lundi 27 décembre 2010

Cinquante ans dans la peau de Michael Jackson, de Yann Moix

Yann Moix a publié ce livre à la disparition de Michael Jackson, en 2009. Je m'étais promis depuis longtemps de le lire, j'avais suivi l'auteur sur les plateaux télé et j'étais curieuse de savoir ce qu'il y disait. C'est un petit livre de 14 chapitres dans lequel Yann Moix explique la vie de l'artiste, une manière de répondre à ses détracteurs, sur deux points en particulier : la volonté de MJ de devenir Blanc et les accusations de pédophilie. J'ai trouvé l'argumentation de Yann Moix très intéressante, surtout lorsqu'il tord le cou à la réputation de pédophile de Michael.




Tous les chapitres ne se lisent pas avec le même intérêt, moi je vous recommanderais particulièrement : "L'homme à l'envers", "L'impédophile" et aussi "Black and white", mais surtout le premier : "La mort la plus universelle de tous les temps", parce que c'est là que l'essentiel est dit. Yann Moix ne nous apprend pas une vérité, il confirme ce que chacun des contemporains de l'artiste a dû ressentir, inconsciemment ou non : le caractère exceptionnel de cet homme, de son destin ; sa capacité à unifier les peuples, juste en chantant et en dansant, et ça personne auparavant n'avait réussi à le faire :

"Michael Jackson est mort, et cette mort est la plus universelle de toute l'histoire de l'humanité. [...] Le monde ne communie jamais à l'unisson. Sauf dans le cas de Michael où pleurent, ensemble, au coude à coude, se remontant mutuellement le moral, se soutenant comme des frères, les juifgs, les musulmans, les catholiques, les orthodoxes, les bouddhistes, les protestants, les animistes, les communistes et les athées. C'est une même prière, inventée spécialement pour l'occasion, qui semble s'imprimer dans ce deuil sans précédent."
(Cinquante ans dans la peau de Michael Jackson, pages 18-19)

Plus loin :

"Aujourd'hui que la terre le pleure, musulmans, juifs, athées et chrétiens, d'une larme identique et universelle, impeccablement planétaire, on se réjouit au moins d'une chose : que les peuples puissent souffrir une douleur commune. Michael nous aura apporté (...) quelque chose d'inattendu : la première Paix mondiale." (p. 51)

Ce sont ces derniers mots qui me font me réjouir d'avoir lu ce livre, tout le reste est pour moi secondaire et presque vain. Je me suis déjà exprimée sur la disparition de cet homme d'exception dans l'article "Michael Jackson ira-t-il au ciel ?" et ce livre me donne l'occasion d'aller plus loin.

En fait, que faut-il retenir de MJ ? Ou plutôt que faut-il retenir de plus important ? Eh bien ceci : il est un des heureux hommes à avoir accompli leur mission. Michael Jackson est une parfaite illustration de la parabole des talents que vous pouvez lire dans les Evangiles (Matthieu 25 : 14 à 30 ou Luc 19 : 11 à 26).

En résumé, voici l'histoire : Un seigneur, avant de partir pour un long voyage, appelle ses serviteurs et leur remet à chacun un bien (appelé soit "talent", soit "mine"), disons une somme d'argent, pas la même, qu'il calcule en fonction de la capacité de chacun. A son retour, il les rappelle pour qu'ils lui rendent compte de ce qu'ils ont fait avec cet argent. Le premier, le deuxième ont fait fructifier la somme et rapportent le double de ce qu'ils avaient reçu au départ. Le troisième revient, tout penaud : il n'a pas trouvé mieux que d'aller enterrer ce qu'on lui avait donné et rapporte donc la même chose. Ce manque de bon sens provoque bien évidemment la colère du maître :  "si tu étais incapable de faire fructifier mon argent, ou trop paresseux pour le faire, pourquoi ne l'avoir pas mis en banque pour qu'il me rapporte au moins des intérêts ?" Et celui-ci de lui reprendre l'argent et  de le donner à un autre.

C'est mon intime conviction : nous avons tous reçu, à la naissance quelque chose. Il nous appartient, non seulement de le découvrir, mais de travailler pour que ce quelque chose, ce don s'épanouisse et éclaire les autres. Nous n'avons pas tous reçu au même degré, mais chacun selon sa personnalité, selon ses capacités. Cependant il est clair qu'il faut polir ce bien qui nous est donné brut à la naissance, l'affiner, l'enjoliver mais surtout le développer. Si nous ne le faison pas, nous aurons raté notre vie. 

Michael Jackson a su, très tôt, développer les talents qui étaient en lui. Il avait des frères et des soeurs, qui ont pourtant été élevés comme lui, dans la même maison, qui eux aussi chantaient bien, dansaient bien, mais seul lui a séduit le monde d'une manière bien à lui, parce que c'est à lui qu'il était donné d'être comme un messie qui viendrait pacifier le monde. Je ne dis pas que MJ n'a aucun mérité : la parabole montre clairement le travail à accomplir pour la croissance du bien précieux reçu. Et MJ était un bosseur, point n'est besoin de rappeler ici quel génie il était, quel artiste ! Les autres auraient beau travailler, et même aujourd'hui, on aura beau faire tout son possible pour danser comme lui, chanter lui, ce ne sera jamais aussi parfait que Michael lui-même : "Il a eu des copies mais lui aura été l'original. Personne d'autre que lui n'aura été lui", conclut Yann Moix. La danse, le chant étaient le moyen, mais la mission était la paix dans le monde, la fraternité des peuples.

MJ avait un rôle à jouer dans ce monde : faire que toutes les barrières s'écroulent comme les murs de Jéricho au simple son de sa voix. Il n'a pas eu besoin d'assener sur la tête des gens des prêches, de faire des appels à la conversion, d'inviter les gens à s'aimer les uns les autres. Il chantait, il dansait tout simplement, et dans le monde entier, les gens se donnaient la main pour former une chaîne de l'amitié la plus pure, la plus désintéréssée, la plus vraie.

Dans ce monde de plus en plus fermé à tout ce qui est religieux, ou qui n'est religieux que d'une manière travestie, superficielle, rigide, il est bon qu'il se trouve parmi les hommes quelqu'un qui, sans faire officiellement oeuvre de religion est pourtant plus efficace que les religieux les plus convaincus. Michael Jackson est la preuve que la vraie religion n'est pas tant dans le respect des règles : dans le fait de mettre ou de ne pas mettre le voile, de boire ou de ne pas boire d'alcool, de fréquenter ou de ne pas fréquenter régulièrement une église, de lire ou de ne pas lire un livre saint... elle est dans ce que confesse votre vie toute entière.

Pour revenir à la parabole des talents, il en va pour les hommes comme pour les nations ou les populations. Chacune reçoit un talent, à faire fructifier, pour le bien de toute l'humanité. C'est pourquoi il est vain de dire les uns les autres : c'est nous qui avons inventé ceci, c'est nous qui avons inventé cela, cela vous a été donné, et si vous ne le faites pas, un autre le fera à votre place. C'est comme pour les métiers : il n'est pas donné à tout le monde d'être médecin, mécanicien, enseignant ou que sais-je encore : vous aurez beau faire, vous pourrez bien vous débrouiller dans un autre domaine que celui qui était le vôtre par prédilection mais ce ne sera jamais la même chose que celui qui est un ayant droit de ce domaine.

Bon il faut bien que je conclue, sinon je ne m'arrête plus. En cette fin d'année, je vous invite à découvrir, à développer, à faire briller le ou les dons que vous avez reçus de... si le mot "Dieu" vous gêne, mettez "la Nature", car vous conviendrez avec moi que nous n'avons pas tous les mêmes aptitudes, et surtout pas dans les mêmes proportions. Je ne citerai qu'un autre exemple, en plus de celui de la musique : la littérature. Tous les écrivains n'ont pas la même stature. Il y en a qui, même avec un peu de travail seulement, gagnent rapidement une certaine hauteur là où d'autres mettront des années de labeur, et pour n'atteindre que le tiers de cette hauteur. Tous les écrivains n'ont pas la même stature mais tous contribuent, chacun à sa manière, au bonheur des lecteurs. J'ajouterai également : tous ne sont pas des écrivains-nés. Je vous vois venir : vous voulez que je vous donne quelques exemples d'écrivains-nés. Volontiers. Je n'ai qu'à regarder la liste de mes lectures 2010 et deux noms s'imposent aussitôt : Romain Gary, Toni Morrison. Quand on lit ces deux-là, on voit bien qu'ils étaient appelés, tôt ou tard, à écrire. On a plaisir à baigner dans leurs textes, on est à l'aise, on est bien, on est chez soi.

dimanche 19 décembre 2010

Le Conseiller du Prince, d'Aimé Eyengué

A l'heure où l'actualité ivoirienne nous montre combien la paix est fragile, notamment en Afrique où l'élection présidentielle semble devenue l'occasion de faire main basse sur les armes de guerre, il est bon de s'emparer de l'arme de la parole pour essayer de démolir ce monstre qui décidément prend plaisir à montrer sa tête hideuse, riant au nez de tous ceux qui appellent de tous leurs voeux une démocratie qui règnerait sans partage. J'ai nommé la guerre.

L'arme de la parole est d'autant plus efficace qu'elle est utilisée à bon escient par ceux qui se trouvent dans l'entourage direct du premier responsable politique d'un pays. Les "conseillers" ont un rôle capital, car l'avenir d'un Etat, d'un royaume dépend finalement d'eux, il dépend de leur force ou de leur faiblesse auprès de l'élu du peuple. C'est l'objet du livre d'Aimé Eyengué, auteur dont je vous ai déjà parlé ici, qui a publié il y a quelques temps Le Conseiller du Prince, un essai qu'il dédie entre autres "à tous ceux qui, allergiques au parler des armes, militent plus que jamais pour que le parler des mots et le dire du silence des armes aient définitivement raison de la guerre."



Le livre se compose de 19 chapitres qui analysent cette fonction ainsi que l'implication de différents facteurs comme l'argent ou le savoir dans le maintien de la paix. L'auteur insiste sur le rôle de l'intellectuel et surtout sur celui de la femme dans le climat politique. Il ne s'agit pas ici de vous résumer le livre car le but est que vous le lisiez par vous-mêmes, mais si je devais vous proposer quelques chapitres qui ont particulièrement retenu mon attention, ce serait ceux consacrés à l'un et à l'autre.

Dans le chapitre VII intitulé "L'intellectuel et la démolition du vice en politique", Aimé Eyengué s'attaque à un vice en particulier :

La Domination : c'est-à-dire la propension qu'a l'homme à se croire supérieur aux autres, avec son intelligence supérieure à une autre, sa race supérieure à une autre, son ethnie supérieure à une autre, sa communauté supérieure à une autre, sa religion supérieure à une autre... tout en supportant mal l'expression de la différence que voudrait lui faire entendre l'autre, lui préférant le conformisme béat, le nombrilisme maladif ou l'ethnocentrisme paranoïaque... Difficile en tout cas de faire entendre raison à quelqu'un qui croit d'avance sa raison supérieure.
(Le conseiller du Prince, page 59)

Ce passage m'a fait repenser à La prochaine fois le feu, de Baldwin.

Dans le chapitre XVIII, "Des observations sur le magistère d'une femme", on peut lire ceci :

Quand le monde aura fini d'être machiste, et qu'il aura compris que diriger un Etat nouveau ou ancien n'est point une affaire exclusivement masculine, alors les vertus de la Parole triompheront définitivement de la guerre. (page 137)

Plus loin :
Car la paix vaut mieux que toute la fortune du monde, et l'or de la vie humaine plus que l'or de la terre ou l'or noir. Et seule la femme, qui est le réceptacle du mystère de la conception et connaît bien évidemment les douleurs de l'accouchement, apprécie beaucoup mieux à sa juste valeur le prix d'une vie humaine ; ainsi, plus qu'un homme, c'est elle qui est mieux à même à convaincre la paix à s'installer sans inquiétude dans une Principauté. (page 140)

Bref voici une oeuvre, non seulement utile, mais aussi intéressante, qui s'appuie sur des exemples précis, tirés principalement de la vie politique française et d'autres pays aussi, et en accordant une place importante à la politique des Etats africains. Les cas du Congo Brazzaville, d'où vient l'auteur, de la Côte d'Ivoire "qui était pendant longtemps à l'abri des troubles ethniques", sont traités dans cet ouvrage nourri de références littéraires, la première étant Le Prince de Machiavel qui fait plutôt état d'un Prince de la Guerre. Comme une riposte, Aimé Eyengué propose donc Le Conseiller du Prince, essai sous-titré "Pour un Prince de la Paix".

Vous pouvez écouter l'auteur s'exprimer sur son livre en cliquant ci-dessous.


Aimé Eyengué, Le Conseiller du Prince, L'Harmattan, décembre 2008, 162 pages, 15.50 €.

Autres ouvrages de l'auteur :
- La France, si je mens, Société des Ecrivains, 2007.
- L'Abbé est mort, vive l'Abbé, Le Manuscrit, 2008.

dimanche 5 décembre 2010

Blues pour Elise, de Léonora Miano

Ce dernier roman de Miano a de quoi surprendre ses lecteurs habituels. En effet, c'est comme si l'auteure avait décidé ou accepté de descendre un peu de son piédestal pour être plus en phase avec les préoccupations immédiates du commun des mortels. Ses précédents romans étaient tracés selon une ligne philosophique et existentielle qui n'est pas totalement absente dans celui-ci, mais n'y apparaît qu'en arrière-plan. L'écriture même, plus abondamment baignée de musique, paraît moins... comment dire ? agressive ? Je veux dire par là que ses textes avaient quelque chose de percutant dans la forme et le fond, on sentait que l'auteure avait des choses à dire et que celui qui n'avait pas d'arguments valables n'avait pas intérêt à l'arrêter pour rien. Comme les femmes dont il est question dans le roman, notamment Akasha de qui je rapproche le plus l'auteure, elle pouvait jusque-là sembler une "guerrière", une "amazone" ou tout simplement une femme qui montrait qu'elle avait des griffes pour se défendre, ce qui pouvait effaroucher ceux qui s'arrêtaient à cette combativité affichée. 



Dans Blues pour Elise, Léonora Miano paraît plus ouvertement sensible. Elle nous présente plusieurs tableaux de femmes, des tableaux dressés de telle sorte que les uns éclairent les autres de leurs reflets. Femmes aux blessures multiples : familiales, sociales, sentimentales..., des femmes qui ne demandent à la vie qu'un homme à aimer, qu'à être aimées telles quelles sont. Il y a d'abord la bande de filles baptisée les "Bigger than life"  et composée de quatre jeunes femmes : Akasha, Amahoro, Malaïka et Shale. Chacune avec son style, son physique, sa personnalité. Il y a aussi quelques uns de leurs proches : Estelle, la soeur de Shale. Elise, leur mère.  Fanny, leur tante, soeur d'Elise. Au milieu de ces tableaux de femmes, celui d'un jeune homme : Baptiste, alias Bogus, le fils de Fanny. Tous avec leur vie à porter, à inventer ou à réinventer.

Léonora Miano l'annonce dès le départ : elle montre dans son Blues pour Elise des "Afropéen(ne)s" qui ne sont pas en quête des allocations familiales, car c'est généralement le reproche qu'on fait aux immigrés en France, notamment les Noirs. Tout leur être ne tend que vers un objectif : l'amour. 

Un petit extrait pas du tout choisi au hasard, vous comprendrez pourquoi :

"Sa voix l'enveloppait. L'homme était un maître de la parole. Ah, la magie de son verbe... Il parlait des vies antérieures au cours desquelles leurs âmes avaient cheminé. Ils étaient l'un avec l'autre, l'un à l'autre, depuis que la vie était apparue. Il disait les constellations qu'ils habitaient en esprit, et dont leur peau mate emprisonnait jalousement l'éclat, contait les paradis perdus, les aubes à conquérir, bientôt, à force d'amour".  (Blues pour Elise, page 31)

Alors, pourquoi cet extrait ? Pas simplement parce qu'on s'y trouve en plein dans le sujet même du livre, l'amour, mais surtout parce qu'on y entend l'écho des précédents titres de l'auteure : "constellations", "éclat", "aubes", comme pour mieux se démarquer avec eux.

Léonora Miano, Blues pour Elise, Editions Plon, octobre 2010, 206 pages. 18 euros. Une invitation à l'amour.

lundi 29 novembre 2010

Bougouniéré invite à dîner, de la compagnie BlonBa

J'ai eu la chance de rencontrer quelques membres de la compagnie théâtrale BlonBa, du Mali, de passage à Paris pour quelques représentations, le 28 octobre dernier à l'Albarino Passy où ils étaient invités pour parler de leur pièce, Vérité de soldat. J'avais été bien inspirée en faisant l'acquisition du DVD Bougouniéré invite à dîner (le deuxième, Sud-Nord, le Kotèba des quartiers, m'avait été gentiment offert). Je n'aurais pu imaginer qu'il serait applaudi à la maison.

En effet, soit que je sois appelée à mes occupations domestiques, soit que je ne bénéficie pas de suffisamment de calme pour ne rien perdre du spectacle, depuis quelques semaines je n'ai fait que commencer la lecture de la video, sans pouvoir la terminer. Mon fils, par contre, ayant été captivé dès les premières scènes, est allé jusqu'à bout. C'est même devenu son DVD préféré. Il l'a visionné un bon nombre de fois, déjà. Il se marre tellement qu'il a réussi à réunir toute la famille autour de Bougouniéré et de sa famille. A 9 ans, il n'a sans doute pas saisi la portée sociale et politique de la pièce, mais l'intrigue, il l'a bien comprise. Les noms d'oiseaux dont Bougouniéré abreuve son mari ont de quoi déclencher les éclats de rire, certes, mais pas seulement. Les comédiens jouent admirablement leur rôle, et Bougouniéré la première. Qui est donc Bougouniéré et pourquoi invite-t-elle à dîner ?

Nous sommes au Mali, dans une de ces familles qui se battent quotidiennement contre des ennemis redoutables, notamment la misère, le chômage. Il faut essayer de s'en sortir. Bougouniéré a donc l'idée de monter une ONG, avec des objectifs susceptibles d'attirer la bienveillance des investisseurs européens : "alphabétisation des filles rurales", lutte contre les "MGF", les mutilations génitales féminines etc. Elle réussit à attirer dans ses nasses Monsieur  "Big fish", un représentant de la Banque mondiale de qui elle espère obtenir des subventions. Pour ce, elle prépare un dîner, afin de faire découvrir au boss blanc le "Mali profond". Mais désargentés comme ils sont (Djéliba, son mari, un homme pourtant plein de compétences, est au chômage), comment offrir un repas digne de ce nom ? Toute la famille est mise à contribution pour fournir de quoi faire honneur au Big fish. Toute sa famille (en réalité les seuls membres de l'ONG en attendant qu'elle ne se développe), son mari, leurs fils, que ce soit les deux qui vivent avec eux ou celui qui est en France (arrivé là-bas au prix d'énormes sacrifices.


Quelques comédiens de la compagnie BlonBa, parmi lesquels Michel Sangaré (au milieu) qui joue le rôle de Djéliba, mari de Bougouniéré.

 L'ironie est permanente et ne ménage personne : qu'il s'agisse des Etats africains, où les gens croulent sous le poids de la désespérance, les ONG aux dehors pimpants mais qui n'ont pour seule raison d'être que le désir d' "attraper les subventions qui passent", les organismes internationaux, qui ne sont pas moins dans le business plutôt que dans le réel partenariat... Bref chacun en prend pour son compte car chacun ne pense qu'à ses intérêts. La question de l'immigration est également abordée, dans sa réalité brutale. Mais ceux qui souffrent le plus, ce sont toujours les plus faibles.

Invitez-vous au théâtre sans quitter votre canapé avec Bougouniéré invite à dîner, de la compagnie BlonBa. Création d'Alioune Ifra Ndiaye et Jean-Louis Sagot-Duvauroux. Une pièce qu'il est agréable de regarder en famille. Disponible sur Internet.

Créée en 2005 et filmée en Juin 2007 au Théâtre Paul Eluard de Choisy-Le-Roi. Durée : 1h05.

vendredi 26 novembre 2010

Rencontre Africa Paris du 25 novembre

Quand on a assisté une seule fois aux rencontres qui se tiennent à l'Albarino Passy, organisées par Africa Paris et le maestro Gangoueus, on a envie de prendre un abonnement pour toute l'année. Hélas, n'en profite pas qui veut ! Les chanceux sont ceux qui habitent la région. Même si elles ont lieu un jeudi, on chope le métro et on y est. Et nous autres provinciaux alors ? Comment faire pour y être à 19h après sa journée de travail et les éventuels questions de garde d'enfants à régler ? C'est perdu d'avance, me diriez-vous.

Mais quand il y a un ivité aussi prestigieux que Sami Tchak, que faites-vous ? Vous vous dites : tant pis, même si j'arrive bien au-delà de l'heure du rendez-vous, ce serait dommage de ne pas profiter de cette occasion pour rencontrer l'auteur des Filles de Mexico. Je voulais en quelque sorte vérifier son identité. L'identité d'un auteur se lit, non pas sur sa carte d'identité, ni au travers de la mention de ses origines, mais se définit dans ses romans, dans ses textes. Montre-moi ce que tu écris, je te dirai qui tu es.

Sami Tchak m'a montré dans ses romans l'image d'un homme profondément humain, qui jette des ponts comme des filets dans l'océan de l'humanité pour attraper l'amitié des autres. Un homme sensible. Un homme humble aussi. On a envie de le rencontrer. Et l'homme fait un avec ses textes.




Aussitôt qu'il m'a aperçue, il m'a fait un signe de la main, et ne s'est même pas gêné pour venir à ma rencontre. J'ai eu le plaisir d'apprendre que mes chroniques étaient lues et appréciées. La discussion a très vite glissé sur la lecture et l'écriture. Sur les livres qui ont nourri notre sensibilité. Sur les oeuvres que nous trouvons tellement belles qu'elles nous amènent à considérer nos propres productions comme bien insignifiantes. J'avais adoré l'hommage que Sami Tchak rend à Ananda Dévi dans Hermina, il m'a parlé de celui de Céline à Shakespeare.

Finalement j'ai bien eu devant moi l'auteur de Hermina, qui fait dire à Heberto, le héros de ce roman, que chaque fois qu'il lisait de bons livres, son désir de devenir écrivain maigrissait de dix kilos. Enfin, ce n'est pas la citation exacte, mais c'est à peu près ça. C'est un sentiment contre lequel on ne peut se défendre : plus on lit, plus on se dit : que peut-on dire de plus ? Ou bien pourrais-je dire l'homme, dire la vie, dire le monde aussi bien que cet auteur-ci ou cet auteur-là ? Ne vaudrait-il pas mieux se taire et écouter les autres ?

Myriam Tadessé, Marthe Fare et Liss.

Bon il y avait du monde, hier, à l'Albarino. Il y avait surtout des femmes qui ont bien l'intention de marquer le territoire le la littérature. Des femmes qui affinent leurs pinceaux pour que les tableaux qu'elles présenteront dans leurs oeuvres retiennent votre attention. Par exemple Marthe Fare : elle se demande quand est-ce que la littérature togolaise va s'écrire au féminin. Vous pouvez la lire ici :
Et moi je me demande quand est-ce que les éditeurs vont se jeter sur elle pour que se diffuse dans les Lettres togolaises cette vigueur féminine tant espérée.
Myriam Tadessé a publié L'instant d'un regard chez L'Harmattan et mis en scène une nouvelle de Sami Tchak.

Sami Tchak acceptant, à ses risques et périls, de se laisser encadrer par Liss et Marthe Fare. Si, à l'avenir, vous trouvez que son talent s'est amoindri, ne cherchez pas loin, il aura été l'objet d'une transmission mystique.


Soirée Sympa. Elle s'est prolongée par un dîner, mais moi, il fallait que je file, mes poussins attendaient à quelques mètres. Oui, je sais, je suis une mauvaise mère, les traîner ainsi jusqu'à Paris ! J'entends encore leurs protestations. "Mais, maman, on n'a même pas fait les devoirs !" "Eh bien, on va les faire dans la voiture, ou bien vous les ferez demain matin à la garderie. Allez, en route, on va à Paris ! Faut que j'arrive avant 21h, moi !" Déclaration faite sous le regard réprobateur... mais collaborateur du papa.

mardi 23 novembre 2010

Pour l'amour de Mukala, de Thérèse Zossou Esseme

Je n'ai pas mijoté de plat ces jours-ci, je sors donc de mon frigo (de mon congélateur je devrais dire) un plat que je réchauffe tout spécialement pour vous, notamment parce que le roman dont il est question dit l'Afrique et les Africains d'une manière encourageante.


Pour l’amour de Mukala, roman de Thérèse Zossou Esseme est un court récit qui se lit comme on écoute un aïeul nous raconter un conte merveilleux. Merveilleux parce qu’il y a l’intervention de faits qui échappent à la raison, des choses qui relèvent du mystique comme les hommes ayant un double animal et qui meurent lorsque ce dernier est tué. Cette croyance, largement répandue en Afrique, est le sujet même du roman Mémoires de Porc-épic d’Alain Mabanckou. Merveilleux aussi parce qu’on a l’impression que, malgré les péripéties, malgré les terribles épreuves auxquelles les deux personnages principaux, Daniel Dika et Yvonne appelée aussi Mukala, doivent faire face, dans ce roman comme dans les contes, tout est bien qui finit bien.

Ce roman se lit aussi comme si on était l’oreille privilégiée d’un ami qui nous fait des confidences, nous fait part de ses souvenirs, de ses espérances, de sa vision de la vie et de l’Afrique.

L’Hymne à la vie

Le roman de Thérèse Zossou Esseme est en effet comme un hymne à la vie, un appel à toujours combattre pour lui donner le dessus. Il faut, pour que la vie soit belle, se battre pour elle. On voit progresser, durant les trois quarts du livre, les relations entre les deux personnages principaux, qui habitent la même Résidence Universitaire, celle d’Antony, en Région parisienne. Peu à peu ils se rapprochent, tombent amoureux. Mais les choses ne sont pas si simples. Chacun d’eux a connu la pire des épreuves : la disparition d’un être cher. Ce qui fait que Daniel s’interroge sur le sens de sa vie, se demande pourquoi avoir des ambitions et faire des efforts, puisque sa sœur, qui était sa complice, les quitte. Quant à Yvonne, elle a perdu le père de son enfant dans des conditions tragiques, elle ne livre pas son cœur facilement. Ils finissent cependant par s’ouvrir l’un à l’autre et unir leurs vies. Suivent alors des moments de grande félicité. Mais cette ascension vers le sommet du bonheur est brusquement interrompue, ils se retrouvent face à l’adversité : problème de santé conduisant à la perte de la vue pour Yvonne et surtout perte de la petite fille qui est née de leur union. Cette sombre période de leur vie est condensée en seulement deux chapitres, comme pour montrer combien le malheur resserre l’étau autour de leur cou pour les étrangler. Mais les deux jeunes gens rebondissent, ils décident de s’en sortir. Et la fin du livre est comme un retour au bonheur initial.

Une autre image de l’Africain

Thérèse Zossou Esseme veut donner une autre image de l’Africain en séjour en Europe, pour ne pas dire en France. Aujourd’hui celui-ci est plutôt vu comme un profiteur, comme celui qui vient réquisitionner les allocations ainsi que les cœurs, abusant de l’amour naïf d’un blanc ou d’une blanche pour obtenir des papiers. Dans le roman Cœurs en papier de Christian Mambou, on a aussi cette volonté de donner une autre image de l’Africain. Pour l’amour de Mukala donne un exemple de jeunes africains qui ne profitent pas des opportunités qui peuvent se présenter à eux. Ils décident de rentrer au pays, leurs études terminées, car là-bas tout est à construire. Malgré les mauvaises conditions de travail, le manque de matériel, les deux héros mettent leur savoir acquis en Europe au service de leur pays. Le livre a certes été écrit dans les années 80, et exprime le rêve de tous les Africains pour leur continent : que celui-ci puisse se construire grâce à ses enfants. Or ce qu’on remarque aujourd’hui, c’est l’accroissement de la fuite des cerveaux, à cause des régimes politiques actuels, qui ne font rien ou ne créent pas les conditions pour un retour au bercail des ‘‘cerveaux’’ du pays.

L’Afrique des valeurs

L’auteur veut aussi montrer dans son livre que l’Afrique, même si elle n’a pas encore ce développement qu’elle envie aux pays occidentaux, possède cependant une richesse morale qui fait sa particularité, et qu’elle peut perdre si elle n’y prend garde. Si Daniel et Mukala s’en sortent, c’est surtout parce qu’ils sont soutenus, par la famille, par les amis. Ils ne sont pas seuls dans leurs malheurs. Ce roman donne de l’importance à la famille, aux relations humaines. L’entourage, qu’il s’agisse de proches, d’amis, de voisins, ou de connaissances, est un rempart contre la dépression. Si l’Afrique souffre de sous-développement, en Europe on souffre souvent de solitude, on n’a parfois personne vers qui se tourner. Des personnes âgées, même ayant des enfants qui travaillent et un logement, se retrouvent en maisons de retraite ; des hommes et des femmes se retrouvent SDF (sans domicile fixe) alors même qu’ils ont des frères et des sœurs ou même des parents qui pourraient les loger en attendant de retrouver une situation stable ; des jeunes se suicident car ils n’arrivent pas à porter le poids de leurs souffrances, alors qu’ils pourraient les partager avec d’autres… Ce n’est pas pour dire que l’Afrique ne connaît pas ces tragédies, mais l’impact en est moins important parce qu’on est plus entouré.

Or certains jeunes africains, surtout ceux qui ont grandi ou séjourné en Europe, voit la famille d’un autre œil, elle devient comme un poids, car il faut s’occuper de tout ce monde. Thérèse Z. Esseme veut replacer les choses dans leur contexte et montrer qu’on peut le faire sans avoir l’impression de se ruiner. Elle met aussi en valeur un certain savoir-faire des Africains, dans le cas de la santé par exemple. Il y a des cas de maladies ou la science du Blanc échoue. C’est le cas lorsque Mukala perd la vue, mais c’est la sagesse des anciens, la mobilisation de la famille, qui aura raison de son handicap.

Bref, Pour l’amour de Mukala veut dire une autre Afrique, et c’est à juste titre que ce roman a été publié dans la collection « Ecrire l’Afrique » des Editions L’Harmattan.

L’Auteur : Thérèse Zossou Esseme est né en 1952 à Mbanga, au Cameroun. Elle est professeur d’Allemand à l’EFE Montaigne de Cotonou.
Pour l'amour de Mukala, Editions L'Harmattan, 2007, 130 pages.


Retrouvez cet article sur Afrik.com :

mercredi 17 novembre 2010

J'aurais voulu être journaliste

"J'aurais voulu être journaliiiiste ! pour pouvoir faire mon numéroooo !"
Oui, je sais, c'est "un artiste" qu'on dit, dans la chanson... de qui déjà ? Elle a tellement été interprétée que je me demande qui en est le compositeur.

Un ami écrivain et journaliste, Christian Mambou, m'a dit un jour : "Toi, tu as l'habitude d'écrire des billets. Moi, la prise de vue, les montages vidéo, ça me connaît. Pourquoi ne mettrions-nous pas nos talents ensemble ? Pourquoi ne pas passer du texte à l'audiovisuel ?"
J'écarquille les yeux :
"- Tu veux dire... une émission ? Comment cela peut-il se faire ?  Et puis faire la chronique d'un livre est une chose, la présenter à la télé est une tout autre chose, es-tu sûr que je sois la bonne personne ?
- Oh ! pour le choix de la personne, je ne me fais aucun souci, tu es la bonne personne, fais moi confiance. Le problème, c'est surtout de faire aboutir le projet, de trouver preneur. Mais faut déjà commencer à transformer l'idée en quelque chose de concret. Alors chosis un roman et faisons un essai."

C'était l'été 2008. Il avait l'air sûr de lui, alors je me suis dit : pourquoi pas ? Ce sera l'occasion de vivre une nouvelle expérience, de voir si je peux me glisser dans la peau d'un journaliste. A l'époque, j'étais en pleine découverte de l'oeuvre de Tchicaya U Tam'si, c'est donc de lui que j'ai parlé, plus précisément du roman Ces fruits si doux de l'arbre à pain.

Et voici ce que ça a donné.



samedi 13 novembre 2010

Petit Bodiel et autres contes de la savane, d'Amadou Hampâté Bâ

Connu surtout comme étant l'auteur du roman L'Etrange Destin de Wangrin, devenu un classique de la littérature noire-africaine, Amadou Hampâté Bâ (1900-1991) "fut l'un des premiers intellectuels africains à recueillir, transcrire et expliquer les trésors de la littérature orale traditionnelle ouest-africaine". Le charme des contes réside sans doute en ce que chacun y trouve son compte : les enfants, toujours avides d'histoires où le juste est récompensé et le méchant puni, ne s'en lassent pas ; et les adultes, eu égard à leur expérience de la vie, sont les mieux placés pour apprécier la morale de l'histoire. Amuser, instruire, faire réfléchir, le conte, décrit par Hampâté Bâ comme étant "le message d'hier, destiné à demain, transmis à travers aujourd'hui", assume toutes ces fonctions, d'où son intemporalité. 



Dans Petit Bodiel et autres contes de la savane, vous trouverez une vingtaine de contes, essentiellement issus du patrimoine peul  ou  bambara. Le premier, intitulé "Petit Bodiel", est le plus long et, naturellement, le plus riche en péripéties. C'est également celui qui illustre de la manière la plus frappante qui soit les revers de la vie et la nécessité d'agir avec sagesse et non en fonction de nos désirs souvent démesurés ou simplement égoïstes.

Petit Bodiel est un jeune lièvre paresseux, "Bodiel" signifie en effet "lièvre" en peul. Tout ce qu'il sait faire ou aime faire, c'est "bâiller, dormir, se réveiller, manger, digérer, pisser et péter", et aussi "regarder croupes fermes et seins arrondis des baigneuses." (pages 13 et 15). Quand Papa Bodiel meurt, Maman Bodiel doit se débrouiller pour assurer leur subsistance. Excedée par la fainéantise de son fils, elle lui lance un ultimatum : qu'il s'arrange pour l'aider, pour gagner lui-même savie, sinon elle le chasse de sa maison et le renie même.

Petit Bodiel a bien compris le message, il veut faire plaisir à sa mère, la surprendre agréablement. Mais comment faire ? Il ne peut pas miser sur sa force, il sait qu'il n'en a pas, alors il décide d'aller voir Allawalam, c'est-à-dire Dieu, pour recevoir de sa part autant de ruse que nécessaire pour surmonter allègrement toutes les difficultés de la vie. C'est le début des aventures pour Petit Bodiel, le début d'une longue ascension également, jusqu'à ce qu'il soit pris par la folie des grandeurs.

Que les personnages principaux soient des animaux ou des hommes, tous nous invitent à réfléchir sur la nature humaine, nous mettent en garde contre les apparences. Parmi les thèmes, le couple occupe une place importante. Vous saurez par exemple en lisant ce recueil  "pourquoi l'homme de bien est souvent l'époux d'une femme sans mérite et la femme vaillante l'épouse d'un bon à rien" (p. 131)

Et que vous inspire ceci  ?

"Pour l'homme, la femme est un puits sans fond... Pour la femme, l'homme est un fût qui se perd dans la nue... Jamais ils ne peuvent parvenir à la limite l'un de l'autre. Ils sont telles deux énigmes qui se regardent, se parlent et se complètent, sans cesser de se contester. Ils ne peuvent vivre l'un sans l'autre, mais ne peuvent vivre ensemble sans heurts ni éclats. Avec la femme rien ne marche, mais sans la femme, tout serait foutu !" (p. 15)

Ce Petit Bodiel est un vrai petit régal, il fera le bonheur des petits et des grands. Merci à Kinzy de m'avoir suggéré cette lecture.

Amadou Hampâté Bâ, Petit Bodiel et autres contes de la savane, Editions Stock, 1994, 220 pages.
1993 pour les Nouvelles Editions Ivoiriennes. Le conte "Petit Bodiel" a été pour la première fois publié en 1977 aux Nouvelles Editions Africaines d'Abidjan.

lundi 8 novembre 2010

Le Bus dans la ville, de Yahia Belaskri

J'ai hésité pendant de longues minutes : "Si tu cherches la pluie" ou "Le Bus dans la ville" ? J'aurais bien aimé embarquer les deux romans, mais mon portefeuille n'était pas de cet avis, il n'était même pas du tout d'avis que j'en prenne un, mais il m'arrive souvent de n'en faire qu'à ma tête, de ne pas entendre sonner l'alarme du porte-monnaie, notamment quand il s'agit de livres et lorsque, privilège suprême, l'auteur se trouve devant moi. C'était le 28 octobre dernier, à l'Albarino Passy, où se tiennent chaque dernier jeudi du mois les rencontres Afriqua Paris.

Alors lequel choisir ? Question posée à l'auteur. Il m'a dit un mot de chaque, et un mot a pesé en faveur du premier : "poésie". En début d'année, je m'étais fait la promesse d'accorder plus de  place à la poésie. Alors si, de l'avis de l'auteur, un des deux romans était particulièrement baigné de poésie, il n'en faut pas plus pour emporter mon suffrage.

                                          Liss et Yahia Belaskri.  

Dans ce premier roman de l'auteur, publié en 2008, ne cherchez pas d'intrigue. Laissez-vous simplement porter par les mots. Des mots qui égrènent des souvenirs. Des souvenirs qui jaillissent au gré des soubresauts du bus dans lequel se trouve le narrateur. Ce bus qui s'arrête inopinément, repart, ralentit, s'arrête encore, cherche son chemin dans les rues sinueuses de la ville sont autant d'occasions pour le narrateur de se perdre dans les sinuosités de la mémoire ou de vivre son présent au passé. Passé et présent se regardent, se croisent. Mais à tout bien considérer, ils n'en font qu'un : que ce soit dans les souvenirs du narrateur ou dans le paysage qui s'offre à lui, cette ville qui est la sienne lui répugne : elle n'offre pas d'avenir.

"La misère était grande et générale. Partout, les mêmes ombres, voûtées, soumises, victimes consentantes de la fatalité. Partout le même désespoir chevillé à leurs guenilles. Partout, le même désarroi, le même malheur."
(Le Bus dans la ville, p. 56)

Pire, la ville dévore celles et ceux qui veulent créer des possibilités de réussite. Des volontés se manifestent, des jeunes se lèvent, se mettent en marche vers leurs rêves, mais ceux-ci sont brisés, avec cruauté.

Dans cette ville
La jeunesse est un crime.
L'intelligence est un crime.
La beauté est un crime.
(pages 73-74)

Ils sont nombreux, ceux qui ont voulu faire quelque chose pour leur pays, pour leur ville, pour sa jeunesse, comme Dida, qui veut créer une école de théâtre, comme Samir, les idées plein la tête pour que son pays connaisse le progrès, comme Toufik, comme Alima et bien d'autres, mais ces élans sont arrêtés net. Ce ne sont pas seulement les rêves, ce sont aussi les vies qui sont brisées. La mort, la disparition semble le seul bien que la ville distribue généreusement. Le narrateur a vu partir tous les siens : parents, amis, proches, femmes aimées... tous ont été dévorés par la ville ogresse.

Le Bus dans la ville, un roman construit en échos. L'horizon, dans cette ville du Maghreb, semble irrémédiablement assombri, mais l'auteur l'évoque au travers d'une écriture poétique. Le lecteur tout comme le narrateur semblent tourner en rond, comme le bus, qui "tournait autour de la ville sans jamais la déflorer. Il tournait sans cesse autour de ses blessures, comme un charognard qui attend que sa proie s'effondre." (p. 122)

Très belle lecture.

Yahia Belaskri, Le Bus dans la ville, Vents d'ailleurs, 2008, 128 pages, 14 €.

Le blog de l'auteur :
http://ventsdailleurs.com/Yahia_Belaskri/

Retrouvez cet article sur Exigence Littérature :  
http://www.e-litterature.net/publier2/spip/spip.php?article1066

mercredi 3 novembre 2010

Salon de L'Haÿ-les-Roses vu par Aimé Eyengué

Moi, quand j'aime, j'aime ! Et j'ai aussitôt envie de partager avec les miens ce que j'ai aimé. C'est bien pour cela que la citation de Pennac est mon étendard, Pennac dit si bien cette notion de partage propre aux communautés de lecteurs !
J'ai fait récemment la connaissance d'un auteur congolais, Aimé Eyengué, et depuis, je prends plaisir à le lire. En octobre dernier s'est tenu le salon du livre de L'Hay-les-Roses, j'ai failli y être mais j'avais un autre rendez-vous, important. Si vous n'y étiez pas non plus, pas de problème, Aimé nous offre un compte-rendu tellement vivant et agréable à lire que vous allez vous y retrouver comme par magie. Vous êtes prêts ? Allons-y ! Retournons au Salon, le temps d'une lecture.



"Nous y étions. C’était à l’intérieur du Val-de-Marne. Dans une ville moyenne de l’Île-de-France. Une ville mi-bourg, mi-cité, contiguë à Bourg-la-Reine, mais dans le Val de Bièvre. Où le Moulin de la Bièvre mixait l’air, entre le froid du matin et la bise du soir ; au-dessus d’un éventail illuminé de livres ensoleillés et parfumés, des parfums des mille et une nuits aux parfums des forêts équatoriales. Sous une pluie d’automne timide, mais doucette et interminable. Dans la mixité des peuples qui tendent la rose sourire aux lèvres : à L’Haÿ-les-Roses.

Du 1er au 3 octobre de l’an deux mille dix, il y soufflait un harmattan historique, qui formait des tourbillons cinquantenaires au milieu de la place du Moulin, sous l’oeil impressionné et joyeux des foulées bigarrées, des amis de la Culture, venues de toute part. Il y avait vraiment une présence africaine ! De la maison d’édition cinquantenaire à la Galerie Congo naissante, en passant par PAARI, ACORIA et les masques.

C’était un salon du livre mémorable : sous le signe du cinquantenaire des pays africains, ex-colonies de la Mère-patrie, adonnés aux mots dictés à leur inspiration par la langue française, pour faire écho au lire ensemble dans la concorde des peuples.

On pouvait y relire Verre cassé, Le Conseiller du Prince ou Riwan... des livres, qui enjolivaient des tables nappées d’un rouge royal, signe des jours inoubliables.
On pouvait y sentir la présence d’un illustre de la plume rapportant les Soleils des Indépendances devant un parterre d’esprits éveillés ; on pouvait y revoir le pas frénétique des Table-ronde et Indépendance Tcha-Tcha, qui poussaient sur la chansonnette, au travers des pas d’allure des gens des lettres mêlés aux gens de la Société des Ambianceurs et Personnes Elégantes (la SAPE), qui avaient rehaussé le salon de leur présence.

Mais, on pouvait aussi y voir les hommes politiques de gauche côtoyer ceux de droite, le cœur bien à gauche, le temps des retrouvailles sous un Arbre à palabre importé d’Afrique.

C’était le parangon. Des livres et des Hommes."

Aimé Eyengué

Retrouvez cet article sur afrik.com :

vendredi 29 octobre 2010

La petite Malika, de Mabrouck Rachedi et Habiba Mahany

Le 15 septembre dernier, c'était soirée dédicace pour le roman La Petite Malika, dernière publication de Mabrouck Rachedi, qu'il signe avec sa soeur, Habiba Mahany.  C'était au Sezam Café, dans le deuxième arrondissement de Paris. Devant le Sezam Café, ce soir-là, c'était comme devant une boulangerie aux heures de pointe : il fallait faire la queue ! La bonne odeur du roman à savourer se répandait agréablement au dehors et nous étions tous contents d'attendre notre tour pour obtenir une dédicace. Il faut dire aussi que le boulanger et la boulangère de service avaient ce je ne sais quoi d'irrésistible, comment ne pas succomber à leur charme ? Ca sentait trop le bon pain de l'amitié pour ne pas m'arranger à être de la fête, même avec ma petite fille d'un an et demi dans les bras, qui a eu l'honneur de manipuler les exemplaires du roman, donnant du travail à la gentille dame qui en avait la charge.

Mabrouck, je le lis souvent, à travers ses chroniques, que j'adore. J'ai parlé il y a quelques mois de celle consacrée au roman L'Attrape-coeurs de Salinger, chronique qui avait paru dans le quotidien Métro. Je vous invite à lire celle qu'il a publiée sur la coupe du monde :
 http://metrofrance.com/blog/nouvelleracaillefrancaise/2010/06/15/la-coupe-du-monde-est-a-moi/

Habiba a publié Kiffer sa race chez Lattès, en 2008, et Mabrouck Le Poids d'une âme en 2006 et Le Petit Malik, en 2008, chez le même éditeur. Alors avec La Petite Malika, on pense tout de suite au Petit Malik, qu'on est donc invité à lire si on ne l'a pas encore fait. 


Le roman est en quelque sorte le journal de la vie de Malika, que celle-ci nous raconte de manière chronologique, depuis ses cinq ans jusqu'à l'âge de vingt-six ans. Chaque chapitre du roman correpond à une année d'existence. Une année d'expériences. Et Malika, jeune surdouée habitant une cité de banlieue, en a à partager. Entre l'école où elle est un phénomène pour l'équipe éducative et les copains pour qui elle est une fille singulière ; la cellule familiale qui se recompose au rythme des compagnons qui se succèdent les uns aux autres dans la vie de sa mère ; la vie qui dans le quotidien français se perçoit à l'aune des origines, Malika a, en effet, de quoi écrire un livre, comme l'exprime la dernière phrase du roman.

Malika a eu un parcours remarquable, elle a sauté plusieurs fois de classe, les portes des grandes écoles lui ont été ouvertes, elle a pu choisir son métier, ce qui n'est pas donné à tout le monde, en particulier aux jeunes des cités, issus de l'immigration qui plus est. Mais faut-il être hyper douée pour espérer un avenir qui épouse les contours de ses rêves ? Ce roman est une sorte de reconnaissance de l'intelligence et de la valeur qui sont souvent tapies dans les cités, même si la société, elle, ne veut pas le voir. Etre un jeune des cités ne veut pas forcément dire être un paumé, cela rime également avec réussite, mais le destin de Malika est peu commun, et on aimerait davantage que, sans être extrêmement bon, en étant bon élève tout simplement, la jeunesse citadine puisse également entrevoir la possibilité de percer dans les milieux réservés d'ordinaire à une certaine couche de la société seulement.

Le roman ne manque pas d'humour et j'ai bien aimé la manière de conter de Malika, dont la culture littéraire (solide culture philosophique surtout) permet des références savamment insérées dans son récit, comme celle au célèbre poème de Rimbaud, "Le Dormeur du Val" :

Les baisers se réduisaient à de simples échanges de salive, la moiteur et l'abandon semblaient étrangers à ce corps froid dont les parfums de l'amour ne faisaient pas frissoner la narine. (p. 108)

Plus loin, c'est un clin d'oeil à Baudelaire : "Manuel, c'était le tryptique luxe, calme et volupté" (p. 170), on pense évidemment à "L'Invitation au voyage".

Mais le top, c'est l'utilisation de quelques vers du Bourgeois gentilhomme de Molière pour montrer les différentes manières de réagir face à un sénateur qui sort d'un débat télévisé avec un homme politique du parti opposé. Les autres stagiaires caressent le sénateur dans le sens du poil, Malika, elle, lui dit sans détour quels étaient ses points faibles durant le débat.

Je ne vous en dis pas plus, succombez comme moi au charme de La petite Malika et au double sourire des auteurs.

Juste un dernier mot sur le cocktail-dédicace : celui-ci était gâté par la présence de gens de mauvaise réputation, je veux parler d'un gangster en particulier. J'ai dit Gangster, alors vous devinez bien de qui il s'agit ? Gangoueus bien évidemment ! Il sème la terreur dans tous les milieux littéraires parisiens. Si vous avez le malheur de croiser sa route, il vous prend à partie et vous discutez ferme, vous discutez littérature. C'est le sort qui m'a été réservé, ce mercredi 15 septembre. Alors vous êtes prévenus, si Gangoueus, le Gangster des lettres, rôde dans le coin, gare à vous !
Sa critique du roman :

                                    Liss et Gangoueus

lundi 25 octobre 2010

Réussite Scolaire, les premières clés, de Michèle Mallebay-Vacqueur

L'échec scolaire semble un spectre qui hante de plus en plus nos esprits et provoque des crises d'angoisse que l'on tente d'apaiser au moyen de publications abondantes. Chacun scrute, chacun y va de ses propositions, de ses solutions. Il n'y a pas à dire, des livres, des articles, des rapports traitant ce sujet foisonnent. Et ce livre alors, serait-ce "une énième complainte ou un autre brûlot ou pamphlet sur ce thème tant rebattu ?" (p. 15) Pourquoi ce livre ? Quel est son intérêt ? Qu'est-ce qui le distingue des autres ?
 

Eh bien, tout d'abord il présente les choses différemment : au lieu de lutter contre l'échec, Michèle Mallebay-Vacqueur parle de réussite scolaire, comme l'indique le titre de l'ouvrage. Il s'agit pour elle de proposer "les clés d'un travail scolaire efficace et gratifiant" (p. 22). Il s'agit d'aller en amont, de commencer très tôt à mettre le cap sur la réussite,  le très jeune âge étant "celui des acquisitions définitives" (p. 101)

Cette réussite dépend de beaucoup de choses, certaines déterminantes comme l'apprentissage du geste d'écriture qui "doit devenir tellement automatisé que nous n'en avons même plus conscience et que nous prenons tout naturellement papier et stylo selon nos besoins ou nos envies". (p. 29) ; l'apprentissage de la lecture, que les multiples théories d'apprentissage ne servent pas : méthodes synthétiques, syllabiques ou alphabétiques, méthodes analytiques ou globales... Ce qui est certain, c'est qu'un grand nombre d'élèves arrivent au collège sans savoir lire vraiment, des élèves qui devinent les mots plutôt qu'ils ne les lisent. Il apparaît clairement que l'auteur souhaite l'abandon de la méthode globale, responsable de cette avalanche de lecteurs qui ne maîtrisent pas le code de l'écrit.

Parmi les autres facteurs de réussite, on peut également citer la gestion du temps, la gestion des supports (cahiers, classeurs, fichiers d'exercice...) A ce propos, Michèle Mallebay-Vacqueur tire la sonnette d'alarme contre l'utilisation abondante, voire abusive des photocopies, qui ne constituent pas tant que ça un gain de temps, sans compter que la double consommation de papier (les photocopies sont souvent collées sur une page du cahier ou sur une feuille) dessert la planète.

Par ailleurs, la lecture de cet ouvrage est facilitée, je dirais même agrémentée par des épigraphes, en début de chaque chapitre, qui indiquent bien l'esprit de celui-ci. Par exemple cette citation d'Albert Einstein en tête du chapitre consacré à l'apprentissage de la lecture :

" La théorie, c'est quand on sait tout et que rien ne fonctionne. La pratique, c'est quand tout fonctionne et que personne ne sait pourquoi. Ici, nous avons réuni théorie et pratique : rien ne fonctionne... et personne ne sait pourquoi !" (p. 41)

Ou cette autre citation de Léonard de Vinci, à travers laquelle l'auteur exprime la nécessité de maîtriser les outils d'apprentissage : "Les détails font la perfection et la perfection n'est pas un détail." (p. 75)

Outre les épigraphes, il y a également les images, les comparaisons qui rendent la lecture de cet essai agréable et instructive. Tenez, par exemple page 27 : "Personne n'a jamais réussi à faire pousser une fleur en tirant dessus. Il y a un temps pour tout, ce qui signifie qu'il y a à la fois des étapes à respecter et un certain ordre entre elles."

Enfin, l'ouvrage est riche de multiples exemples et anecdotes, tirés de l'expérience de l'auteure, inspectrice de l'Education nationale depuis 1984. Le livre s'adresse aussi bien aux parents qu'aux enseignants, et le message essentiel qu'elle veut faire passer aux uns et aux autres, c'est d'arrêter d'incriminer les enfants, de leur faire porter toute la responsabilité de leur échec, nous également, enseignants et parents, avons notre part de responsabilité, et je ne puis résiter à l'envie de partager avec vous un passage qui a particulièrement retenu mon attention :

Comme tout un chacun, j'entends les témoignages d'enseignants au bout du rouleau, surtout dans les collèges et lycées où l'on est trop souvent confronté à une jeunesse particulièrement difficile et à des situations très stressantes. Cependant, à lire les descriptions de ces jeunes qui viennent en classe sans le matériel nécessaire, qui parlent entre eux sans se soucier de l'adulte cherchant avec plus ou moins de succès à dispenser son cours, qui s'absentent à leur guise ou quasiment, je ne peux me défendre du sentiment, peu plaisant, que de tels jeunes se comportent peut-être tout simplement avec l'institution comme l'institution s'est comportée avec eux aux premiers temps de leur scolarité.
Que ce soit à l'école ou à la maison, ils ont été confrontés à tous nos "attends !" ("une minute", "tu vois bien que je suis occupé(e)", "va jouer/prendre un livre", "j'arrive", "j'arrive tout de suite", "je te dis que je viens", "oui, ça vient", etc.) plus souvent que de raison. Or, que nous répondent-ils, maintenant qu'ils sont grands, quand, à notre tour, nous leur réclamons leur attention ? Très naturellement, ils nous renvoient tous ces attends" dont nous les avons gavés sans aucune mesure."
(pages 167-168)

C'est donc un livre plein de conseils et de bon sens dont les parents et les enseignants pourront tirer un grand profit. Je l'ai lu dans le cadre du programme Masse critique de Babelio.



Michèle Mallebay-Vacqueur, Réussite scolaire, les premières clés, témoignage d'une inspectrice de l'Education nationale, Michalon Editions, juillet 2010, 220 pages, 17 €.

vendredi 15 octobre 2010

Un poème de Kinzy

Voici un texte que j'apprécie tout particulièrement, il n'est pas de moi, malheureusement, à César ce qui est à César, il est de Kinzy, blogueuse, créatrice, poétesse.

J'ai vu l'humain trimant sur ma terre pour un salaire de misère
Je sais l'Haïtien traversant le fleuve sur les rives des deux mondes
J'ai vu des bidons vides et des caisses en plastique offerts en don
J'ai touché la misère de chacun et mesuré l'égo de certains
Je connais le lot de juges prêts à condamner, et les nombreux préjugés véhiculés
J'ai approché le monde jusqu'aux contrées dispersées
J'ai suivi Krishna, Boudhha, Mahomet et Jésus-Christ
J'ai gravi les monts de l'Olympe et dégringolé sur les versants opposés
Faute de donner, je laisse mon patchwork fait de bout d'homme
Je vous offre mon humanité faite de votre humilité
Je suis cette poussière flottant dans le ventre du monde
Ce petit bout de rien qui ne peut prétendre à rien
J'ai lu, j'ai vu, je vois
Je ne suis plus, je ne sais pas


"J'ai lu, j'ai vu, je vois". Je préfère ce vers au "Veni, vidi, vici" de César.

Retrouvez ce texte sur le blog de l'auteur :

http://kinzy.over-blog.com/categorie-11234160.html

mercredi 13 octobre 2010

L'Enfant Océan, de Jean-Claude Mourlevat

Ce roman pour la jeunesse, j'aimerais le rebaptiser "L'Enfant Océan ou la communication par le regard". En effet, c'est ce qui me marque le plus dans ce récit touchant de Jean-Claude Mourlevat. Récit du périple dans lequel Yann, le héros, entraîne ses frères, tous jumeaux.


Yann, c'est le dernier-né d'une famille de sept garçons que leurs parents, les Doutreleau, élèvent dans la misère et la rudesse. Malgré ses dix ans et sa toute petite taille, Yann fait preuve d'une intelligence et d'une maturité étonnantes. Il devient naturellement le "chef" de la fratrie et entraîne ses aînés dans un long voyage vers l'Océan, afin de mettre un terme à cette vie de rigueur, de violence, au lieu d'être baignée de tendresse. Oui, c'est dans un océan de tendresse qu'ils voudraient baigner, comme chacun de nous. Mais bien souvent, nous ne recueillons pas l'affection attendue, au contraire c'est un amour intéréssé, sinon un désintérêt, un mépris total que nous croisons sur notre route, lorsque ce n'est pas la méfiance qui tient les autres loin de nous. Et ça se traduit par le regard.

L'Enfant Océan, c'est un récit de rencontres, ce sont des regards qui se parlent avec autant sinon plus d'efficacité que des paroles.

L'autre qualité de ce roman, c'est la diversité de points de vue. Chacune des personnes qui ont connu ou rencontré Yann Doutreleau raconte un bout de l'histoire, chacun avec son langage, souvent avec humour. Différents narrateurs, différents niveaux de langue, différents points de vue.

Inspiré du conte "Le Petit Poucet", ce roman séduira les petits comme les grands.

 Jean-Claude Mourlevat, L'Enfant Océan, Pocket Jeunesse, 1999.

vendredi 1 octobre 2010

La parure et autres nouvelles de Maupassant

Il y a des auteurs devant lesquels on a envie de s'incliner pour leur exprimer notre gratitude, pour leur témoigner notre respect. Respect pour une plume aussi alerte, aussi subtile. Guy de Maupassant. Devant un maître, comment ne pas s'incliner ? Maupassant fut un maître du récit bref. A l'époque, la nouvelle avait toutes les faveurs du public, et pour satisfaire celui-ci, il se transforma en fontaine auprès de laquelle on venait étancher sa soif d'histoires saisissantes et peu consommatrices en temps de lecture. Maupassant nous a laissés plus de trois cents nouvelles, les unes réalistes, les autres fantastiques. Parmi les plus célèbres : Boule de suif et Le Horla, deux textes représentatifs des deux genres et absolument émouvants. De multiples éditions des nouvelles de Maupassant (appelées aussi contes au XIXe siècle) existent à ce jour, et je voudrais vous parler de l'un d'eux en particulier : La parure et autres nouvelles.


C'est un recueil de sept nouvelles qui se déroulent toutes à Paris. Les personnages pourraient être heureux avec ce qu'ils ont, mais cela leur semble insuffisant, le démon du paraître surtout, ainsi que la convoitise, l'envie (les autres semblent tellement plus beaux, plus riches, plus épanouis !) les poussent à commettre des actes qui finalement causent leur perte plutôt que leur bonheur. On pourrait être tenté de dire "c'est bien fait pour eux", mais on ne peut pas ne pas compatir et plaindre ces personnages. Ils nous ressemblent tant ! Ils nous rappellent des histoires vécues par des proches. Ces personnages n'ont pas su reconnaître le bonheur qui était à leur portée, c'est en cela que ces récits sont aussi vivants qu'à l'époque où ils furent écrits : au XIXe siècle comme au XXIe, l'amour du luxe, la volonté de paraître dans le beau monde ou de cotoyer des célébrités, les infidélités conjugales, les trahisons... demeurent d'actualité, mais Maupassant insiste davantage sur le goût des femmes pour les bijoux, ainsi que la trahison sournoise au sein du couple.

Je ne vais pas vous résumer chacune des nouvelles, pour ne pas gâcher votre plaisir, simplement une petite mise en bouche :

"Est-il un sentiment plus aigu que la curiosité chez la femme ? Oh ! savoir, connaître, toucher ce qu'on a rêvé ! Que ne ferait-elle pas pour cela ? Une femme, quand sa curiosité impatiente est en éveil, commettra toutes les folies, toutes les imprudences, aura toutes les audaces, ne reculera devant rien. Je parle des femmes vraiment femmes, douées de cet esprit à triple fond qui semble, à la surface, raisonnable et froid, mais dont les trois compartiments secrets sont remplis : l'un d'inquiétude féminine toujours agitée ; l'autre, de ruse colorée en bonne foi, de cette ruse de dévots, sophistique et redoutable ; le dernier enfin, de canaillerie charmante, de tromperie exquise, de délicieuse perfidie, de toutes ces perverses qualités qui poussent au suicide les amants imbécilement crédules, mais ravissent les autres."
(Incipit de Une aventure parisienne)


De fait, l'héroïne dont il sera question est curieuse de savoir ce que ça fait d'avoir une liaison, elle se dit que les ébats avec un amant doivent être beaucoup plus palpitants que le monotone corps à corps avec son mari. Elle fera tout pour vivre l'expérience... à ses frais.

Ce qui m'émeut davantage avec Maupassant, c'est sa capacité à parler de ses propres expériences, il peint admirablement bien la société, mais il s'observe aussi et sait mettre dans ses textes une part de lui, une dose de la souffrance qu'il peut vivre lui même, en tant qu'être humain. On sait qu'il contracta la syphilis, une maladie sexuellement transmissible qui a notamment pour conséquence de provoquer des hallucinations. Il sombrera dans la folie et s'éteindra prématurément à 43 ans, dans un asile. Plusieurs nouvelles de Maupassant abordent le sujet et nous montrent des personnages que la société ne juge pas saints d'esprit, mais qui gagnent la sympathie du lecteur. Lisez par exemple La Chevelure, quel talent ! quel conteur, Maupassant ! Chapeau.


Guy de Maupassant (1850-1893), auteur de six romans (J'ai lu plusieurs fois Pierre et Jean durant ma jeunesse, si tant est que je suis devenue vieille) et de plus de trois cents nouvelles.
Le plaisir de la lecture à petit prix : pour même pas trois euros, achetez un recueil de nouvelles de Maupassant. Sinon, vous pouvez aussi les lire sur Internet.

Le recueil La parure et autres nouvelles comporte les titres suivants :
- La Parure
- Une aventure parisienne
- A cheval
- Les Bijoux
- Le Père
- La Dot
- Le rendez-vous

dimanche 19 septembre 2010

Des poèmes dans le monde, de Gloria F. Mbemba-Servajean

Voici une toute jeune fille qui n'attend pas d'être grande pour montrer sa valeur. Elle vient de publier un recueil de poèmes qu'elle destine « aux enfants du monde entier ». La diversité des thèmes des poèmes touchera en effet tous les enfants, d'où qu'ils viennent ; et les grands n'y seront pas insensibles s'ils savent écouter cette voix enfantine qui dit les choses avec des mots simples mais pleins de vérité et d'espoir.


Gloria Fanny célèbre la nature, elle nous parle du temps qu'il fait, des arts, de ses activités, mais ce qui domine l'ensemble, c'est le monde animal. Comme dans les fables, les animaux reflètent la société humaine. Ou plutôt Fanny exprime, de façon consciente ou inconsciente, son désir de voir sa famille, la famille de chaque enfant du monde en général, heureuse et unie, comme on peut le voir dans ce poème intitulé « Lion, Lionne et Lionceau » :
Lionceau joue dans le jardin
Lionne est allée faire des courses
Lion dévore deux champignons
Dans la maison

A l'heure du déjeuner
Ils se retrouvent tous les trois
Autour d'un bon repas

Si les adultes ne saisissent pas le message contenu dans ce poème, Gloria se montre plus directe vers la fin du recueil, car avec les grandes personnes, on ne sait jamais, elles se disent « grandes » mais ne comprennent rien à rien, il faut toujours leur expliquer les choses, Antoine de Saint-Exupéry l'a si bien exprimé dans son admirable Petit Prince que je vous invite à lire ou à relire. Ecoutons Gloria :

Bébé a sommeil
Maman lui raconte une histoire
Papa lui fait un câlin
Et il s'endort bien vite

Alors chers papas, chers mamans du monde entier, pensez à entourer vos enfants de tout votre amour et de votre présence pour qu'ils grandissent. Le papa et la maman de Gloria sont les premiers interpellés.


Gloria parle beaucoup des couleurs également, et ce n'est pas anodin :

Noir, Blanc et marron
Sont mes couleurs préférées
Mais celle que j'aime le plus
C'est le marron
Parce que ma peau est marron
[…]
La couleur blanche
Et la couleur noire
Font un enfant qu'on appelle métisse.

Par moments, les poèmes de Gloria prennent l'allure d'un journal intime qui recueille ses confidences, comme dans le poème « Chez le dentiste » :

J'ai huit ans
Et je n'arrive pas
A arrêter de sucer mon pouce.

Bref, vous trouverez dans ce recueil des textes qui ne manqueront pas de vous faire réfléchir.


Gloria Fanny Mbemba-Servajean, née en 1999. Passionnée de voyages, de musique et de danse.

Des Poèmes dans le monde, Editions Bénévent, 2010, 10 euros.