jeudi 11 mars 2010

L'attrape-coeurs, de J.D. Salinger

D’abord il y a eu l’annonce aux infos de la disparition de Salinger, dont le roman, L’attrape-cœurs, avait connu un succès planétaire. Mais en même temps on disait de l’auteur qu’il était resté à l’écart des medias, qu’il était resté discret, voire mystérieux. Intrigant. A lire donc ! Ce Salinger. Il commençait déjà à attraper mon cœur de lectrice. Ensuite il y a eu le commentaire de l’événement sur le blog de Kangni Alem, qui s’étonnait de ce que son invitée ne connaissait pas Salinger. Je me suis dit : « Toi non plus tu ne le connaissais pas, et à en croire K.A., tu devrais. » Enfin il y a eu l’invitation saint-valentineuse de Mabrouck Rachedi dans les pages du Métro. Là, c’est la goutte d’eau qui a fait déborder la décision. Aussitôt rentrée, un petit clic et je vois que le roman est disponible en poche, c’est-à-dire au prix de quelques euros seulement. Commande passée. Je l’ai lu d’une traite, ce roman. Et je ne sais par quel bout commencer. C’est un roman qui vous remue, qui vous retourne. Ça remue surtout dans votre cœur. Beaucoup de sensibilité. Ce qui m’a plu d’emblée, c’est de retrouver l’atmosphère des romans que j’ai lus récemment et que j’ai eu du mal à quitter. C’était comme si je les retrouvais. Tenez, le début m’a transbordé dans le Chagrin d’école de Pennac, avec cette manie des adultes de toujours s’inquiéter de l’avenir des jeunes gens, notamment ceux qui leur paraissent sortir du cadre ; de se demander ce qu’ils vont devenir.

Que va devenir Holden Caulfield ? Celui-ci désespère ses parents, ses professeurs - à l’exception de quelques uns qui ont mis le doigt sur ses capacités - Il a connu plusieurs établissements scolaires pour avoir souvent été renvoyé. Il vient une fois de plus de se faire renvoyer du collège où il était interne. Holden ne s’en fait pas pour lui, mais ses parents, comment vont-ils réagir ? Ça va être sa fête lorsqu’il va rentrer, ainsi il décide de ne pas rentrer, pas tout de suite. Il s’enfuit.

Holden raconte donc sa fugue, mais pas seulement. Ce sont ses expériences qu’il nous confie, ses rencontres, ses rapports avec les autres. Le connaissent-ils vraiment ? Le comprennent-ils ? Savent-ils quel garçon il est ? Il y en a, comme sa petite sœur Phoebé, comme son frère écrivain, qui constituent comme des points d’équilibre, des bouées de sauvetage. Est-il vraiment un cancre comme il le prétend ? Au fond c’est quelqu’un qui refuse d’être ce que les gens attendent qu’il soit. Il a simplement envie d’être lui. Lui, il ne veut pas jouer la comédie, il ne veut pas faire partie de ce monde où tout se joue sur les apparences, où on soigne les dehors ; et le dedans alors !

Nécessairement, on se sent seul quand on ne fait pas comme les autres, on est isolé, pourtant Holden n’a pas envie d’être seul, il recherche la compagnie, quelqu’un avec qui parler. Parler de choses et d’autres. Parler des canards du lac par exemple : où vont-ils quand l’eau est gelée ? Parler des dedans peu reluisants sous des dehors impeccables. Ça, ça le ''tue'', comme il dit. Cette expression m’a ''tuée’’, moi aussi. L’histoire de ce garçon, qui apprend à voir le monde tel qu’il est, est émouvante, mais en même temps j’ai eu du mal à contenir des éclats de rire durant toute ma lecture, j’avais vraiment envie de rire un bon coup, et quand on se trouve dans le train, avec plein de passagers plongés dans leurs lectures et leurs pensées respectives, ce n’est pas vraiment indiqué.


Holden sortant du théâtre :

« Alfred Lunt et Lynn Fontane jouaient le vieux couple et ils étaient très bons mais je ne les aimais pas tellement. Je dois dire pourtant qu’ils étaient particuliers. Ils jouaient pas comme des gens ordinaires, ils jouaient pas non plus comme des acteurs. C’est difficile à expliquer. Ils jouaient plutôt comme s’ils savaient qu’ils étaient des célébrités et tout. Ce que je veux dire c’est qu’ils étaient bons, mais qu’ils étaient trop bons. [...] Quand on est trop bon, alors, après un moment, si on n’y prend pas garde, on a tendance à se donner des airs. Et on est plus bon du tout. [...]
A la fin du premier acte, on est sortis avec tous les autres connards pour fumer une cigarette. Vous parlez d’un plaisir. Dans toute votre vie vous avez jamais vu autant de mecs à la gomme qui fumaient comme des locomotives en discourant sur la pièce et en s’arrangeant pour que tout le monde puisse entendre leurs remarques subtiles. [...] Vous auriez dû le voir quand Sally lui a demandé comment il trouvait la pièce. C’était le genre de mec bidon qui a besoin d’espace pour répondre quand on lui pose une question. Il a reculé, et il a marché en plein sur le panard de la dame qu’était derrière lui. Il lui a probablement cassé tous les orteils. Il a dit que la pièce elle-même était pas un chef-d’œuvre mais que les Lunt bien sûr étaient tout simplement des anges. Des anges. Putain. Des anges. Ça m’a tué
. » (p. 154-156)

Difficile parfois de savoir ce qu’on veut, ce qu’il faudrait faire, quand on a seize ans, et même plus. Difficile de prendre la vie à bras-le-corps quand elle semble vous échapper. Alors, pour éviter la déprime, Holden essaie de profiter de l’instant présent, de se créer des instants de bien-être, car il suffit parfois d’un rien pour se sentir bien, il suffit d’être avec un autre humain, d’écouter un morceau de musique et de danser, pour chasser le cafard qui vous guette, pour oublier ses soucis. Et là j’ai retrouvé un passage du Ballet noir à Château-Rouge d'A. Ngoye.

« Elle s’est mise à danser un boogie-woogie avec moi mais pas ringard, tout en souplesse. Elle était vraiment douée. Je la touchais et ça suffisait. Et quand elle tournait sur elle-même, elle tortillait du cul si joliment. J’en restais estomaqué. Sans blague. Quand on est allés se rasseoir j’étais à moitié amoureux d’elle. Les filles c’est comme ça, même si elles sont plutôt moches, même si elles sont plutôt connes, chaque fois qu’elles font quelque chose de chouette on tombe à moitié amoureux d’elles et alors on sait plus où on en est. Les filles. Bordel. Elles peuvent vous rendre dingue. Comme rien. Vraiment. » (p. 92)

Envisageant la mort :

« Et puis j’ai pensé à toute la bande qui me foutrait au cimetière et tout, avec mon nom sur la tombe et tout. Au milieu de ces foutus trépassés. Ouah, quand on est mort, on y met les formes pour vous installer. J’espère que lorsque je mourrai quelqu’un aura le bon sens de me jeter dans une rivière. N’importe quoi plutôt que le cimetière. Avec des gens qui viennent le dimanche vous poser un bouquet sur le ventre et toutes ces conneries. Est-ce qu’on a besoin de fleurs quand on est mort ? » (p. 188)


Suffit d’un bon roman parfois pour vous faire vous sentir bien. En fait le rêve de Holden à propos de la lecture s’est réalisé pour moi en lisant L’Attrape-cœurs :

« Mon rêve, c’est un livre qu’on arrive pas à lâcher et quand on l’a fini on voudrait que l’auteur soit un copain, un super copain et on lui téléphonerait chaque fois qu’on en aurait envie. Mais ça n’arrive pas souvent. » (p. 30)

Quel plaisir ça a été de lire ce roman. A lire et à faire lire sans modération !


Jerome David SALINGER, L’Attrape-cœurs, Robert Laffont, collection Pocket.
256 pages. Publication en 1945. 1986 pour la traduction française.


11 commentaires:

Mouélé Kibaya a dit…

Très bonne analyse, je vois que vous avez bien saisi le sens de ce roman et c'est ça qui explique son succès.

Bonjour,
Je suis Mouélé Kibaya j'apprécie vos analyses tant sur ce blog que sur congopage.com.
Ainsi je souhaiterais avoir votre mail pour de besoins d'interview.
Mon blog http://lepangolin1.afrikblog.com
Merci de me répondre par mail lepangolin1@ayahoo.fr
Bien à vous
Mouélé Kibaya

St-Ralph a dit…

Moi non plus je n'ai pas lu ce classique de la littérature. Ton commentaire m'oblige à franchir le pas. Ce sera bientôt fait. "Ballet noir à Châteu-Rouge" aussi retient mon attention.

Liss a dit…

@ Mouélé Kibaya,

Bonjour et bienvenue,
Votre espace ne m'est pas non plus inconnu, quelques clics m'y ont déjà fait atterrir. A bientôt, sur votre messagerie.


@ St-Ralph,

Ces deux dernières lectures ont été particulièrement savoureuses, je pense que tu passeras un très bon moment.

kinzy a dit…

Coucou Liss,
Tu m'as donné envie de lire du Salinger.
J'avais entendu parler mais je ne l'avais pas encore approché
une belle écriture , et des phrases courtes .
j'adopte!
Merci Liss pour ce moment ce plaisir.

PS : je te mets en lien sur mon blog.
Bô sista

mohamed ali a dit…

Moi, j'ai été frappé, surtout, par ta déclaration d'admiration (Il commençait déjà à attraper mon cœur de lectrice), car, comme écrivain peu connu, je commence à peine à attraper les coeurs de mes léctrices.

Liss a dit…

Coucou Kinzy,

Tu as tiré plus vite que ma pensée, je comptais aussi mettre le lien vers ton blog. Le succès du roman de Salinger est largement mérité, son personnage est très attachant. Bonne lecture.

@ Mohamed Ali,

Mohamed Ali ? Je crois que vous pourriez raconter dans une prochaine publication l'admiration de vos parents pour le célèbre boxeur, à moins que ce ne soit une pure coïncidence ?
Je suis allée jeter un coup d'oeil chez vous. Je n'ai pas trouvé de détails sur votre roman, mais je n'ai peut-être pas bien cherché.
Au plaisir !

mohamed ali a dit…

Merci de votre visite.

Obambé a dit…

Comme beaucoup,

J’ai entendu parler de lui la 1e fois à l’annonce de sa mort. J’ai écouté, j’ai lu sur le Net, dans la presse-papier et j’en suis arrivé à la conclusion que cet hommage (je me méfie des hommages posthumes, en général) dithyrambique ne pouvait être que mérité et pas du tout intéressé. Sans avoir jamais lu cet homme, j’ai été fasciné par sa « disparition » de la circulation, en réalisant le rêve de pas mal de monde : pouvoir se réfugier dans un coin, vivre plus ou moins comme un ermite, loin du tumulte. Par contre, je n’ai pas encore franchi le pas comme toi de chercher le bouquin et de le lire.
Mais ta chronique donne envie, vraiment envie. Je franchirai le pas.

@+, O.G.

Un congolais en Gaulle a dit…

Bonjour,

Désolé de vous écrire ici mais je n'ai pas vu d'adresse E-mail pour vous contacter.

Je m'occupe de la rubrique Mondoblog de l'Atelier des médias, sur Radio France Internationale. Cette semaine, nous nous intéressons aux blogs littéraires.

Nous enregistrons demain à 12h30 une émission à laquelle participent quelques blogueurs qui s'intéressent aux livres.

J'ai découvert votre Blog que je trouve très intéressant, raison pour laquelle j'entreprends de solliciter votre participation à notre émission que nous enregistrons ce vendredi 26 mars à 12h30.

Pouvons-nous vous compter parmi nos invités?

Cordialement,

Cédric Kalonji

Liss a dit…

@ Obambe,

Quand tu lis le livre, tu comprends combien il a été porté par le public, vraiment ! Ce n'est pas que c'est spécial, c'est juste humain.


@ Cédric Kalonji,

Votre invitation m'honore, cependant je travaille demain, je suis en pause à 12h mais je reprends à 13h, alors je ne sais pas si ce peut être possible.
Je vais voir sur le site de RFI si je trouve vos coordonnées pour vous répondre directement.

Un congolais en Gaulle a dit…

@ Liss

mon adresse : kalonjic@gmail.com

Pour l'émission, on peut vous appeler au téléphone et vous faire intervenir. L'entretien dure une dizaine de minutes. Il suffit que vous me donniez un numéro sur lequel vous joindre (fixe de préférence).