samedi 15 mai 2010

Si la Cour du mouton est sale, ce n'est pas au porc de le dire, de Florent Couao-Zotti

Quand on a déjà lu un Couao-Zotti, on y revient les yeux fermés. L'Homme dit fou et la mauvaise foi des hommes m'avait frappée par sa singularité : des textes volontiers troublants, à l'image de la vie qui n'est pas un long fleuve tranquille. Mais ce que j'apprécie surtout, ce sont les romans de l'auteur, car au moins, quand vous embarquez dans l'un d'eux, vous en avez pour un moment avant d'arriver à destination, et vous êtes un voyageur heureux, car le maître à bord est un maître du récit. Notre pain de chaque nuit, Le Cantique des cannibales, Les Fantômes du Brésil sont des romans que j'ai avalés, avec une préférence pour le deuxième. Mais après la lecture de La cour du mouton, je placerai bien ce dernier en tête de liste, car il accorde une place encore plus grande à la langue.
En effet, si les histoires contées par Florent Couao-Zotti sont passionnantes, elles sont aussi et surtout un gage de plaisir pour ceux qui ont une langue délicate et qui recherchent des choses un tant soit peu exquises à se mettre sous la dent. Les expressions en particulier retrouvent une fraîcheur nouvelle sous la plume de l'auteur béninois. ... Comment ? ... Vous voulez des exemples ? Voyons, lisez donc ou relisez n'importe lequel de ses romans ! Mais je ne suis pas ingrate, je vais vous servir quelques morceaux du Mouton, dont l'intrigue se joue au Bénin. Là-bas, dans certains quartiers, "la pauvreté restait la star (...) les briques coûtaient la peau des anges" (p. 44) [au lieu de "la peau des fesses"] ; "le quotidien, pour Samuel, était loin d'être une partie de pique-nique" (p. 53) [ça change d'entendre autre chose que "une partie de plaisir"] ; "Rira bien qui se déchirera la gencive le dernier" (p. 82) [alors que l'expression proverbiale est plutôt : "rira bien qui rira le dernier"].


Florent Couao-Zotti au salon du livre de Paris 2010.

En parlant de proverbes, c'est dans ces derniers que l'auteur puise pour titrer les chapitres du roman. Il y en 24 au total. Ce sont donc 24 apophtegmes, 24 paroles de sagesse africaine dont certaines vous sont sans doute familières. C'est comme "Les oreilles ont beau être grandes, elles ne dépassent jamais la tête", proverbe beaucoup utilisé au Congo par exemple. Mes préférés parmi les 24 sont : "Le grain de maïs a beau courir, il finit toujours sa course dans le bec du coq" et "Celui qui se baisse pour voir le postérieur de son voisin ne sait pas qu'il expose le sien à tout le monde". C'est l'un de ces proverbes qui sert de titre au roman, d'où sa longueur.

On lit donc La Cour du mouton (que l'auteur me pardonne cette abréviation) en faisant deux pas en avant, un pas en arrière. En effet, quand on commence un chapitre, le proverbe qui l'intitule n'est pas forcément explicite dès le départ. C'est à la fin du chapitre qu'on éprouve le besoin de revenir au début du chapitre pour relire le proverbe et mieux saisir le lien avec le contenu du chapitre. Ce lien ne saute pas toujours aux yeux et le lecteur doit s'amuser à trouver le sens comme il s'amuse des jeux de langue de l'auteur. Dès le début du roman, une épigraphe vous accueille bien comme il se doit :

"Cette histoire est tellement vraie
que je l'ai totalement inventée et imaginée."

Venons-en donc à l'histoire. Une femme, connue comme prostituée, est retrouvée morte, affreusement mutilée. Le Commissaire Santos et l'inspecteur kakanakou doivent élucider ce meurtre. Celui-ci semble étroitement lié au milieu de la prostitution et au trafic de drogue. L'auteur du crime est connu du lecteur dès le départ. Mais celui-ci, un homme d'affaires libanais que les billets de banque rendent intouchables, pourra-t-il vraiment être épinglé par la police, corrompue en partie ? Les amies de la disparue réussiront-elles à se venger ou à donner elles aussi une leçon d'humilité au tortionnaire ? D'un autre côté, on a un ancien policier, Samuel Dossou Kakpo, en abrégé SDK, qui a décidé de monter sa propre boîte. L'entreprenariat en pays en voie de développement, est-ce chose facile ? Portraits d'hommes et de femmes qui apprivoisent la vie, une vie ingrate parfois dans un pays où la pauvreté réduit votre marge de manoeuvre. Portrait d'une ville aussi, une ville vivante, avec son parler typique.

J'ai bien aimé la manière dont l'auteur a orchestré son roman, faisant converger vers un seul tableau différents tableaux au départ. Et à la fin, on revient au début.

Florent Couao-Zotti, Si la cour du mouton est sale, ce n'est pas au porc de le dire, Le Serpent à plumes, 2010. 204 pages. 16 €. PRIX AHMADOU KOUROUMA 2010 (décerné à l'auteur le 29 avril dernier à Genève)

8 commentaires:

kinzy a dit…

Chère Liss
j'aime beaucoup ces titres à rallonge.
je ne connaissais pas cet auteur , je prends note.
Bô dimanche sè mwen

Liss a dit…

Kinzy, Tu feras une belle découverte en le lisant.
Bô dimanche à toi aussi !

Obambé a dit…

J'ai découvert cet auteur via son livre L'Homme dit fou et la Mauvaise foi des hommes et j'avais trouvé dans une de ses nouvelles, des similitudes avec l'écriture, la langue de Sami Tchak (oh! là, je me mets à "parler" comme un écrivain, Liss m'a contaminé!!!). Depuis, je ne me lasse pas de le lire. J'aime son impertinence.
De plus, je trouve qu'il ressemble pas mal, physiquement à mbuta Boundzeki-Dongala (enfin, vu que je suis tellement myope...)
Pour mieux le connaître, son espace: http://couao64.unblog.fr/.

@+, O.G.

Liss a dit…

Tata Obambe,

Couao-Zotti est un de mes auteurs africains préférés, tout ce qu'il écrit m'intéresse. Merci de mettre le lien vers son blog, chose que j'aurais dû faire dans mon article, mais comme je sais qu'il y a un certain Obambe qui rôde dans le coin, prêt colmater les brèches...
Merci de ton passage.

AnnDeKerbu a dit…

J'ai aussi beaucoup apprécié ce roman, lu suite à votre billet enthousiaste. Est-ce que les romans précédents de cet auteur sont aussi des polars? J'ai l'impression que dans le cas de "Si la cour...", il s'agit un peu d'un prétexte pour baigner dans les quartiers populaires de Cotonou et d'en utiliser la langue si imagée.

Liss a dit…

Votre analyse est pertinente, Anne, je la partage entièrement : moi non plus je n'aurais pas d'emblée classé le roman comme étant un polar, ce qui domine pour moi c'est la manière de narrer, c'est le langage. Dans ses autres romans aussi il y a souvent une "intrigue policière" sous-jacente, mais ce n'est que comme un appât, l'auteur a surtout envie de nous baigner dans les odeurs et les couleurs d'une société africaine aux multiples attraits. Je vous recommande son premier roman : Notre pain de chaque nuit, ainsi que Le cantique des cannibales. Dans les deux : histoire d'amour folle assaisonnée différemment. Je n'en dis pas plus.

K.A a dit…

c'est un roman noir

Liss a dit…

En effet, cher K.A. J'en profite pour te souhaiter d'excellentes fêtes de fin d'année.