Chers amis et internautes,
Si vous avez aimé... non, pourquoi le passé composé ? Si vous "aimez" cette vallée, si vous appréciez de la parcourir en tous sens, en quête d'une oeuvre en guise de siège ou de hamac pour vous détendre, c'est que vous êtes des valets du livre, d'heureux valets des livres ! Vous aimez, comme moi, les décortiquer, goûter à leur texture secrète, les mettre en lumière, en un mot être à leur service. Vous serez donc aussi bien ici que dans la nouvelle demeure que je viens de me confectionner, baptisée "Valets des livres", parce que j'espère vous y retrouver. Soyez les bienvenus, chers valets des livres !
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jeudi 18 avril 2013
mardi 9 avril 2013
INTERVIEW de Ralphanie Mwana Kongo pour le magazine AMINA
Difficile d'aborder toutes les questions, de suivre toutes les pistes qu'on aurait souhaité dans un article. Ma critique du roman La Boue de Saint Pierre est forcément concise. Cette interview accordée par l'auteure m'a ainsi permis de revenir avec elle sur certains points. Elle est parue dans le numéro 516 du magazine AMINA (avril 2013).
Avec la Boue de Saint-Pierre,
son premier roman, Ralphanie Mwana Kongo nous entraîne dans les rues boueuses de
Saint-Pierre, un quartier insalubre où la population essaie tant bien que mal
de s’en sortir. Nous sommes à Tanu, pays imaginaire d’Afrique centrale. A côté
des ‘‘misérables’’ de Saint-Pierre, il y a les nantis, qui ont des maisons, des
voitures, qui préfèrent jeter de la nourriture dans les poubelles plutôt que de
la voir faire le bonheur d’une famille dans le besoin. Tanu est à l’image des
sociétés modernes : très antinomique. Pauvreté excessive d’une part,
richesse insolente de l’autre. Explications de l'auteuire.
Ralphanie Mwana Kongo, l’image que vous donnez de la femme dans votre
roman est très satirique : mères indignes, fille qui ne tente rien pour
s’en sortir même si le sursaut intervient plus tard, épouse ingrate et
infidèle… vos personnages féminins n’illustrent pas la pensée selon laquelle la
femme est l’avenir de la société…
(Sourire de l’auteur) Je n’ai pas le sentiment d’avoir gratifié les
personnages masculins de mon roman d’une image plus reluisante. Mais en même
temps l’exercice d’écriture que j’ai entrepris ne consistait pas à comparer les
hommes aux femmes ; c’est de l’Humain que j’ai voulu parler, l’Humain dans
ce qu’il peut avoir de louable ou de méprisant, peu importe le genre auquel il
appartient.
La femme, l’avenir de la société ? Mais qu’est la femme sans
l’homme, et vice versa ? Je crois, moi, en la complémentarité des sexes
pour la construction d’une société plus juste.
La boue du quartier Saint-Pierre où évoluent vos personnages, et qui
donne son titre au roman, illustre-t-elle l’implacable misère dans laquelle pataugent
certaines couches des sociétés africaines ?
Disons qu’au-delà de son aspect
factuel (en rapport avec l’état même des rues), la boue symbolise ici la
crasse, la souillure. Je me suis attelée à décrire les mœurs des résidents de
ce quartier pauvre qu’est Saint-Pierre, faisant ainsi un lien étroit entre
misère et vices. La pauvreté déprave l’Homme, il est ce fumier sur lequel
germent des maux tels que la prostitution, l’escroquerie, …
Dans votre roman, deux jeunes enfants sont traités comme des
domestiques, voire des esclaves, par leur grand-mère qui les considère plus
comme une main d’œuvre gratuite que comme des petits-enfants. Ces actes sont
condamnables, bien sûr, mais faut-il pour autant généraliser et présenter
l’initiation des jeunes aux travaux domestiques comme une mauvaise chose ?
Non, l’initiation des enfants aux
travaux domestiques n’est pas une mauvaise chose en soi. Bien au
contraire ! Et nous avons tous appris au contact de nos mères, nos aîné(e)s
… Seulement un enfant doit baigner dans l’insouciance propre à son âge, avoir
accès aux loisirs utiles à son épanouissement, et ne devrait en aucun cas assumer
des responsabilités d’adulte - je fais
ici allusion par exemple à ces petites filles qui secondent leur mère, qui
doivent en permanence s’occuper de leurs cadets ; ces enfants à qui l’on attribue
un rôle qui ne devrait pas être le leur.
Vous dénoncez dans votre livre, je cite : « une société basée sur le tabou, les non-dits, les silences
complaisants ». En publiant ce roman, espérez-vous que les langues se
délient ? Connaissez-vous des personnes dans votre entourage qui ont subi
des choses ignobles comme l’inceste et qui ne se sont pas révoltées ?
Le tabou est encore beaucoup trop
présent dans nos sociétés africaines. Il faut dire qu’il est également
difficile pour une victime - qui nourrit un sentiment de culpabilité - de
dénoncer les sévices qu’elle subit. Et c’est surtout parmi les proches, dans le
voisinage, que les langues devraient davantage se délier, que des mesures
doivent être prises pour mettre un terme à ces choses et punir leur auteur.
Non, je n’ai eu vent d’aucun acte
d’inceste dans mon entourage immédiat, heureusement !
Peut-on s’émanciper quand on n’a aucun soutien, quand la société refuse
de voir votre calvaire ?
Cela est difficile, mais demeure
toutefois possible. Gaspard Tala, l’un des principaux personnages de mon roman,
parvient à trouver sa voie grâce à la couture. Plus tard sa sœur Pélagie,
prendra conscience qu’elle peut à son tour s’affranchir du joug d’un compagnon
irresponsable et brutal, et assurer son avenir ainsi que celui de ses enfants
grâce à son talent (qui est le tricot).
Je rêve d’écrire depuis mes plus
jeunes années. Et ce premier roman est né d’une empathie sur la condition de
certains individus. Je conçois l’écriture comme un outil, une arme dont on peut
aisément se servir pour dénoncer certaines choses. J’écris parce qu’il y a des
réalités qui me dérangent.
Vers la fin du roman, le dirigeant au pouvoir est renversé par l’un de
ses proches, après avoir régné en dictateur durant plusieurs décennies. Et
voici ce que nous lisons à la page 151 : « Bukuta était un diable auquel on s’était accommodé au fil des
ans. Et un diable qui vous est familier est bien plus rassurant qu’un inconnu,
dont on ne sait s’il se conduira en ange ou en démon cent fois plus ignoble
encore que son prédécesseur. » La dictature est-elle tolérable
lorsqu’elle est gage de stabilité ?
Rien ne
peut justifier la dictature. Dans cet extrait, l’auteure que je suis
retranscrit la pensée de ces peuples marqués à jamais par un sombre passé fait de
guerres civiles et d’insécurité politique, et pour lesquels des maux, tels
que le chômage et la pauvreté, deviennent supportables pour peu qu’on leur
garantisse une paix même précaire. Et l’homme qui sera parvenu à les sortir de
la guerre, à faire régner un semblant de paix dans le pays, les rassure bien
plus qu’un nouveau dirigeant – surtout quand celui-ci prend le pouvoir par la
force - dont ils ne peuvent encore prévoir la bonne ou mauvaise
« gouvernance ».
Temps de chien, de Patrice
Nganang. Un très bon roman !
mercredi 3 avril 2013
Briseurs de rêves, d'Aimé Eyengué
Pour qui a déjà lu Aimé Eyengué, il ne fait aucun doute que cet auteur comporte dans son encrier un fond de poésie qui nourrit souvent sa plume. Mais de là à penser qu'il produirait une oeuvre entièrement poétique, c'est ce qu'on ne soupçonnait point, et c'est pourtant ce qu'il a fait en publiant, en décembre 2012, le recueil Briseurs de rêves, suivi de Rêves de Brazzaville.
C'est un recueil qui invite le lecteur à observer "le babillage et l'habillage de notre monde" (propos liminaire). Et notre monde se caractérise surtout par son altérité, par sa promptitude à transformer les "danses" en "décadences", par son hypocrisie ou plutôt sa perfidie, car sous un masque fait de sourire et de bonhomie, il peut dissimuler l'arme avec laquelle il a l'intention de vous briser.
"Briseurs de rêves" dénonce cette société où "L'humanité s'écroule / La justice recule", une société faite de flagrantes inégalités :
"Les pauvres en minuscule
Les riches en majuscule".
Notre société, au lieu de le fuir, déroule le tapis rouge à "l'ogre financier", de sorte que celui-ci dévaste tout sur son passage, il est même la cause de la décadence évoquée ci-dessus, comme l'illustre le roman de Ralphanie Mwana Kongo, La Boue de Saint-Pierre, où un personnage, époux fidèle, père exemplaire et frère attentionné, voit sa vie muer en cauchemard dès lors qu'il se laisse conduire par cet ogre. Prosternez-vous devant le dieu Argent et vous verrez vos rêves se briser en menus morceaux.
L'Argent est, on l'aura compris, un des thèmes principaux de ce recueil, avec la religion et les moeurs. Mais Aimé Eyengué parle aussi de politique, régimes comme figures emblématiques :
Le manifeste du silence,
C'est aussi le taux d'abstention élevé,
le rêve en déclin,
Dans les démocraties à l'emporte-pièce.
(poème "Le manifeste du silence")
Dans Briseurs de rêve, recueil en quatre tableaux, Aimé Eyengué crie sa révolte : contre l'Argent-roi, contre les profanations et les diffamations, contre tout ce qui empêche les libertés de s'épanouir et les enthousiasmes de s'exprimer.
Mais Briseurs de rêve est aussi et avant tout un objet littéraire. L'auteur s'amuse avec la langue, avec les rimes, il fait s'entrechoquer les sons pour faire éclater le sens. On l'observe déjà dans les titres des poèmes : "Fa sol la Sida" ; "Laura Je" ; "Mille milliards de mille Sodome". On peut le voir aussi dans cet extrait, où le jeu avec les pronoms personnels permet la dénonciation de l'ego surdimensionné. Le poème est justement intitulé "Vieux jeu" :
Vieux jeu, le je
Aigrit le Tu
Avale le Il
Avale le Il
(...)
Le "Moi, je" tue
Bref, c'est à une dégustation poétique aussi bien que philosophique que nous invite Aimé Eyengué dans Briseurs de rêves.
Aimé Eyengué, Briseurs de rêves, suivi de Rêves de Brazzaville, L'Harmattan-Congo, 2012, 104 pages, 12 €.
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