samedi 1 mai 2010

La Fuite des Cerveaux africains, de Gaston-Jonas KOUVIBIDILA

Nous sommes nombreux, originaires d'Afrique, à nous retrouver dans les pays occidentaux, ou bien à vouloir nous y installer, pour une durée plus ou moins longue. Nous sommes nombreux, occidentaux, à trouver trop importante la proportion d'étrangers dans nos pays. La question de la mobilité des personnes d'un pays à l'autre, d'un continent à l'autre, nous interpelle donc tous. Nous avons chacun notre parcours, notre position, notre point de vue par rapport à cette question. Voici par exemple ce qu'a déclaré André MANOUKIAN, animateur de l'émission « Nouvelle Star » sur la 6, dans le quotidien Métro du 13 avril 2010 : « L'immigration en France, c'est tout un paradoxe. On nous explique que c'est positif pour la natalité, qu'on en a besoin pour la main-d'œuvre. Et puis en période électorale, on fait les pires amalgames pour maintenir la peur. »

Derrière les parcours individuels, quelles similitudes ? Quelles différences ? Comment les Etats occidentaux réagissent-ils face à ces flux migratoires ? Voilà des questions auxquelles Gaston-Jonas KOUVIBIDILA se propose de répondre dans La Fuite des Cerveaux Africains, ouvrage sous-titré Le drame d'un continent réservoir, qui vient de paraître chez L'harmattan.

C'est un livre qui a le mérite de constituer une solide source d'information, notamment en ce qui concerne les différentes politiques d'immigration menées dans les pays d'accueil. Une bonne partie du livre y est consacrée avec, en bonne place, le cas de la France. Voici un extrait :

« De toute manière, à cause de la misère et de la pauvreté grandissantes dans les pays du Sud (notamment en Afrique), des crises politiques à répétition et du réchauffement de la planète, pour lesquels le Nord est en grande partie responsable, n'en déplaise à ceux qui n'y voient que victimisation alors que c'est la vérité, la France sera obligée, si elle veut encore faire partie du club des grandes puissances d'ici à 2050, de ne plus prendre des lois aux relents nationalistes, qui font fi de la mondialisation qu'elle appelle d'ailleurs de ses vœux sur le plan commercial. La confusion faite par le président Sarkozy, le 23 avril 2008 dans son interview télévisée, entre la régularisation que demandent les sans-papiers, qui travaillent et payent des impôts, et la naturalisation, qu'ils ne demandent pas, en dit long et semble dénoter une navigation à vue inquiétante, malgré ses affirmations péremptoires. » (La fuite des cerveaux africains, p. 75)
Tous les gouvernements, malgré les différences, tendent vers la politique de l'immigration choisie, ce qui a des conséquences dramatiques pour l'Afrique dont le sous-développement s'accentue. La fuite des cerveaux apparaît, non plus seulement comme une conséquence du sous-développement, mais également comme une de ses causes. Cela est très palpable dans le domaine de la santé : espérance de vie réduite, mortalité infantile importante par exemple sont des maux qui sont entretenus par le manque de personnel soignant qualifié. En l'absence de conditions de travail adéquates, les infirmiers et médecins préfèrent aller exercer à l'étranger.
Que la politique menée par les pays occidentaux creuse le sous-développement en Afrique est une chose, mais les dirigeants africains sont mal placés pour incriminer sans cesse l'occident, car ils sont tout autant responsables, sinon plus. Parmi les causes qui génèrent l'immigration, on peut citer par exemple : « instabilité des régimes et des institutions administratives, insécurité des biens et des personnes, persécution des intellectuels ou des opposants pour leurs idées, pauvreté, corruption généralisée, etc. » (p. 183)
Gaston-Jonas KOUVIBIDILA propose des solutions. En effet, de part et d'autres, des choses pourraient être faites pour endiguer la ''fuite des cerveaux''. Dans les pays de départ, créer les conditions pour encourager à rester sur le territoire ou à y revenir. Certains pays comme le Maroc, l'Ethiopie, le Nigéria… l'ont déjà tenté. Au niveau des pays d'accueil, « mettre en place des visas à entrées multiples favorisant la circulation des cerveaux » (p. 185) entre autres. Parmi les solutions proposées par l'auteur, un accent particulier est mis sur la diaspora africaine, vue comme un « vivier de compétences » (P. 199)
« Les membres de la diaspora réfléchissent à des formes de retour possibles pour contribuer au développement du continent africain, en convertissant leur savoir en capital économique. Aujourd'hui, plus qu'hier, ces Africains sentent qu'ils ont une mission vis-à-vis de l'Afrique : faire quelque chose, en urgence. » (p.203) Mais il faut signaler les difficultés rencontrées par ceux qui veulent investir dans leur pays d'origine, monter des projets là-bas, et cela commence par « la jalousie d'un ami, d'un voisin ou d'un membre de la famille, qui a tout raté dans sa vie, et capable de pires choses pour provoquer l' échec du projet. (p. 205)


Bref, voici un livre qui questionne et met en question l'immigration ou plutôt la fuite des cerveaux.


G.J. Kouvibidila, La fuite des cerveaux africains, L'Harmattan, décembre 2009, 274 pages. 24,5 €.

10 commentaires:

Obambé a dit…

Mpangi ya munu Liss, c'est un réel plaisir de lire le billet de présentation de ce livre. Je vais essayer de ne pas être trop long:
AU SUJET DU PROPOS DE MANOUKIAN:
cela fait partie de ce que j’appelle le paradoxe français. Je vais être trivial. Il me revient en mémoire le cas d’une membre d’un parti extrémiste, de droite, en France, dont les positions à l’égard des immigrés orientaux et sub-sahariens. Elle avait environ 70 ans. Quelle n’a pas été la joie de la police de découvrir que cette femme mariée, pour garder sur le territoire national son très jeune amant marocain, sans papiers, avait organisé un mariage avec une de ses amies, partageant les mêmes opinions politiques qu’elle. Mariage blanc évidemment !

Ce livre soulève de très grandes questions, chapeau à lui.

PAR RAPPORT A LA PAGE 183:
Pour la responsabilité des dirigeants africains, pour moi il est évident qu’elle est plus que celle de l’Occident. Et d’ailleurs, je remarque que ce sont plus les membres des sociétés civiles, Mme et M. tout le monde, les universitaires etc. qui pointent du doigt les responsabilités des Occidentaux. Nos dirigeants, conscients de leurs méfaits et des relations incestueuses (cas de la France-à-fric) se taisent et ne tapent sur l’Occident que quand ce dernier les lâche ou montre des dents. Jamais par beau temps, seulement quand l’orage paraît.

PAR RAPPORT A LA PAGE 185:
Je suis souvent sceptique devant les propositions émanant des « Hommes du Sud » envers les « Gouvernements du Nord » car l’Histoire a prouvé depuis toujours que les intérêts du Nord (économiques s’entend) dictent les conditions et dans ce cas, seuls les rapports de force priment. Je ne crois pas à ce type d’actions. Les Français ne motivent pas les refus de visa. C’est injuste, mais c’est comme ça. Les Américains, eux les motivent. A nous de réfléchir à travailler autrement.

@+, O.G.

Liss a dit…

mon cher frère,

je te remercie de ta contribution, de tes remarques, instructives. A chacun de méditer là-dessus et d'en tirer ses conclusions.

kinzy a dit…

Bonjour Liss,
Je suis de ton avis :
Que chacun en tire les conclusions qui s'impose !
Pas coupables , mais tous responsables.
Fos à l'Afrique.

Liss a dit…

Coucou Kinzy,

tu as tout de même pu lire le message car je me rends compte que sa mise en page n'est pas bonne et il y a une bonne partie du texte qui n'apparaît pas. Je m'excuse auprès des futurs lecteurs, j'espère que j'aurai réussi à tout mettre en ordre d'ici-là.

St-Ralph a dit…

Concernant l'immigration, une chose est certaine : aucun pays ne peut refuser la main d'oeuvre étrangère qui l'arrange. L'Europe ne peut en aucun cas mener une politique de découragement pour endiguer la fuite des cerveaux des pays pauvres ! Il appartient donc à ces derniers de mener la politique qui convient pour retenir les agents qu'ils ont formés. Il ne revient pas à l'Europe de faire ce travail à leur place.

Les individus ont des raisons que la raison d'état ignore ou feint d'ignorer parce qu'elle ne peut satisfaire ou refuse de satisfaire. Si, comme le dit Obambé, les rapports de force priment entre pays pauvre et pays riches, un rapport d'intérêt se joue aussi entre les individus et leur nation d'origine.

Liss a dit…

Cher St-Ralph,

Il est vrai que, entre pays pauvres et pays riches, ce sont les premiers qui ont le plus à perdre, il revient donc à eux de tout mettre en oeuvre pour inverser la tendance. On ne peut pas compter sur les individus qui, comme tu dis, ont mille et une raisons, le poisson ne va que là où il y a de l'eau, dit un proverbe lingala. c'est aux Etats de prendre le taureau par les cornes.

La Nymphette a dit…

Ton billet est très intéressant et incite à lire cet essai sur un sujet pas facile (il y en a qui bondiraient au titre, on utilise souvent l'expression Fuite de cerveaux à propos des chercheurs qui quittent la France car sous-payés). Depuis le 18° s, les pays occidentaux vident l'Afrique, mais aussi l'Inde et une partie de l'Asie de sa substance vitale, sous la forme de la colonisation, de l'immigration choisie ou encore des usines-ateliers... La vraie question est de savoir qui les pays pauvres vont pouvoir exploiter pour asseoir leur croissance puisque le chemin vers une autre croissance semble être une voie sans issue!

Liss a dit…

En effet, La Nymphette, les pays pauvres, pourraient faire de telle sorte qu'ils puissent en tirer un avantage, c'est une question dont ils devraient faire une priorité.

DF a dit…

J'essaie de retenir la référence de cet ouvrage, qui me paraît d'un grand intérêt, et peut-être pas seulement pour la problématique africaine: les cerveaux fuient l'Afrique pour l'Europe, ceux de France vont aux States, les Russes vont partout où c'est possible et praticable, les Indiens itou, etc.

Après, il faudra me le procurer et, expérience faite, "L'Harmattan" est hyper mal distribué s'il faut commander un de ses titres (plusieurs semaines de délai). Le mieux est d'aller directement à la librairie de l'éditeur, mais c'est à Paris...

Liss a dit…

Bonjour Daniel,

Heureuse de te retrouver par ici. Au début du livre, l'auteur souligne en effet que c'est un phénomène qui touche tout le monde, mais il s'intéresse en particulier aux cerveaux africains.

Je n'ai pas encore fait l'expérience de commande d'ouvrages de chez L'harmattan en ligne, si c'est vraiment plusieurs semaines d'attente, comme tu dis, c'est regrettable et j'espère que la Maison va essayer de corriger cela, ils en ont les moyens. En ce qui me concerne, je vais souvent sur place, mais parce que je suis pas loin.
Bon week-end !