mercredi 3 août 2011

Sois nègre et tais-toi, de Jean-Baptiste Onana

Cet article a été publié il y a quelques années sur  grioo.com

La question de l’immigration est une question permanente en France. Question majeure pendant les élections, elle fait régulièrement la "une" de l’actualité à la faveur d’un fait divers, d’une crise : expulsions, incendies meurtriers d’immeubles parisiens, crises de banlieue, discrimination quotidienne à l’embauche, pour le logement... les exemples sont nombreux.



Mais, en parlant de discrimination, Jean-Baptiste ONANA constate une chose : tous les immigrés ou, de façon plus générale, toutes celles et ceux qui ne sont pas de "souche française" ne sont pas traités en France de la même manière : il y a comme une hiérarchie parmi eux qui place le Noir au plus bas de l’échelle ; ce dernier souffre plus cruellement que d’autres du racisme, du fait de sa "visibilité". "A l’échelle du monde, c’est certainement la créature la plus discriminée et la plus honnie de l’espèce humaine." (1)

Voici donc un livre dédié en général « à tous ceux qui subissent la discrimination et sont couverts d’opprobre au quotidien parce qu’ils sont différents". (2)

Il convient de saluer ce livre de Jean-Baptiste ONANA, qui se distingue par deux qualités essentielles. Tout d’abord Sois Nègre et tais-toi ! résulte d’un travail considérable de recherche, de documentation, d’observation. L’auteur n’avance pas un propos sans l’étayer par des exemples précis, par des arguments : actualité, ouvrages, discours d’hommes politiques, témoignages...consolident son analyse qui épouse au plus près le vécu des Noirs en France.

Ensuite cet essai est écrit dans un style qui le rend accessible à tous, la lecture en est véritablement aisée. Alors que dans ce genre particulier qu’est l’essai, il est courant que le lecteur ne s’intéresse qu’à des chapitres en particulier, on se prend à lire Sois Nègre et tais-toi ! comme un roman, du début à la fin.

Que dit donc ONANA ? Rien que des vérités sur les comportements des Blancs (et des autres races) à l’égard des Noirs, ceux des Noirs sur le territoire européen : leurs causes, leurs conséquences. Il y a à la base la perception du "noir", communément négative : "Année noire, série noire, pensées noires, idées noires, liste noire, jour noir, travail au noir, humeur noire...La négativité de la couleur noire est une universalité fort bien partagée par le genre humain." (3)

Cette perception négative fait que le Noir est combattu, sinon rayé dans les médias, en politique, dans certaines filières universitaires, bref dans toutes les fonctions valorisantes, exception faite pour certaines catégories comme le sport de haut niveau où il s’avère que "la France a besoin de ses nègres pour gagner" (4). La France est de fait multiraciale, mais elle le dénie.

Mais pourquoi donc cette discrimination ? J.B. ONANA étudie un à un tous les cas avérés, tout en démontrant leur illégitimité, j’ai envie de dire aussi leur grossièreté : des chercheurs n’ont-ils pas dernièrement "découvert" que la polygamie serait la cause de la violence ?

"Et que dire de la pédophilie, triste avatar de la liberté sexuelle infinie prônée par les partisans du tout-sexe et du tout-genre-de-sexe qui gangrène la société française ? (...) A titre personnel, je suis contre la polygamie, mais aussi contre toutes les formes de sexualité déviantes. Mais à tout prendre, j’aime mieux avoir deux épouses adultes, légitimes et consentantes que forniquer avec des bambins de cinq ou huit ans. Qu’on ne s’y trompe pas : la République a plus à craindre de ses pédophiles en col blanc, qui essaiment dans les milieux socioprofessionnels prétendument respectables (...) que d’un ou deux bigames africains dans une tour HLM.
Est-ce pour parachever son œuvre civilisatrice en Afrique qu’elle s’est récemment mise à y exporter massivement son trop plein de prédateurs sexuels, que l’on voit déambuler aux abords des hôtels de classe internationale et des sites touristiques, le sexe à la main, le portefeuille dans l’autre ?" (5)

Voilà comment ONANA répond aux découvertes "ingénieuses", aux préjugés qui pèsent sur les Noirs. Le ton est volontiers ironique, jamais haineux, car ce n’est que pour une "une France plus tolérante et plus respectueuse de l’humain, quel qu’il soit et d’où qu’il vienne" (dédicace) qu’il écrit ce livre.

Et les Noirs donc ? c’est avec sévérité qu’ONANA les interpelle et les secoue, pour qu’ils se décarcassent, qu’ils réagissent, qu’ils se prennent en mains. Cela ne saurait se faire en cherchant "à paraître ce que nous ne sommes pas". Il constate tristement que "jamais une race ne s’est autant reniée, abâtardie et prostituée culturellement que la nôtre." (6) Et il s’attaque à "ceux qui les véhiculent et les symbolisent le mieux : l’élite et l’intelligentsia noires." (7)

J’aurais voulu mettre tant d’extraits sous les yeux du lecteur pour qu’il juge de leur pertinence, je ne peux que vivement recommander de se procurer le livre. En vérité, toute personne qui voudrait être au fait de la question noire en France, de celle des immigrés en général, devrait absolument lire ce livre. On se souvient de Je suis noir et je n’aime pas le manioc, de Gaston Kelman, qui avait amorcé la question. Voici Sois nègre et Tais-toi dont la couverture, entièrement noire, annonce la couleur. Je recommande particulièrement les chapitres "La tolérance, une vertu française ?" ; "Singeries nègres et mystifications blanches" et "Les relations intercommunautaires" où l’on voit que, si l’on peut s’étonner de l’inimitié entre les euro-étrangers et les Noirs, entre les Africains et les Maghrébins (qui parfois partagent la même religion – mululmane – ), on trouve encore plus insolite la ‘"vieille rivalité afro-antillaise". Pourtant, au regard des autres communautés, cela ne fait aucune différence (un Noir est un Noir), même si l’Antillais s’échine à se distinguer de l’Africain. Mais y a-t-il vraiment une différence ?

"Le seul réel avantage des Antillais sur les Africains est leur citoyenneté française, qui leur ouvre les portes de la fonction publique. Encore, n’y occupent-ils généralement que des postes subalternes : à la Poste, dans les établissements hospitaliers, dans la police et l’armée. Alors, d’où vient cette promptitude à s’en prendre aux originaires d’Afrique plutôt qu’au commun des Français ? La vérité c’est que les ressortissants d’outre-mer sont directement confrontés à la concurrence des Négro-Africains pour les petits boulots. Il est d’ailleurs révélateur que d’une élection à l’autre, ils soient de plus en plus nombreux à voter Front National" (8)

Tous les Noirs, qu’ils viennent d’Afrique ou des DOM-TOM, devraient unir leurs forces s’ils veulent être entendus, s’ils veulent réagir efficacement contre les misères qui leur sont réservées. D’une façon générale, Jean-Baptiste ONANA déplore le fait que :

"les différentes communautés présentes sur le sol hexagonal s’ignorent royalement (...) Quand ils daignent se rencontrer, c’est généralement dans un cadre professionnel, confessionnel ou événementiel obligé et rarement dans celui d’une convivialité délibérément souhaitée. Ainsi, pour le commerçant chinois, turc ou pakistanais, un Africain méritera d’autant sa considération qu’il se révélera client ou acheteur. Le reste du temps, mieux vaudrait pour lui qu’il aille se faire voir ailleurs." (9)


Trois voix retentissent en écho dans cet ouvrage : celle de l’auteur de Peau noire, masques blancs ; celle du Général de Gaulle et enfin celle de toutes les personnes dont Jean-Baptiste ONANA a recueilli le témoignage dans le cadre de cet ouvrage, et dont la lecture est éminemment édifiante.


Jean-Baptiste ONANA, Sois Nègre et tais-toi ! Editions du Temps, 2007, 256 pages, 14,90 €.

L’auteur
Juriste de formation, Jean-Baptiste ONANA est Docteur en aménagement et enseignant universitaire en Géopolitique. Il a également été un membre actif de SOS Racisme.

L'entretien avec l'auteur publié sur afrik.com


Notes
1. Sois Nègre et tais-toi !, p. 57
2. Dédicace du livre
3. p. 52
4. p. 54
5. p. 73
6. p. 103
7. p. 104
8. p. 151
9. p. 118

14 commentaires:

kinzy a dit…

J'ai lu et c'est un fait, Plus blanc qu'un afroantillais , tu meurs.Et c'est bien triste!

Îl est cependant temps pour les noirs du monde d'avoir un vrai ledear qui ai vraiment une vraie vision pour les peuples d'Afrique.
^^qui souvent courent après des prophètes qui ne font pas partie de leur tribu. d'où l'égarement de ce peuple.

^

Obambé a dit…

Onana est un patronyme très courant au Cameroun. Encore un que je mettrai sur mon disque dur ! Sans lire le prénom, j’ai de suite pensé à un homonyme, Charles, auteur aux éditions Duboiris. L’intérêt premier pour moi de lire ce livre porte sur les témoignages recueillis car sociologiquement, les témoignages sont un plus pour le curieux qui, comme je le suis en permanence cherche à mieux cerner et essayer de comprendre.

@ Kinzy,
Il y a quelques leaders, mais quelle audience ont-ils ? Créons nos chaînes de TV, nos radios, nos media papier. Aux USA, il y a longtemps qu’ils ont compris cela. Il y a des leaders africains de très grand talent qui, par exemple en France, n’ont jamais droit de cité sur les media de grande écoute. Une sommité comme feu Mongo Beti a eu en tout et pour tout de moins de 2 mn dans l’émission Apostrophes pour s’exprimer, alors qu’il a passé la majeure partie de sa vie en France, avec une production livresque de très grande qualité. Mais comme ses essais étaient trop dérangeants pour la Françafrique… Son livre, Main basse sur le Cameroun : Autopsie d’une décolonisation (éditions François Maspero) sera même interdit en France, État prétendument de droit. Nous étions en 1972, sous la présidence de Georges Pompidou. Il faudra des années de procédure pour que l’auteur ait gain de cause. Pauvres de nous !!!

@+, O.G.

kinzy a dit…

Merci Obambé, pour le cours d'orthographe ()

Comme tu le dis si bien cet homme de grande envergure vivait en France, comme un très grand nombre.Ces hommes qui pourraient tenter de changer les choses au pays.

Pauvres de nous ? non, jamais donné l'impression (a) l'adversaire qu'il nous a vaincu.
Mais pauvre de lui tout de meme, il ne peut plus se cacher!

Désolée,j'ai perdu mon (a) avec accent()

Bo (a) tous !

Liss a dit…

Cette obsession d'être assimilé aux Blancs est donc toujours aussi bien ancrée !!! Et pourtant les choses auraient dû avoir changé, aves les années, il y a vraiment un grand travail à faire, comme dit Fanon : "un travail colossal attend l'Antillais qui préalablement aura passé au crible de l'objectivité les préjugés en cours chez lui". Ses ouvrages, ou du moins des extraits devraient être proposés en étude aux lycéens, là-bas, c'est possible de les concilier avec les programmes, notamment quand on étudie des chapitres comme l'argumentation ... encore faut-il que les profs y pensent !

@ Obambé,

le cas de Mongo Beti est vraiment très instructif. L'histoire de Sylvia Serbin me revient encore en mémoire (pour Kinzy : regarde la vidéo suivante : http://www.youtube.com/watch?v=zTCAeGvMnh8) et il y aurait vraiment grand intérêt et grande urgence à ce que les Africains aient des médias où ils puissent s'exprimer librement, des médias de "grande écoute" comme tu dis.

Les deux Onana se connaissent, je crois. Obligé, publiant tous deux... et sous un même patronyme !

Jackie Brown a dit…

"Plus blanc qu'un afroantillais, tu meurs."

Je suis née en région parisienne, mes parents sont de la Martinique et, kinzy, je sais que je suis noire.

Liss a dit…

Je te remercie de te "dévoiler" un peu, Jackie, c'est toujours bien d'en savoir un peu plus sur son interlocuteur, même si ce qui compte avant tout, c'est l'échange sur nos lectures...

kinzy a dit…

J'ai commencé par une boutade et je finirai par une anecdocte
C'est un frère qui, à force de rêver d'Afrique se décide un jour à partir, il y reste quelques temps et reviens quelques mois plus tard.
Qu'est ce que tu fais là ? Je te croyais en Afrique !
et lui de répondre.
Ici je suis africain, En Afrique, j'étais rasta, et là ça a coincé.

Sur ce, je vous souhaite de belles rentrées,Et vous, souhaitez moi de belles vacances.

Liss a dit…

C'est terrible, cette identité déchirée : ne jamais être pris pour ce qu'on est ! Cette histoire arrive à bien des personnes, antillais et autres.
Excellentes vacances à toi et aux tiens, chère Kinzy. Big merci pour ton coucou surprise.

Jackie Brown a dit…

Alors, kinzy, puisque c'était une boutade, c'est le "c'est un fait" qui m'a trompée et je n'ai pas compris l'anecdote.

Malheureusement, j'avais déjà trop entendu cette boutade pour la prendre pour une boutade.

Jackie Brown a dit…

Liss, tu as raison, ce qui compte, c'est l'échange sur nos lectures.

C'est juste la remarque de kinzy qui m'avait peinée.

St-Ralph a dit…

Un livre que je ne manquerai pas de lire. Le dernier passage cité illustre très bien notre incapacité à former en France un groupe de pression. Tous les Noirs se plaignent du sort qui leur est réservé dans la société française. Mais quand il faut agir, chacun invoque ceci ou cela pour ne pas sortir de son petit coin. Les Noirs ont peur de signer une pétition, ils ont peur de participer à une manifestation publique, ils ont peur de former une association autre que pour boire et danser, ils ont même peur d'aller s'incrire sur une liste électorale. Mais pour discourir sur ce qui ne va pas, ils sont champions ! Voilà ce que nous sommes et pourquoi les Blancs nous piétinent sans ménagement. Il va falloir nous mettre ensemble, nous compter et voir si nous ne sommes pas assez nombreux pour prendre le pouvoir ensemble. Mais grand Dieu ! que dis-je là ! surtout pas ! Le Noir a peur que l'on lui parle de politique, de pouvoir politique. Il préfère balayer, torcher bambins et vieillards. Quant au pouvoir, c'est une affaire de Blanc ! Le Noir ne se sent pas assez civilisé pour exercer quelque pouvoir en France.

Liss a dit…

Cher St-Ralph,

je ne conçois pas que tu ne puisses lire ce livre. Toi qui connais si bien Fanon, cela te permettra de mesurer si du chemin a été parcouru, mais tes dernières paroles ne laissent pas de doute là-dessus :

"Le Noir a peur que l'on lui parle de politique, de pouvoir politique. Il préfère balayer, torcher bambins et vieillards. Quant au pouvoir, c'est une affaire de Blanc ! Le Noir ne se sent pas assez civilisé pour exercer quelque pouvoir en France."
Hum, Tu es bien dur ! Mais ce n'est pas toi, c'est la réalité qui est dure, il faut des livres comme celui-ci et des hommes porteurs de volonté de mouvement comme toi pour changer les choses !

magalie a dit…

que les nègres retournent chez eux, au lieu de se plaindre en permanence chez les autres

Liss a dit…

Chère Magalie,
j'aurais préféré que les Noirs agissent aussi au lieu de se plaindre seulement, mais leurs plaintes ne sont pas infondées. J'espère que vous connaissez l'histoire : les Noirs étaient tranquilles chez eux, ce sont les Blancs qui les ont fait venir dans leurs pays. Sans remonter bien loin, je vais juste citer le cas de la France au 20e siècle qui, ayant besoin de main d'oeuvre, fait venir massivement des immigrés, une fois que ses villes ont été construises, elle trouve désormais qu'il y a trop d'immigrés sur son sol, elle aurait sans doute préféré que ces gens qu'elle avait fait venir n'aient pas de vie sociale, ne se marient pas, n'aient pas d'enfants, se contentant simplement de servir de bras à la France et de mourir une fois usés...
Par ailleurs si des Noirs prennent d'assaut les frontières occidentales aujourd'hui, c'est parce que leurs pays sont en proie aux guerres (entre autres)dont les causes sont essentiellement liées à leurs richesses naturelles (le pétrole en particulier) des richesses qui sont convoitées et regardées par l'Occident comme un bien dont il doit s'approprier, d'où les guerres. Ce n'est pas un secret de polichinelle, la France le reconnaît aujourd'hui volontiers. Je vous conseille par exemple les émissions qui sont passées à la télévision française, disponibles en DVD : "Françafrique, 50 années sous le sceau du secret", un film de Patrick Benquet. Présentation du DVD : "En 1960, les quatorze colonies françaises d'Afrique noire deviennent indépendantes. Le général de Gaulle confie à Jacques Foccart la mise en place d'un système qu'on appellera la Françafrique et qui vise à garder, par tous les moyens légaux et illégaux, le contrôle des anciennes colonies. 50 ans plus tard, ce système perdure."
Si vous ne l'avez pas encore regardée, je vous conseille de le faire et d'argumenter ensuite...