lundi 29 novembre 2010

Bougouniéré invite à dîner, de la compagnie BlonBa

J'ai eu la chance de rencontrer quelques membres de la compagnie théâtrale BlonBa, du Mali, de passage à Paris pour quelques représentations, le 28 octobre dernier à l'Albarino Passy où ils étaient invités pour parler de leur pièce, Vérité de soldat. J'avais été bien inspirée en faisant l'acquisition du DVD Bougouniéré invite à dîner (le deuxième, Sud-Nord, le Kotèba des quartiers, m'avait été gentiment offert). Je n'aurais pu imaginer qu'il serait applaudi à la maison.

En effet, soit que je sois appelée à mes occupations domestiques, soit que je ne bénéficie pas de suffisamment de calme pour ne rien perdre du spectacle, depuis quelques semaines je n'ai fait que commencer la lecture de la video, sans pouvoir la terminer. Mon fils, par contre, ayant été captivé dès les premières scènes, est allé jusqu'à bout. C'est même devenu son DVD préféré. Il l'a visionné un bon nombre de fois, déjà. Il se marre tellement qu'il a réussi à réunir toute la famille autour de Bougouniéré et de sa famille. A 9 ans, il n'a sans doute pas saisi la portée sociale et politique de la pièce, mais l'intrigue, il l'a bien comprise. Les noms d'oiseaux dont Bougouniéré abreuve son mari ont de quoi déclencher les éclats de rire, certes, mais pas seulement. Les comédiens jouent admirablement leur rôle, et Bougouniéré la première. Qui est donc Bougouniéré et pourquoi invite-t-elle à dîner ?

Nous sommes au Mali, dans une de ces familles qui se battent quotidiennement contre des ennemis redoutables, notamment la misère, le chômage. Il faut essayer de s'en sortir. Bougouniéré a donc l'idée de monter une ONG, avec des objectifs susceptibles d'attirer la bienveillance des investisseurs européens : "alphabétisation des filles rurales", lutte contre les "MGF", les mutilations génitales féminines etc. Elle réussit à attirer dans ses nasses Monsieur  "Big fish", un représentant de la Banque mondiale de qui elle espère obtenir des subventions. Pour ce, elle prépare un dîner, afin de faire découvrir au boss blanc le "Mali profond". Mais désargentés comme ils sont (Djéliba, son mari, un homme pourtant plein de compétences, est au chômage), comment offrir un repas digne de ce nom ? Toute la famille est mise à contribution pour fournir de quoi faire honneur au Big fish. Toute sa famille (en réalité les seuls membres de l'ONG en attendant qu'elle ne se développe), son mari, leurs fils, que ce soit les deux qui vivent avec eux ou celui qui est en France (arrivé là-bas au prix d'énormes sacrifices.


Quelques comédiens de la compagnie BlonBa, parmi lesquels Michel Sangaré (au milieu) qui joue le rôle de Djéliba, mari de Bougouniéré.

 L'ironie est permanente et ne ménage personne : qu'il s'agisse des Etats africains, où les gens croulent sous le poids de la désespérance, les ONG aux dehors pimpants mais qui n'ont pour seule raison d'être que le désir d' "attraper les subventions qui passent", les organismes internationaux, qui ne sont pas moins dans le business plutôt que dans le réel partenariat... Bref chacun en prend pour son compte car chacun ne pense qu'à ses intérêts. La question de l'immigration est également abordée, dans sa réalité brutale. Mais ceux qui souffrent le plus, ce sont toujours les plus faibles.

Invitez-vous au théâtre sans quitter votre canapé avec Bougouniéré invite à dîner, de la compagnie BlonBa. Création d'Alioune Ifra Ndiaye et Jean-Louis Sagot-Duvauroux. Une pièce qu'il est agréable de regarder en famille. Disponible sur Internet.

Créée en 2005 et filmée en Juin 2007 au Théâtre Paul Eluard de Choisy-Le-Roi. Durée : 1h05.

vendredi 26 novembre 2010

Rencontre Africa Paris du 25 novembre

Quand on a assisté une seule fois aux rencontres qui se tiennent à l'Albarino Passy, organisées par Africa Paris et le maestro Gangoueus, on a envie de prendre un abonnement pour toute l'année. Hélas, n'en profite pas qui veut ! Les chanceux sont ceux qui habitent la région. Même si elles ont lieu un jeudi, on chope le métro et on y est. Et nous autres provinciaux alors ? Comment faire pour y être à 19h après sa journée de travail et les éventuels questions de garde d'enfants à régler ? C'est perdu d'avance, me diriez-vous.

Mais quand il y a un ivité aussi prestigieux que Sami Tchak, que faites-vous ? Vous vous dites : tant pis, même si j'arrive bien au-delà de l'heure du rendez-vous, ce serait dommage de ne pas profiter de cette occasion pour rencontrer l'auteur des Filles de Mexico. Je voulais en quelque sorte vérifier son identité. L'identité d'un auteur se lit, non pas sur sa carte d'identité, ni au travers de la mention de ses origines, mais se définit dans ses romans, dans ses textes. Montre-moi ce que tu écris, je te dirai qui tu es.

Sami Tchak m'a montré dans ses romans l'image d'un homme profondément humain, qui jette des ponts comme des filets dans l'océan de l'humanité pour attraper l'amitié des autres. Un homme sensible. Un homme humble aussi. On a envie de le rencontrer. Et l'homme fait un avec ses textes.




Aussitôt qu'il m'a aperçue, il m'a fait un signe de la main, et ne s'est même pas gêné pour venir à ma rencontre. J'ai eu le plaisir d'apprendre que mes chroniques étaient lues et appréciées. La discussion a très vite glissé sur la lecture et l'écriture. Sur les livres qui ont nourri notre sensibilité. Sur les oeuvres que nous trouvons tellement belles qu'elles nous amènent à considérer nos propres productions comme bien insignifiantes. J'avais adoré l'hommage que Sami Tchak rend à Ananda Dévi dans Hermina, il m'a parlé de celui de Céline à Shakespeare.

Finalement j'ai bien eu devant moi l'auteur de Hermina, qui fait dire à Heberto, le héros de ce roman, que chaque fois qu'il lisait de bons livres, son désir de devenir écrivain maigrissait de dix kilos. Enfin, ce n'est pas la citation exacte, mais c'est à peu près ça. C'est un sentiment contre lequel on ne peut se défendre : plus on lit, plus on se dit : que peut-on dire de plus ? Ou bien pourrais-je dire l'homme, dire la vie, dire le monde aussi bien que cet auteur-ci ou cet auteur-là ? Ne vaudrait-il pas mieux se taire et écouter les autres ?

Myriam Tadessé, Marthe Fare et Liss.

Bon il y avait du monde, hier, à l'Albarino. Il y avait surtout des femmes qui ont bien l'intention de marquer le territoire le la littérature. Des femmes qui affinent leurs pinceaux pour que les tableaux qu'elles présenteront dans leurs oeuvres retiennent votre attention. Par exemple Marthe Fare : elle se demande quand est-ce que la littérature togolaise va s'écrire au féminin. Vous pouvez la lire ici :
Et moi je me demande quand est-ce que les éditeurs vont se jeter sur elle pour que se diffuse dans les Lettres togolaises cette vigueur féminine tant espérée.
Myriam Tadessé a publié L'instant d'un regard chez L'Harmattan et mis en scène une nouvelle de Sami Tchak.

Sami Tchak acceptant, à ses risques et périls, de se laisser encadrer par Liss et Marthe Fare. Si, à l'avenir, vous trouvez que son talent s'est amoindri, ne cherchez pas loin, il aura été l'objet d'une transmission mystique.


Soirée Sympa. Elle s'est prolongée par un dîner, mais moi, il fallait que je file, mes poussins attendaient à quelques mètres. Oui, je sais, je suis une mauvaise mère, les traîner ainsi jusqu'à Paris ! J'entends encore leurs protestations. "Mais, maman, on n'a même pas fait les devoirs !" "Eh bien, on va les faire dans la voiture, ou bien vous les ferez demain matin à la garderie. Allez, en route, on va à Paris ! Faut que j'arrive avant 21h, moi !" Déclaration faite sous le regard réprobateur... mais collaborateur du papa.

mardi 23 novembre 2010

Pour l'amour de Mukala, de Thérèse Zossou Esseme

Je n'ai pas mijoté de plat ces jours-ci, je sors donc de mon frigo (de mon congélateur je devrais dire) un plat que je réchauffe tout spécialement pour vous, notamment parce que le roman dont il est question dit l'Afrique et les Africains d'une manière encourageante.


Pour l’amour de Mukala, roman de Thérèse Zossou Esseme est un court récit qui se lit comme on écoute un aïeul nous raconter un conte merveilleux. Merveilleux parce qu’il y a l’intervention de faits qui échappent à la raison, des choses qui relèvent du mystique comme les hommes ayant un double animal et qui meurent lorsque ce dernier est tué. Cette croyance, largement répandue en Afrique, est le sujet même du roman Mémoires de Porc-épic d’Alain Mabanckou. Merveilleux aussi parce qu’on a l’impression que, malgré les péripéties, malgré les terribles épreuves auxquelles les deux personnages principaux, Daniel Dika et Yvonne appelée aussi Mukala, doivent faire face, dans ce roman comme dans les contes, tout est bien qui finit bien.

Ce roman se lit aussi comme si on était l’oreille privilégiée d’un ami qui nous fait des confidences, nous fait part de ses souvenirs, de ses espérances, de sa vision de la vie et de l’Afrique.

L’Hymne à la vie

Le roman de Thérèse Zossou Esseme est en effet comme un hymne à la vie, un appel à toujours combattre pour lui donner le dessus. Il faut, pour que la vie soit belle, se battre pour elle. On voit progresser, durant les trois quarts du livre, les relations entre les deux personnages principaux, qui habitent la même Résidence Universitaire, celle d’Antony, en Région parisienne. Peu à peu ils se rapprochent, tombent amoureux. Mais les choses ne sont pas si simples. Chacun d’eux a connu la pire des épreuves : la disparition d’un être cher. Ce qui fait que Daniel s’interroge sur le sens de sa vie, se demande pourquoi avoir des ambitions et faire des efforts, puisque sa sœur, qui était sa complice, les quitte. Quant à Yvonne, elle a perdu le père de son enfant dans des conditions tragiques, elle ne livre pas son cœur facilement. Ils finissent cependant par s’ouvrir l’un à l’autre et unir leurs vies. Suivent alors des moments de grande félicité. Mais cette ascension vers le sommet du bonheur est brusquement interrompue, ils se retrouvent face à l’adversité : problème de santé conduisant à la perte de la vue pour Yvonne et surtout perte de la petite fille qui est née de leur union. Cette sombre période de leur vie est condensée en seulement deux chapitres, comme pour montrer combien le malheur resserre l’étau autour de leur cou pour les étrangler. Mais les deux jeunes gens rebondissent, ils décident de s’en sortir. Et la fin du livre est comme un retour au bonheur initial.

Une autre image de l’Africain

Thérèse Zossou Esseme veut donner une autre image de l’Africain en séjour en Europe, pour ne pas dire en France. Aujourd’hui celui-ci est plutôt vu comme un profiteur, comme celui qui vient réquisitionner les allocations ainsi que les cœurs, abusant de l’amour naïf d’un blanc ou d’une blanche pour obtenir des papiers. Dans le roman Cœurs en papier de Christian Mambou, on a aussi cette volonté de donner une autre image de l’Africain. Pour l’amour de Mukala donne un exemple de jeunes africains qui ne profitent pas des opportunités qui peuvent se présenter à eux. Ils décident de rentrer au pays, leurs études terminées, car là-bas tout est à construire. Malgré les mauvaises conditions de travail, le manque de matériel, les deux héros mettent leur savoir acquis en Europe au service de leur pays. Le livre a certes été écrit dans les années 80, et exprime le rêve de tous les Africains pour leur continent : que celui-ci puisse se construire grâce à ses enfants. Or ce qu’on remarque aujourd’hui, c’est l’accroissement de la fuite des cerveaux, à cause des régimes politiques actuels, qui ne font rien ou ne créent pas les conditions pour un retour au bercail des ‘‘cerveaux’’ du pays.

L’Afrique des valeurs

L’auteur veut aussi montrer dans son livre que l’Afrique, même si elle n’a pas encore ce développement qu’elle envie aux pays occidentaux, possède cependant une richesse morale qui fait sa particularité, et qu’elle peut perdre si elle n’y prend garde. Si Daniel et Mukala s’en sortent, c’est surtout parce qu’ils sont soutenus, par la famille, par les amis. Ils ne sont pas seuls dans leurs malheurs. Ce roman donne de l’importance à la famille, aux relations humaines. L’entourage, qu’il s’agisse de proches, d’amis, de voisins, ou de connaissances, est un rempart contre la dépression. Si l’Afrique souffre de sous-développement, en Europe on souffre souvent de solitude, on n’a parfois personne vers qui se tourner. Des personnes âgées, même ayant des enfants qui travaillent et un logement, se retrouvent en maisons de retraite ; des hommes et des femmes se retrouvent SDF (sans domicile fixe) alors même qu’ils ont des frères et des sœurs ou même des parents qui pourraient les loger en attendant de retrouver une situation stable ; des jeunes se suicident car ils n’arrivent pas à porter le poids de leurs souffrances, alors qu’ils pourraient les partager avec d’autres… Ce n’est pas pour dire que l’Afrique ne connaît pas ces tragédies, mais l’impact en est moins important parce qu’on est plus entouré.

Or certains jeunes africains, surtout ceux qui ont grandi ou séjourné en Europe, voit la famille d’un autre œil, elle devient comme un poids, car il faut s’occuper de tout ce monde. Thérèse Z. Esseme veut replacer les choses dans leur contexte et montrer qu’on peut le faire sans avoir l’impression de se ruiner. Elle met aussi en valeur un certain savoir-faire des Africains, dans le cas de la santé par exemple. Il y a des cas de maladies ou la science du Blanc échoue. C’est le cas lorsque Mukala perd la vue, mais c’est la sagesse des anciens, la mobilisation de la famille, qui aura raison de son handicap.

Bref, Pour l’amour de Mukala veut dire une autre Afrique, et c’est à juste titre que ce roman a été publié dans la collection « Ecrire l’Afrique » des Editions L’Harmattan.

L’Auteur : Thérèse Zossou Esseme est né en 1952 à Mbanga, au Cameroun. Elle est professeur d’Allemand à l’EFE Montaigne de Cotonou.
Pour l'amour de Mukala, Editions L'Harmattan, 2007, 130 pages.


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mercredi 17 novembre 2010

J'aurais voulu être journaliste

"J'aurais voulu être journaliiiiste ! pour pouvoir faire mon numéroooo !"
Oui, je sais, c'est "un artiste" qu'on dit, dans la chanson... de qui déjà ? Elle a tellement été interprétée que je me demande qui en est le compositeur.

Un ami écrivain et journaliste, Christian Mambou, m'a dit un jour : "Toi, tu as l'habitude d'écrire des billets. Moi, la prise de vue, les montages vidéo, ça me connaît. Pourquoi ne mettrions-nous pas nos talents ensemble ? Pourquoi ne pas passer du texte à l'audiovisuel ?"
J'écarquille les yeux :
"- Tu veux dire... une émission ? Comment cela peut-il se faire ?  Et puis faire la chronique d'un livre est une chose, la présenter à la télé est une tout autre chose, es-tu sûr que je sois la bonne personne ?
- Oh ! pour le choix de la personne, je ne me fais aucun souci, tu es la bonne personne, fais moi confiance. Le problème, c'est surtout de faire aboutir le projet, de trouver preneur. Mais faut déjà commencer à transformer l'idée en quelque chose de concret. Alors chosis un roman et faisons un essai."

C'était l'été 2008. Il avait l'air sûr de lui, alors je me suis dit : pourquoi pas ? Ce sera l'occasion de vivre une nouvelle expérience, de voir si je peux me glisser dans la peau d'un journaliste. A l'époque, j'étais en pleine découverte de l'oeuvre de Tchicaya U Tam'si, c'est donc de lui que j'ai parlé, plus précisément du roman Ces fruits si doux de l'arbre à pain.

Et voici ce que ça a donné.



samedi 13 novembre 2010

Petit Bodiel et autres contes de la savane, d'Amadou Hampâté Bâ

Connu surtout comme étant l'auteur du roman L'Etrange Destin de Wangrin, devenu un classique de la littérature noire-africaine, Amadou Hampâté Bâ (1900-1991) "fut l'un des premiers intellectuels africains à recueillir, transcrire et expliquer les trésors de la littérature orale traditionnelle ouest-africaine". Le charme des contes réside sans doute en ce que chacun y trouve son compte : les enfants, toujours avides d'histoires où le juste est récompensé et le méchant puni, ne s'en lassent pas ; et les adultes, eu égard à leur expérience de la vie, sont les mieux placés pour apprécier la morale de l'histoire. Amuser, instruire, faire réfléchir, le conte, décrit par Hampâté Bâ comme étant "le message d'hier, destiné à demain, transmis à travers aujourd'hui", assume toutes ces fonctions, d'où son intemporalité. 



Dans Petit Bodiel et autres contes de la savane, vous trouverez une vingtaine de contes, essentiellement issus du patrimoine peul  ou  bambara. Le premier, intitulé "Petit Bodiel", est le plus long et, naturellement, le plus riche en péripéties. C'est également celui qui illustre de la manière la plus frappante qui soit les revers de la vie et la nécessité d'agir avec sagesse et non en fonction de nos désirs souvent démesurés ou simplement égoïstes.

Petit Bodiel est un jeune lièvre paresseux, "Bodiel" signifie en effet "lièvre" en peul. Tout ce qu'il sait faire ou aime faire, c'est "bâiller, dormir, se réveiller, manger, digérer, pisser et péter", et aussi "regarder croupes fermes et seins arrondis des baigneuses." (pages 13 et 15). Quand Papa Bodiel meurt, Maman Bodiel doit se débrouiller pour assurer leur subsistance. Excedée par la fainéantise de son fils, elle lui lance un ultimatum : qu'il s'arrange pour l'aider, pour gagner lui-même savie, sinon elle le chasse de sa maison et le renie même.

Petit Bodiel a bien compris le message, il veut faire plaisir à sa mère, la surprendre agréablement. Mais comment faire ? Il ne peut pas miser sur sa force, il sait qu'il n'en a pas, alors il décide d'aller voir Allawalam, c'est-à-dire Dieu, pour recevoir de sa part autant de ruse que nécessaire pour surmonter allègrement toutes les difficultés de la vie. C'est le début des aventures pour Petit Bodiel, le début d'une longue ascension également, jusqu'à ce qu'il soit pris par la folie des grandeurs.

Que les personnages principaux soient des animaux ou des hommes, tous nous invitent à réfléchir sur la nature humaine, nous mettent en garde contre les apparences. Parmi les thèmes, le couple occupe une place importante. Vous saurez par exemple en lisant ce recueil  "pourquoi l'homme de bien est souvent l'époux d'une femme sans mérite et la femme vaillante l'épouse d'un bon à rien" (p. 131)

Et que vous inspire ceci  ?

"Pour l'homme, la femme est un puits sans fond... Pour la femme, l'homme est un fût qui se perd dans la nue... Jamais ils ne peuvent parvenir à la limite l'un de l'autre. Ils sont telles deux énigmes qui se regardent, se parlent et se complètent, sans cesser de se contester. Ils ne peuvent vivre l'un sans l'autre, mais ne peuvent vivre ensemble sans heurts ni éclats. Avec la femme rien ne marche, mais sans la femme, tout serait foutu !" (p. 15)

Ce Petit Bodiel est un vrai petit régal, il fera le bonheur des petits et des grands. Merci à Kinzy de m'avoir suggéré cette lecture.

Amadou Hampâté Bâ, Petit Bodiel et autres contes de la savane, Editions Stock, 1994, 220 pages.
1993 pour les Nouvelles Editions Ivoiriennes. Le conte "Petit Bodiel" a été pour la première fois publié en 1977 aux Nouvelles Editions Africaines d'Abidjan.

lundi 8 novembre 2010

Le Bus dans la ville, de Yahia Belaskri

J'ai hésité pendant de longues minutes : "Si tu cherches la pluie" ou "Le Bus dans la ville" ? J'aurais bien aimé embarquer les deux romans, mais mon portefeuille n'était pas de cet avis, il n'était même pas du tout d'avis que j'en prenne un, mais il m'arrive souvent de n'en faire qu'à ma tête, de ne pas entendre sonner l'alarme du porte-monnaie, notamment quand il s'agit de livres et lorsque, privilège suprême, l'auteur se trouve devant moi. C'était le 28 octobre dernier, à l'Albarino Passy, où se tiennent chaque dernier jeudi du mois les rencontres Afriqua Paris.

Alors lequel choisir ? Question posée à l'auteur. Il m'a dit un mot de chaque, et un mot a pesé en faveur du premier : "poésie". En début d'année, je m'étais fait la promesse d'accorder plus de  place à la poésie. Alors si, de l'avis de l'auteur, un des deux romans était particulièrement baigné de poésie, il n'en faut pas plus pour emporter mon suffrage.

                                          Liss et Yahia Belaskri.  

Dans ce premier roman de l'auteur, publié en 2008, ne cherchez pas d'intrigue. Laissez-vous simplement porter par les mots. Des mots qui égrènent des souvenirs. Des souvenirs qui jaillissent au gré des soubresauts du bus dans lequel se trouve le narrateur. Ce bus qui s'arrête inopinément, repart, ralentit, s'arrête encore, cherche son chemin dans les rues sinueuses de la ville sont autant d'occasions pour le narrateur de se perdre dans les sinuosités de la mémoire ou de vivre son présent au passé. Passé et présent se regardent, se croisent. Mais à tout bien considérer, ils n'en font qu'un : que ce soit dans les souvenirs du narrateur ou dans le paysage qui s'offre à lui, cette ville qui est la sienne lui répugne : elle n'offre pas d'avenir.

"La misère était grande et générale. Partout, les mêmes ombres, voûtées, soumises, victimes consentantes de la fatalité. Partout le même désespoir chevillé à leurs guenilles. Partout, le même désarroi, le même malheur."
(Le Bus dans la ville, p. 56)

Pire, la ville dévore celles et ceux qui veulent créer des possibilités de réussite. Des volontés se manifestent, des jeunes se lèvent, se mettent en marche vers leurs rêves, mais ceux-ci sont brisés, avec cruauté.

Dans cette ville
La jeunesse est un crime.
L'intelligence est un crime.
La beauté est un crime.
(pages 73-74)

Ils sont nombreux, ceux qui ont voulu faire quelque chose pour leur pays, pour leur ville, pour sa jeunesse, comme Dida, qui veut créer une école de théâtre, comme Samir, les idées plein la tête pour que son pays connaisse le progrès, comme Toufik, comme Alima et bien d'autres, mais ces élans sont arrêtés net. Ce ne sont pas seulement les rêves, ce sont aussi les vies qui sont brisées. La mort, la disparition semble le seul bien que la ville distribue généreusement. Le narrateur a vu partir tous les siens : parents, amis, proches, femmes aimées... tous ont été dévorés par la ville ogresse.

Le Bus dans la ville, un roman construit en échos. L'horizon, dans cette ville du Maghreb, semble irrémédiablement assombri, mais l'auteur l'évoque au travers d'une écriture poétique. Le lecteur tout comme le narrateur semblent tourner en rond, comme le bus, qui "tournait autour de la ville sans jamais la déflorer. Il tournait sans cesse autour de ses blessures, comme un charognard qui attend que sa proie s'effondre." (p. 122)

Très belle lecture.

Yahia Belaskri, Le Bus dans la ville, Vents d'ailleurs, 2008, 128 pages, 14 €.

Le blog de l'auteur :
http://ventsdailleurs.com/Yahia_Belaskri/

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mercredi 3 novembre 2010

Salon de L'Haÿ-les-Roses vu par Aimé Eyengué

Moi, quand j'aime, j'aime ! Et j'ai aussitôt envie de partager avec les miens ce que j'ai aimé. C'est bien pour cela que la citation de Pennac est mon étendard, Pennac dit si bien cette notion de partage propre aux communautés de lecteurs !
J'ai fait récemment la connaissance d'un auteur congolais, Aimé Eyengué, et depuis, je prends plaisir à le lire. En octobre dernier s'est tenu le salon du livre de L'Hay-les-Roses, j'ai failli y être mais j'avais un autre rendez-vous, important. Si vous n'y étiez pas non plus, pas de problème, Aimé nous offre un compte-rendu tellement vivant et agréable à lire que vous allez vous y retrouver comme par magie. Vous êtes prêts ? Allons-y ! Retournons au Salon, le temps d'une lecture.



"Nous y étions. C’était à l’intérieur du Val-de-Marne. Dans une ville moyenne de l’Île-de-France. Une ville mi-bourg, mi-cité, contiguë à Bourg-la-Reine, mais dans le Val de Bièvre. Où le Moulin de la Bièvre mixait l’air, entre le froid du matin et la bise du soir ; au-dessus d’un éventail illuminé de livres ensoleillés et parfumés, des parfums des mille et une nuits aux parfums des forêts équatoriales. Sous une pluie d’automne timide, mais doucette et interminable. Dans la mixité des peuples qui tendent la rose sourire aux lèvres : à L’Haÿ-les-Roses.

Du 1er au 3 octobre de l’an deux mille dix, il y soufflait un harmattan historique, qui formait des tourbillons cinquantenaires au milieu de la place du Moulin, sous l’oeil impressionné et joyeux des foulées bigarrées, des amis de la Culture, venues de toute part. Il y avait vraiment une présence africaine ! De la maison d’édition cinquantenaire à la Galerie Congo naissante, en passant par PAARI, ACORIA et les masques.

C’était un salon du livre mémorable : sous le signe du cinquantenaire des pays africains, ex-colonies de la Mère-patrie, adonnés aux mots dictés à leur inspiration par la langue française, pour faire écho au lire ensemble dans la concorde des peuples.

On pouvait y relire Verre cassé, Le Conseiller du Prince ou Riwan... des livres, qui enjolivaient des tables nappées d’un rouge royal, signe des jours inoubliables.
On pouvait y sentir la présence d’un illustre de la plume rapportant les Soleils des Indépendances devant un parterre d’esprits éveillés ; on pouvait y revoir le pas frénétique des Table-ronde et Indépendance Tcha-Tcha, qui poussaient sur la chansonnette, au travers des pas d’allure des gens des lettres mêlés aux gens de la Société des Ambianceurs et Personnes Elégantes (la SAPE), qui avaient rehaussé le salon de leur présence.

Mais, on pouvait aussi y voir les hommes politiques de gauche côtoyer ceux de droite, le cœur bien à gauche, le temps des retrouvailles sous un Arbre à palabre importé d’Afrique.

C’était le parangon. Des livres et des Hommes."

Aimé Eyengué

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