dimanche 10 janvier 2010

Filles de Mexico, de Sami Tchak

Les Filles de Mexico avaient débarqué chez moi peu de temps seulement après ma lecture de Hermina. En fait, c’est elles que j’avais invitées. Mais en attendant leur arrivée, il fallut bien que je me mette du Sami Tchak sous la dent. La bibliothèque avait alors apaisé ma faim avec Hermina. Cela fait donc plusieurs mois que les Filles de Mexico patientaient dans un coin de mon bureau. J’ai entendu leurs trépignements d’impatience. Je suis allée vers elles et elles m’ont emmenée à la recherche du sens. Sens de la vie. Sens d’un itinéraire littéraire. Sens de ma quête dans l’œuvre de Sami Tchak. C’est le troisième roman de l’auteur togolais que je lis et, pour moi, Filles de Mexico est ce que Le Temps Retrouvé est à La Recherche du Temps perdu. Aboutissement.
Filles de Mexico, univers féminin ? Pas seulement. Tous les âges de la vie se croisent et se font face dans ce roman : l’enfance, la jeunesse, la vieillesse. A Mexico. A Bogota. Comme partout dans le monde. Tous les mondes sont d’ailleurs évoqués : monde africain, monde européen... ou plutôt monde noir, monde blanc, monde sud-américain, monde métis... Quel rôle joue la peau dans le destin de chacun ? « La Race » - c’est même le titre d’un chapitre – a une place prépondérante dans ce dernier roman de Sami Tchak.

Au-delà de la race, c’est une interrogation sur la vie que nous offre l’auteur. Qu’est-ce, la vie ? Une « fête des masques » ? (p. 53) ; une « comédie » ? (pp. 166, 168...) ; un « enfer » ? (p. 168)
Pour ceux qui naissent du mauvais côté de la vie, du mauvais côté de la peau, la vie a tous les délices des enfers. Mais ceux qui ne sont nullement dans le besoin, comme Deliz, intellectuelle colombienne, comme Hector Zarate, gérant d’un bar ; ceux qui ont encore la jeunesse en partage, sont-ils à l’abri du souci ? D’un côté comme de l’autre, nous sommes tous dans le même panier : désarmés contre la toute puissance du temps. Faut-il craindre la vieillesse ? Faut-il craindre la mort ? Elle nous guette partout, prête à se saisir de nous, quand bon lui semble, et souvent au moment où on s’y attend le moins.


En fait, qu’est-ce qui sauve la vie de son absurdité ? Qu’est-ce qui fait qu’elle vaut la peine d’être vécue ? La rencontre, sans doute, déclare Djibril Nawo, dit Djibo, le personnage principal. Ecrivain, il a été invité à présenter une série de conférences à l’Université de Mexico. Mais il a aussi envie de rencontrer les habitants de cette ville, de tisser des liens avec des individus :
"J’aime les aventures parce qu’elles aident à aller au-delà des murs, des apparences, elles aident à faire des rencontres." (p.18)
Oui, mais la rencontre, a-t-elle véritablement lieu ? car « il n’y a jamais de rencontre entre deux personnes, il n’y a rencontre qu’entre quelques-unes de leurs facettes. » (p. 135)
Djibo a envie de connaître la ville qui l’accueille, pas seulement à travers ses habitants, mais aussi à travers ses quartiers, même ceux réputés dangereux.

"Ici, ce n’était pas le quartier dangereux que je voyais, mais un lien d’affluence, un lieu populaire, un lieu comme tant d’autres qu’il m’a déjà été donné de visiter ailleurs dans le monde. Ces lieux qui sont comme les ventres des océans. Entrer dedans en explorateur, prendre tout son temps, avoir la patience nécessaire pour décoder les énigmes des dangers et des beautés. Mais même les dangers sont beaux. [...] Entrer dedans comme un petit poisson, se glisser dans la vastitude du grand bleu où on peut finir dans une gueule, dans un museau, dans une panse. Entrer dedans, se mêler à la grande danse, à la grande fête des masques." (p. 52-53)

Sans les avoir lus tous, j’ai l’impression que toutes les œuvres de l’auteur se font écho dans ce roman : « fête des masques » (p. 53), fragilité des destins des « chiots errants » (p. 59), ces enfants livrés à la rue, prostitution...

Question d’identité, question de vie ou de mort, question de survie, Filles de Mexico est un roman de questionnements, un roman où tout est ambivalent. Surtout les relations. Même les relations entre père et fille. Le complexe d’Œdipe est souvent présent dans les romans de l'auteur.

Entrer dans l’univers romanesque de Sami Tchak, c’est monter dans une embarcation qui vous emporte sur la mer des incertitudes, voguant entre rêve et réalité, entre fiction littéraire et réalité, entre désirs et fantasmes...


Sami Tchak, Filles de Mexico, Mercure de France, 2008.

8 commentaires:

Obambé a dit…

Hello Mpangi Liss,

J'avais lu ce livre dès sa sortie avec délectation. C'est l'un des meilleurs romans de Sami T. qu'il m'ait été donné de lire. L'histoire est très belle, le travail y est de qualité, c'est indéniable. Ce roman en plus de ce que tu dis, est une vraie invitation au voyage, j'avais l'impression, de bout en bout d'être en Amérique latine, d'une part, et d'autre part dans mon Afrique, tant pas mal de situations sont similaires. J'avais aussi l'impression de relire, d'une certaine façon, son précédent roman Le "Paradis des chiots", même si les deux histoires de base sont radicalement différentes. Mais les univers sont les mêmes. Djibo fait là un voyage, des découvertes que j'aimerais avoir faits, moi aussi.
Avec ce roman, on rit, on sourit, même si parfois c'est de façon cocasse. Je reprends ainsi l'ouvrage, avec des parties que j'ai soulignées, P84: "Grâce à Candelario Canclini, le seul doctorant à avoir trouvé mon visage beau comme un masque lobi, j'avais su qu'il y avait en Argentine des immigrés africains (...) en général des jeunes sans papiers issus de l'immigration récente.
Il y a les âmes brisées, les amours perdu(e)s, les fois où l'on tombe sur un vieillard qui apprend à son vis-à-vis que leurs préférences sont à l'opposé l'une de l'autre: "Les seins que vous regardez, que vous voyez, c'est même plus éphémère que des fleurs, mis je suppose que quand on a les goûts que vous avez, on cherche l'éternité dans de très brefs instants."
Décidément, l'Amérique latine est une région qui vaudrait la peine d'être visitée souvent par les Africains!
@+, O.G.

Liss a dit…

Ya Obambe,
Pour moi c'est le meilleur de Sami Tchak. Il y a tellement de choses que j'aurais voulu dire encore, commes celles que tu dis, mais sur un blog il faut éviter la longueur, merci pour ta contribution. Des passages, j'en ai beaucoup souligné, et les personnages méritent chacun une longue étude, le lecteur apprend à les connaître, croit les connaître, pourtant ils conservent malicieusement une part de mystère. Dans ce roman, on croit arriver, on croit trouver, mais il faut encore chercher. Très bon texte. Bon et beau.

St-Ralph a dit…

'Un roman de questionnements" qui donnerait le vertige. Tel est mon sentiment en te lisant. Le commentaire de Obambé produit chez moi le même effet. L'Amérique latine. Un univers que j'aime depuis l'enfance et qui semble de plus en plus attirer les Africains. L'Afrique voyagerait-elle vers d'autres cieux que l'Europe ? Tant mieux. Vos avis m'incitent à tenter l'aventure avec Sami Tchak

GANGOUEUS a dit…

Il est dans mon collimateur également. Une lecture pour 2010. Merci pour ta présentation, Liss.

Liss a dit…

@ St-Ralph,

Une aventure avec Sami Tchak est une aventure qui vaut la peine d'être vécue, pleine de surprises, riche en humanité.

@ Gangoueus,

C'est une très belle lecture que tu vas faire. Moi, c'est mon préféré, ce roman. Je guetterai ta note de lecture.

Françoise a dit…

Liss, je suis d'accord sur la qualité littéraire indéniable de ce roman, l'écriture est superbe! du coup c'est vrai que le lecteur est entraîné dans un voyage un peu tourbillonnant, de plus en plus exubérant et cocasse au fur et à mesure que les pages se tournent.J'ai été un peu déroutée par ce texte, un peu mal à l'aise aussi, je n'ai peut être pas saisi toutes les subtilités de l'histoire, mais en tous les cas je vais lire les autres livres de Sami Tchak que je découvrais là !

Liss a dit…

"Déroutée", c'est le moins qu'on puisse dire lorsqu'on entre dans l'univers de Sami Tchak, il fait tout pour. Mais j'aurais bien aimé savoir ce qui, précisément, te laisse ce sentiment de malaise, si tu peux le définir ou si c'est juste une impression diffuse, sans que tu ne saches trop pourquoi.

Françoise a dit…

Je ne sais pas trop, j'ai l'impression d'être un peu passée à côté, de vouloir tout comprendre alors qu'il fallait peut être juste laisser défiler les images et les personnages ; de rester passive, un peu comme le personnage principal qui se laisse porter par les évènements....c'est une impression vague, mais c'est bien aussi, d'être déroutée par un texte !