Jeanne est mise au couvent à l’âge
de douze ans par un père qui voulait « la faire heureuse, bonne, droite et
tendre », la tenant là « ignorée, et ignorante des choses
humaines ». Elle en sort à 17 ans, la tête emplie de rêveries, de
toutes sortes d’espérances dont elle s’est nourrie durant son enfermement,
impatiente surtout de connaître l’amour, un amour qu’elle imagine pur, entier, d’une
puissance qui la fera sans aucun doute vivre continuellement dans un bonheur
incommensurable. Elle se trouve donc dans une attente fiévreuse : qui donc
matérialisera cet amour, cette vie qu’elle colore des vives espérances de son cœur ?
Ses parents ont rénové pour elle une
des demeures qu’ils possèdent et l’ont décorée de sorte qu’elle puisse y couler
de beaux jours aux côtés de celui qui sera son époux. Jeanne a donc tout
pour être heureuse : l’amour infini que lui portent ses parents, elle est
à l’abri du besoin grâce à ses derniers qui ont du bien, et qui sont d’ascendance
noble. Elle est jeune, jolie, et son âme, trempée dans cette prodigalité et ce
désintéressement dans lesquels elle a grandi dans la
maison familiale, n’attend que de s’unir à une autre.
Cependant, dans l’innocence et l’ignorance
où elle a été tenue, elle n’imagine pas que le cœur d’une personne puisse être
autre que ce qu’il exprime à travers ses paroles, ses attentions. Le premier jeune
homme à manifester un intérêt amoureux réussit sans peine à la mettre en émoi.
Elle apprendra, à ses dépens, que l’homme, les humains en général, portent
souvent des masques. Et encore, c’est seulement lorsqu’elle a les faits sous
les yeux que ces derniers se décillent, au grand dam du lecteur qui, bien avant
elle, se doute de la véritable nature des relations qui unissent les
personnages les uns aux autres.
Jeanne essaie, malgré tout, de
tirer son parti de sa situation. Si elle ne peut faire confiance en l’homme en
qui elle avait placé tous ses espoirs, si son bonheur ne peut plus dépendre de
lui, elle va le reporter sur les êtres qu’elle considère les plus chers au
monde, ceux qui, à ses yeux, ne feront jamais preuve de trahison, ceux qui,
comme elle, font partie des gens dont la droiture est l’unique chemin qu’ils
connaissent. Mais là aussi, elle connaîtra d’amères désillusions.
La grande leçon que lui apprendra
la vie, sa vie, c’est que « tout
trompait, tout mentait, tout faisait souffrir et pleurer. » (p.
167) « Tout
le monde était perfide, menteur et faux. Une question se pose
alors : « Où trouver un peu de repos et de joie ? » Est-il
possible que ce soit sur terre ? Sûrement pas au sein de l’Eglise,
entachée elle aussi par l’hypocrisie, caractérisée par l’attachement aux
conventions au lieu de donner la priorité à la générosité de l’âme. « Dans
une autre existence sans doute ! Quand l’âme est délivrée de l’épreuve de
la terre », répond-elle dans un premier temps, Comme Baudelaire
qui déclare, dans Les Fleurs du Mal, que, même si « tout, même la Mort, nous
ment » (« Le
Squelette laboureur »), au moins elle permet de quitter « ce
monde monotone et petit », « cette oasis d’horreur dans un désert
d’ennui », et de plonger « au fond de l’Inconnu pour trouver du nouveau » (« Le Voyage).
Tentée par le suicide, se
laissant aller au dépérissement auquel la prédisposait sa ''sentimentalité
maladive'', Jeanne survit grâce à la force d’un espoir entêtant et surtout
grâce au dévouement de quelques proches. Finalement, « la vie, voyez-vous, ça n’est
jamais si bon ni si mauvais qu’on croit. »