dimanche 30 mai 2010

La Folie dans la pensée Kongo, de G. Mbemba Ndoumba

La croyance à une dimension autre que celle qui est régie par le simple et le naturel est fortement ancrée dans les sociétés africaines. D'aucuns disent qu'elles sont superstitieuses. Mais, en Afrique ou ailleurs, comment considérer une pathologie qui, justement, met en déroute la raison ? Il apparaît même qu'elle a souvent été considérée, au fil des siècles, soit comme une manifestation du "sacré", soit comme une "manifestation démoniaque". L'approche de la folie d'un point de vue médical est relativement récente. La psychiatrie date en effet de la fin du XVIIIe siècle seulement. Qu'en est-il de la société congolaise ? Comment appréhende-t-on la folie dans la pensée kongo ? C'est l'objet du 5e essai de Gaston MBEMBA-NDOUMBA.


Pour comprendre comment la folie est interprétée et soignée en milieu kongo, il faut nécessairement se familiariser un tant soit peu avec ce dernier. Ainsi, le livre devient comme un un guide de la société congolaise : on trouve des chapitres entiers sur l'organisation sociale, sur la structure et l'organisation familiales chez les Kongo, et surtout des chapitres sur la sorcellerie, les fétiches ou nkisi. Là en effet se trouve la clef pour comprendre la situation du point de vue kongo :
"La sorcellerie se présente comme la meilleure représentation pour le groupe, en tant qu'explication causale de tous les malheurs qui menacent l'individu lorsqu'il est atteint dans les sentiments vitaux de la personne, du lignage, du clan."
(La Folie dans la pensée Kongo, p. 97)

Mais le livre est également l'occasion de tordre le cou à certains préjugés. Il suffit d'un rien pour qu'un préjugé trouve matière à s'affermir. Lorsqu'il trouve un terrain fertile, n'en parlons pas : il se développe davantage, il prend racine. Même si j'ai apprécié L'Intérieur de la nuit, qui montre déjà la force de la plume de Léonora Miano, je n'ai pu me départir d'un certain malaise quant à la scène d'anthropophagie relatée dans ce premier roman de l'auteur. C'est un récit métaphorique, sans doute, pour montrer que celui qui accepte de faire une chose immonde, fut-ce sous le coup de la menace, est aussi condamnable que celui qui la lui fait subir ; mais il n'en demeure pas moins que cette scène alimente les bruits selon lesquels les Africains seraient des cannibales.
C'est donc à juste titre que G. M'Mbemba-Ndoumba précise :
"Le sorcier, croit-on, mange l'âme de sa victime, ce qui se traduit par la mort physique de celle-ci. On dit alors qu'on l'a mangé (dia ba ndidi). Mais s'agit-il d'anthropophagie, de cannibalisme ?
Si on peut y lire des pulsions cannibales ou des désirs de meurtre, il ne s'agit pas dans la pratique d'une activité anthropophragique ou cannibale comme l'ont véhiculé trop hâtivement certains ethnologes ne connaissant pas les langues de ces sociétés et notamment leurs tournures idiomatiques
."
A propos des nkisi dont l'auteur parle, en voici quelques-uns (certains se souviendront peut-être en avoir fait usage ou entendu parler) :

- Matompa : Est à l'origine de la maladie du sommeil et de certaines crises de folie.
- Makubungu : Donne la force physique
- Mpini : Rend invisible
- Musselebende : Dispensateur de charmes, philtre d'amour
etc.
(La Folie dans la pensée Kongo, p. 109-110)

Vous l'aurez compris, la "Folie", sujet principal du livre, n'est finalement qu'un prétexte pour parler de la société congolaise en général, car Gaston Mbemba-Ndoumba n'a de cesse de consigner tout ce qu'il observe, d'instruire ceux qui le souhaitent sur les pratiques des Congolais.


Gaston Mbemba-Ndoumba, La Folie dans la pensée Kongo, L'Harmattan, 2010, 160 pages, 15, 50 €.

16 commentaires:

St-Ralph a dit…

Il faudra absolument que je lise ce livre ! J'ai toujours été passionné par la folie. Très jeune et très longtemps, j'ai considéré la folie comme une chute dans un autre monde qui rend simplement la communication difficile avec le nôtre. Je me disais qu'il suffisait de trouver la clef pour rendre la chose possible. Aussi, aujourd'hui, quand j'étudie avec mes élèves les récits où le héros franchit le seuil du monde magique, cela me fait sourire intérieurement. Cela tient certainement à l'idée que le pays Akan (Côte d'Ivoire, Ghana, Togo) a du sorcier. Il est "celui qui voit clair, qui communique avec ceux de l'autre monde" qui sont bien souvent les morts. Quand j'ai découvert que certains poètes européens se qualifiaient de "voyants", je les ai sentis très proches de moi.
Je suis curieux de savoir si la folie du point de vue Kongo est proche de la conception Akan... et de la mienne !

Liss a dit…

La folie fascine, c'est sûr, on aimerait bien savoir ce qui se passe dans la tête du "fou", dans son "monde". Folie et sorcellerie sont très liés chez les Kongo. Merci de m'apprendre indirectement que le "peuple" akan, si je puis m'exprimer ainsi, s'étend sur trois pays différents. On voit là encore que les frontières actuelles ont été instaurés avec l'arrivée du colon, alors qu'auparavant, le territoire était beaucoup plus étendu, c'est à peu près la même chose pour les Kongo, qu'on trouve non seulement au Congo Brazzaville, mais aussi au Congo Démocratique et en Angola...

kinzy a dit…

La folie

Elle a pas besoin de parler, de juger
Elle en sait trop pour condamner, critiquer
Elle a pas besoin de journaux, de télé
Pour savoir ce qui est arrivé
Sur les trottoirs, l'éternité
Elle voit tout dans sa tête
Visionnaire et prophète
Elle est si près de la vérité
Qu'elle s'y est brûlée
La folie
Elle est comme un cheval sauvage
Rebelle, indompté
Qui refuse d'entrer dans la cage
Où tant d'autres sont enfermés
Elle porte gravée dans sa chair
A jamais imprimée
La marque indélébile de la liberté
La folie
Elle voit tout dans sa tête
Visionnaire et prophète
Elle est si près de la vérité
Qu'elle s'y est brûlée
Elle est là quelque part en toi
Quelque part en moi
Elle est l'enfant toujours vivant
Dans la nuit de notre inconscient
La folie.

Valérie Lagrange






Il ne me reste plus qu'à noter cet ouvrage sur la liste d'attente,
c'est toujours sympathique de découvrir des auteurs qui me plonge dans cet univers Kongo qui ressemble étrangement au mien entre croyances et superstitions.


fos sista

Liss a dit…

Hi Kinzy,

Très beau texte, profond, il rejoint les propos de St-Ralph : la folie, c'est peut-être une extrême clairvoyance, que le commun des mortels ne supporte pas...

Merci de me faire découvrir Valérie LagrangE.

Obambé a dit…

Bonjour la famille,

Je crois que je vais restreindre mes fréquentations dans cet espace car ma ruine ne fera que s’accentuer avec les perles que j’y découvre chaque fois que j’y mets mes pauvres doigts. Pourtant il y a une crise qui frappe sérieusement même les amoureux des lettres (tenez, on parle souvent des belles lettres, jamais des vilaines : elle est étrange, cette langue, la lingua frança, n’est-il pas ?).

Bon, toutes circonvolutions pour dire que j’aime ce livre. Il me rappelle mon enfance quand certains amis allaient faire les « kamon » (écriture libre, je peux le traduire par des petites incisions que l’on se fait sur une ou plusieurs parties du corps pour avoir plus de force que ce que la nature nous a donnée et aller tabasser même le grand-père de Goliath en personne !).

@+, O.G.

Liss a dit…

Les "kamon", c'est aussi en quelque sorte les "makubungu" dont parle l'auteur. Mon frère, tu parles de "certains amis", tu veux me faire croire que tu ne t'étais pas faire des kamons toi aussi ? (rires)

Anonyme a dit…

Liss,
Je cours chez l'Harmattan me procurer ce livre, et le lire d'un trait d'autant plus que quelque part je me crois, je me sais folle!(pas à lier!)
Bien le salut.
Letsaa La Kosso

Letsaa La Kosso a dit…

Je ne sais pas pourquoi je suis anonyme!

Obambé a dit…

Hé Liss,

Un jour au Camp du 15 août j'ai voulu jouer au papa, j'ai ramassé un mégot de cigarettes, j'ai fumé, jeté car le goût était infect. Des amis très gentils sont allés me balancer auprès de ma mater. Le genre de punition que j'ai reçue ce jour-là ne te donne pas envie d'aller tenter ensuite les Makubungu (= kamon, il est vrai), mais c'est une expérience qui me manque pas mal, j'avoue, surtout quand le soir il faut monter dans les transports en commun et jouer des coudes. Les petits gabarits comme les nôtres souffrent énormément... (lol!)

@+, O.G

Liss a dit…

@ Ignaa Letsaa,

Je crois qu'on est tous fous ou folles de quelque chose. Moi je suis folle de joie lorsque je te lis.

@ Obambe,

Tu commences à livrer tes petits secrets ! C'est vrai que nos parents avaient une manière bien à eux de nous dissuader de faire des bêtises. Mais ici on crie tout de suite à la violence, et après on fait des déclarartions du genre : les parents sont en perte d'autorité. Ici on laisse de plus en plus les enfants faire ce qu'ils veulent, ce sont eux qui gouvernent.

K.N. a dit…

Bonjour,

Folie, mkisi, sorcellerie, sujets ô combien délicats dans nos sociétés. Ce bouquin m'a l'air très intéressant, je suis particulièrement interpellée par l'approche thérapeutique de la folie chez nous; j'ai déjà assisté à des séances de traitement,au Congo où le protocole thérapeutique n'avait rien à voir avec ce qui se fait en occident, avec des résultats très probants.

A propos de sorcellerie, je suis tombée une fois sur un texte écrit par Olivier Bindounga (je crois) dans lequel il distinguait deux formes de sorcellerie: la sorcellerie protectrice (kundu) et la sorcellerie prédatrice (kindoki). A creuser.

Bien à tous.

K.N.

K.N. a dit…

Tiens, Matompa. Dans ma famille maternelle, il est interdit de consommer de la viande de porc pour ne pas contracter ces "matompa". Interdit que pour ma part je ne respecte pas; le porc étant une viande de choix du coté de mon papa.


K.N.

Liss a dit…

Bonjour K.N.,

Mbemba-Loumahou parle également de ces deux formes de sorcellerie. Moi j'ai bien aimé lire et apprendre même des choses concernant notre société, c'est ce que j'apprécie chez l'auteur : il parle, en connaissance de cause, de sa société, tandis que bien souvent ce sont des étrangers, pour ne pas dire des Blancs, qui parlent de nous, de ce que nous sommes, et parfois il arrive qu'ils se trompent. Donc c'est à nous-mêmes d'expliquer les choses.

Au plaisir de te retrouver par ici.

St-Ralph a dit…

J'apprécie ta dernière intervention, Liss. Je crois aussi qu'il ne faut pas laisser à l'ancien colonisateur le soin d'écrire notre histoire.

Caroline. K a dit…

Bonsoir Liss,

Il y'a bien longtemps que je n'avais pas eu de tes nouvelles. Contente de revenir et découvrir tes dernières découvertes. Je suis bien contente de voir qu'il n'y a pas que les romans qui t'intéressent.

C'est un livre que je commanderais bien volontiers pour compléter ma petite collection, rien que parce que le thème de la folie m'a toujours intéressé. La différence entre la "norme" et ceux que l'on exclut et qu'on qualifie de "fous" parce qu'il n'y colle pas, j'ai toujours trouvé çà fascinant et j'ai hâte de voir ce que l'ouvrage du dénommée Mbemba Ndoumba va pouvoir éclairer comme lanternes chez moi.

Au début de mon com, je parlais de ma collection, en fait les deux derniers ajouts que j'ai fais, sont deux essais, tous les deux publiés chez l'harmattan, j'imagine que tu les as déjà lu ?

- Onomastique et histoire au Congo Brazzaville de Abraham Constant Ndinga Mbo

- Leçons d'économie politique dans la poésie parabolique Kôngo de Louis Bakabadio

J'ai beaucoup aimé ces deux livres qui m'ont apporté bien des fois des compléments d'informations argumentés sur des choses qui me paraissaient super évidentes mais sur lesquelles je n'aurais pas su argumenter en prenant des bases historiques par exemple.

J'ai déjà été bien longue, je reviendrais sur un truc que tu dis sur le contenu d'un roman de Léonora M et que j'ai du mal à comprendre.

En attendant j'imagine que l'année scolaire est fini pour toi, fini les élèves et les copies à corriger. Est ce que tu pars en vacances ?

Allez bonne soirée

Caro

Liss a dit…

Ma chère Caro,

je suis loin d'avoir tout lu, j'ai des trous à combler moi aussi, et tu peux sans doute m'y aider. J'avais entendu parler du premier, onomastique et hsitoire, et il avait tout de suite suscité mon intérêt, mais je ne me l'étais pas procuré (pas encore). Puisque tu as aimé, je pense que j'y trouverai mon bonheur aussi.
Merci de ce moment de causerie, toujours agréable.
Bises.