mardi 29 décembre 2009

Reconnaissance

La fin de l’année, ou le commencement d’une nouvelle année est souvent, pour nombreux, l’occasion de faire un bilan. Bilan de ce qu’on a fait, de ce qu’on n’a pu faire. De ses réussites, de ses échecs. De ce qui nous est arrivé de bien durant l’année écoulée. De ce qu’on a reçu de la vie. D’aucuns diront, en effet, qu’ils sont reconnaissants à ‘‘la vie’’ de leur avoir accordé tant de bienfaits. D’autres, et je fais partie de ceux-là, diront « Dieu » à la place de « la vie ». Et, au-dessus de tout, nous avons reçu la vie, en don. Si nous avons eu des sujets de peine, et nous en avons eu, c’est certain, nous ne les appellerons pas des ‘‘malheurs’’, nous dirons des ‘‘épreuves’’, car si nous sommes debout en 2010, c’est bien que nous sommes allés au-delà de ces peines.

On est debout aussi parce qu’on est entouré, parce que la coupe de l’amitié nous a été tendue, et on y boit ; j’y ai bu avec beaucoup de reconnaissance. Je remercie tous ceux qui ont laissé ici les témoignages de leur amitié. J’espère que 2010 nous réservera autant sinon plus d’échanges, plus de lectures, plus de découvertes.

Pour terminer, puisque je parlais de bienfaits et d’épreuves tout à l’heure, je suis allé farfouiller dans mes gribouillis de jeunesse (enfin je n’étais plus si jeune, j’avais déjà plus de 20 ans – c’est plus vieux que Rimbaud avec ses prouesses de 16 ans), et je soumets à votre analyse ce texte daté du 1er janvier 1999, il y a dix ans donc. Ce sont les propos d’une jeune fille qui, en ce premier jour de l’année, se tourne vers son Créateur pour lui dire sa reconnaissance et lui demander pardon de ses imperfections.



Je viens encore à toi
Te présenter ma foi

Je sais que tu es bon
Et que tu ne dis jamais non
Quand on implore ton secours
Tu veilles sur nos jours
Tu fais aboutir nos projets
Tu nous accordes mille objets
Quand je t’appelle
Tu réponds
Quand je te cherche
Je te trouve
Quand j’ai du chagrin
Tu m’ouvres les bras
Et je m’y réfugie
Ta divine présence
Consume ma tristesse
Et mon cœur est en liesse

Quand mon cœur est en liesse
Prier est une lourde tâche
Quand l’arbre de la réussite
Abrite mes entreprises
Je te néglige
Quand tout va bien
Je t’oublie
Que l’alarme sonne
Me voilà les genoux au sol
Ô ingrate créature humaine
Ta dévotion n’est pas saine

Dieu de miséricorde
Je veux que tu sois
La fleur la plus belle
Dans le jardin de mes pensées
Je veux que tu m’aides
A t’être fidèle
A te donner la première place
Toujours.


Buanana 2010 !

mardi 22 décembre 2009

Mer et Ecriture chez Tati Loutard

Je m'étais promis, à l'annonce de la disparition de Tati Loutard, de lire son dernier roman et faire un papier dessus pour lui rendre hommage, à ma manière. Voici plusieurs mois qu'il est parti et je n'ai toujours rien fait. Par contre j'ai appris, grâce à un détour chez Gangoueus, que Cultures Sud et L'harmattan avaient fait le nécessaire. Et comme je n'ai pu me joindre au débat, je mets en ligne le seul article en relation avec le poète que j'ai en ma possession : la critique de la critique de Noël Kodia. J'explique : celui-ci a publié, il y a quelques années, un ouvrage sur l'oeuvre de Tati-Loutard, et je l'avais présenté sur mon ancien blog.
Que vaut une œuvre sans lecteur ? Une œuvre vit parce qu’elle est lue, parce qu’elle fait l’objet de commentaires, de réflexions… Et il y a d’autant plus de lecteurs autour d’une œuvre que celle-ci est mise en lumière par un lecteur plus minutieux que d’autres. Ainsi, il y a ceux qui écrivent des romans, des poèmes, des pièces de théâtre, et il y a ceux qui les mettent en lumière. Noël KODIA-RAMATA fait partie de ces derniers.

Le terme ‘‘lumière’’ a ici tout son sens, toute son ampleur. En effet les critiques, en mettant à disposition du public des études, des analyses de textes, non seulement oeuvrent pour que la littérature ne soit pas un mets réservé aux universitaires qui seraient seuls capables d’en percevoir les saveurs ; mais aussi, ils contribuent à faire connaître les auteurs et leurs œuvres, ils les sortent de l’ombre du silence. Et il faut avoir une certaine dose de générosité pour le faire. Ainsi nous apparaît Noël KODIA : un homme généreux. Il s’est spécialisé dans la littérature congolaise, car, il faut le dire, la littérature est tellement vaste ! On peut être un lecteur libre et goûter, croquer, mordre ici et là selon son plaisir, mais si en plus on souhaite s’adonner à la tâche exigeante, rigoureuse de critique littéraire, on est, pour être efficace, amené à se tailler un cadre dans cette vaste littérature.

Noël KODIA fait partie de ceux – et il y en a peu – qui connaissent dans toute sa profondeur, dans toute sa diversité, la littérature congolaise. Depuis de nombreuses années, il la décortique, la presse pour en recueillir le jus et le proposer aux lecteurs qui ont soif d’en savoir un peu plus sur les auteurs du Congo-Brazzaville. Bref il n’est pas de production écrite de congolais qui ne soit passée sur la table d’examen de Noël KODIA. D’ailleurs il prépare un Dictionnaire des œuvres littéraires congolaises (romans, récits et nouvelles). Ses études, qui concernent aussi la politique et la société africaine, paraissent dans des revues, sur des sites Internet ainsi que dans des ouvrages. Mais il a aussi essayé de passer de l’autre côté de la barrière en publiant un roman : Les enfants de la guerre.
Noël KODIA est Docteur en Littérature française de l’Université Paris IV Sorbonne. Il a enseigné les littératures française et congolaise à l’Ecole Normale Supérieure de Brazzaville.


Mer et écriture chez Tati-Loutard : de la poésie à la prose

Qui ne connaît Jean-Baptiste TATI LOUTARD ? En Afrique comme ailleurs, le monde des Lettres voit en lui un porte-étendard de la poésie africaine, pour ne pas dire congolaise. « Après la disparition de Tchicaya U Tam’Si, (J.B. Tati Loutard) apparaît, en qualité comme en quantité, comme le poète le plus fécond du Congo »1, déclare Noël KODIA dans l’avant-propos du livre. Son oeuvre poétique a plus d’une fois fait l’objet d’ouvrages critiques, essentiellement par des universitaires étrangers. Paradoxalement, Tati Loutard est plus cité dans son Congo natal comme étant l’auteur des Chroniques Congolaises, recueil de nouvelles qui a été longtemps au programme des lycées du CONGO. L’approche de la poésie s’avère souvent moins aisée que celle de la prose et, hormis les férus de poésie, on s’y précipite moins. Or celle de Tati Loutard renferme des trésors tels qu’il serait dommage de ne pas oser pénétrer dans son imaginaire. Noël KODIA nous y aide par son livre qui s’intéresse à la fois à la poésie et à la prose de Tati Loutard, démarche qu’il est le premier à accomplir. C’est ce que souligne Dominique MONGO-MBOUSSA dans sa préface à l’ouvrage : « le mérite de Noël KODIA-RAMATA est d’étudier l’œuvre dans sa globalité »2.

Il est en outre le premier compatriote à consacrer une étude à Tati Loutard. Dans Mer et écriture chez Tati Loutard, Noël KODIA-RAMATA prend le lecteur par la main et lui propose une visite guidée dans l’imaginaire poétique Loutardien, en étudiant notamment les thèmes prépondérants, comme la permanence de l’élément aquatique, ainsi que le suggère le titre de l’ouvrage « Mer et écriture ». Dans une seconde partie, ce sont les textes narratifs de l’auteur que Noël KODIA examine, lesquels « reflètent la société congolaise avec tous les problèmes qui la minent. (…) A la manière d’Honoré de Balzac au XIXe siècle dans La Comédie Humaine, J.B. Tati Loutard peut être considéré comme le secrétaire de la société congolaise, dont il a su observer l’évolution des mœurs avec minutie. »3 Il est à noter que les œuvres auxquelles Noël KODIA-RAMATA s’intéresse sont celles publiées de 1968 à 1987. C’est un choix délibéré, car celles qui seront publiées postérieurement, à partir de 1992 pour être plus précis – on notera au passage la pause de quelques années avant que l’auteur ne publie de nouveau – se démarquent radicalement des publications antérieures. A partir de cette date, « la narration et la poésie de J.B. Tati Loutard prennent une autre dimension. »4 Noël KODIA a le projet d’étudier ces œuvres d’après 1992 dans un autre ouvrage. Au regard du travail déjà accompli dans Mer et Ecriture chez Tati Loutard, on ne peut que vivement souhaiter la publication de ce second volet, pour que vibrent à jamais les ondes d’une œuvre riche et dense : celle de J.B. Tati Loutard.

1. Mer et écriture chez Tati Loutard, p. 17
2. Mer et écriture chez Tati Loutard, p.13
3. Mer et écriture chez Tati Loutard, p. 55
4. Mer et écriture chez Tati Loutard, p. 18


ŒUVRES DE NOEL KODIA
I/ Articles divers dans la presse que vous pouvez retrouver dans son blog :
http://blog.ifrance.com/noelkodia
Quelques exemples :
- Le roman congolais de 1954 à 2006 : des prix littéraires qui confirment sa prépondérance au sud du Sahara
- Les romancières du Congo
- Démocratie en Afrique centrale

II/ Ouvrages
- Les enfants de la guerre, roman, Editions Menaibuc, 2005.
- Mer et écriture chez Tati Loutard : de la poésie à la prose, Editions Connaissances et Savoirs, 2006.
A paraître sous peu :
- Fragment d'une douleur au coeur de Brazzaville

mardi 15 décembre 2009

Titus Flaminius, de J.F. Nahmias


J'ai un faible pour les romans historiques, surtout lorsqu'ils savent véritablement ressusciter une époque pourtant ensevelie depuis des lustres. J'éprouve la même sensation que lorsque je me trouve devant une ancienne photographie, celle de mes parents par exemple, ou de mes grands-parents, à une date antérieure même à ma naissance. Quelle magie ! Saisir quelques instants d'un passé qui ne vous appartient pas, un passé auquel vous n'avez pas pris part ! Mais on n'est pas obligé d'aller si loin : comment vous sentiriez-vous par exemple si on vous faisait revivre quelques jours de votre tendre enfance par exemple, dont vous ne pourriez vous souvenir sauf si quelqu'un, qui a été témoin de vos premières années, vous les raconte. C'est un immense privilège, et c'est tellement fascinant !


Jean-François Nahmias a entrepris de faire revivre la société romaine à cette période charnière comprise entre la fin de la république et le début de l'empire. La série qu'il a commencée il y a quelques années, celle des Titus Flaminius, en est à son quatrième tome. J'ai lu les deux premiers, et ça a été deux lectures passionnantes.

Titus Flaminius est un jeune romain de 25 ans environ, de naissance noble, qui décide de devenir détective au service des populations défavorisées, qui n'ont pas la possibilité de mener eux-mêmes des investigations, faute de moyens.

Le tome 1, intitulé "La Fontaine aux vestales", explique comment Titus est devenu détective privé : il perd sa mère dans des circonstances tragiques. Il décide de mettre la main sur l'assassin de sa mère, dont la disparition semble liée avec le vol du diamant que le Consul César a offert à sa maîtresse. Mais très vite se profile une autre piste, celle des vestales, prêtresses vénérées, respectées, vouées au célibat et à la chasteté pendant toute la durée de leur sacerdoce, c'est-à-dire environ une trentaine d'années. Elles sont condamnées à une mort atroce s'il s'avère qu'elles ont enfreint cette règle. Mais voilà : Titus Flaminius s'éprend d'une vestale, ce qui est interdit. En même temps il doit élucider la mort de sa mère, alors que tous ceux qui auraient pu l'aider à voir clair sont tour à tour éliminés par le meurtrier.

Le tome 2, "La Gladiatrice" nous plonge, comme son titre l'indique, dans le monde violent et cruel des gladiateurs. Comment des hommes, comment les peuples d'antan ont-il pu prendre plaisir, tirer même une certaine volupté de ces spectacles d'une cruauté inouïe, une cruauté gratuite, inventée pour le plaisir de voir souffrir ? Et attention : celui qui meurt doit mourir avec art. Titus Flaminius n'hésitera pas à se faire lui-même gladiateur pour élucider des meurtres mystérieux.

Suspense et rebondissements garantis jusqu'à la fin dans ces merveilleux Titus Flaminius.

samedi 21 novembre 2009

La Gazelle s'agenouille pour pleurer, de Kangni Alem

Kangni Alem, c’est Cola Cola Jazz qui nous avait présentés l’un à l’autre. Le souvenir que je garde de cette rencontre ? Celui d’une quête des origines, d'un texte qui joue sur l’oralité et le franc-parler. Depuis, j’ai plus d’une fois eu l’occasion d’apercevoir l’auteur chez des amis bloggeurs ; et ça a été chaque fois pour moi l’occasion de me faire la promesse de le rencontrer de nouveau. J’ai donc pris rendez-vous avec La Gazelle s’agenouille pour pleurer, et nous avons conversé, Kangni Alem et moi, dans un tête à tête que seule sait réserver une œuvre à ses lecteurs.


La Gazelle s’agenouille pour pleurer est un recueil de nouvelles, une douzaine au total, très diverses bien qu’ayant un lien thématique apparent : la violence de l’homme qui brûle en lui toute trace d’humanité, violence du destin qui, dans certaines contrées, se lève poignard au bras et rictus aux lèvres. C’est le revers de la vie dans les pays pauvres. Tenez, l’œuvre peut sans doute être résumée, par cet extrait de « La Déchirade ». Le narrateur écrit à Habib, jeune épouse de son père, devenue sa maîtresse :

« Aujourd’hui je courtise les mots. Bien avant, tu le sais, j’ai eu envie, aux jours de chômage, de devenir chanteur, de faire de la musique, joindre ma voix à celles de Ray Lema ou Miles David et moduler les contours tronqués de la dictature banania blablabla. [...] J’ai ensuite trouvé ce job de veilleur de nuit à la morgue. Est-ce la compagnie des cadavres qui me fit changer de vocation ? Je voulus alors devenir peintre, concasser sur fond de toile, conjurer à l’encre ou à l’acrylique la triste théorie de la quotidienneté tiers-mondiste. Là non plus je n’avais pas le feeling nécessaire pour « créer juste », inventer quelque chose qui diffère des schémas et autres croquis de botanique où j’excellais au collège. » (p. 138)

Dans ce passage réside, à mon sens, le fin mot de ce bouquet de nouvelles : une esquisse de la « dictature banania blablabla » ; une peinture de la « quotidienneté tiers-mondiste ». Chaque texte explore un univers particulier : outre les guerres fratricides et leur conséquence, on peut évoquer la rivalité père-fils, les sectes et le fétichisme, l’enfance, l’immigration...
Les textes sont également différemment construits. J’ai par exemple apprécié la construction éclatée de la première nouvelle « La gazelle s’agenouille pour pleurer », une construction qui mêle littérature et cinéma.

Mes favoris ? Si vous n’avez pas le temps de tout lire ou voulez commencer par des morceaux de choix, je vous conseillerais « La Déchirade », « Le Pet de l’araignée », écrite dans le genre policier, avec une chute digne de ce nom ; et aussi « Le Miroir de l’âme » : justesse de ton, économie de mots. Les phrases sont coupées, coupantes, car la coupure dit mieux la violence. Sur ce point je ne me suis empêchée de faire un rapprochement avec Détonations et Folie. Bref, ce rendez-vous avec La gazelle s’agenouille pour pleurer n’était pas du tout manqué.


Né en 1966 au Togo, Kangni Alem s'illsutre dans tous les genres : théâtre, roman, nouvelle. Il est aussi metteur enscène, comédien, critique littéraire, traducteur, enseignant. Il a reçu le Grand Prix Littéraire d'Afrique Noire en 2003.


La gazelle s'agenouille pour pleurer, Le serpent à plumes, 2003.
Première édition : Editions Acoria, 2001.


samedi 14 novembre 2009

Le Capitaine Fracasse, de Théophile Gautier

Rien de tel qu'une "vâleur sûre" pour vous installer confortablement dans le fort de LA Littérature. Et vous ne voulez pas en être délogé. Vous voulez demeurer là pour le restant de vos jours. A moins d'avoir suffisamment d'attrait pour vous attirer dehors, on ne réussit pas à vous faire sortir de cette forteresse. Seul le temps vous oblige à quitter les lieux. Lui seul en effet est assez puissant, et assez cruel pour vous infliger la douleur de quitter l'univers d'un livre, celui-ci terminé.
***
Figurez-vous un jeune homme d'une vingtaine d'années, dernier descendant d'une noble famille
qui s'est malheureusement ruinée au fil des siècles pour diverses raisons. Le baron de Sigognac, car tel est son nom, se morfond au fond de son manoir décrépit, avec pour seule compagnie celle d'un vieux et fidèle serviteur et de quelques animaux domestiques ; tous reflétant, par leur maigreur et la pauvreté de leur mise, la situation critique du chateau.
***
Un soir, une troupe de comédiens égarés vient demander à passer la nuit au manoir. En homme généreux, le baron de Sigognac ne leur refuse pas l'hospitalité. Il déplore seulement de ne pas pouvoir les recevoir dignement, il n'a pas de provisions de bouche, et la couche qu'il leur offre est bien ingrate. Mais qu'importe ! Les comédiens sont bien contents d'être à l'abri des intempéries. Et eux ont des victuailles qu'ils partagent avec les habitants du manoir. Ainsi le baron offre le gîte, et les comédiens le couvert.
C'est le commencement d'une nouvelle vie pour Sigognac. Sa jeunesse, qui s'étiolait dans la solitude, se réveille soudain au contact de ces hôtes imrévus, d'autant plus qu'il y a parmi eux une jeune comédienne, celle qui joue le rôle de l'ingénue, Isabelle, qui allume dans son coeur quelque chose qu'il va découvrir comme étant la flamme de l'amour. Forts de leur expérience, les comédiens proposent à Sigognac de ne pas rester là à attendre la ruine complète de son château et avec elle l'extinction de son nom. Il doit faire quelque chose : aller par exemple à Paris où réside le Roi, dans l'espoir que celui-ci se souviendra peut-être de la fidélité des Sigognac et offrira au dernier descendant de cette illustre famille, la possibilité de retrouver, si ce n'est la prospérité d'antan, du moins une certaine aisance. Mais comment Sigognac peut-il se rendre à Paris, la ville lumière, où tout et tous brillent, dans l'indigence qui est la sienne ?
Comme il est poète et cultivé - ce que fut le cas de Gautier lui-même -, les comédiens lui suggèrent de faire partie de leur troupe et de retoucher les pièces qu'ils jouent. Plus tard, lorsque l'un des membres de la troupe diparaît, il accepte de prendre un rôle dans la troupe. Sigognac devient le capitaine Fracasse. Réussira-t-il à redorer son blason ? Mais surtout son amour pour Isabelle connaîtra-t-il une fin heureuse ? Celle-ci l'aime autant que lui, mais elle souffre les assiduités d'un jeune Seigneur, riche à souhait, qui aime voir tout le monde à ses pieds, même les femmes, et Isabelle lui résiste.
***
Voici une oeuvre qui comblera les âmes romantiques, qui instruira celui qui veut connaître les dures conditions du métier de comédien il y a quelques siècles. Et surtout, si vous être friand de descriptions admirables, vous serez servis.
L'amour et l'amitié, y compris l'amitié des animaux, la haine et la jalousie, la lâcheté et la dignité, la simplicité et l'orgueil, la fidélité, la vaillance, les coups d'éclats, l'éclat de la langue classique... tout y est pour passer un très bon moment de lecture. Le dénouement est inattendu, non pas dans la fin, qu'on devine heureuse, mais dans la manière dont celui-ci se met en place : suspense et retournements de situation jusqu'au bout.
***
Théophile Gautier (1811-1872) connu surtout pour ses nouvelles fantastiques, fut un excellent critique littéraire, initiateur de la théorie de l'art pour l'art. Il était également le poète dont Baudelaire se déclare "le plus dévoué, le plus respectueux et le plus jaloux des disciples". Pour lui, c'était un "parfait magicien ès Lettres Françaises" (Dédicace des Fleurs du Mal). Et on lui donne raison, quand on lit le Capitaine Fracasse.

samedi 17 octobre 2009

Crime et Châtiment, de Dostoïevsky

La liste des livres préférés des Français m'a fait penser à mes propres lectures préférées. Crime et Châtiment en fait partie. Cela m'a donné envie de remettre au chaud l'article que j'avais écrit aussitôt après sa lecture, il y a deux ans, et qui avait été publié sur Exigence Littérature [http://www.e-litterature.net/publier2/spip/spip.php?article481]. Je vous laisse découvrir.



Il est des auteurs ‘‘consacrés’’, des auteurs-piliers, des auteurs-phares, appelez-les comme vous voulez, que tout le monde est censé avoir lu, au risque de passer pour un inculte, un analphabète, un sauvage, un criminel même ! Oui, c’est un ‘‘crime’’ intellectuel de ne connaître un grand auteur que par son nom et par la place qu’il occupe au premier rang de la Littérature mondiale. Or il y a tellement de « grands », tous siècles et pays confondus, tellement de livres « à lire absolument », que même au bout de plusieurs années, il peut se trouver qu’on n'a toujours pas ouvert un Dostoïevski !

Et puis ces « grandes oeuvres » que l’on vante tant, vous craignez, en ouvrant leurs pages, de ne pas les trouver aussi ‘‘grandes’’ que le disent les critiques. Quels sentiments vous animent alors ! Soit c’est la honte de se dire que, si vous n’avez pas été frappé par la ‘‘grandeur’’ si évidente de telle œuvre aux yeux des spécialistes, c’est sans doute l’étroitesse de votre esprit qui est en cause. Et cela génère un tel malaise ! Soit vous vous dites, avec philosophie : « Nous n’avons pas les mêmes goûts ! L’œuvre en question n’est pas mauvaise, elle est même intéressante sous certains aspects, mais de là à la considérer comme une ‘‘grande œuvre’’, un ‘‘pur joyau’’, moi je n’accorderais pas ma voix en cas de vote ». Combien de prix littéraires n’ont pas été boudés par certains, acclamés par d’autres !

Pour moi, il n’y a pas de ‘‘sous certains aspects’’ qui tienne lorsqu’on parle de joyau littéraire. Le livre vous séduit, tout simplement. Ce qui vous séduit ? Mais tout, voyons ! c’est-à-dire le fond, la forme, l’odeur, la musique… si tant est que chaque livre a sa propre odeur, sa propre musique qui vous charme d’une façon irrésistible, vous repousse ou vous ennuie. Sera considéré comme ‘‘majeur’’ le livre qui vous aspire au fil de la lecture, qui vous attire jusqu’à ce que vous ne fassiez qu’un avec lui. Il vous fait laisser tomber toutes vos autres lectures en cours pour que vous le terminiez en premier ; vous laissez même tomber vos propres urgences parce qu’il devient l’urgence N°1. Ainsi on repousse au maximum le moment d’aller libérer la vessie, on saute les repas, on évite de répondre au téléphone, on évite la société car la seule société en compagnie de laquelle on veut se trouver, c’est celle de ses personnages ! Bref il est le maître et vous êtes l’esclave, mais un esclave tellement heureux !

Quel bonheur de lire Crime et Châtiment ! Comment ai-je pu rester longtemps loin d’une beauté pareille ? Beauté de l’amour qui sauve, l’amour qui rachète, l’amour qui régénère. Tout le roman, pour moi, se trouve résumé dans cette réflexion de Raskolnikov, le personnage principal : « Oh, si j’étais seul et si personne ne m’aimait, moi-même je n’aurais jamais aimé personne ! Il n’y aurait pas eu tout ça ! »1
‘‘Tout ça’’, c’est la décision de tuer Aliona Ivanovna, une vieille usurière « nuisible », qui « bouffe la vie des autres » et les conséquences de cet acte. En effet, quand bien même ‘‘la vieille’’ n’est qu’un « pou », son meurtre ne constitue pas moins un crime qui ôte à Raskolnikov la paix du corps et de l’esprit. Il doit jongler avec les enquêteurs, avec les proches pour ne pas être démasqué. L’enquête est menée à la manière de la série américaine Columbo : le meurtrier est connu dès le départ, mais de quelle finesse l’enquêteur va-t-il faire preuve pour ‘‘coincer’’ le criminel ?

De fait, Raskolnikov n’est pas un criminel dans l’âme, c’est même un jeune homme extrêmement généreux, mais il est outré de l’injuste répartition des maux et des biens aux humains : d’une part une méchante immensément riche qui ne saurait même donner le moindre sou à sa propre sœur ; d’autre part une famille dans une révoltante misère, qui ne survit que par le sacrifice de la fille aînée, Sonia : elle s’est livrée à la prostitution, malgré sa foi et la pureté de son âme. Raskolnikov lui-même fait l’objet d’une certaine injustice de la vie : étudiant brillant, il doit cependant quitter l’université, faute de moyens, plutôt que de laisser sa mère et sa sœur se priver et se sacrifier davantage afin qu’il termine ses études et se fasse une situation.

J’ai pensé à tant d’étrangers qui se saignent dans leur pays d’adoption, qui acceptent tous les emplois dignes ou indignes qui leur passent sous la main, pourvu qu’ils aient, à la fin du mois, de quoi faire un mandat à la famille, sans quoi elle serait dans une situation désespérée. Bref dans Crime et Châtiment, la souffrance est la face visible de l’amour. Si, comme Lazare dont il est plusieurs fois question dans le roman, Raskolnikov ‘‘ressuscite’’, s’il entrevoit la possibilité d’une seconde chance, d’un nouveau départ, c’est grâce à l’abondance de l’amour de Sonia. C’est elle par ailleurs qui le convainc de se livrer à la police.

Sonia est une sorte de Christ (que ceux qu’un tel rapprochement peut choquer me pardonnent), qui accepte de porter le poids des autres afin que ceux-ci soient allégés. Raskolnikov aussi, à sa manière, a voulu se charger d’une ‘‘corvée’’ que d’autres ne voulaient ou ne pouvaient pas accomplir. Bien plus c’est comme s’il avait été choisi pour le faire. Il est comme mû par une force mystérieuse. Cette idée de tuer ‘‘la vieille’’, elle avait poussé « à coups de bec, à l’intérieur du crâne, comme un poussin qui voudrait naître »2 l
Le texte de Dostoïevski vous saisit à pleines émotions. Que ressent-on alors lorsqu’on le lit nature, dans le texte original ? Dommage que je ne sache pas le Russe, pour faire la comparaison. En tout cas la traduction d’André MARKOWICZ me suffit pour apprécier cette source au bord de laquelle je me suis longtemps tenue sans oser y porter mes lèvres.


Notes
1. Crime et Châtiment, Ed. Actes Sud-Babel, Volume 2, p. 425.
2. Volume 1, p. 118.

lundi 12 octobre 2009

Liste des livres préférés des Français

Je me suis laissée prendre au jeu : je joue mes souvenirs, parfois bien lointains, sur la liste des 100 livres préférés des Français publiée par le magazine Lire.

Comme Gangoueus, j'indique en gras les livres que j'ai lus. On se rendra donc bien vite compte des énormes trous que j'ai à combler côté culture littéraire, puisque je suis loin d'avoir la moyenne de 50% sur cette liste. Cependant il y a pas mal de livres que j'aurais aimé voir figurer sur cette liste qui n'y sont pas, comme African Lady de Barbara Wood, Zadig de Voltaire, La Peau de Chagrin de Balzac, Crime et Châtiment de Dostoïevsky, La princesse de Clèves de Madame de Lafayette, Boule de Suif de Maupassant, L'étrange cas du Dr Jekyll et Mr Hyde de Stevenson, Le vieux qui lisait des romans d'amour de Sepulveda, L'Aventure Ambiguë de Cheikh Hamidou Kane... mais bon, faut pas que je m'aventure trop loin dans ce domaine car bientôt je vais me mettre à citer des oeuvres qui ont l'Afrique pour cadre géographique, et il n'est pas certain que les deux mille français interrogés aient lu ces ouvrages-là, d'où leur absence de la liste ? Tout dépend donc de ce qu'on a lu et de ce qui nous a marqué à vie parmi ces lectures.

Je ne peux donc véritablement juger de la pertinence de cette liste puisque je n'ai pas lu tous les ouvrages. Ce qui est sûr, c'est que je suis d'accord à cent pour cent avec le numéro un : la Bible contient à elle seule plusieurs romans, nouvelles et poésies d'une richesse indéniable, je parle de l'aspect littéraire, si l'on rajoute en plus la dimension spirituelle, il est juste qu'elle gagne le gros lot.


1 La Bible
2 Les misérables de Victor Hugo
3 Le petit prince d'Antoine de Saint-Exupéry
4 Germinal d'Emile Zola
5 Le seigneur des anneaux de J.R.R. Tolkien
6 Le rouge et le noir de Stendhal
7 Le grand Meaulnes d'Alain-Fournier
8 Vingt mille lieues sous les mers de Jules Verne
9 Jamais sans ma fille de Betty Mahmoody
10 Les trois mousquetaires d'Alexandre Dumas
11 La gloire de mon père de Marcel Pagnol
12 Le journal d'Anne Frank d'Anne Frank
13 La bicyclette bleue de Régine Deforges
14 La nuit des temps de René Barjavel
15 Les oiseaux se cachent pour mourir de Colleen Mc Cullough
16 Dix petits nègres d'Agatha Christie
17 Sans famille d'Hector Malot (Lu, mais souvenirs trop vagues)
18 Les albums de Tintin de Hergé
19 Autant en emporte le vent de Margaret Mitchell
20 L'assommoir d'Emile Zola
21 Jane Eyre de Charlotte Brontë
22 Dictionnaires Petit Robert, Larousse, etc.
23 Au nom de tous les miens de Martin Gray
24 Le comte de Monte-Cristo d'Alexandre Dumas
25 La cité de la joie de Dominique Lapierre
26 Le meilleur des mondes d'Aldous Huxley
27 La peste d'Albert Camus
28 Dune de Frank Herbert
29 L'herbe bleue Anonyme
30 L'étranger d'Albert Camus
31 L'écume des jours de Boris Vian
32 Paroles de Jacques Prévert (pas tous)
33 L'alchimiste de Paulo Coelho
34 Les fables de Jean de La Fontaine
35 Le parfum de Patrick Süskind
36 Les fleurs du mal de Charles Baudelaire
37 Vipère au poing d'Hervé Bazin
38 Belle du seigneur d'Albert Cohen
39 Le lion de Joseph Kessel
40 Huis clos de Jean-Paul Sartre
41 Candide de Voltaire
42 Antigone de Jean Anouilh
43 Les lettres de mon moulin d'Alphonse Daudet
44 Premier de cordée de Roger Frison-Roche
45 Si c'est un homme de Primo Levi
46 Les malheurs de Sophie de la comtesse de Ségur
47 Le tour du monde en 80 jours de Jules Verne
48 Les fourmis de Bernard Werber
49 La condition humaine d'André Malraux (lu trop jeune, souvenirs vagues)
50 Les Rougon-Macquart d'Emile Zola
51 Les rois maudits de Maurice Druon52 Cyrano de Bergerac d'Edmond Rostand
53 Les hauts de Hurlevent d'Emily Brontë
54 Madame Bovary de Gustave Flaubert
55 Les raisins de la colère de John Steinbeck
56 Le château de ma mère de Marcel Pagnol
57 Voyage au centre de la Terre de Jules Verne
58 La mère de Pearl Buck
59 Le pull-over rouge de Gilles Perrault
60 Mémoires de guerre de Charles de Gaulle
61 Des grives aux loups de Claude Michelet
62 Le fléau de Stephen King
63 Nana d'Emile Zola
64 Les petites filles modèles de la comtesse de Ségur
65 Pour qui sonne le glas d'Ernest Hemingway
66 Cent ans de solitude de Gabriel García Márquez
67 Oscar et la dame rose d'Eric-Emmanuel Schmitt
68 Robinson Crusoé de Daniel Defoe
69 L'île mystérieuse de Jules Verne
70 La chartreuse de Parme de Stendhal (souvenirs trop lointains)
71 1984 de George Orwell
72 Croc-Blanc de Jack London
73 Regain de Jean Giono
74 Notre-Dame de Paris de Victor Hugo
75 Et si c'était vrai de Marc Levy
76 Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline
77 Racines d'Alex Haley (vu plutôt le film)
78 Le père Goriot d'Honoré de Balzac
79 Au bonheur des dames d'Emile Zola
80 La terre d'Emile Zola
81 La nausée de Jean-Paul Sartre
82 Fondation d'Isaac Asimov
83 Le vieil homme et la mer d'Ernest Hemingway
84 Louisiane de Maurice Denuzière
85 Bonjour tristesse de Françoise Sagan
86 Le club des cinq d'Enid Blyton
87 Vent d'est, vent d'ouest de Pearl Buck
88 Le deuxième sexe de Simone de Beauvoir
89 Les cavaliers de Joseph Kessel
90 Jalna de Mazo de la Roche
91 J'irai cracher sur vos tombes de Boris Vian
92 Bel-Ami de Guy de Maupassant
93 Un sac de billes de Joseph Joffo (souvenirs bien trop lointains)
94 Le pavillon des cancéreux d'Alexandre Soljenitsyne
95 Le désert des Tartares de Dino Buzzati
96 Les enfants de la terre de Jean M. Auel
97 La 25e heure de Virgil Gheorghiu
98 La case de l'oncle Tom de H. Beecher-Stowe
99 Les Thibault de Roger Martin du Gard
100 Le silence de la mer de Vercors

Je sais, je sais, vous attendez que je dise quels sont mes préférés sur cette liste. Difficile de les classer dans un ordre décroisant ; à part le podium, attribué à la Bible, les autres je pourrais les déclarer ex aequo. Donc je réponds plutôt de cette manière : si j'étais enfermée quelque part avec pour punition un livre à lire et à relire indéfiniment, pour quels livres cette punition serait plutôt un bonheur indicible ? Eh bien ce serait, outre la Bible, dans l'ordre d'apparition sur la liste : Les Misérables, Le petit prince, Le Grand Meaulnes, Les oiseaux se cachent pour mourir, Dix petits nègres, Au nom de tous les miens, Vipère au poing, Si c'est un homme (bien que trop fort), Le tour du monde en 80 jours, Cyrano de Bergerac, Et si c'était vrai, Au bonheur des dames, Le viel homme et la mer... Je voudrais bien en rajouter, mais ce serait comme si finalement je les préférais tous.

mercredi 7 octobre 2009

Dialogue imaginaire et imagé, d'Eveline MANKOU

Après Patience d'une clandestine en France, nouvelle dont j'avais parlé à sa sortie, je découvre une autre oeuvre d'Eveline MANKOU-NTSIMBA : Dialogue imaginaire et imagé entre la mère et le foetus, qui vient de paraître. Bien que trouvant le titre trop parlant, trop explicite à mon goût, je me suis pourtant procuré le livre car l'idée me paraissait originale de faire parler un foetus et j'étais impatiente de voir comment l'auteur avait traité ce sujet intéressant, d'autant plus que le résumé de quatrième de couverture est plutôt alléchant. En voici quelques extraits :


"J'ai utilisé un système cognitif antique pour faire jaillir la vérité. Cette méthode, Socrate l'a nommée la maïeutique ou l'art de faire accoucher les esprits. Elle consiste à faire découvrir à son interlocuteur la vérité [...] Le futur bébé pose d'intempestives questions. Une vraie conversation s'engage entre les deux protagonistes : l'être (la femme) et le non-être (le foetus)..."
Je me suis donc plongée dans ce texte avec beaucoup d'espérances. J'ai apprécié le jeu sur le langage dans certaines expressions comme par exemple à la page 49 : "il était incollable et moi, il me collait à la peau" (l'héroïne parle de certains sujets d'actualité maîtrisés par son amant). Mais je dois dire que, dans l'ensemble, mes espérances ont plutôt été déçues, car il n'y a pas de "vraie conversation" comme annoncé dans la quatrième de couverture. J'entends par là qu'on n'apprend pas plus du foetus : si la mère s'exprime en long et en large sur ce qu'a été sa vie jusqu'au moment de tomber enceinte, aucune lumière ne vient du foetus ou tout simplement celui-ci ne l'aide pas à voir plus clair.

On s'attendrait par exemple à ce que l'héroïne accède enfin, grâce à la prise de parole de son enfant à naître, à une certaine dimension spirituelle, philosophique qu'elle n'avait pas encore atteint jusque-là. On aurait pu penser que, avec cette vie qu'elle porte en elle et qui est capable de lui parler, elle s'interrogerait sur la vie avant la vie, sur ses croyances, elle prendrait conscience qu'un simple foetus, de quelques milimètres seulement, est déjà un être à part entière et est peut-être porteur d'un message, pourquoi pas divin, spirituel ?

La conversation, je dirais plutôt le monologue de l'héroïne porte essentiellement sur ses relations sentimentales, sur ses expériencs sexuelles, mais elles ne débouchent pas sur une "vérité".
Le lecteur est aussi en droit de se poser des questions sur le statut du foetus : futur enfant ou copain avec qui on peut avoir des conversations touchant même sa vie amoureuse ?

Bref cette nouvelle aurait gagné à mûrir encore quelques mois dans l'esprit de son auteur pour que les lecteurs aient, non pas un foetus en guise de festin, mais un vrai roman abouti.

mercredi 30 septembre 2009

Harry Potter et la Chambre des Secrets, de J.K. Rowling

Il m'a fallu du temps pour plonger dans le monde fabuleux de J.K. Rowling et me délecter des aventures de Harry Potter. En fait ce manque d'engouement de ma part pour cette série célébrissime était causée justement, en partie, par la sorte d'adoration dont ce livre fait l'objet d'une manière générale, auprès du jeune public en particulier. Prenez une vingtaine de jeunes collégiens, demandez-leur de partager avec les autres une de leurs lectures favorites, d'en faire un exposé par exemple. Eh bien sur la vingtaine d'exposés attendus un bon nombre porteront sur Harry Potter. Sortie de tel tome de Harry Potter au cinéma ? On court, on se rue, on est prêt à passer des nuits blanches devant la porte du ciné pour être sûr d'avoir sa place. Ce genre de ruée provoque souvent, chez moi, une réaction contraire : j'attends que ça se tasse. C'est ainsi que, parfois, je passe mon chemin quand certains livres, qui se sont fait une solide réputation, se trouvent sur ma route et me toisent d'une manière un peu trop insolente à mon goût. Pour exemple, jusqu'à présent je n'ai pas encore envisagé La possibilité d'une île, roman de Houellebeck dont on a fait beaucoup de bruit il y a quelques années ; et je ne suis toujours pas en mesure de dire si c'était à tort ou à raison.

Cependant Harry Potter a été d'abord élu par le public, le jeune public en particulier, et le choix de la jeunesse me touche particulièrement. Je savais donc que je devais rencontrer ce Harry Potter qui ensorcelle même les lecteurs, et je n'ai pas échappé à la règle : j'ai été ensorcellée, avec bonheur. Pourquoi avoir commencé par le tome 2 ? Parce que Nico en a dit du bien sur son blog : http://leblogdenico.space-blogs.com/blog-note/139249/harry-potter-et-la-chambre-des-secrets-j-k-rowling-.html


Alors que dire de ce roman que vous avez tous, ou presque, lu ? Harry Potter, le héros, est élève à Poudlard, une école de sorcellerie, invisible et inaccessible aux Moldus, c'est-à-dire les humains ordinaires. Comme dans toute école, à Poudlard il y a différents cours assurés par des professeurs spécialisés, avec, bien entendu, évaluation des connaissances à la fin de l'année. L'école comporte quatre sections ou maisons portant chacune le nom de l'un des quatre sorciers qui créèrent cette école, bien des siècles auparavant. C'est un ''choixpeau'' magique qui affecte les nouveaux élèves dans l'une ou l'autre des maisons, selon leur personnalité. Il y a ainsi les Serpentard, les Gryffondor, les Serdaigle et les Poufsouffle. Harry appartient aux Griffondor, comme Ron et Hermione, ses amis.

Après des vacances épouvantables passées chez les Dursley - les parents qui l'ont recueilli lorsqu'il s'est retrouvé orphelin - Harry est heureux de retourner à Poudlard pour sa deuxième année d'études (chaque volume de Harry Potter correspond à une année). Il est déjà célèbre pour avoir vaincu Voldemort, un sorcier qui inspire tellement la terreur qu'on craint même de prononcer son nom. Il va cette fois percer le mystère de la chambre des Secrets, qui renfermerait un monstre attaquant les élèves issus de parents moldus. Cette chambre existe-t-elle vraiment à Poudlard ? Seul l'héritier de Serpentard aurait le pouvoir de se faire obéir de ce monstre. Qui donc est l'héritier de Serpentard ? La question doit être réglée d'urgence car plusieurs élèves sont victimes d'attaques terribles, qui ne peuvent être attribuées qu'au ''monstre".

Suspense, rebondissements, intrigues de toutes sortes, ingéniosité des personnages font de ce roman un cocktail d'imagination qui étanchera la soif de quiconque veut vivre des aventures extraordinaires, le temps d'une lecture.

mardi 8 septembre 2009

Ne brûlez pas les sorciers, de Donatien BAKA

L’Afrique ne se développe pas à cause du néocolonialisme, à cause de l’ingérence des pays occidentaux dans ses affaires intérieures ? Le peuple serait dans la misère à cause de ceux qui pillent nos richesses ? A cette question, plusieurs auteurs africains veulent désormais répondre en pointant du doigt notre propre responsabilité dans les malheurs qui nous accablent, comme Léonora MIANO dans ses admirables Contours du jour qui vient ou dans L’Intérieur de la nuit. Donatien BAKA semble s’atteler à la même tâche ou bien, pour poser le problème autrement, semble poser le préalable selon lequel, si d’autres sont également concernés par ce qui nous arrive de négatif et doivent pour cela être dénoncés ou combattus, il faudrait commencer par déloger un ennemi d’autant plus dangereux qu’il est à l’intérieur de nous-même : nos croyances. Il faut commencer par faire le ménage de ce côté-là, car nous sommes nous-mêmes notre pire ennemi.
Jean ANOUILH disait, à propos des jeunes et de la vie, qu’ils la laissaient « couler sans le savoir, entre leurs doigts ouverts »1, plutôt que de retenir dans leurs mains cette eau précieuse qu’est la vie. Eh bien cette image peut également s’appliquer aux "aFriqués". Ainsi se nomment les habitants de "l’aFric", pays imaginaire dans lequel évoluent les personnages du roman, et qui pourrait être le Congo ou tel autre pays africain. Ce nom ‘‘aFric’’, homonyme de l’Afrique, dit explicitement combien les sujets évoqués dépassent le cadre national pour s’étendre sur une bonne partie du continent. Il fait aussi référence à la misère d’une majorité de la population qui manque de moyens financiers pour subvenir à ses besoins (aFric = sans fric), tandis que quelques nantis mènent la belle vie. Quels sont donc ces problèmes internes, ces taureaux qu’on devrait prendre par les cornes ?

Le Diktat de la société
L’homme vit au sein d’une société dont il doit respecter les règles pour être en accord avec elle, pour ne pas risquer de se retrouver en prison. Cependant il y a un autre niveau d’appréciation qui échappe à la réglementation et qui ne regarde que l’individu : la conduite personnelle, les habitudes, le comportement. Et là on voit comme l’individu, qui a pourtant à ce niveau la liberté d’agir comme il l’entend, se conduit au contraire comme esclave de la société. Il a du mal a prendre son indépendance ; il agit, non comme cela serait bénéfique pour son équilibre personnel, mais selon ce que lui dicte la société.
En aFric, quand quelqu’un a ‘‘réussi’’, cela doit se ‘‘voir’’, c’est-à-dire être habillé chiquement, avoir villas, voitures (de luxe), personnel de maison (domestiques, jardiniers, cuisiniers…). En outre, l’homme qui a des ‘‘moyens’’ doit le montrer par sa capacité à entretenir plusieurs femmes. C’est ainsi que Lopo, personnage central du roman, se laisse entraîner par ses amis et collectionne les maîtresses. Il a désormais plusieurs « bureaux », s’arrangeant pour que sa femme officielle, Mado, ne se doute de rien, ou pour que telle maîtresse qui croit être sa favorite ne soupçonne pas l’existence d’autres favorites. Lopo doit donc se livrer en permanence à une gymnastique intellectuelle et physique pour soutenir ses foyers (principal et secondaires). Malgré le plaisir que peut lui procurer cette diversité de foyers, ce train de vie commence à lui peser et il veut y mettre un terme. Cependant, comme une drogue, vouloir s’en affranchir est une chose, le sevrage effectif étant une tout autre chose.
La société africaine est également muselée par la pensée selon laquelle la mort est forcément l’œuvre d’un sorcier. Maladies, accidents, ne sont jamais perçus comme naturels, ils sont toujours le résultat de manœuvres mystérieuses. Le comble, c’est lorsqu’on croit que même une maladie comme le sida est utilisée comme outil par les sorciers pour éliminer leurs victimes. En d’autres termes, attraper le sida serait fatalité.

La Tragédie du Sida
On peut admettre l’idée d’une certaine fatalité dans les campagnes reculées où, les sujets touchant à la sexualité étant encore trop tabous et les centres éducatifs pouvant édifier la population n’existant pas ou peu, les gens ne sont pas informés sur cette maladie, sur les moyens de contamination et la façon de se protéger. Il suffit donc d’une personne pour que tout un village soit contaminé. En effet si on ne se contente pas de son partenaire habituel et qu’on élargit sa famille sexuelle – j’entends par famille sexuelle toutes les personnes avec qui on a des rapports sexuels – on risque, non seulement de recevoir le virus d’un partenaire lui aussi très « famille élargie », mais aussi de le refiler à toute sa propre « famille ».

Ainsi, Lopo a beau loger, nourrir et vêtir Nana, la maîtresse qui lui a donné un enfant ; celle-ci a beau lui protester chaque jour son amour, il n’est en définitive que son « groto », c’est-à-dire « l’amant fortuné qui assure la satisfaction des besoins matériels de la maîtresse »2, tandis que son « genito », autrement dit « celui qui procure le plaisir charnel »2 est un autre : Jacques. Ce dernier avait lui-même une copine, décédée à la suite d’une pénible maladie. Tout le monde a conclu : « sorcellerie », y compris Jacques. N’empêche que Nana commence à regretter d’avoir abandonné le préservatif avec Jacques, « se fiant aux allures costaudes »3 de celui-ci. Elle craint que la copine de son amant soit en réalité morte du sida. C’est la seule à avoir ce raisonnement logique : La copine de Jacques est peut-être morte du sida ; Jacques lui-même est peut-être contaminé ; il m’a peut-être transmis le virus que j’aurais transmis à Lopo, qui l’aura transmis à sa femme… Nana, Jacques, Lopo, Mado habitent en ville ; ils n’ignorent pas comment on attrape la maladie du siècle, pourtant les précautions élémentaires comme le préservatif sont négligées et leur réaction, face à cette maladie, est purement ahurissante.

L’aFric des paradoxes
De retour du village où il est allé se ressourcer, Lopo tombe gravement malade. Il n’en faut pas plus pour que tous déduisent que son séjour auprès de ses parents paysans a été néfaste pour lui. Mado, sa femme, l’emmène quand même à l’hôpital d’où ils sortent avec une information capitale : Lopo est atteint du sida. Comment alors expliquer que Mado, qui est pourtant enseignante, se joigne à la famille de Lopo pour le trimbaler chez les féticheurs ? Comment comprendre qu’elle espère une guérison miracle dans la secte « Dieu pensera un jour à nous » ? Il n’y a plus de différence entre le campagnard qui n’a jamais été à l’école, n’a pas accès à Internet et les habitants des villes qui ont tous les medias à leur disposition. Le savoir scientifique que peut détenir ces derniers ne parvient pas à supplanter dans leur esprit les superstitions.
Bien d’autres paradoxes sont évoqués : être un pays producteur de pétrole et manquer d’essence dans ses stations-service ; avoir des terres riches, des productions agricoles dans l’arrière-pays qui y pourrissent à cause du mauvais état des routes ; avoir plus accès aux produits importés qu’à ceux de son propre pays. Il y a aussi l’extravagance, que ce soit pour un mariage ou un décès, alors qu’on pourrait être moins dispendieux et donner le surplus aux orphelins ou aux gens dans le besoin…
Les paradoxes, ce sont aussi les complexes : faire plus confiance à un Blanc, lui confier de préférence des responsabilités ou des missions même si son collègue Noir est le plus compétent, le mieux formé en la matière ; le « maquillage » autrement dit le décapage de la peau…
Bref les paradoxes en aFric sont innombrables. L’un des plus frappants est que, tandis que dans d’autres pays on accorde une attention particulière aux enfants, aux jeunes qui constituent la nation de demain, en aFric ils sont abandonnés, ils sont des laissés-pour-compte.

L’échelle des injustices
Les enfants sont les grandes victimes des déportements des adultes. A la mort de Lopo, sa veuve et ses enfants sont écartées de l’héritage laissé par celui-ci ; ils doivent se trouver un autre logement et subvenir eux-mêmes à leur besoin. Si Mado, qui est fonctionnaire, arrive à joindre les deux bouts malgré les retards de salaire, ce n’est pas le cas pour Nana et son fils Gigi. Cette dernière meurt d’ailleurs peu de temps après Lopo. Gigi est récupéré par sa tante maternelle qui essaie de l’élever en fonction de ses moyens. Mais qu’il s’agisse de Gigi ou des enfants de Mado, la disparition du père, avec tout ce que cela a entraîné comme bouleversements dans leur vie, crée un malaise psychologique qui pousse les enfants dans les rues. C’est l’occasion pour l’auteur de parler de ce phénomène qui prend de plus en plus de l’ampleur : les enfants de la rue. A ce sujet, il convient de saluer les œuvres de littérature pour la jeunesse Zozo d’la rue 4 et La Saison des criquets 5 qui, en littérature, sont parmi les premières à alerter l’opinion publique sur les « phaseurs »6 au Congo-Brazzaville. C’est aussi l’occasion d’encourager le travail des Editions Mokand’Art dans leur optique pédagogique, essayant de remettre la jeunesse au centre des intérêts, d’autant plus que la population africaine est majoritairement constituée de jeunes.
On retrouve l’injustice à tous les niveaux ; dans tous les domaines on a un bourreau et une ou des victimes : l’Etat envers les fonctionnaires et les retraités ; les responsables qui dans une société créent des discriminations entre les salariés ; l’époux démissionnaire qui laisse son épouse gérer seule l’éducation des enfants pendant que lui vole de conquête en conquête ; la maîtresse qui veut nuire à l’épouse officielle pour prendre sa place ; les parents du disparu vis à vis de la veuve et des orphelins qui sont maltraités… Même Mado, qui pourrait passer pour la figure honorable du roman (elle soutient son mari durant toute sa maladie, recueille plus tard Gigi, le fils de sa défunte rivale) n’est pas exempte de torts : elle fait d’Afia, une nièce éloignée venue l’aider pour le ménage, une véritable esclave à qui le repos n’est pas permis. L’auteur qualifie ce phénomène de « type d’esclavage moderne » qu’on observe dans de nombreux pays d’Afrique et même en Europe dans les foyers africains, où une cousine, une nièce venue du pays devient une véritable bête de somme.

Conclusion
Donation BAKA fait en quelque sorte « l’état des lieux » de l’Afrique aujourd’hui, évoquant presque tous les sujets. Il dit d’ailleurs lui-même : « c’est mon premier roman, alors j’ai eu envie de tout déballer. »7 Les faits semblent laissés à l’appréciation du lecteur, mais l’ironie perce parfois dans certaines pages,ainsi que le ton pédagogique. Quant aux paradoxes, ils peuvent à certains égards paraître comme un non-sens, ils peuvent friser l’incohérence, mais la vie n’est-elle pas elle-même incohérente, elle qui laisse souffrir les innocents et fait la part belle aux scélérats ?

Donatien BAKA, Ne brûlez pas les sorciers, L'Harmattan, 2007, 210 pages, 18.50 €

NOTES
1. Jean ANOUILH, Antigone, Editions de La Table ronde, p. 91.
2. Ne brûlez pas les sorciers, p. 69.
3. Idem, p. 71.
4. L. V. MPENE MALELA, Zozo d’la rue, Editions Mokand’Art, Brazzaville, 2004.
5. F. KIBINZA, La saison des criquets, Editions Mokand’Art, Brazzaville, 2004.6. "Phaseurs" : enfants de la rue
7. Interview de l’auteur par Solange SAMBA-TOYO parue sur Congopage.

samedi 8 août 2009

Coeurs en papier, de Christian Mambou

Coeurs en papier est l'oeuvre qui confirme Christian Mambou comme romancier. En effet, en 2004, il publiait son premier roman, La Gazelle et les exciseuses, dans lequel on suit le combat d'une jeune fille qui, soutenue seulement par sa mère, décide d'échapper à l'excision. C'est le courage de dire non à ce qui, dans nos traditions, dans nos coutumes, dévalorise plutôt que ne participe à l'épanouissement de l'individu. C'est aussi apprendre à se battre pour donner à notre vie qui semblait tracée d'avance un autre cours.
Dans Coeurs en papiers, c'est à un autre combat que Christian Mambou nous invite à assister : sur le ring, un jeune Africain, Polhit, et contre lui une sorte de Gorgone, monstre aux cheveux de serpent, que l'on appellera la "Précarité" : précarité du logement, précarité du titre de séjour, précarité des sentiments que les gens affichent à votre égard selon qu'ils doivent ou non manifester un engagement dans votre cause... Bref précarité de la vie d'un sans-papiers tout simplement.
Polhit vient du Waba, pays qui pourrait évoquer le Congo Brazzaville aussi bien que d'autres pays africains où, déterrée, la hache de guerre a sévi avec cruauté. Au moment où il se prépare à retourner dans son pays, diplômes en poche, la guerre éclate et le voilà pris entre le marteau et l'enclume : faut-il rentrer chez lui, alors que le pays est à feu et à sang ? Faut-il rester en France, mais alors pour quelle existence ? La fin des études implique la non reconduction du titre de séjour, qui implique l'irrégularité, qui implique l'impossibilité d'avoir un travail ni un logement. On voit comment une seule cause provoque un enchaînement de conséquences. Le roman est conduit de sorte que le lecteur ne puisse esquiver cette question qui se pose avec toujours plus de force au fil des pages : s'il était dans la situation de Polhit, que ferait-il ?
En effet, dans la trappe où il se trouve pris au piège, Polhit tend la main pour que quelqu'un, quel qu'il soit, la saisisse ; si ce n'est pour le tirer vers le sol ferme, au moins pour manifester, par le contact des mains qui se joignent, une chaleur amicale. Céline, elle, ne se contente pas de dire sa sympathie puis de passer son chemin, elle saisit à pleines mains cette main qui crie ''au secours !''.
Céline, c'est une jeune femme française que Polhit a connue sur le banc de la Fac et qui est devenue une amie. Celle-ci lui ouvre la porte de sa maison, pour que le jeune homme ait au moins un toit où dormir, mais elle lui ouvre aussi la porte de son coeur, espérant qu'il va y entrer et que le mariage blanc qu'elle lui propose pour régulariser sa situation va se transformer en mariage d'amour. Eh oui ! Céline est amoureuse et voudrait bien que Cupidon décoche la même flèche dont elle est atteinte dans le coeur du jeune homme. Or ce dernier a déjà une amoureuse au pays, Faty, à la quelle il veut demeurer fidèle.
On découvre en Polhit un jeune homme qui a des principes, qui essaie de vivre honnêtement, qui voudrait être en accord avec ses convictions, ses aspirations. C'est pourquoi il ne se rue pas dans l'ouverture que Céline pratique pour lui dans son coeur. Certes ce n'est pas le cas de tout le monde. Nombreux sont ceux qui : "faisaient la chasse aux âmes languissantes d'amour. La méthode, basée sur la séduction, conduisait à un véritable mariage. Celui-ci aboutissait plus tard à un divorce une fois le sésame de l'administration en poche. (...) La joie de l'ancien sans-papiers traînait parfois un parfum de trahison. Les victimes s'étaient livrées, dévoilant tout leur être au nom de l'amour. Aveuglées, elles sacrifiaient tout au partenaire calculateur. leur investissement pour le bien-être du couple n'avait d'égal que leurs sentiments. Un beau matin, le coup de grâce mettait fin aux projets à long terme." (p. 70)
La conséquence de ces mariages intéressés est que les "prédateurs" ne laissent derrière eux que "haine et rancoeur", et cette haine se retourne en fin de compte contre toutes les personnes en situation irrégulière, dont on se méfie, qu'on accuse de tous les maux, de tous les forfaits... Ce que veut montrer Christian Mambou, c'est que toutes les situations ne se ressemblent pas : les Africains ne viennent pas en Europe, en France en particulier, pour empester l'air qu'on y respire ; au contraire ils viennent là pour avoir un petite bouffée d'oxygène, et si les choses tournent mal, c'est quelquefois, pour ne pas dire souvent contre leur gré. 

L'impossible dialogue ?
Polhit et Céline veulent se tenir la main afin que l'une puisse soutenir l'autre dans l'épreuve que le premier traverse, mais des forces extérieures s'interposent, venant aussi bien de l'entourage de l'Africain que de celui de la Française, comme si les deux cultures ne voulaient pas, ou n'étaient pas encore tout à fait prêtes à se rencontrer vraiment, à faire la paix. L'aboutissement du mariage entre les deux jeunes symboliserait la possible concicliation des deux cultures. C'est peut-être pour cela que, dans leurs romans, les auteurs mettent à mal les unions mixtes : Joseph alias Kala, le héros du truculent roman de Danile Biyaoula, L'Impasse, se séparera d'avec Sabine ; Mireille connaîtra la désillusion dans sa vie de couple avec Ousmane dans le Chant écarlate de la regrettée Mariama Bâ, pour ne citer que ces exemples. Pourtant on est loin de l'enfer vécu par les couples mixtes il y a quelques dizaines d'années. Le roman de Barbara Wood par exemple, African Lady, montre combien l'amour en noir et blanc était impossible à une certaine époque. Aujourd'hui on semble s'accepter, mais la vérité est qu'on se "supporte", on fait semblant, alors qu'on pourrait franchement s'aimer.

Un titre polyphonique
Dès avant d'ouvrir le livre, votre regard est happé par la couverture qui représente un cœur avec, à l'intérieur, un titre de séjour, tous deux déchirés en leur milieu. Plusieurs interprétations à cette illustration au titre sont possibles.
Les cœurs en papier, ce sont ces cœurs que l'on blesse, que l'on déchire sans la moindre amertume, comme si c'était du simple papier, alors qu'il s'agit d'un organe vivant capable d'éprouver de la souffrance ; c'est le déni de l'humanité. Parallèlement, ces cœurs en papier évoquent aussi les cœurs de ceux-là qui ont perdu toute humanité, qui ne savent plus s'émouvoir des situations des autres : ce sont des cœurs secs, sans vie, en papier.
Mais surtout les "cœurs en papier" pointent du doigt cette nouvelle forme d'amour, intéressé, conditionné par l'obtention des papiers. L'illustration dénonce ces histoires d'amour où le cœur n'est plus le lieu privilégié des sentiments, mais plutôt l'autel de la Préfecture.

(Christian Mambou et Liss Kihindou)

L'auteur
Né en 1975, Christian MAMBOU est l'un des plus jeunes auteurs du Congo Brazzaville. Deux "maîtresses" se disputent son coeur : l'écriture et le journalisme.

mercredi 29 juillet 2009

Entretien avec Dominique Ngoïe-Ngalla

Voici une interview que Dominique Ngoïe-Ngalla m'avait accordée il y a quelques années (2002). Elle était destinée à être publiée dans le journal NGOUVOU, une revue pour jeunes collégiens, publiée au Congo-Brazzaville. Dominique Ngoïe-Ngalla est enseignant et écrivain. J'ai eu la chance de l'avoir comme professeur en première année de Fac. C'est quelqu'un qui a beaucoup de modestie, et pourtant c'est une "tête bien faite", (ce n'est pas pour autant qu'elle n'est pas "bien pleine"), j'emprunte l'expression devenue consacrée de Montaigne. J'ai beaucoup de respect pour lui.

"un écrivain qui n'est pas à la cause du petit peuple n'en est pas un"

Qui êtes-vous, Ngoïe-Ngalla ?
J'ai exercé à l'université Marien-Ngouabi pendant près de 25 ans. Je me suis retrouvé dans plusieurs départements : le département de Lettres où j'ai enseigné le latin, le département de philosophie où j'ai enseigné le grec et bien sûr le département d'Histoire où j'ai enseigné l'histoire des anthropologies. A la suite de la guerre j'ai dû partir, je dois dire que j'ai eu beaucoup de chance d'avoir survécu. J'ai perdu tous les miens. Et je me suis retrouvé comme par hasard ici en France : des personnes de charité m'ont trouvé à Abidjan et m'ont demandé, après la lecture de la Lettre d'un pygméee à un Bantou de les suivre ici en France pour quelques conférences dans leur ville puis, chemin faisant, ils ont trouvé à m'employer un peu à l'Université d'Amiens, pour quelques temps.

Ceux qui ont eu la chance de vous cotoyer savent ce que vous représentez intellectuellement, malheureusement votre oeuvre souffre d'une certaine méconnaissance et connaît des difficultés de publication.
Je n'ai pas été publié parce que, dans notre pays, il y a quand même des partis pris. Le ministère de l'Education nationale a publié ceux qu'il a voulu publier. je ne lui en veux pas, modestement je reconnais la valeur de ceux qui ont été publiés. je m'en tiens là. S'il y a des personnes qui s'intéressent à ce que j'ai fait, ces personnes sont bien gentilles.

Quels sont les thèmes qui vous inspirent le plus, ceux qui vous tiennent le plus à coeur ?
Les thèmes, c'est le monde comme il va, le monde ne va pas très bien, et la nécessité pour tout intellectuel d'être impliqué. Malheureusement, les intellectuels, plus le monde avance, moins il y en a, parce que l'intellectuel tel que je le comprends, moi, c'est avant tout un instituteur du peuple et qui s'engage pour les causes du petit peuple. Et je remarque qu'en Afrique, il y a de grands universitaires, mais des intellectuels, est-ce qu'il y en a beaucoup ? Les gens qui se battent, qui se sacrifient pour dire la cause du peuple, je n'en vois pas beaucoup et c'est peut-être parce que je m'engage dans ce combat qu'on ne me publie pas. Bon, je ne regrette rien.

Quel regard portez-vous sur la situation présente au pays, et qui peut se traduire entre autres par une ''fuite de cerveaux" ? On constate par exemple qu'un certain nombre d'écrivains et professeurs congolais exercent actuellement à l'étranger.
Mais c'était prévisible ! Lorsqu'il y a une guerre, le retour à l'ordre prend beaucoup de temps, ça renaît petit à petit. Il faut que l'Etat s'efforce de remettre en confiance ceux qui sont partis, parce qu'ils ne sont pas partis sur un coup de tête, leur vie était en danger. Les chose qui sont arrivées le sont du fait que les intellectuels n'ont pas travaillé. Je ne diabolise personne, aucune ethnie n'a l'exclusivité de la violence, nous sommes tous coupables, que ce soit ceux qui ont repris le pouvoir ou ceux qui ont été chassés. On devrait tout de suite se remettre tous ensemble pour rebâtir ce pays, n'attendons rien de l'Occident, l'occident ne rebâtira pas l'Afrique.

Si on vous demandait quels sont les écrivains pour lesquels vous avez beaucoup d'estime ?
L'estime, en ce moment... Eh bien je me tourne vers les gens que j'ai rencontrés ici, ce sont des philosophes, Pascal BRUTNER par exemple, quel engagement ! quelle humilité ! mais on ne le voit pas à la télé. Il m'a fallu du temps pour le découvrir, j'aime bien sa logique, ça c'est un intellectuel !
Maintenant les autres, ils font beaucoup de bruit, ils sont brillants, c'est des grands crivains, mais un grand écrivain qui n'est pas à la cause du petit peuple n'en est pas un. Victor Hugo a fini en prison parce qu'il défendait le peuple, il était du côté de la justice et des petits, c'est ça l'écrivain. Maintenant il y en a qui reçoivent des prix, Dieu sait qu'est-ce qu'on récompense à travers ce prix.

Un dernier mot ?
Je crois que j'ai tout dit. Mes étudiants qui m'ont suivi pendant 25 ans savent que je suis resté exigeant sur la justice. Il n'y a que la justice qui puisse nous refaire et nous honorer comme humains, tout le reste, c'est des bavardages.


Dominique Ngoïe-Ngalla a publié des nouvelles, par exemple L'ombre de la nuit ; des ''lettres'' : Lettre à un étudiant africain, Lettre d'un pygmée à un bantu... ; des poèmes, par exemple Poèmes rustiques ; des essais, par exemple Le retour des ethnies. La violence identitaire ; un roman, Route de nuit.

mardi 21 juillet 2009

La Vache laitière noire, de Noëlle Bizi Bazouma

Voici un roman que j'avais lu bien avant d'avoir un blog et dont j'aurais voulu parler si j'en avais alors ; et il y en a un certain nombre dans ce cas, surtout lorsque l'auteur ne draine pas encore des masses de lecteurs derrière lui, c'est une manière pour moi de l'encourager à poursuivre sa voie, même si le grand lectorat n'est pas encore au rendez-vous.

En ce qui concerne La Vache Laitière Noire, j'avais tout de suite apprécié la manière de l'auteure de traiter de façon métaphorique la question du sous-développement des pays du tiers-monde, ceux de l'Afrique noire en particulier. En fait Noëlle Bizi Bazouma aurait peut-être pu écrire un essai, mais comme on le sait, celui-ci est soumis à certaines contraintes et a en outre un public moins large que le roman.

L'auteure met les points sur les "i" dès le départ, dans un avant-propos qui montre un étudiant déçu, enragé même au sortir d'un cours portant sur le sous-développement, l'équation sous-développement = Afrique noire = pauvreté, famine, dictature, sida, guerres ethnique et tribales etc. lui semblant trop "réductionniste". Il se met à s'interroger sur l'Histoire et le devenir des pays africains, par exemple :

"Comment se fait-il que l'Africain qui à l'état sauvage, (non contact avec des cultures extérieures à la sienne), avait inventé sa pirogue pour affronter les rivières, les fleuves et les mers qui nécessitaient la connaissance des lois de l'eau, s'esr par la suite révélé non ingénieux ?" (p. 13)

C'est à une série de questions de ce genre que le livre tente de répondre. Le personnage principal, Afro, a hérité de son père une vache qu'il tenait lui-même de son père. Cette vache met bas régulièrement et assure sa subsistance. Mais un étranger arrive, convoite cette vache au pelage noir qui est en si bonne santé et donne un si bon lait. Il fonde des projets sur cette vache qui va lui permettre de s'enrichir et alimenter par la même occasion la contrée d'où il vient et qui est en manque de lait. N'ayant pas réussi à obtenir le consentement d'Afro pour ces projets, il le lui arrache par des moyens sournois. C'est le commencement des emmerdes pour Afro et les habitants de son village, qui vont peu à peu délaisser leur mode de vie pour adopter celui de l'étranger, être dépendant de lui, adopter jusqu'à ses besoins qui pourtant sont inadaptées à leurs propres réalités.

Ce roman, publié en 1995, tente de mettre en lumière un pan de l'histoire qui était souvent occulté jusqu'à ces dernières années : le rôle de l'esclavage et de la colonisation dans l'histoire. L'auteure n'épargne pas les Africains qui ont eux-mêmes ouvert la boîte de Pandore et ne font pas grand-chose pour la déloger de chez eux.

La Vache Laitière Noire, premier roman de Noëlle BIZI BAZOUMA, Editions CEMHO, Lille, 1995, 154 pages.
L'auteure a publié divers ouvrages : sur la santé, pour la jeunesse, des romans. Vous pouvez consulter sa page sur le site des écrivaines africaines.

dimanche 12 juillet 2009

Hermina, de Sami Tchak

En attendant que les Filles de Mexico ne viennent frapper à ma porte, je me suis laissée tenter par Hermina. C'est le deuxième roman de Sami Tchak que je lis, après Place des fêtes.

Heberto, prof de lycée, est logé chez les Martinez. Leur fille, Hermina, 16 ans, le fascine au point de lui inspirer l'écriture d'un roman qui porterait son nom : Hermina. Heberto a mis un terme à sa profession d'enseignant pour se consacrer à l'écriture, mais ce n'est pas facile de "coudre la vie avec le fil doré des mots" (p. 12). C'est à l'école du vieux Santiago, le héros du Vieil homme et la mer, qu'il se mettra d'abord pour faire éclore ses talents d'écrivain. C'est lui qui remplace le petit garçon dans le roman d'Ernest Hemingway et accompagne le vieux dans sa barque, essayant de recueillir un peu de la sagesse et de la profondeur de celui-ci.

La référence à d'autres romans est permanente dans Hermina. Après l'hommage au Vieil homme et la mer, que le lecteur devine dès les premières pages, suivront d'autres textes choisis essentiellement pour leurs morceaux choisis sur la sexualité : celle-ci apparaît dans le roman comme étant le lieu d'où partent et où aboutissent tous les chemins. La sexualité est en tout cas l'encre dans laquelle Sami Tchak trempe sa plume pour dire le monde, un monde où société rime souvent avec solitude, où on ne trouve souvent sa place qu'en "jouant les singes", où on est parfois obligé de s'exiler pour donner des ailes à ses ambitions, un monde qu'on est tenté de fuir par l'écriture, même s'il s'agit de l'écriture de ses fantasmes.

A propos du corps humain dans tous ses états, des parties intimes notamment dont l'auteur de Place des fêtes parle sans tabou, on peut lire ceci dans Hermina :

Il avait d'abord eu envie d'écrire un essai politique, avant de juger ce projet plutôt futile, pour rêver de construire un univers en faisant passer par le corps afin de les ramener à la portée de tout le monde les idées philosophiques qui l'avaient fasciné, lui. Sa passion pour les femmes serait-elle venue de là ? Peut-être. (p. 34)

Ce passage sonne comme un avertissement à ceux qui ne comprendraient pas ou prendraient mal cette prédominance du sexe dans les romans de l'auteur. Cette explication change-t-elle le regard du lecteur ? On aime ou on n'aime pas. De toutes façons, dans tout livre, il y a des choses qu'on apprécie moins que d'autres. Ou qu'on aime plus que d'autres, c'est selon. Moi ce que j'ai apprécié dans ce roman, c'est cette posture de l'écrivain qui se met en scène et qui donne son avis sur l'écriture, s'exprime sur ce que peuvent être les difficultés entravant le chemin d'un jeune auteur vers son ascension. Cette mise en abyme, on la rencontre souvent chez les écrivains.

J'ai aussi aimé le fait que l'auteur célèbre d'autres auteurs, j'ai particulièrement aimé le passage sur Ananda Dévi, que j'avais découverte avec Eve de ses décombres, qui vous fait s'incliner devant sa beauté, j'entends beauté du texte. Je n'ai pas encore vérifié si Sami Tchak a réellement publié un article sur la Mauricienne ou s'il profite de l'espace de son propre roman pour parler du roman Soupir et rendre hommage à la plume de l'auteure, jugez plutôt par vous-même :

"Il lisait les journaux surtout le matin, mais les livres constituaient toujours sa principale passion. C'est au cours de cette période, où il sortait seul, qu'il était tombé sur un article traitant de Soupir d'Anada Dévi, un roman qu'il n'avait pas lu. L'auteur de l'article était S.T., un critique littéraire très connu. ''Soupir, avait écrit S.T., est un univers où les personnages semblent condamnés à l'enfer avant d'avoir même tenté de pécher, où l'amour et le sexe ouvrent toujours les vannes derrière lesquelles la folie bat son tambour [...] Ici, l'amour engendre des démons, sème sur sa route des cadavres et des histoires pas faciles à dire. [...] (Le sexe) est l'entrée assez visible vers des zones dont l'obscurité s'épaissit au fur et à mesure que l'on croit avancer vers la lumière. La relation intime à deux renvoie à la solitude, dévoile l'impossible communion des êtres. Le monde dévien, c'est le monde de la beauté douloureuse, des douceurs amères [...] On met du temps avant de s'apercevoir qu'il n'y a pas de chemin, qu'on ne peut pas avancer, qu'en fait, sur les pistes d'Ananda Dévi, le lecteur va à la rencontre de sa propre solitude, que les fragments de destins qu'il tente de reconstituer comme dans un puzzle existentiel constituent autant de morceaux de son propre être éparpillé entre le désir ardent de prendre en main son destin, la rage impuissante et enfin la résignation [...]" (p. 116-117 )

Ce qui est curieux, c'est qu'on peut ressentir la même impression en lisant Hermina : il n'y a pas de chemin, on semble ne pas avancer, le lecteur tente de reconstituer la vie des personnages, l'action du roman, de faire la part entre fantasmes et réalité, mais ce qui prédomine, c'est la solitude, la difficulté de communication. Le passage où Heberto se retrouve dans le petit appartement d'Ingrid comme dans une "cage" et où tous deux sont pris au piège de la "déprime" m'a fait penser au "Déjeuner du matin", célèbre poème de Jacques Prévert.

Quant au parfum entêtant de sexe dans le roman, je vais être franche et je vais parodier pour cela le héros du roman lorsqu'il parle des films X : cela devient rapidement lassant. Ce n'est pas le parfum lui-même qui me gêne, ce ne sont pas les termes crus, mais la répétition, l'entêtement. J'aurais préféré que ce parfum chatouille mes narines au lieu de les envahir, peut-être que cela participe de quelque chose que je n'ai pas encore percé. Cela dit, la seconde moitié du roman est particulièrement intéressante.

Hermina, Gallimard, 2003, 350 pages.
Sami Tchak, six romans à ce jour, Grand Prix Littéraire d'Afrique Noire 2004.

mercredi 1 juillet 2009

Michael Jackson ira-t-il au ciel ?

Depuis quelques jours le coucher des enfants est un peu difficile, surtout pour le grand. Au moment de quitter sa chambre après l'avoir bordé, il trouve toujours le moyen de me retenir auprès de lui. D'abord il commence par dire qu'il n'arrête pas de faire des "cauchemars", et quand on l'interroge sur ces ''cauchemars'', il répond qu'il n'arrête pas de penser à Michael Jackson ! Faire des ''cauchemars'', c'est sa manière à lui de dire combien il est bien triste à cause de la disparition de Michael jackson.

Au début j'ai pensé que comme c'était l'actualité du moment et qu'on en parlait beaucoup dans les médias, forcément il y pense, même au moment du coucher, mais je dois me rendre à l'évidence : sa peine est bien réelle, il a perdu quelqu'un qu'il appréciait. Il faut voir comme sa soeur et lui regardent les clips ! Ceux qu'ils aiment bien, ils les regardent sans se lasser. Je suis étonnée par leur capacité à mémoriser facilement les chansons et à les reproduire accompagnées de leur musique et des gestes que font les artistes dans le clip. En ce moment par exemple ils me gavent de "Boom boom pow", de "Tous les mêmes", de "Show ce soir", avec la particularité pour cette dernière chanson de nous transporter au Congo à travers certaines expressions typiques introduites dans la chanson. Ils sont tellement contents que les membres du groupe Bisso na Bisso viennent du Congo ! Quant à "Même pas fatigués", ils se plongent dedans à fond, je me demande bien pourquoi. Donc je comprends que la mort de Michael Jackson les touche, mais moi je n'en fais pas pour autant des cauchemars.

J'ai beau dire que même s'il est parti, on peut continuer à écouter ses chansons, à danser sur sa musique, à le sentir parmi nous, rien n'y fait, cette séparation a quelque chose de tragique pour mon fils. En plus il n'est pas peiné seulement par sa disparition, il s'inquiète aussi pour son salut. Ne voilà-t-il pas qu'il a demandé, l'autre soir, si Michael Jackson se réveillerait auprès de Dieu ? Je n'en revenais pas qu'il pose une telle question.
Ayant déjà été plusieurs fois confronté à la mort, j'avais expliqué à lui et à sa soeur que, pour nous qui sommes croyants, quand on meurt ce n'est pas pour toujours, qu'on se réveille auprès de Dieu si on a fait ce qui est bien. C'était aussi pour atténuer la peine qu'ils pouvaient ressentir mais aussi pour leur donner des repères : distinguer le bien du mal, sentir toujours l'oeil de Dieu au-dessus de soi et craindre de faire des "bêtises".

Alors pourquoi m'a-t-il posé cette question ? Je me souviens qu'une fois on regardait quelques clips de Michael Jackson sur le net. J'avais dû expliquer pourquoi sur certaines photos ils ne le reconnaissaient pas. Comment expliquer à des enfants le mal-être que peuvent sentir certains au point de les déterminer à devenir "autre" ? J'avais tenté de trouver les mots pour dire que Michael Jackson était noir et qu'il avait voulu changer d'apparence pour se sentir mieux. J'en avais profité pour leur dire qu'il faut accepter les gens comme ils sont et s'accepter soi-même tel qu'on est : le Bon Dieu nous a créés ainsi ; il ne faut pas se moquer des gens à cause de leur physique car ils ne l'ont pas choisi ; je voulais les préparer à ne pas tenir compte des remarques désobligeantes des gens d'autant plus que le grand en a déjà eu à l'école, je me demande aujourd'hui si j'avais bien fait de faire le lien avec Jackson, ou si je n'avais pas été maladroite dans mes propos (mais ce n'est pas si facile d'expliquer des questions d'adultes à des enfants curieux de tout et avides de réponses).

Mon fils maintenant me demande si Michael Jackson ira au ciel, si le fait qu'il ait changé de "visage" compromet son salut, et il en verse des larmes. Mais Dieu ne se préoccupe pas de l'apparence, il regarde le coeur ! Si celui-ci était bon, si les actions de M.J. étaient bonnes, il n'y a pas de doute. Il ne faut pas penser à son visage, à ce qu'il a fait de bien ou de mal, écoute plutôt sa musique, mon fils, et laisse-toi porter par elle, laisse-la emporter ta tristesse.
Oui, c'était quelqu'un d'unique, quelqu'un qui a créé. Avec lui on prend la pleine mesure de ce que veulent dire les mots ''inspiration'', ''création'', mais aussi ''don''. Quel talent tout de même ! Faire danser et chanter le monde entier, faire naître des Michael Jackson, des imitateurs dans tous les pays !
Qui peut rester de marbre lorsque Michael Jackson se tient sur la piste et esquisse son pas de danse extraordinaire ? Qui peut résister à une chorégraphie sans nulle autre pareille ? Un proche me disait dernièrement que seul un ange, autrement dit quelqu'un qui appartient à un monde supérieur, peut être capable de résister à l'appel à la danse de Jackson. J'aimerais bien pouvoir dire à mon fils pour l'apaiser qu'en ce moment Jackson est en train de faire danser les anges et chanter à la gloire de Dieu !
La petite soeur quant à elle me demande si les gens auront peur à l'enterrement de Michael Jackson. Peur ? Mais pourquoi donc ? - Mais oui, maman, comme dans la chanson-là, celle des morts-vivants ! Est-ce que Michael Jackson, il sera mort-vivant ? Moi j'aime pas cette chanson, je préfère où il y a des enfants qui chantent, j'aimerais bien être dans cette chanson ! (elle parlait de Black or White)
Mais où vont-ils me chercher ces questions ?

mercredi 24 juin 2009

Nous autres, de Stéphane Audeguy

Dès que l'on commence la lecture du dernier roman de Stéphane Audeguy, on est accueilli par une première personne du pluriel tout imprégnée de majesté, de perspicacité, de sagesse ; et c'est tout naturel puisque c'est la voix de ceux qui sont passés de l'autre côté : ils ont du recul dans l'appréhension des choses et portent désormais sur celles-ci un regard vif, un regard vrai.

"Nous autres", c'est le titre du roman, c'est aussi la voix qui narre les événements dans le roman. Cette voix dépouille la vie des personnages et à travers celle-ci l'histoire d'un pays, le Kenya. Tandis que nombreux se rendent là-bas comme dans bien d'autres pays d'Afrique ou d'ailleurs pour faire des affaires, faire du profit, exploiter au maximum ce qui est exploitable sans égard pour les conséquences négatives, quelques uns s'y installent par conviction. C'est le cas du père de Pierre. Il a envie d'être utile, il veut donner de sa personne et améliorer si possible les conditions de vie de la population au milieu de laquelle il a choisi de vivre.

Cependant il meurt dans des circonstances qui semblent mystérieuses. Ayant souscrit une assurance-vie au bénéfice du fils qu'il avait eu dans sa jeunesse, ce dernier est contacté par les services de l'Assurance pour se rendre au Kenya et prendre les dispositions nécessaires concernant l'inhumation de son père. Ce père est presque un inconnu pour lui, il ne l'aura rencontré qu'une seule fois de son vivant. Il apprendra à le connaître en même temps que le lecteur.

J'ai apprécié dans ce roman la narration qui croise histoire du pays et récits de vie, j'ai apprécié l'élégance avec laquelle Stéphane Audeguy rend hommage aux disparus, aux milliers d'anonymes qui ont contribué à bâtir le pays mais qui n'ont nulle stèle, nul monument à leur gloire ou simplement à leur mémoire. Il s'agit bien évidemment des autochtones car les autres, Blancs, Indiens ou autres, qui ont perdu la vie sur le territoire kenyan, ou qui ont fait même la plus quelconque action, leurs noms, ou du moins leur nombre est connu. Stéphane Audeguy donne la parole aux inconnus, aux sans voix. Il rappelle aussi combien un pays s'urbanise dans la douleur, comme l'illustre bien la construction du chemin de fer, "cette ligne si simple sur les cartes kényanes, la longue cicatrice de la peine des hommes". (p. 148)

Pour ceux qui n'ont pas encore goûté un morceau de Stéphane Audeguy comme c'était le cas pour moi jusque là, Nous autres sera une excellente entrée en matière.

samedi 6 juin 2009

Au Pays, de Tahar Ben Jelloun

Ben Jelloun, j'avais fait sa connaissance à travers Les Raisins de la Galère, un court roman qui m'avait convaincu de continuer la découverte de cet auteur, découverte de la littérature, côté Maghreb, version Ben Jelloun. Son dernier roman, Au pays, figurait sur le présentoire des nouveautés à la bibliothèque que je fréquente. J'y étais allée emprunter un titre de Stéphane Audeguy, émoustillée par l'article d'une autre lectrice. Est-ce parce que je pense beaucoup ''au pays'' moi aussi que j'ai commencé par Ben Jelloun ?

En tout cas c'est un roman que j'ai avalé, que j'ai bu goulûment. On lit Au pays d'une traite ; comment interrompre l'introspection de Mohamed, le personnage principal ? Comment l'abandonner avant de savoir si ses voeux sont comblés ? Mohamed vous prend en otage, vous entraîne dans ses pensées, espérant peut-être que vous allez le comprendre et intercéder pour lui auprès de ses enfants. Je n'ai pu m'empêcher de penser au Père Goriot, ce héros de Balzac abandonné, négligé par ses enfants alors qu'il leur a tout donné, a tout sacrifié pour elles.

Mohamed est un immigré marocain qui habite en région parisienne, dans le 78. Il est père de 5 enfants. Toute sa vie professionnelle, il l'a passée à l'usine Renault. Sa vie professionnelle, c'était son équilibre, sa boussole, mais voilà que la boussoe se casse : il doit prendre sa retraite. La retraite, pour quoi faire ? Mohamed est désorienté, déstabilisé, angoissé, effrayé même, car arrêter de travailler, pour lui, c'est "apprendre à s'ennuyer gentiment"(1), c'est "le début de la mort"(2), la retraite, c'est "une invention diabolique"(3). Alors que nous serions nombreux à nous dire par exemple : chouette ! j'ai désormais plus de temps pour plus de lectures ! , Mohamed, lui, appréhende ce temps libre qui lui tombe entre les mains comme un colis encombrant. Normal, il ne sait ni lire ni écrire et a toujours eu besoin de quelqu'un pour toutes ses démarches administratives. Alors lire des romans, vous n'y pensez pas ! Ses loisirs à lui, outre le fait de passer du temps avec sa famille, c'était les vacances dans son village natal, au Maroc, rituel qu'il accomplissait chaque été.

Et ses enfants, maintenant qu'il a du temps libre à revendre, peu-il en profiter vraiment ? Pas du tout ! Ils ont grandi, ont quitté le toit paternel pour vivre leur vie parfois et même souvent en contradiction avec les convictions de leur père, musulman pratiquant mais pas fanatique du tout ! Au contraire, il lui arrive de décrier les dérives constatées dans sa religion.

Mohamed n'est pas un mauvais bougre, c'est même un bon père, très affectueux, même s'il n'extériorise pas ses sentiments - question de tradition - ; c'est un bon mari et un employé irréprochable. Son drame, c'est de voir que ses enfants ont pris des chemins complètement différents des siens, mais n'était-ce pas prévisible ? Outre le conflit de génération, il y a aussi la différence des valeurs : Mohamed est resté très traditionnel, malgré ses nombreuses années en France, il est demeuré un pur marocain de l'arrière pays et très pieux. Ses enfants, qui sont tous nés et ont grandi en France, sont de vrais Français, même si en France ils sont toujours regardés comme des immigrés, des arabes. Les vacances dans le pays d'origine de leurs parents ne leur ont pas donné lenvie d'y rester : ils ne conçoivent pas y passer leur vie. En fait c'est comme si ses enfants et lui appartenaient à deux mondes différents, ne parlaient pas le même langage : c'est l'incompréhension totale. Le seul avec qui il n'a pas besoin de s'expliquer, curieusement, c'est Nabile, son neveu, celui que la société considère comme un attardé. Nabile est atteint de mongolisme ou trisomie 21. Sa soeur le lui a confié pour qu'il connaisse en France un épanouissement auquel il n'aurait pu goûter s'il était resté au pays. Nabile est trisomique, mais tellement extraordinaire !

Pour donner un sens à sa nouvelle vie de jeune retraité, Mohamed a une idée qui lui semble lumineuse - mais qui aux yeux du lecteur paraît bien naïve et chimérique : aller construire une grande maison "au bled" pour pouvoir y accueillir tous ses enfants, il va les inviter tous à le rejoindre là-bas et ils pourront vivre une vraie vie de famille.

Invitation à penser ce que serait notre vie sans le travail, réflexion sur la modernité, sur l'immigration, sur la religion, sur les coutumes, plaidoyer pour les enfants ''différents''... de nombreux ingrédients rendent ce roman savoureux. Mais il est surtout, à mon sens, un drame familial, le drame d'un père qui voit ses enfants grandir et s'éloigner de lui.


Tahar Ben Jelloun, Au pays, Editions Gallimard, 2009.

(1) : p. 26
(2) et (3) : p. 30