samedi 8 novembre 2008

Les Sirènes de Bagdad, Yasmina Khadra

J'ai regardé l'émission "Ce soir ou jamais" du lendemain de l'élection de Barack Obama , titrée, actualité oblige, "La fin de l'impérialisme américain?" Parmi les invités, choisis avec soin, il y avait entre autres Aminata Traoré, ancienne ministre du Sénégal qui devient comme une porte-parole de l'Afrique, A. Waberi, avec son roman Aux Etats-Unis d'Afrique, et, on pouvait s'en douter, Yasmina Khadra, dont l'oeuvre est essentiellement consacrée au bras de fer Orient-Occident. Avec cet auteur, vous n'avez pas à vous poser de questions quant au choix du titre à lire, prenez n'importe quel Khadra, vous allez vivre un moment passionnant. C'est l'occasion pour moi de remettre en ligne un commentaire que j'avais fait des Sirènes de Bagdad, mais comme mon ancien blog n'est plus disponible, alors je me suis dit : pourquoi me laisser faire ? Je vais donc republier ces anciens articles, certains d'entre eux du moins, dans la "Vallée des livres".
Qui, mieux que Yasmina Khadra, vous emmène au cœur du conflit qui oppose l’Orient à l’Occident, vous fait prendre la mesure de la haine que peuvent ressentir les Arabes contre les Occidentaux, une haine portée à ébullition, et qui explose en attentats-suicides ? Ces kamikazes qui « partent à la mort comme à la fête »1, ces gens qu’on appelle des terroristes, sont-ce vraiment des êtres humains, avec un cœur de chair et de sang ? Comment peut-on se livrer corps et âme à une violence aussi implacable, aussi meurtrière ? Pourquoi cette barbarie ?
Avec une remarquable justesse de ton, Yasmina Khadra nous invite à comprendre la guerre qui s’est déclenchée en Irak, à remonter le fleuve de la rancœur et vivre la mutation d’un paisible paysan en terroriste, d’un enfant en bête féroce, d’une ville entière en cimetière.

Le narrateur, un natif de Kafr Karam, était un garçon d’une grande sensibilité (en fait il le demeure, malgré les apparences). Il voyait les jours se succéder aux jours dans ce village perdu d’Irak, jusqu’au jour où il intègre l’Université, à Bagdad. Mais très vite il doit regagner son petit village car Bagdad devient le théâtre d’une guerre sanglante au centre de laquelle se trouvent les Américains, représentés par leurs soldats en grand nombre sur le territoire irakien. Des autochtones, venus de toutes parts leur résistent. A Kafr Karam, on suit tout d’abord le conflit à distance. Mais force est de constater que désormais tout ce qui bouge est suspect, tout le monde est considéré comme des terroristes et l’on est traité avec infiniment peu d’égards. La révolte chez les jeunes grossit au rythme des bavures qui se succèdent. Le narrateur, lui, refusera obstinément de participer à la violence, jusqu’au jour où l’honneur de sa famille est profané. Pour un Bédouin, la dignité est plus que la vie, et lorsqu’elle est souillée, on ne la reconquiert que par le sang. Le héros se rend aux premières lignes de la résistance, à Bagdad. Il a son honneur à laver dans le sang, mais aussi l’honneur de son pays, que les Américains veulent mettre à genoux. La fierté nationale irrigue la détermination de nombreux jeunes gens. Leurs attentats causent la mort d’innombrables compatriotes, des innocents. Ils sont en colère, mais leur colère doit-elle être aveugle ? « Notre cause est juste, mais on la défend très mal », déclare Hossein, membre d’une de ces unités de jeunes qui se sont vigoureusement engagés dans la lutte terroriste. Bien qu’étouffée, la voix de la concession se fait entendre là où on l’y attend le moins. Et le narrateur lui-même se surprendra à reculer devant sa mission, la plus importante du genre, celle qui « ramènera le 11 septembre à un chahut de récré. »2

Le conflit américano-irakien se nourrit essentiellement de la différence de culture, laquelle implique une différence de valeurs, et cette dernière conduit malencontreusement à un dialogue de sourds. On apprend à connaître le monde arabe et ses valeurs fondamentales. Certaines d’entre elles se retrouvent également chez les Africains : le respect aux aînés, l’aura qui entoure les géniteurs par exemple. Voici comment Yacine, un personnage à la langue tranchante, décrit l’Occidental :
« Il ne sait même pas ce que c’est, un sacrilège. Dans son monde à lui, on expédie les parents dans des asiles de vieillards et on les y oublie comme le cadet de ses soucis ; on traite sa mère de vieille peau et son géniteur de connard… »3

Ces propos auraient pu sortir de la bouche d’un Africain.

L’auteur de L’Attentat propose, avec Les sirènes de Bagdad, une œuvre poignante de vérité, notamment en ce qui concerne les différents enjeux à l’œuvre dans ce conflit Orient-Occident.


Notes
Les sirènes de Bagdad, Pocket, p. 246.
p. 258
p. 185-186

Yasmina Khadra, de son vrai nom Mohammed Moulessehoul, est né en 1955 dans le Sahara algérien. Il est aujourd'hui connu et salué dans le monde entier où ses romans, notamment A quoi rêvent les loups, L'écrivain, L'imposture des mots, Cousine K sont traduit dans 32 pays. Les Hirondelles de Kaboul et L'attentat sont les deux premiers volumes d'une trilogie consacrée au dialogue de sourds qui oppose l'Orient et l'Occident et qui s'achève avec la parution des Sirènes de Bagdad (Julliard 2006).
L'Attentat a reçu de nombreux prix et est en cours d'adaptation cinématographique aux Etats-Unis. Le prix Nobel J.M. Coetze voit en cet écrivain prolifique un romancier de premier ordre.

2 commentaires:

B.L. a dit…

Yasmina Khadra... la première fois que j'ai entendu ce nom, je l'avais pris pour une femme... un écrivain (femme) ou une écrivaine, c'est selon...
Plusieurs fois, dans des librairies, j'ai ouvert un de ses titres sans aller plus loin...
J'ai un problème avec la littérature contemporaine : l'univers, le style, les personnages, les thèmes... j'ai du mal à m'y faire...
Le 18e et le 19e, voilà que je raffole...
Quant au Nobel... quelques fois, leur choix me semble bizzare, sinon grottesque. Question de goût une fois de plus.

Liss a dit…

J'étais comme toi il y a quelques années, b.l., je ne connaissais absolument pas les contemporains, mon siècle favori était le 19e, quelque part dans ma tête il y avait l'idée que les auteurs d'aujourd'hui ne pouvaient faire aussi bien que les anciens, ou ne pouvaient pas me captiver autant. Cependant j'ai commencé à m'ouvrir à mon siècle et à mon époque, et je t'avoue qu'il y a du bon, du mauvais aussi, comme tu dis, des auteurs qui sont encensés par les médias mais dont on se demande soi-même ce qui justifie ces bons traitements, car ils n'écrivent rien de spécial...
Essaie de lire vraiment ces auteurs, et tu verras.
@+