Non, je ne pouvais pas rester sur la note négative du billet de janvier dernier, intitulé Internet, cette peste ! J’étais alors on ne peut plus déçue par l’attitude réfractaire des élèves dès qu’il s’agit de lecture et de travail. J’étais découragée par leur paresse, parfois excessive, alors qu’ils sont capables de beaucoup lorsqu’ils s’en donnent la peine. Je le savais qu’ils pouvaient surprendre agréablement, mais quand ? à quelle occasion ? ça, impossible de le savoir à l’avance ! On essaie des choses, se demandant avec angoisse ce que ça va donner. Parfois ça marche, parfois ça ne marche pas. Quand ça marche, quel plaisir ! Ces étincelles qu’ils s’évertuent à camoufler sous une apparente indifférence, je viens de les voir jaillir, je m’empresse donc de donner en quelque sorte une suite positive à ce précédent billet, pour équilibrer les choses.
Nous étions en train d’étudier la correspondance aujourd’hui, les mails par exemple. Nous en avons lu un d’une jeune fille qui écrit à une association de lutte contre le cancer. Elle déclare avoir écrit un poème pour dire tout le mal causé par le tabac. Dans la deuxième moitié de l’heure, j’ai donc demandé aux élèves d’imaginer ce poème, histoire de les occuper. « Produisez-moi quelque chose qui frappe les esprits, avec des rimes bien sonnantes si possible. Ne vous préoccupez pas de la longueur des vers. Même nombre de syllabes ou pas, les vers restent des vers. Vous pouvez travailler à deux. » Je ne m’attendais pas à ce qu’ils se passionnent pour la chose. Sous mon regard étonné, j’ai vu ces élèves de 4e muer soudain et se transformer en jeunes poètes. Même les petits indisciplinés, les gros bavards, les contrevenants permanents aux règles en vigueur en classe se sont révélés, le temps d’une création, comme étant des auteurs de talent. J’en ai même qui ont tout bonnement ajouté la mention « écrivain et poète », à côté de leur nom, au bas de la feuille.
Tenez, dans le genre court mais précis, H. et C. n’y sont pas allées par quatre chemins :
Le tabac c’est pas bien, ça rend tout vilain
Le tabac c’est pas bon, ça rend vraiment con
Le tabac donne le cancer avec son mauvais air
A., elle, tire la sonnette d’alarme :
Arrête-moi ça !
Arrête la cigarette,
Ça va te rendre trop bête ;
Arrête de fumer,
Ou tu finiras chouté !
Une fois que tu commences,
T’es piégé,
Les violences et les urgences,
Tu finiras par en abusés.
Le tabac,
N’y touche pas,
Ou tu finiras tout raplapla !
Vous aurez remarqué que je vous sers le texte tel quel, sans correction orthographique ni grammaticale aucune. Ça ajoute à la beauté du texte, je trouve. Pour une fois je n’ai pas sorti mon stylo rouge, même quand l’orthographe était endommagée par les mauvaises habitudes contractées avec le virus SMS :
Le tabac c pas pour toi
C comme la Playstation 3
Si tu joue une fois elle se retrouve chez toi
Si tu ve pas arreter je vais devoir te defoncer
Non c pour rigoler mais le tabac nuis a la santé
Et a toute l’umanité
De l’humour et du réalisme avec cette comparaison à la playstation, pour traduire l’addiction à la nicotine ! Alors je n’allais tout de même pas incriminer Y. à cause des entorses à l’orthographe, pour une fois qu’il s’applique à faire quelque chose de bien ! D’habitude il s’applique à... bavarder, de la première seconde du cours à la dernière.
Je parlais de réalisme, jugez donc le poème de H.
Bad nicotine
Elle te séduit et elle te tue,
Nicotine, goudron, pétrole sont ses armes absolues
Tu t’en tape plusieurs par jours
Tu ne peut plus te passer d’elle
C’est la crise, tu t’en fou, t’en achète quand même
Tu la grille…
Mais celle qui va te fumée
C’est bien elle !!
Dans le genre ‘‘conseils de deux jeunes filles sages’’, et elles sont sages, P. et F., elles travaillent toujours ensemble, elles sont efficaces :
A bas le tabac
Fumer,
C’est pas bon pour la santé.
Deviens pas dépendant,
Sinon, jaunes seront tes dents.
Ce n’est pas bon,
Ça favorise le cancer du poumon
Alors, si t’es accro,
Bois plutôt de l’eau…
Sur le mode ludique, A. et A. proposent une définition du tabac :
T comme tué le tabac peut tué
A comme arrêt cardiaque le tabac peut arrêter le cœur
B comme bêtise fumer est une grosse bêtise
A comme abrutit il faut être abruti pour consomé cela
C comme cochonerie le tabac est une cochonerie qui ne fait que détruire ce que tu construit
TABAC certifié dangereux.
Pas d’hypocrisie avec J. : on veut arrêter les dégâts provoqués par le tabac ? La solution est pourtant simple !
Le tabac, je n’aime pas ça
Savez vous pourquoi ?!
Le tabac vous ruine
Et en plus ça donne mauvaise mine
Le tabac ne sert à rien
Ça ne vous fait pas du bien
Mieux vaut le supprimer
Au lieu de le consommer
Pourquoi a-t-il été inventé
Seulement pour vous empoisonner
C’est bien pour l’argent…
Malheureusement.
Vous êtes sportif ? Alors le poème de R. saura vous toucher.
Si tu fumes,
Pas de compétitions
Tu cours, tu t’essouffles
Cigarette, briquet et cendrier
Sont tes nouveaux compagnons
Et guerre avec tes poumons !
Si tu t’arrètes,
Plus de contraintes
Tu vas vers le bonheur
Sur le mode ironique, voici le poème de M. Faut peut-être que je m’assure qu’il n’est pas allé pomper ça quelque part (mes doutes qui me reprennent). En effet quelques uns m’ont rendu le travail le lendemain ou le surlendemain. Mais je lui fais confiance, il m’a déjà montré qu’il avait des ressources.
Ma famille, mes amis, mes frères
Voilà déjà tant d’années que le tabac ronge notre ère,
Il pourrit notre air
Et détruit notre terre
Combien d’adultes allez vous laissez mourir ?
Combien d’ados comptez vous regardez périr ?
Bon dieu, il faut réagir !!
Il n’y a déjà que trop de martyrs…
Voilà après tout, devenir fumeur,
Ça ne fait pas si peur,
A part des poumons affectés,
Et des milliers de décédés…
Il n’y a pas de quoi être effrayé !!!
Bon, dites-moi, n’est-ce pas beau tout ça ? Je me demande combien fumeront malgré tout dans quelques années. Et vous donc ? Vous qui lisez, vous qui prétendez ne pas pouvoir arrêter, A. vous demande d’arrêter vos simagrées :
C’est écrit sur vos paquets
Fumer nuit à la santé
Quand vous avez commencé
Vous ne pouvez plus vous arrêter
Ça augmente le taux de mortalité
Arrêtez !! C’est juste une question de volonté…
Bon, je ne peux tout vous faire lire, tant pis pour vous. Ah ! j’oubliais : le titre « J’aime pas ta clope », c’est le premier vers du poème de L. Voilà. … Comment ? Oui, oui, je vous l’accorde, va falloir consacrer une séance de langue sur ces poèmes : correction de l’orthographe, de la grammaire, de la ponctuation. D’accord, d’accord. En attendant, goûtez avec moi ces jolis textes. Ils sont créatifs, ils sont adorables, ces enfants ! Ah la chance que j’ai de me frotter à ces intelligences !