mercredi 24 juin 2009

Nous autres, de Stéphane Audeguy

Dès que l'on commence la lecture du dernier roman de Stéphane Audeguy, on est accueilli par une première personne du pluriel tout imprégnée de majesté, de perspicacité, de sagesse ; et c'est tout naturel puisque c'est la voix de ceux qui sont passés de l'autre côté : ils ont du recul dans l'appréhension des choses et portent désormais sur celles-ci un regard vif, un regard vrai.

"Nous autres", c'est le titre du roman, c'est aussi la voix qui narre les événements dans le roman. Cette voix dépouille la vie des personnages et à travers celle-ci l'histoire d'un pays, le Kenya. Tandis que nombreux se rendent là-bas comme dans bien d'autres pays d'Afrique ou d'ailleurs pour faire des affaires, faire du profit, exploiter au maximum ce qui est exploitable sans égard pour les conséquences négatives, quelques uns s'y installent par conviction. C'est le cas du père de Pierre. Il a envie d'être utile, il veut donner de sa personne et améliorer si possible les conditions de vie de la population au milieu de laquelle il a choisi de vivre.

Cependant il meurt dans des circonstances qui semblent mystérieuses. Ayant souscrit une assurance-vie au bénéfice du fils qu'il avait eu dans sa jeunesse, ce dernier est contacté par les services de l'Assurance pour se rendre au Kenya et prendre les dispositions nécessaires concernant l'inhumation de son père. Ce père est presque un inconnu pour lui, il ne l'aura rencontré qu'une seule fois de son vivant. Il apprendra à le connaître en même temps que le lecteur.

J'ai apprécié dans ce roman la narration qui croise histoire du pays et récits de vie, j'ai apprécié l'élégance avec laquelle Stéphane Audeguy rend hommage aux disparus, aux milliers d'anonymes qui ont contribué à bâtir le pays mais qui n'ont nulle stèle, nul monument à leur gloire ou simplement à leur mémoire. Il s'agit bien évidemment des autochtones car les autres, Blancs, Indiens ou autres, qui ont perdu la vie sur le territoire kenyan, ou qui ont fait même la plus quelconque action, leurs noms, ou du moins leur nombre est connu. Stéphane Audeguy donne la parole aux inconnus, aux sans voix. Il rappelle aussi combien un pays s'urbanise dans la douleur, comme l'illustre bien la construction du chemin de fer, "cette ligne si simple sur les cartes kényanes, la longue cicatrice de la peine des hommes". (p. 148)

Pour ceux qui n'ont pas encore goûté un morceau de Stéphane Audeguy comme c'était le cas pour moi jusque là, Nous autres sera une excellente entrée en matière.

4 commentaires:

AnndeKerbu a dit…

"cette ligne si simple sur les cartes kényanes, la longue cicatrice de la peine des hommes".
Je n'avais pas fait attention à cette phrase du livre de S. Audéguy qui illustre vraiment bien ce qu'est cette ligne de chemin de fer pour le Kénya.
Comme vous, Liss, j'ai bien apprécié le mélange des voix du passé et du présent. On y apprend aussi beaucoup sur les horreurs commises au nom d'un système de "l'argent à tous prix". Je ne considère plus de la même façon les bouquets de roses bon marché chez mon fleuriste.
Anne

Liss a dit…

Bonjour Anne,
je suis allé relire votre commentaire après avoir terminé le mien et on peut dire qu'on se complète, ne pouvant parler de tout chacune de nous a mis l'accent sur un ou deux points. Vous avez su parler de cette plaie du capitalisme qui réduit l'être humain à néant et met en avant le profit. C'est vrai qu'après avoir lu le roman on ne considère plus certaines choses de la même manière. L'ironie discrète dont Audeguy use pour décrier par exemple l'aatitude et les attentes des touristes est particulièrement savoureuse. Je vous remercie de m'avoir donné envie de faire cette lecture.

zarline a dit…

pour avoir passé plusieurs moi au Kenya, se livre me tente beaucoup. Il y a-t-il beaucoup de descriptions, une vraie ambiance ou est-ce que le Kenya est plus un prétexte?

Liss a dit…

Le Kenya n'est pas du tout un prétexte, Zarline, c'est un roman sur le Kenya, si pour vous, qui avez séjourné au Kenya, ce livre vous tente, moi je suis tentée dans l'autre sens : ce livre m'a donné envie de visiter ce pays, pour l'instant je m'y suis retrouvée par la magie de la lecture. Stéphane Audeguy a voulu faire découvrir le Kenya d'une autre manière que celle des touristes pressés qui s'arrêtent à la façade. Alors bonne lecture !