounaise.

Mon objectif pour 2008 sera d'attaquer enfin Contour des jours qui vient

Liss a dit…

Dis donc, Gangoueus, tu es un vrai chercheur, merci pour le lien, très intéressante la vidéo, et très révélatrice de la réaction des lecteurs, notamment français. Moi j'avais juste vu la vidéo accessible sur son site. Je fais souvent comme toi pour les livres que je souhaite avoir : j'attends la sortie en poche. Mais je peux d'ores et déjà te dire que ce 3e roman est celui des trois que je préfère.

pagesapages a dit…

Je n'ai lu d'elle que Soulfood équatoriale, c'est très court, mais vraiment bien. Ton billet m'encourage à explorer d'autres livres. Chouette !

Liss a dit…

Salut pagesapages,
Soulfood équatoriale, je n'ai pas lu, ce doit être une de ses nouvelles ? tu es bien placé pour m'en apprendre davantage. En tout cas je t'encourage à lire Miano, je pense être sûre que tu ne le regretteras pas, si ce n'est la trame de l'histoire ce sera la beauté du texte qui t'enchantera.

Obambé a dit…

De tous ses livres, c’est sans hésiter mon préféré.
En lisant d’un bout à l’autre ce roman, la partie qui m’a le plus touché est celle où le mort « rencontre » de grandes figures africaines disparues qui s’interrogent, qui interrogent les nouveaux arrivants sur les échecs depuis leurs départs de la Terre des Hommes. J’avoue que j’ai été ému au plus haut point et cela devrait aiguiser un peu plus nos réflexions sur les héritages de ces « pères » et pairs.
J’attaque en fin de semaine son dernier bébé, "Les aubes écarlates", toujours chez Plon.

Obambé

Liss a dit…

Salut Obambé,

J'ai moi aussi apprécié cette métaphore de la vie après la mort ou de la suite de la mort, à la fin du roman. Tous ceux qui combattent au nom d'un tel, est-ce qu'ils se sont posés la question de savoir ce qu'en pense, ou en penserait cet un tel ? Pour moi également, ce 3e est mon préféré, je verrai si c'est toujours le cas quand j'aurai lu Les aubes.
J'en profite pour te souhaiter d'excellentes fêtes de fin d'année.

Obambé a dit…

Hello Liss,

C’est vraiment la lecture de ce 3e roman qui m’a amené à lire les 2 1e qui ont reçu de superbes critiques aussi bien des pros (même si…) que de certains lecteurs autour de moi. Les 2 1e n’ont rien à voir avec le 3e. Et c’est peut-être aussi ce qui fait la force de l’écriture de cette dame qui n’hésite pas à jeter de gros pavés dans la mare. La musique, ah ! la musique ! Je relis très rarement les romans, mais je pense que celui-ci, dans 2 ans au grand max, je le relirai. La rencontre entre cette Caribéenne et ce jeune africain (Kamerunais ?) est tout simplement un moment exceptionnel. Bien raconté. Et puis, mon petit côté sadique aime bien ces histoires très complexes, compliquées, entre les non-dits de l’un et les attentes plus ou moins effrénées de l’autre (souvent la femme d’ailleurs, étrange, isn’t ?).

Buanana 2010 à toi et aux lecteurs de ton blog. J’ai vu que tu as posté un truc sur Tati Loutard : eh ! ben, tu performes (si je puis utiliser cet horribles néologisme)!

Obambé

Françoise a dit…

bonjour,
moi je l'ai trouvé vraiment complexe ce livre, très noir, c'est celui que j'aime le moins de Léonora Miano, mais j'ai l'impression que c'est celui qui laisse le moins indifférent et que on l'aime beaucoup ou bien ça passe difficilement.En tous les cas, on y retrouve cette écriture magnifique, commune à tous ses livres .

Liss a dit…

On est d'accord sur deux choses, chère Françoise : l'écriture de cette auteure est magnifique, et aussi ses livres ne laissent pas insensibles, pas seulement ce 3e, mais tous, il me semble : ils ne s'oublient pas. Que ça nous dérange ou que ça nous épate, les lectures de Miano marquent. Ceci dit, je n'ai pas encore lu les aubes écarlates ni le tout dernier Blues pour Elise, je parie que tu es en avance sur moi, tu as sans doute goûté ces deux derniers romans, comment les as-tu trouvés ? J'ai juste lu la critique de Gangoueus sur ces deux-là...

Françoise a dit…

Bonsoir Liss,
il n'y a pas longtemps que j'ai découvert Léonora Miano, et c'est très bien, il me reste quelques livres à ....savourer.J'ai commencé sa trilogie par le dernier, les aubes écarlates, très dur mais vraiment ça m'a donné un choc, ensuite j'ai lu le premier (pas très logique mais j'aime la contradiction !), qui est pour un premier roman un chef-d'oeuvre abouti, il me reste à lire "contours du jour qui vient" .Mais de tous celui que je préfère , même s'il peut sembler moins polémique , c'est "blues pour Elise", un pur régal avec l'écriture subtile et sans la rage à laquelle elle nous a habitué (c'est mon point de vue qui n'engage que moi !). As-tu remarqué le point commun dans le choix des titres : jour, aubes, astre, nuit....? j'aime cette femme engagée qui ne mâche pas ses mots et qui cache sous une couche de colère une sensibilité profonde !

Liss a dit…

Moi c'est plutôt une logique à l'envers : j'ai lu les trois premiers romans et ma préférence va dans l'ordre décroissant : le 3e d'abord, le 2e puis le premier. Je me souviens d'une émission littéraire (n'était-ce pas Vol de nuit ?) où l'un des écrivains invités chantaient les louanges des Contours du jour qui vient au lieu de parler de son propre roman, c'est dire combien l'écriture de Miano est belle.

Là, je suis perdue, Françoise, va falloir m'aider : par lequel je commence, entre Blues pour Elise, Photo de groupe, Si tu cherches la pluie, Celles qui attendent... et tous les autres romans qui m'attendent ? Tu ne me facilites pas la tâche en me mettant de si belles lectures sous le nez !

Françoise a dit…

Les trois premiers cités sans hésiter, je ne peux pas les classer ils sont indispensables, en intercalant celui de Yahia Belaskri entre les deux autres parce qu'il est très dur et il faut s'accrocher! celui de Fatou Diome est très bien aussi, mais je l'aime un peu moins, la fin est trop tirée par les cheveux.Mais je pense que Gangoueus ne serait pas de mon avis !