lundi 18 mai 2009

L'hôte indésirable, Doris Kelanou

Quel est donc cet hôte, qu'on accueille sans le connaître, ou plutôt sans le reconnaître, qui s'installe en maître dans notre maison, dans notre famille, sans que nul ne le démasque ni ne le déloge ? Il s'agit bien sûr de ce fléau qu'on préfère désigner par des périphrases du genre "la peste moderne" ou la "maladie du siècle", car rien que de la nommer vous entraîne d'emblée dans un tourbillon de souffrances, de désespérance, d'abandon vécus au quotidien par des millions et des millions de malades.
La grande majorité de ces malades, on le sait, réside en Afrique, au point qu'un habitant sur quatre, sur trois, voire sur deux selon les pays, est contaminé. Cette situation nous interpelle tous, elle inspire notamment les écrivains, pour qui la fiction devient une arme de combat contre ce virus encore "invaincu", mais -pour parodier Rodrigue dans Le Cid de Corneille - sans doute pas "invincible". la fiction permet la dénonciation des comportements qui confortent le sida. On le voit avec le roman Ne brûlez pas les sorciers de Donatien BAKA, qui déplore le fait que l'Africain, entre explication rationnelle et explication mystique, privilégie cette drnière, et ce quel que soit son degré d'instruction, ce que confirme L'Hôte Indésirable de Doris KELANOU. Mais dans ce roman, c'est particulièrement l'ignorance qui est mise au banc des accusés.

Tous périront par la faute d'un seul
L'ignorance cause la ruine de toute une famille. Avec le sida, ce n'est pas seulement "celui qui met le pied dans la rivière que le crocodile mange" (traduction littérale d'un proverbe kongo), mais tout le monde est entraîné dans une spirale infernale.
Simon avait tout pour être heureux : une femme dévouée, une belle promotion au travail qui rehausse considérablement son niveau de vie, mais il pense que cette amélioration, il doit en quelque sorte la "prouver". En effet, à Mboka-Bissengo*, ville bien nommée, il faut extérioriser sa richesse, par exemple en étant capable d'entretenir des maîtresses. Simon, comme Lopo dans Ne Brûlez pas les sorciers, agit par suivisme, sans réfléchir aux conséquences de ses actes. plus grave, il néglige des précautions simples comme les préservatifs. Le Pape a beau jeter le discrédit sur ces derniers, leur utilisation aurait pu protéger de nombreuses vies.

Or à Mboka-Bissengo, l'apparence est reine : un homme ou une femme physiquement vigoureuse ne saurait être porteuse de la maladie. Ainsi Simon reçoit le virus de sa maîtresse - qui auparavant monnayait son "fruit maternel" pour subsister -, le transmet à sa femme, qui le transmettra à son tour leurs jumeaux. Ils meurent tous l'un après l'autre. Dès les premières pages, le narateur omniscient qui rapporte l'histoire ne ménage pas le lecteur quant à l'issue funeste du récit et à ce qui la génère : le sida. Mais les protagonistes, eux, l'ignorent ; ils mettront en cause la sorcellerie.

La pantomime du mariage
Le sida constitue-t-il le seul facteur de destruction massive des familles ? Il n'est en réalité, nous fait comprendre Doris KELANOU dans son roman, que la conséquence visible d'un fléau bien plus insidieux : l'infidélité. L'Hôte Indésirable est aussi bien un cri de révolte contre le sida qu'une invitation à réfléchir sur le sens du mariage. En vérité, on devrait parler de pantomime du mariage, car les voeux échangés par les époux, les serments de fidélité jurés sont souvent pour ne pas dire toujours trahis. Doris KELANOU dénonce la perte de valeur de la parole donnée. pourquoi vouloir à tout prix s'unir par les "liens sacrés du mriage" alors que ce mot "sacré" ne représente plus grand chose ?
La désacralisation de la parole donnée ne s'observe pas seulement au sein du couple. A tous les niveaux le déshonneur, le manquement à ses engagements gâtent le bien-être commun : mères ou pères de famille vis à vis de leur progéniture, médecins, avocats, policiers, enseignants, hommes d'état... tous sont de mauvaise foi .

Doris KELANOU fait le procès de la modernité, avec le déferlement des vices qui la caractérise. Elle dénonce également les pratiques qui font que l'Afrique se porte mal : dégradation de l'appareil médical ; superstitions (un simple bec de lièvre, malformation congénitale, suffit à diaboliser un enfant) ; manque d'initiatives peronnelles pour s'en sortir, prolifération des sectes... en sont quelques exemples. Bref voici un roman - le premier de l'auteur - qui se veut pédagogique.

* Mboka-Bissengo : nom imaginaire formé par l'association de deux mots du Lingala, qui pourrait se traduire par "pays des plaisirs ; pays où on profite de la vie"

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