mercredi 20 avril 2011

L'île et une nuit, de Daniel Maximin

Cela n’arrive pas souvent que je rencontre d’abord physiquement un auteur avant de faire sa connaissance dans son texte. Je me méfie des rencontres physiques en général, elles peuvent faire l’objet de méprises, elles peuvent fausser le dialogue et même l’empêcher ! Tandis que dans le texte, on se parle franchement, qu’on s’apprécie ou qu’on ne se reconnaisse pas de connivence, l’auteur et le lecteur se disent mutuellement ce qu’ils pensent, dans une ambiance de bonne camaraderie.

Mais il y a des rencontres physiques qui préfigurent le plaisir de la rencontre virtuelle à venir. Après avoir passé quelques instants, de bien courts instants il faut le dire, aux côtés de Daniel Maximin au salon du livre de Paris, le mois dernier, j’avais hâte d’entamer une ‘‘vraie’’ – oui, la vérité pour moi est dans le texte – conversation avec lui. Je me suis donc laissée inviter sur son île. Même si c’était un soir de cyclone, je n’ai pas eu peur, j’y suis allée, et j’ai eu raison. J’ai dû vivre avec les habitants le déchaînement des éléments, affronter l’ « Œil du cyclone » ou plutôt se dérober à lui ! C’est à ne pas se laisser écraser par la fatalité que nous invite Daniel Maximin dans L’île et une nuit.



La mort n’est pas forcément au bout de la catastrophe, il faut penser à la vie, à la survie. La Guadeloupe, retirée des continents, en pleine mer des Caraïbes, n’est pas simplement ce lieu où il fait bon séjourner à cause d’une météo estivale toute l’année, elle est aussi le lieu aux « quatre pieds bien enracinés : de Cyclone, de Séisme, de Déluge et d’Eruption » (p. 133) Ce sont quatre bêtes qui se réveillent quand elles veulent et se jettent sur les îles des Caraïbes pour les dévorer, et le Cyclone est peut-être la plus impitoyable d’entre elles. Elle qui, après son passage, laisse toute l’île « dévastée, roussie, avec une famine d’espoir et une épidémie de détresse à l’horizon pour les survivants calfeutrés sous leurs décombres, parmi les fers tordus, les poutres rompues, les toits arrachés, et les armoires déchiquetées, tombeaux d’enfants écrasés sous leur protection. » (p. 130)

C’est que les habitants ne se donnent pas comme ça en holocauste au Cyclone, ils essaient de se préparer, de se barricader, ouvertures clouées pour plus de sûreté, même l’imagination « ne doit pas quitter l’intérieur de la maison. Surtout ne pas délirer. Mais rêver de l’intérieur. Laisser couler la bonne peur en nous, celle sans plaintes ni soupirs, une peur avec un vrai sujet : une petite fin du monde à endurer sans forcément mourir. » (p. 25)

Le rêve, les souvenirs, la conversation, même imaginée, la musique, même imaginée, sont ce qui reste à chacun pour pouvoir affronter les longues heures que dureront le cyclone. Le lecteur vit chacune des sept heures du cyclone avec Marie-Gabriel, le personnage principal. Depuis plusieurs décennies le cyclone a régulièrement plongé l’île dans un désastre apocalyptique. Elle est menacée d’être engloutie dans un trou :

« Au milieu de votre maison : le trou. Au milieu de votre mémoire : le trou. Au milieu du cœur de votre vie : un trou de la taille d’un cratère refroidi. Et vivre vous sera tous les jours un effort immense pour demeurer en pleine mémoire sur le fin rebord du gouffre. » (p. 39)

C’est en effet au prix d’une immense volonté que les survivants se relèvent et rebâtissent leur île. C’est pourquoi ils méritent toute l’admiration et les encouragements de l’auteur. L’île surtout appelle un chant d’amour, car « tout ce qui s’arrache à la mort mérite d’être chanté » (p. 92). Ce livre est un hymne adressé à l’île natale. L’auteur répand « le long tracé de ses pages d’écriture » (p. 163) pour tenir à jamais sa Guadeloupe hors du gouffre de l’oubli, l’imprimer dans nos mémoires.

C’est un hymne tout plein de poésie et de musique. J’ai été sensible à la musique des mots de Daniel Maximin. Son roman est un roman-poème, dans lequel on entend l’écho de ses autres œuvres, comme L’Isolé Soleil. On peut y débusquer aussi la présence d’autres auteurs, comme Sony Labou Tansi, à la page 162 : « Les yeux du volcan n’auront pas su te prolonger d’une vie et demie ».

Petit à petit, j’avance dans ma découverte de la Littérature des îles, et chaque pas que je fais est un pas de danse.

Daniel Maximin, L’île et une nuit, Editions du Seuil, collection points, 1995, 178 pages, 6 €.

8 commentaires:

Cunctator a dit…

Hey Liss, ntama hein! J'ai rencontré un auteur, une personne vraiment entrainante, puis j'ai lu un de ses livres, lequel a du mérite à plus d'un titre, mais je n'y ai pas retrouvé ce que mon échange avec l'auteur m'avait laissé imaginer.

Liss a dit…

Ntama ko ! ... Hein ? Tu as vécu cette expérience avec l'auteur dont je parle ou avec un autre ? De quel livre s'agit-il ?

St-Ralph a dit…

C'est clairement l'envers du décor habituel présenté pour nous faire rêver. Ce décor-ci est celui des habitants qui savent qu'il leur faut, constamment, composer avec les forces de la nature.

C'est seulement depuis quelques années que je sais que la rentrée scolaire annuelle aux Antilles est régulièrement perturbée par les cyclones.

Liss a dit…

Cher St-Ralph,
C'est une découverte pour moi aussi, je ne pensais pas que les cyclones fussent si fréquents et surtout que ce soient toutes les catastrophes naturelles qui se concentrent ainsi sur les antilles : tremblement de terre, cyclones, inondations, éruptions volcaniques... et pourtant les habitants sont debouts !

Obambé a dit…

J’avais découvert Daniel Maximim via son roman L’isolé soleil. Avant cela, je le voyais sur les plateaux de TV, je l’entendais à la radio. Et puis un jour, je me suis décidé. Et l’aventure continue son bonhomme de chemin en compagnie de cet homme à la petite voix que j’aime à entendre. Même quand il dit des choses fortes, il est calme (mais comment fait-il ?) Voix doucereuse, je dirais même. Proportionnelle à son gabarit qui ne l’obligera sans doute jamais à aller s’habiller en XXL. L’île et une nuit, je ne connaissais pas. Ta critique donne en effet envie de le lire, ce livre. Je n’ai jamais été déçu avec D. Maximim. Ça m’étonnerait que ça commence là.

Les habitants n'ont pas le choix: face aux calamités de la vie qui ne veulent pas leur donner le moindre instant de répit, il leur faut rester debout!!!

@+, O.G.

Liss a dit…

Tu fais avec beaucoup d'humour le lien entre son gabarit et le fait de ne pas vouloir s'imposer. C'est comme ça que je l'ai senti lorsque je l'ai rencontré : il se faisait tout petit alors que je l'ai vu comme un grand dans l'île et une nuit !

Ballades et escales en litterature africaine a dit…

Salut Liss.
Voilà un autre chemin que tu nous invites avec enthousiasme à prendre. Un chemin des plus prometteurs à te lire. Je te crois pour sûr, la lecture de l'Isolé soleil ayant été un moment de délice littéraire.

Liss a dit…

Mon cher Hervé, cette première lecture de Maximin m'a donné envie de le découvrir davantage, et l'Isolé soleil a éveillé mon intérêt, si en plus tu m'en parles comme d'un délice littéraire, je vais chercher ma carte bleue ! Merci pour ta "ballade" par ici !