jeudi 8 janvier 2009

Le Roi de Kahel, de Tierno Monénembo

Les prix littéraires, on en dira ce qu’on voudra, mais ils ont indéniablement le pouvoir de nous pousser, de nous jeter de force sous la tente d’un auteur, à nos risques et périls bien sûr : qu’on soit ébloui par le décor intérieur, simplement surpris ou qu’on se sente carrément trahi, les impressions varient d’un individu à l’autre. Des romans primés et encensés par la critique qui nous laissent pourtant indifférents, je crois que chacun de nous peut en citer au moins un.
Avec Le roi de Kahel de Tierno Monénembo, Prix Renaudot 2008, j’acclame le choix du Jury. Voilà un roman passionnant et qui nous fait découvrir un écrivain de talent.

Nous sommes aux premiers temps de découverte de l’Afrique par les Occidentaux, alors que ceux-ci sont encore aux négociations avec les autochtones, recherchant la faveur, l’accord des dignitaires pour l’occupation du sol, le commerce etc. La colonisation se profile à l’horizon. Français et Anglais rivalisent d’habileté pour s’octroyer tel ou tel autre territoire. Au milieu de ce beau monde, un homme se lève et tente d’aller conquérir seul un territoire : le Fouta-Djalon, car il rêve de s’y tailler un royaume à la mesure des rêves de gloire qui l’habitent depuis toujours, il veut être le ‘‘roi de Kahel’’.
Plus qu’un rêve, c’est un appel qui déclenche chez lui l’aventure, l’appel de l’Afrique, une Afrique qu’il entrevoit comme étant le « centre du monde » des temps futurs :

« Alors, depuis ses palais de Kahel, lentement, de la même manière que la lèpre gagne le corps, sa puissance et sa gloire s’étendraient, paillote par paillote, tribu par tribu, savane par savane, forêt par forêt, sur le continent tout entier. D’abord les Peuls, puis les Bambaras, les Songhaïs, les Mossis, les Haoussas, les Béribéris, les Bantous, tous les Nègres de la terre avec ou sans balafres, avec ou sans turban, avec ou sans os au travers du nez. Arrachés à leur jungle et à leurs ténébreuses pensées, ces sauvages auraient suffisamment goûté à l’algèbre et aux mets délicats, à l’architecture et aux théories de Platon, avant que sous la poussée inéluctable de l’évolution les climats ne se dérèglent, que les glaciers de la Laponie n’envahissent le Languedoc et que les pauvres petits Blancs affolés ne courent se réchauffer près de l’Equateur. L’Afrique serait alors le centre du monde, le cœur de la civilisation, la nouvelle Thèbes, la nouvelle Athènes, la nouvelle Rome et la nouvelle Florence tout à la fois. Et ce serait ce nouvel âge de l’humanité qu’il avait pressenti bien avant les autres et dont les bases auraient été jetées par son génie à lui. » (p. 67)

Ce visionnaire, c’est Aimé Olivier de Sanderval. Ce n’est pas un personnage fictif. cet homme qui voulut conquérir l’Afrique de l’Ouest pour son propre compte a réellement existé. L’auteur a eu recours aux archives familiales et départementales pour écrire son livre. Roman historique donc, « biographie romancée » selon la quatrième de couverture, le défi pour l’auteur était de pouvoir se mettre dans la peau des personnages, côté africain aussi bien qu’européen, et savoir restituer avec justesse les mentalités, les enjeux, éviter les lieux communs... en somme être capable de muer pour représenter concomitamment deux cultures, deux visions de la vie et de l’avenir aussi différentes. Je crois que le pari est réussi.
Le récit se saisit du lecteur dès les premières pages et ne le relâche qu’à la fin. C’est une captivité d’autant plus agréable qu’elle est agrémentée d’humour, relevée d’une pincée d’ironie, le tout servi dans une langue de qualité. Tierno Monénembo se révèle à nous dans ce roman comme un maître de l’écriture.

Le Roi de Kahel, un roman à lire !

4 commentaires:

GANGOUEUS a dit…

Très beau commentaire qui excite les papilles du lokosso que je suis (rires!).

Après la lecture de l'ainé des orphelins, j'ai découvert un très grand auteur. Je pense entreprendre ma prochaine lecture avec Peuls avant d'aborder le Roi Kahel.

Merci pour cette présentation.
@+

Liss a dit…

"lokosso", ça fait longtemps qu je n'avais pas entendu ce mot ! Je n'en ai pas non plus fini avec Monénembo, il faudrait, dès que je pourrai, que je lise "Peuls", qui est apparemment une oeuvre admirable d'après la présentation d'Hervé (Ballades et escales), et je n'en doute pas, j'ai passé un agréable moment avec "Le roi de Kahel".
Merci de ta visite, Gangoueus.

Nico a dit…

Je n'ai pas lu ce roman, mais du même auteur, j'avais apprécié L'aîné des orphelins.

Liss a dit…

Dans l'ensemble, je n'ai entendu que du bien de cet auteur qui a une belle plume. J'espère lire l'aîné des orphelins un jour. Merci de ta visite, Nico.