lundi 27 décembre 2010

Cinquante ans dans la peau de Michael Jackson, de Yann Moix

Yann Moix a publié ce livre à la disparition de Michael Jackson, en 2009. Je m'étais promis depuis longtemps de le lire, j'avais suivi l'auteur sur les plateaux télé et j'étais curieuse de savoir ce qu'il y disait. C'est un petit livre de 14 chapitres dans lequel Yann Moix explique la vie de l'artiste, une manière de répondre à ses détracteurs, sur deux points en particulier : la volonté de MJ de devenir Blanc et les accusations de pédophilie. J'ai trouvé l'argumentation de Yann Moix très intéressante, surtout lorsqu'il tord le cou à la réputation de pédophile de Michael.




Tous les chapitres ne se lisent pas avec le même intérêt, moi je vous recommanderais particulièrement : "L'homme à l'envers", "L'impédophile" et aussi "Black and white", mais surtout le premier : "La mort la plus universelle de tous les temps", parce que c'est là que l'essentiel est dit. Yann Moix ne nous apprend pas une vérité, il confirme ce que chacun des contemporains de l'artiste a dû ressentir, inconsciemment ou non : le caractère exceptionnel de cet homme, de son destin ; sa capacité à unifier les peuples, juste en chantant et en dansant, et ça personne auparavant n'avait réussi à le faire :

"Michael Jackson est mort, et cette mort est la plus universelle de toute l'histoire de l'humanité. [...] Le monde ne communie jamais à l'unisson. Sauf dans le cas de Michael où pleurent, ensemble, au coude à coude, se remontant mutuellement le moral, se soutenant comme des frères, les juifgs, les musulmans, les catholiques, les orthodoxes, les bouddhistes, les protestants, les animistes, les communistes et les athées. C'est une même prière, inventée spécialement pour l'occasion, qui semble s'imprimer dans ce deuil sans précédent."
(Cinquante ans dans la peau de Michael Jackson, pages 18-19)

Plus loin :

"Aujourd'hui que la terre le pleure, musulmans, juifs, athées et chrétiens, d'une larme identique et universelle, impeccablement planétaire, on se réjouit au moins d'une chose : que les peuples puissent souffrir une douleur commune. Michael nous aura apporté (...) quelque chose d'inattendu : la première Paix mondiale." (p. 51)

Ce sont ces derniers mots qui me font me réjouir d'avoir lu ce livre, tout le reste est pour moi secondaire et presque vain. Je me suis déjà exprimée sur la disparition de cet homme d'exception dans l'article "Michael Jackson ira-t-il au ciel ?" et ce livre me donne l'occasion d'aller plus loin.

En fait, que faut-il retenir de MJ ? Ou plutôt que faut-il retenir de plus important ? Eh bien ceci : il est un des heureux hommes à avoir accompli leur mission. Michael Jackson est une parfaite illustration de la parabole des talents que vous pouvez lire dans les Evangiles (Matthieu 25 : 14 à 30 ou Luc 19 : 11 à 26).

En résumé, voici l'histoire : Un seigneur, avant de partir pour un long voyage, appelle ses serviteurs et leur remet à chacun un bien (appelé soit "talent", soit "mine"), disons une somme d'argent, pas la même, qu'il calcule en fonction de la capacité de chacun. A son retour, il les rappelle pour qu'ils lui rendent compte de ce qu'ils ont fait avec cet argent. Le premier, le deuxième ont fait fructifier la somme et rapportent le double de ce qu'ils avaient reçu au départ. Le troisième revient, tout penaud : il n'a pas trouvé mieux que d'aller enterrer ce qu'on lui avait donné et rapporte donc la même chose. Ce manque de bon sens provoque bien évidemment la colère du maître :  "si tu étais incapable de faire fructifier mon argent, ou trop paresseux pour le faire, pourquoi ne l'avoir pas mis en banque pour qu'il me rapporte au moins des intérêts ?" Et celui-ci de lui reprendre l'argent et  de le donner à un autre.

C'est mon intime conviction : nous avons tous reçu, à la naissance quelque chose. Il nous appartient, non seulement de le découvrir, mais de travailler pour que ce quelque chose, ce don s'épanouisse et éclaire les autres. Nous n'avons pas tous reçu au même degré, mais chacun selon sa personnalité, selon ses capacités. Cependant il est clair qu'il faut polir ce bien qui nous est donné brut à la naissance, l'affiner, l'enjoliver mais surtout le développer. Si nous ne le faison pas, nous aurons raté notre vie. 

Michael Jackson a su, très tôt, développer les talents qui étaient en lui. Il avait des frères et des soeurs, qui ont pourtant été élevés comme lui, dans la même maison, qui eux aussi chantaient bien, dansaient bien, mais seul lui a séduit le monde d'une manière bien à lui, parce que c'est à lui qu'il était donné d'être comme un messie qui viendrait pacifier le monde. Je ne dis pas que MJ n'a aucun mérité : la parabole montre clairement le travail à accomplir pour la croissance du bien précieux reçu. Et MJ était un bosseur, point n'est besoin de rappeler ici quel génie il était, quel artiste ! Les autres auraient beau travailler, et même aujourd'hui, on aura beau faire tout son possible pour danser comme lui, chanter lui, ce ne sera jamais aussi parfait que Michael lui-même : "Il a eu des copies mais lui aura été l'original. Personne d'autre que lui n'aura été lui", conclut Yann Moix. La danse, le chant étaient le moyen, mais la mission était la paix dans le monde, la fraternité des peuples.

MJ avait un rôle à jouer dans ce monde : faire que toutes les barrières s'écroulent comme les murs de Jéricho au simple son de sa voix. Il n'a pas eu besoin d'assener sur la tête des gens des prêches, de faire des appels à la conversion, d'inviter les gens à s'aimer les uns les autres. Il chantait, il dansait tout simplement, et dans le monde entier, les gens se donnaient la main pour former une chaîne de l'amitié la plus pure, la plus désintéréssée, la plus vraie.

Dans ce monde de plus en plus fermé à tout ce qui est religieux, ou qui n'est religieux que d'une manière travestie, superficielle, rigide, il est bon qu'il se trouve parmi les hommes quelqu'un qui, sans faire officiellement oeuvre de religion est pourtant plus efficace que les religieux les plus convaincus. Michael Jackson est la preuve que la vraie religion n'est pas tant dans le respect des règles : dans le fait de mettre ou de ne pas mettre le voile, de boire ou de ne pas boire d'alcool, de fréquenter ou de ne pas fréquenter régulièrement une église, de lire ou de ne pas lire un livre saint... elle est dans ce que confesse votre vie toute entière.

Pour revenir à la parabole des talents, il en va pour les hommes comme pour les nations ou les populations. Chacune reçoit un talent, à faire fructifier, pour le bien de toute l'humanité. C'est pourquoi il est vain de dire les uns les autres : c'est nous qui avons inventé ceci, c'est nous qui avons inventé cela, cela vous a été donné, et si vous ne le faites pas, un autre le fera à votre place. C'est comme pour les métiers : il n'est pas donné à tout le monde d'être médecin, mécanicien, enseignant ou que sais-je encore : vous aurez beau faire, vous pourrez bien vous débrouiller dans un autre domaine que celui qui était le vôtre par prédilection mais ce ne sera jamais la même chose que celui qui est un ayant droit de ce domaine.

Bon il faut bien que je conclue, sinon je ne m'arrête plus. En cette fin d'année, je vous invite à découvrir, à développer, à faire briller le ou les dons que vous avez reçus de... si le mot "Dieu" vous gêne, mettez "la Nature", car vous conviendrez avec moi que nous n'avons pas tous les mêmes aptitudes, et surtout pas dans les mêmes proportions. Je ne citerai qu'un autre exemple, en plus de celui de la musique : la littérature. Tous les écrivains n'ont pas la même stature. Il y en a qui, même avec un peu de travail seulement, gagnent rapidement une certaine hauteur là où d'autres mettront des années de labeur, et pour n'atteindre que le tiers de cette hauteur. Tous les écrivains n'ont pas la même stature mais tous contribuent, chacun à sa manière, au bonheur des lecteurs. J'ajouterai également : tous ne sont pas des écrivains-nés. Je vous vois venir : vous voulez que je vous donne quelques exemples d'écrivains-nés. Volontiers. Je n'ai qu'à regarder la liste de mes lectures 2010 et deux noms s'imposent aussitôt : Romain Gary, Toni Morrison. Quand on lit ces deux-là, on voit bien qu'ils étaient appelés, tôt ou tard, à écrire. On a plaisir à baigner dans leurs textes, on est à l'aise, on est bien, on est chez soi.

dimanche 19 décembre 2010

Le Conseiller du Prince, d'Aimé Eyengué

A l'heure où l'actualité ivoirienne nous montre combien la paix est fragile, notamment en Afrique où l'élection présidentielle semble devenue l'occasion de faire main basse sur les armes de guerre, il est bon de s'emparer de l'arme de la parole pour essayer de démolir ce monstre qui décidément prend plaisir à montrer sa tête hideuse, riant au nez de tous ceux qui appellent de tous leurs voeux une démocratie qui règnerait sans partage. J'ai nommé la guerre.

L'arme de la parole est d'autant plus efficace qu'elle est utilisée à bon escient par ceux qui se trouvent dans l'entourage direct du premier responsable politique d'un pays. Les "conseillers" ont un rôle capital, car l'avenir d'un Etat, d'un royaume dépend finalement d'eux, il dépend de leur force ou de leur faiblesse auprès de l'élu du peuple. C'est l'objet du livre d'Aimé Eyengué, auteur dont je vous ai déjà parlé ici, qui a publié il y a quelques temps Le Conseiller du Prince, un essai qu'il dédie entre autres "à tous ceux qui, allergiques au parler des armes, militent plus que jamais pour que le parler des mots et le dire du silence des armes aient définitivement raison de la guerre."



Le livre se compose de 19 chapitres qui analysent cette fonction ainsi que l'implication de différents facteurs comme l'argent ou le savoir dans le maintien de la paix. L'auteur insiste sur le rôle de l'intellectuel et surtout sur celui de la femme dans le climat politique. Il ne s'agit pas ici de vous résumer le livre car le but est que vous le lisiez par vous-mêmes, mais si je devais vous proposer quelques chapitres qui ont particulièrement retenu mon attention, ce serait ceux consacrés à l'un et à l'autre.

Dans le chapitre VII intitulé "L'intellectuel et la démolition du vice en politique", Aimé Eyengué s'attaque à un vice en particulier :

La Domination : c'est-à-dire la propension qu'a l'homme à se croire supérieur aux autres, avec son intelligence supérieure à une autre, sa race supérieure à une autre, son ethnie supérieure à une autre, sa communauté supérieure à une autre, sa religion supérieure à une autre... tout en supportant mal l'expression de la différence que voudrait lui faire entendre l'autre, lui préférant le conformisme béat, le nombrilisme maladif ou l'ethnocentrisme paranoïaque... Difficile en tout cas de faire entendre raison à quelqu'un qui croit d'avance sa raison supérieure.
(Le conseiller du Prince, page 59)

Ce passage m'a fait repenser à La prochaine fois le feu, de Baldwin.

Dans le chapitre XVIII, "Des observations sur le magistère d'une femme", on peut lire ceci :

Quand le monde aura fini d'être machiste, et qu'il aura compris que diriger un Etat nouveau ou ancien n'est point une affaire exclusivement masculine, alors les vertus de la Parole triompheront définitivement de la guerre. (page 137)

Plus loin :
Car la paix vaut mieux que toute la fortune du monde, et l'or de la vie humaine plus que l'or de la terre ou l'or noir. Et seule la femme, qui est le réceptacle du mystère de la conception et connaît bien évidemment les douleurs de l'accouchement, apprécie beaucoup mieux à sa juste valeur le prix d'une vie humaine ; ainsi, plus qu'un homme, c'est elle qui est mieux à même à convaincre la paix à s'installer sans inquiétude dans une Principauté. (page 140)

Bref voici une oeuvre, non seulement utile, mais aussi intéressante, qui s'appuie sur des exemples précis, tirés principalement de la vie politique française et d'autres pays aussi, et en accordant une place importante à la politique des Etats africains. Les cas du Congo Brazzaville, d'où vient l'auteur, de la Côte d'Ivoire "qui était pendant longtemps à l'abri des troubles ethniques", sont traités dans cet ouvrage nourri de références littéraires, la première étant Le Prince de Machiavel qui fait plutôt état d'un Prince de la Guerre. Comme une riposte, Aimé Eyengué propose donc Le Conseiller du Prince, essai sous-titré "Pour un Prince de la Paix".

Vous pouvez écouter l'auteur s'exprimer sur son livre en cliquant ci-dessous.


Aimé Eyengué, Le Conseiller du Prince, L'Harmattan, décembre 2008, 162 pages, 15.50 €.

Autres ouvrages de l'auteur :
- La France, si je mens, Société des Ecrivains, 2007.
- L'Abbé est mort, vive l'Abbé, Le Manuscrit, 2008.

dimanche 5 décembre 2010

Blues pour Elise, de Léonora Miano

Ce dernier roman de Miano a de quoi surprendre ses lecteurs habituels. En effet, c'est comme si l'auteure avait décidé ou accepté de descendre un peu de son piédestal pour être plus en phase avec les préoccupations immédiates du commun des mortels. Ses précédents romans étaient tracés selon une ligne philosophique et existentielle qui n'est pas totalement absente dans celui-ci, mais n'y apparaît qu'en arrière-plan. L'écriture même, plus abondamment baignée de musique, paraît moins... comment dire ? agressive ? Je veux dire par là que ses textes avaient quelque chose de percutant dans la forme et le fond, on sentait que l'auteure avait des choses à dire et que celui qui n'avait pas d'arguments valables n'avait pas intérêt à l'arrêter pour rien. Comme les femmes dont il est question dans le roman, notamment Akasha de qui je rapproche le plus l'auteure, elle pouvait jusque-là sembler une "guerrière", une "amazone" ou tout simplement une femme qui montrait qu'elle avait des griffes pour se défendre, ce qui pouvait effaroucher ceux qui s'arrêtaient à cette combativité affichée. 



Dans Blues pour Elise, Léonora Miano paraît plus ouvertement sensible. Elle nous présente plusieurs tableaux de femmes, des tableaux dressés de telle sorte que les uns éclairent les autres de leurs reflets. Femmes aux blessures multiples : familiales, sociales, sentimentales..., des femmes qui ne demandent à la vie qu'un homme à aimer, qu'à être aimées telles quelles sont. Il y a d'abord la bande de filles baptisée les "Bigger than life"  et composée de quatre jeunes femmes : Akasha, Amahoro, Malaïka et Shale. Chacune avec son style, son physique, sa personnalité. Il y a aussi quelques uns de leurs proches : Estelle, la soeur de Shale. Elise, leur mère.  Fanny, leur tante, soeur d'Elise. Au milieu de ces tableaux de femmes, celui d'un jeune homme : Baptiste, alias Bogus, le fils de Fanny. Tous avec leur vie à porter, à inventer ou à réinventer.

Léonora Miano l'annonce dès le départ : elle montre dans son Blues pour Elise des "Afropéen(ne)s" qui ne sont pas en quête des allocations familiales, car c'est généralement le reproche qu'on fait aux immigrés en France, notamment les Noirs. Tout leur être ne tend que vers un objectif : l'amour. 

Un petit extrait pas du tout choisi au hasard, vous comprendrez pourquoi :

"Sa voix l'enveloppait. L'homme était un maître de la parole. Ah, la magie de son verbe... Il parlait des vies antérieures au cours desquelles leurs âmes avaient cheminé. Ils étaient l'un avec l'autre, l'un à l'autre, depuis que la vie était apparue. Il disait les constellations qu'ils habitaient en esprit, et dont leur peau mate emprisonnait jalousement l'éclat, contait les paradis perdus, les aubes à conquérir, bientôt, à force d'amour".  (Blues pour Elise, page 31)

Alors, pourquoi cet extrait ? Pas simplement parce qu'on s'y trouve en plein dans le sujet même du livre, l'amour, mais surtout parce qu'on y entend l'écho des précédents titres de l'auteure : "constellations", "éclat", "aubes", comme pour mieux se démarquer avec eux.

Léonora Miano, Blues pour Elise, Editions Plon, octobre 2010, 206 pages. 18 euros. Une invitation à l'amour.