samedi 31 décembre 2011

Bye bye 2011

Et voilà, 2011, c’est terminé !

Nous avons passé une cinquantaine de semaines ensemble, certaines fructueuses, d’autres moins fructueuses. Mais à tout moment, je vous ai sentis près de moi, avec moi, présents même quand, moi,  j’étais « absente ». Vous êtes venus régulièrement brouter dans la vallée, même lorsque l’herbe n’était pas fraîche. Mais je vais vous dire, c’est moins l’herbe de la vallée que vos visites qui font de ce lieu un endroit où il fait bon se reposer. Je vous remercie pour cette belle année passée ensemble, pour vos témoignages d’amitié, pour vos propositions de lecture.

Puisque c’est la fin de l’année, un bilan s’impose ! Je n’aurais réussi à chroniquer qu’une petite trentaine de livres. J’espère faire mieux en 2012. Plutôt d’heureuses lectures, si bien que je n’ai pas à me plaindre, j’ai été gâtée ! Mais il y a tout de même quelques titres qui se hissent un peu plus haut que d’autres dans mon estime, ou plutôt qui se logent un peu plus confortablement dans mon cœur de lectrice. Oui, c’est plutôt une histoire d’amour, ça n’a rien à voir avec des critères littéraires, enfin si, un peu, mais je veux dire qu’il est inutile de me demander pourquoi je les affectionne particulièrement, ces romans : je suis tout simplement tombée amoureuse d’eux, et l’amour et la raison ne font pas trop bon ménage.

Bon, je ne vais pas vous faire attendre plus longtemps, je vous livre mes coups de cœur-coups de foudre de cette année 2011. Il s’agit de :


1.      Sourires de loups de Zadie Smith

2.      L’Hibiscus pourpre de Chimamanda Ngozi Adichie

3.      Noires blessures de Louis-Philippe Dalembert


Si vous voulez vous faire plaisir, si vous voulez démarrer la nouvelle année par des lectures qui vous retiendront longtemps encore après que vous les ayez terminées, alors prenez ces trois-là !


Je vous souhaite, à toutes et à tous, une excellente année 2012 !

mercredi 28 décembre 2011

Les Damnés de la terre, de Frantz Fanon

L'année 2011 touche à son terme et j'avais résolu de lire avant qu'elle ne s'achève les oeuvres principales de Frantz Fanon, Peau noire masques blancs et Les Damnés de la terre. Pourquoi cette année en particulier, alors que j'ai depuis toujours eu le désir d'observer de près la pensée de cet auteur ? C'est que cette année marque le cinquantenaire de sa disparition et de la parution des Damnés de la terre, qui peut être vu comme un testament. En effet, non seulement c'est son dernier livre mais surtout il fut écrit alors que l'auteur savait qu'il ne lui restait que très peu de temps à vivre. C'est en décembre 1960 que Fanon apprend qu'il est atteint de leucémie. Malgré l'interdiction qui pèse sur l'essai à sa parution, fin novembre 1961, il est lu et trouve des échos dans la presse. Certains parviendront à Fanon sur son lit d'hôpital, avant qu'il ne ferme définitivement les yeux, le 8 décembre 2011. Son livre, lui, demeure, pour ouvrir les yeux de l'humanité.


50 ans après la mort de Frantz Fanon, force est de constater que la lecture de ses livres, des Damnés de la terre en particulier, est utile, indispensable même pour qui veut comprendre le destin des pays sous-développés, connaître le cheminement qu'ils doivent prendre pour parvenir à la sphère du développement, de la prospérité, de la croissance économique. Franchement, quand on voit avec quelle rigueur et quelle lucidité Fanon analyse la situation politique des anciennes colonies, je me dis que tout chef d'Etat africain, ou plus largement de pays sous-développé, devrait avoir lu Les Damnés de la terre et pourquoi pas en faire son livre de chevet !

Rigueur et clarté résident en premier lieu dans la composition du livre, organisé en chapitres avec des rappels et/ou résumés constants de ce qui a été énoncé précédemment. Frantz Fanon s'est vraiment soucié, dans la rédaction de son livre, de ce que le lecteur ne perde pas le nord, accède bien à la substance de son propos. Autant le langage est soutenu, avec parfois des passages d'une beauté toute littéraire, autant le message est accessible à tous. Et dire qu'il l'a écrit seulement durant sa dernière année d'existence ! C'était vraiment un esprit supérieur. Mais il faut reconnaître, avec Nicolas Boileau, que "ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement, et les mots pour le dire arrivent aisément". Le propos de Fanon dans les Damnés de la terre est d'une singulière clarté.

De quoi est-il donc question ? De l'observation du processus qui conduit à la décolonisation : le désir légitime des colonies d'accéder à l'indépendance ; le refus des colonialistes d'abandonner des territoires dont ils tirent des profits gigantesques, leur travail de sape intérieure lorsque s'organisent les luttes de libération nationale ; les difficultés auxquelles doivent faire face les jeunes nations lorsque l'indépendance est enfin acquise, arrachée ; les erreurs qu'elles ne doivent pas commettre si elles espèrent réussir leur construction, comme de penser par exemple qu'elles peuvent rattraper l'Europe, ou réaliser en peu de temps ce que cette dernière a bâti durant des siècles. Il faut savoir que les conditions ne sont pas les mêmes :

"Les Etats européens ont fait leur unité nationale à un moment où les bourgeoisies nationales avaient concentré dans leurs mains la plupart des richesses. [...] La bourgeoisie représentait la classe la plus dynamique, la plus prospère. Son accession au pouvoir lui permettait de se lancer dans des opérations décisives : industrialisation, développement des communications et bientôt recherches des débouchés "outre-mer" [...] Tandis que le monde sous-développé est un "monde de misère et inhumain. Mais aussi un monde sans médecins, sans ingénieurs, sans administrateurs. Face à ce monde, les nations européennes se vautrent dans l'opulence la plus ostentatoire."
Cette opulence est jugée "scandaleuse" par Fanon car ces nations la doivent à ceux-là qui sont mis au défi de s'en sortir sans elles. Il ne faut pas perdre de vue que "le bien-être et le progrès de l'Europe ont été bâtis avec la sueur et les cadavres des nègres, des Arabes, des Indiens et des Jaunes."
(extraits pages 93-94) 
Frantz Fanon examine les causes qui conduisent les jeunes Etats à essuyer des échecs, la principale d'entre elles étant de calquer son organisation sur le modèle européen. Il analyse finement la structure politique, économique de ces nouvelles nations mais aussi des phénomènes socio-culturels comme la danse, qui trouve une savante explication dans ce livre ! Il parle aussi des arts, de la Littérature, il met par exemple en lumière l'impact du mouvement de la Négritude tout en montrant ses limites, il établit le lien entre la culture et les luttes de libération de nationale.

D'une manière générale, Fanon fait l'état des lieux des pays sous-développés au moment où elles accèdent à la souveraineté. Son discours s'appuie sur des exemples concrets, précis, tirés de l'histoire de pays aussi différents que l'Algérie, le Congo, la Guinée, la Côte d'Ivoire, le Kenya ou Madagascar par exemple.

Le moins qu'on puisse dire en lisant ce livre c'est que les observations de l'auteur résultent d'une analyse lucide, dépassionnée des rapports entre colonisés et colonialistes, Frantz Fanon connaît parfaitement la situation politique des différents pays dont il parle, il n'ignore pas leurs littératures et les tentatives de celles-ci à acquérir un statut similaire à celles européennes.

L'auteur se propose dans ce livre de soutenir les aspirations à la dignité des jeunes nations mais aussi de leur montrer les pistes qu'il faudrait emprunter pour qu'elles se réalisent pleinement. Tout son propos tend à la réhabilitation de l'Homme, c'est lui en fin de compte qui doit se réaliser pleinement. Il dénonce les "crimes de l'Europe" que sont "la haine raciale, l'esclavage, l'exploitation" et met en garde contre la tentation du mimétisme, mais ne pousse nullement à la haine. Au contraire c'est un discours pétri d'humanité, chargé de l'appel à la communication et à la réconciliation entre les hommes qu'il livre ici : "Nous voulons marcher tout le temps, la nuit et le jour, en compagnie de l'homme, de tous les hommes." (page 304)


Frantz Fanon, Les Damnés de la terre, première édition François Maspero 1961, Editions La Découverte 2002, 320 pages.

mercredi 7 décembre 2011

Black Bazar, d'Alain Mabanckou

"Dis-moi comment tu noues ta cravate, je te dirai qui tu es", telle est la devise du narrateur de Black Bazar, qui se définit comme un "ambianceur". C'est un adepte de la Sape, mais il a également une autre passion : la "face B" des femmes, autrement dit leur postérieur. Ce dernier suscite son plus vif intérêt. Il en a même fait une science. Selon lui, l'observation attentive d'un postérieur de femme est capable de révéler le caractère ou la personnalité de l'intéressée. C'est ainsi que ses amis le surnomment "Fessologue". Il est originaire du Congo Brazzaville et a habité longtemps avec d'autres compatriotes dans un petit studio, en région parisienne, avant d'emménager avec celle qu'il appellera "Couleur d'origine", à cause de sa peau particulièrement foncée. Cette union avec une originaire du Congo provoque le mécontentement de ses copains, Yves L'Ivoirien en particulier, qui considère que c'est un devoir pour les Noirs d'avoir des relations avec des Blanches, une manière de prendre une revanche sur les blessures coloniales du passé :

"Fessologue, réveille-toi ! On est en France ici et il faut marquer de vrais buts parce qu'un but marqué à l'étranger ça compte toujours deux points, mon gars. Or toi, tu as choisi le chemin de facilité en allant vers une compatriote. Est-ce que c'est comme ça que tu vas obliger les gens de ce pays à nous indemniser pour tout ce qu'ils nous ont fait subir pendant la colonisation, hein ? Ils nous ont pris nos matières premières, nous aussi on doit leur piquer leurs richesses à eux, je veux dire leurs femmes ! Laisse tomber cette cramée au cul encombrant et attrape-toi une belle blonde aux yeux bleus ou verts, y en a en pagaille dans les rues de Paris et dans les provinces de France. En plus tu ne seras jamais emmerdé avec les Blanches alors que nos soeurs-là c'est des capricieuses de première classe."
(p. 71)



Les choses se gâtent avec la naissance d'une petite fille : est-elle vraiment son enfant ou celui d'un autre qu'on fait passer pour le sien ? Le torchon brûle au sein du couple, surtout lorsque notre Fessologue fait comprendre à sa compagne qu'il tient plus à ses fringues qu'à elle. 

On ne peut pas ne pas comparer Black Bazar et Verre cassé lorsqu'on les a lus tous deux. L'un nous fait penser à l'autre et vice versa. Il y a d'emblée les références littéraires noyées dans le texte, caractéristique principale de Verre cassé, auxquelles s'ajoutent dans Black Bazar des références cinématographiques et aussi musicales. Il y a également une similitude dans l'issue malheureuse que connaissent les personnages principaux dans leur couple et qui est à mettre sur le compte de la femme, coupable de trahison, de coups bas. Et puis les deux romans se présentent comme le journal du narrateur. Les héros flirtent en effet avec l'écriture.

Je n'indique-là que les point communs les plus forts. Black Bazar prolonge donc le plaisir qu'on aura eu à lire Verre Cassé puisqu'il reprend des recettes qui ont fait le succès de ce dernier, mais je dirais qu'il ne l'égale pas. En fait on ne lit Black Bazar que pour mieux apprécier Verre cassé, que j'avais lu à l'époque sans relever la moindre remarque négative du point de vue de la construction. Tandis que le dernier tiers de Black Bazar m'a paru moins uni, je veux dire que le passage d'un sujet à l'autre se fait d'une manière qui semble moins naturelle. D'une manière générale, Black Bazar n'a pas la même densité que Verre cassé, le rire qu'il provoque aisément et qui est une manière de désamorcer le désespoir reste malgré tout très ludique. Tandis que Verre cassé éveille des émotions plus profondes. Enfin, je n'ai pas relu ce roman depuis, mais c'est l'impression qui m'est restée.

J'avais déjà lu ici et là des avis sur l'un et l'autre, je vous conseille en particulier cette critique comparative des deux romans de mon ami St-Ralph, dont l'une des qualités est de dire tout haut ce qu'il pense (même si cela peut heurter les autres), que ce soit en littérature ou en politique. C'est une critique intéressante à lire. Vous pouvez la lire ici.

Ce que j'ai le plus apprécié dans ce roman, ce sont les clins d'oeil aux écrivains, une manière de leur rendre hommage. Même si le narrateur, que l'on identifie à l'auteur, déclare être "très prudent avec les contemporains", ne lisant "que les morts" parce que les vivants l' "énervent", l' "agacent" (p. 151), il y en a tout de même qu'il apprécie ouvertement. Dès les premières pages du roman, le Fessologue parle de l'amitié qui le lie à Louis-Philippe, écrivain haïtien qui, dans le roman, guide ses premiers pas dans l'écriture. On a alors envie d'ajouter "Dalembert". Ces soupçons sont confirmés plus loin, lorsqu'il est fait mention du titre Le crayon du bon Dieu n'a pas de gomme. Mais ce n'est pas tout, lorsque Mabanckou fait un clin d'oeil à des amis, il faut s'attendre à un nom en particulier. Je trouvais même bizarre qu'il ne l'ait pas encore mentionné alors que Louis-Philippe Dalembert parcourt le roman de bout en bout, c'était mal connaître Mabanckou. Le coquin, je ne m'attendais pas à ce qu'il leur réserve une scène de ménage en bonne et due forme :

"Une demi-heure plus tard la brune était toujours là à raconter que son oncle de quatre-vingt-dix-huit ans et demi avait été en Haïti [...], que son livre préféré à lui c'était Pays sans chapeau de Dany Laferrière parce que dedans il y a l'âme d'Haïti, il y a des proverbes à gauche et à droite, il y a des gens dans la rue qui sont en fait des zombies et tout le reste. [...] Louis-Philippe ne voulait surtout pas que la brune croie qu'il était gêné parce qu'elle vantait les mérites d'un autre Haïtien alors que lui il était là pour signer ses livres à lui.
Il a eu un sourire jaune et a dit :
- Dany Laferrière est un grand ami ! Je vous conseille aussi de lire un de ses livres que j'aime bien, Le Goût des jeunes filles...
[...] La brune est sortie de la librairie en grommelant, mais avec un livre de Dany Laferrière et pas un seul de Louis-Philippe."
(page 154)


Alain Mabanckou, Black Bazar, Editions du Seuil, 2009, 250 pages.