dimanche 26 octobre 2008

De la race en Amérique, Barack Obama

Un homme né d’un père noir et d’une mère blanche, d’un Africain et d’une Américaine. Un candidat métis à l’élection présidentielle aux Etats Unis.

Il y a encore quelques dizaines d’années, cela était impensable, inimaginable, cela relevait de l’utopie. Les Noirs n’avaient déjà pas le droit à la parole, pas le droit d’exercer un emploi un tant soit peu valorisant, pour ne citer que ces exemples, comment espérer, même dans ses rêves les plus fous, qu’un Noir pourrait se présenter à l’élection présidentielle, et de surcroît avoir autant, voire plus de chance que son adversaire ? Qu’on lise donc les romans de Richard Wright, Black Boy par exemple, publié en 1945, pour mesurer le chemin parcouru depuis cette époque ; qu’on lise Toni Morrison pour toucher du doigt, pour vivre, le temps d’une lecture, la vie d’hommes et de femmes noirs aux USA, pour connaître ce que fut la ségrégation raciale.

La popularité d’Obama, sa carrière politique nationale se sont bâties en quelques trois années environ seulement, c’est-à-dire à la vitesse d’une étoile filante, si l’on considère le nombre d’années qu’il faut en général à un homme politique pour être reconnu, apprécié de son peuple au point d’être élu premier citoyen. Oui, Obama est la nouvelle étoile de la politique américaine, une étoile à l’échelle internationale également, car les Américains ne sont pas les seuls à se réjouir de sa probable élection à l’investiture suprême : dans tous les continents, dans tous les pays, de nombreux cœurs espèrent qu’il fera luire la lumière de la réconciliation entre les races et aussi entre toutes les classes de la société, encore faut-il qu’on lui donne cette occasion.

L’ascension de Barack Obama a été tellement fulgurante que l’opposition, ainsi que tous ceux qui ne veulent pas d’un Noir à la tête du pays, doivent trouver des arguments puissants pour contrer sa candidature. Et ils ont trouvé de quoi ternir l’étoile « Obama » en la personne du révérend Jeremiah Wright, dont les sermons, du moins les extraits les plus incendiaires, ont été abondamment diffusés. Obama fréquentant son église et étant très proche de lui ne pense-t-il pas comme lui ?

L’élan du candidat démocrate risquait, avec cette affaire, d’être brisé net ou de connaître un sérieux ralentissement. Il fallait d’urgence organiser la riposte. Le résultat, c’est le Discours prononcé par Barack Obama à Philadelphie, le 18 mars 2008. Selon François Clémenceau, qui a traduit et fait paraître ce discours sous le titre De la race en Amérique, « l’objectif n’est pas seulement de répondre à la polémique sur le révérend Wright », il s’agit de « dire ce que personne d’autre n’avait osé dire au cours d’une campagne présidentielle. Remettre dans un contexte historique l’évolution des rapports raciaux depuis les origines des Etats Unis et de la démocratie américaine. »1 Le texte anglais porte le titre "A more perfect Union."

Je ne vais pas résumer ni commenter tout le discours, qu’il est préférable de lire ou écouter dans sa totalité. Juste vous livrer quelques extraits pour vous convaincre de vous le procurer vous-même. Et j’ai bien du mal à choisir ces extraits, car si Obama a été interrompu par des applaudissement 17 fois en 40 mn, c’est bien plus de 17 passages que j’ai soulignés dans mon livre. Si j’ai choisi de me présenter à l’élection présidentielle à ce moment de notre histoire, c’est parce que je crois profondément que nous ne pourrons résoudre les défis de notre temps et parfaire notre union qu’en comprenant que, si nos parcours sont différents, nous avons les mêmes espoirs ; que, si nous n’avons pas tous la même apparence et si nous ne venons pas tous du même endroit, nous voulons tous aller dans la même direction : vers un avenir meilleur pour nos enfants et nos petits-enfants.2

Sur le pasteur Wright, Obama confirme que les propos que ce dernier a tenus ne sont pas de ceux qui peuvent contribuer à « former une union plus parfaite », mais il déclare :

Je ne peux pas plus le renier que je ne peux renier la communauté noire. Je ne peux pas plus le renier que je ne peux renier ma grand-mère blanche, (...) une femme qui m’aime plus que tout au monde, mais aussi une femme qui m’a un jour avoué qu’elle avait peur des Noirs qu’elle croisait dans la rue, une femme qui, plus d’une fois, a émis des remarques racistes qui m’écoeuraient.3

Les conséquences de l’esclavage et de la discrimination raciale, les frustrations mais aussi les responsabilités des uns et des autres, le malaise qui entache les rapports entre les différentes communautés, Barack Obama ne dissimule rien. C’est d’ailleurs là que commence la guérison, là que doit être sonné le départ pour une union plus parfaite :

Une Union plus parfaite suppose de reconnaître que ce qui fait souffrir la communauté afro-américaine n’est pas le produit de l’imagination des Noirs [...] Les Américains doivent comprendre que les rêves de l’un ne doivent pas se réaliser au détriment des rêves de l’autre. [...] En somme, ce que l’on attend de nous n’est ni plus ni moins ce que toutes les grandes religions du monde exigent : que nous nous comportions envers les autres comme nous aimerions qu’ils se comportent envers nous.4

Il n’y a pas si longtemps les fidèles de l’Eglise Evangélique du Congo ont médité, durant une année entière, cette parole de l’Evangile selon Matthieu, au chapitre 7, verset 12 : « Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le de même pour eux. »
Ce discours de Barack Obama m’apparaît comme un discours inspiré – de Dieu ai-je envie de rajouter, ou, pour ménager les susceptibilités, de la croyance en la fraternité humaine. C’est un message de paix et de réconciliation. Les mots et le ton sont d’une justesse désarmante et, pour peu qu’on soit sensible, chargés d’une émotion qui vous submerge, même lorsqu’on a simplement lu le discours. J’imagine ce qu’ont pu ressentir les millions de personnes qui ont entendu Barack Obama, en direct ou par le biais d’Internet. « Le texte et la vidéo du discours de Philadelphie ont été téléchargés sur Internet plusieurs millions de fois, record absolu dans l’histoire de la vie politique américaine »5, précise François Clémenceau. (p. 23)

Nous sommes à quelques jours des élections. Barack, l’Amérique va-t-elle accepter de tourner avec toi les pages d’une histoire douloureuse ?


Barack Obama, De la race en Amérique, , Grasset, 2008. Discours que l’on peut écouter sur Internet, avec la traduction française pour ceux qui tâtonnent encore en anglais comme moi.

Notes
De la race en Amérique, p. 20.
p. 29
p. 38
p. 49-50
p. 23

Aucun commentaire: