samedi 27 mars 2010

L'Atelier des médias

Pour ceux qui connaissent l'émission L'Atelier des Médias, sur RFI, elle comporte trois parties, la troisième étant intitulée "Mondoblog". L'émission de ce jour était consacrée aux blogs littéraires. Je figurais parmi les invités, bien encadrée par Gangoueus et Kangni Alem, depuis Malabo. Tenir un blog. Ouvrir une porte pour que ceux qui le souhaitent viennent faire un brin de causette avec vous, n'est-ce pas formidable ? Finalement, discuter de livres et d'auteurs n'est qu'un prétexte. Ce qui domine ces échanges, ce sont les amitiés que réservent ces petits clics sur la toile. Ces ballades d'un blog à l'autre, quelle belle occasion de se constituer une famille !

Vous pouvez écouter l'émission à l'adresse suivante :

http://atelier.rfi.fr/profiles/blog/list?tag=mondoblog

Merci à Gangoueus pour cette aventure. Quant à K.A., il ne se contente pas de se ballader d'un blog à l'autre, malgré les contraintes de son emploi du temps. Il se ballade aussi d'un pays à l'autre, en vrai habitant de la terre. Bon séjour à Malabo, K.A. !

vendredi 19 mars 2010

J'aime pas ta clope

Non, je ne pouvais pas rester sur la note négative du billet de janvier dernier, intitulé Internet, cette peste ! J’étais alors on ne peut plus déçue par l’attitude réfractaire des élèves dès qu’il s’agit de lecture et de travail. J’étais découragée par leur paresse, parfois excessive, alors qu’ils sont capables de beaucoup lorsqu’ils s’en donnent la peine. Je le savais qu’ils pouvaient surprendre agréablement, mais quand ? à quelle occasion ? ça, impossible de le savoir à l’avance ! On essaie des choses, se demandant avec angoisse ce que ça va donner. Parfois ça marche, parfois ça ne marche pas. Quand ça marche, quel plaisir ! Ces étincelles qu’ils s’évertuent à camoufler sous une apparente indifférence, je viens de les voir jaillir, je m’empresse donc de donner en quelque sorte une suite positive à ce précédent billet, pour équilibrer les choses.

Nous étions en train d’étudier la correspondance aujourd’hui, les mails par exemple. Nous en avons lu un d’une jeune fille qui écrit à une association de lutte contre le cancer. Elle déclare avoir écrit un poème pour dire tout le mal causé par le tabac. Dans la deuxième moitié de l’heure, j’ai donc demandé aux élèves d’imaginer ce poème, histoire de les occuper. « Produisez-moi quelque chose qui frappe les esprits, avec des rimes bien sonnantes si possible. Ne vous préoccupez pas de la longueur des vers. Même nombre de syllabes ou pas, les vers restent des vers. Vous pouvez travailler à deux. » Je ne m’attendais pas à ce qu’ils se passionnent pour la chose. Sous mon regard étonné, j’ai vu ces élèves de 4e muer soudain et se transformer en jeunes poètes. Même les petits indisciplinés, les gros bavards, les contrevenants permanents aux règles en vigueur en classe se sont révélés, le temps d’une création, comme étant des auteurs de talent. J’en ai même qui ont tout bonnement ajouté la mention « écrivain et poète », à côté de leur nom, au bas de la feuille.

Tenez, dans le genre court mais précis, H. et C. n’y sont pas allées par quatre chemins :

Le tabac c’est pas bien, ça rend tout vilain
Le tabac c’est pas bon, ça rend vraiment con
Le tabac donne le cancer avec son mauvais air

A., elle, tire la sonnette d’alarme :

Arrête-moi ça !

Arrête la cigarette,
Ça va te rendre trop bête ;
Arrête de fumer,
Ou tu finiras chouté !

Une fois que tu commences,
T’es piégé,
Les violences et les urgences,
Tu finiras par en abusés.

Le tabac,
N’y touche pas,
Ou tu finiras tout raplapla !

Vous aurez remarqué que je vous sers le texte tel quel, sans correction orthographique ni grammaticale aucune. Ça ajoute à la beauté du texte, je trouve. Pour une fois je n’ai pas sorti mon stylo rouge, même quand l’orthographe était endommagée par les mauvaises habitudes contractées avec le virus SMS :

Le tabac c pas pour toi
C comme la Playstation 3
Si tu joue une fois elle se retrouve chez toi
Si tu ve pas arreter je vais devoir te defoncer
Non c pour rigoler mais le tabac nuis a la santé
Et a toute l’umanité

De l’humour et du réalisme avec cette comparaison à la playstation, pour traduire l’addiction à la nicotine ! Alors je n’allais tout de même pas incriminer Y. à cause des entorses à l’orthographe, pour une fois qu’il s’applique à faire quelque chose de bien ! D’habitude il s’applique à... bavarder, de la première seconde du cours à la dernière.

Je parlais de réalisme, jugez donc le poème de H.

Bad nicotine

Elle te séduit et elle te tue,
Nicotine, goudron, pétrole sont ses armes absolues
Tu t’en tape plusieurs par jours
Tu ne peut plus te passer d’elle
C’est la crise, tu t’en fou, t’en achète quand même
Tu la grille…
Mais celle qui va te fumée
C’est bien elle !!

Dans le genre ‘‘conseils de deux jeunes filles sages’’, et elles sont sages, P. et F., elles travaillent toujours ensemble, elles sont efficaces :

A bas le tabac

Fumer,
C’est pas bon pour la santé.
Deviens pas dépendant,
Sinon, jaunes seront tes dents.
Ce n’est pas bon,
Ça favorise le cancer du poumon
Alors, si t’es accro,
Bois plutôt de l’eau…


Sur le mode ludique, A. et A. proposent une définition du tabac :

T comme tué le tabac peut tué
A comme arrêt cardiaque le tabac peut arrêter le cœur
B comme bêtise fumer est une grosse bêtise
A comme abrutit il faut être abruti pour consomé cela
C comme cochonerie le tabac est une cochonerie qui ne fait que détruire ce que tu construit

TABAC certifié dangereux.

Pas d’hypocrisie avec J. : on veut arrêter les dégâts provoqués par le tabac ? La solution est pourtant simple !

Le tabac, je n’aime pas ça
Savez vous pourquoi ?!
Le tabac vous ruine
Et en plus ça donne mauvaise mine
Le tabac ne sert à rien
Ça ne vous fait pas du bien
Mieux vaut le supprimer
Au lieu de le consommer
Pourquoi a-t-il été inventé
Seulement pour vous empoisonner
C’est bien pour l’argent…
Malheureusement.


Vous êtes sportif ? Alors le poème de R. saura vous toucher.

Si tu fumes,
Pas de compétitions
Tu cours, tu t’essouffles
Cigarette, briquet et cendrier
Sont tes nouveaux compagnons
Et guerre avec tes poumons !

Si tu t’arrètes,
Plus de contraintes
Tu vas vers le bonheur

Sur le mode ironique, voici le poème de M. Faut peut-être que je m’assure qu’il n’est pas allé pomper ça quelque part (mes doutes qui me reprennent). En effet quelques uns m’ont rendu le travail le lendemain ou le surlendemain. Mais je lui fais confiance, il m’a déjà montré qu’il avait des ressources.

Ma famille, mes amis, mes frères
Voilà déjà tant d’années que le tabac ronge notre ère,
Il pourrit notre air
Et détruit notre terre

Combien d’adultes allez vous laissez mourir ?
Combien d’ados comptez vous regardez périr ?
Bon dieu, il faut réagir !!
Il n’y a déjà que trop de martyrs…

Voilà après tout, devenir fumeur,
Ça ne fait pas si peur,
A part des poumons affectés,
Et des milliers de décédés…
Il n’y a pas de quoi être effrayé !!!

Bon, dites-moi, n’est-ce pas beau tout ça ? Je me demande combien fumeront malgré tout dans quelques années. Et vous donc ? Vous qui lisez, vous qui prétendez ne pas pouvoir arrêter, A. vous demande d’arrêter vos simagrées :

C’est écrit sur vos paquets
Fumer nuit à la santé
Quand vous avez commencé
Vous ne pouvez plus vous arrêter
Ça augmente le taux de mortalité
Arrêtez !! C’est juste une question de volonté…

Bon, je ne peux tout vous faire lire, tant pis pour vous. Ah ! j’oubliais : le titre « J’aime pas ta clope », c’est le premier vers du poème de L. Voilà. … Comment ? Oui, oui, je vous l’accorde, va falloir consacrer une séance de langue sur ces poèmes : correction de l’orthographe, de la grammaire, de la ponctuation. D’accord, d’accord. En attendant, goûtez avec moi ces jolis textes. Ils sont créatifs, ils sont adorables, ces enfants ! Ah la chance que j’ai de me frotter à ces intelligences !

jeudi 11 mars 2010

L'attrape-coeurs, de J.D. Salinger

D’abord il y a eu l’annonce aux infos de la disparition de Salinger, dont le roman, L’attrape-cœurs, avait connu un succès planétaire. Mais en même temps on disait de l’auteur qu’il était resté à l’écart des medias, qu’il était resté discret, voire mystérieux. Intrigant. A lire donc ! Ce Salinger. Il commençait déjà à attraper mon cœur de lectrice. Ensuite il y a eu le commentaire de l’événement sur le blog de Kangni Alem, qui s’étonnait de ce que son invitée ne connaissait pas Salinger. Je me suis dit : « Toi non plus tu ne le connaissais pas, et à en croire K.A., tu devrais. » Enfin il y a eu l’invitation saint-valentineuse de Mabrouck Rachedi dans les pages du Métro. Là, c’est la goutte d’eau qui a fait déborder la décision. Aussitôt rentrée, un petit clic et je vois que le roman est disponible en poche, c’est-à-dire au prix de quelques euros seulement. Commande passée. Je l’ai lu d’une traite, ce roman. Et je ne sais par quel bout commencer. C’est un roman qui vous remue, qui vous retourne. Ça remue surtout dans votre cœur. Beaucoup de sensibilité. Ce qui m’a plu d’emblée, c’est de retrouver l’atmosphère des romans que j’ai lus récemment et que j’ai eu du mal à quitter. C’était comme si je les retrouvais. Tenez, le début m’a transbordé dans le Chagrin d’école de Pennac, avec cette manie des adultes de toujours s’inquiéter de l’avenir des jeunes gens, notamment ceux qui leur paraissent sortir du cadre ; de se demander ce qu’ils vont devenir.

Que va devenir Holden Caulfield ? Celui-ci désespère ses parents, ses professeurs - à l’exception de quelques uns qui ont mis le doigt sur ses capacités - Il a connu plusieurs établissements scolaires pour avoir souvent été renvoyé. Il vient une fois de plus de se faire renvoyer du collège où il était interne. Holden ne s’en fait pas pour lui, mais ses parents, comment vont-ils réagir ? Ça va être sa fête lorsqu’il va rentrer, ainsi il décide de ne pas rentrer, pas tout de suite. Il s’enfuit.

Holden raconte donc sa fugue, mais pas seulement. Ce sont ses expériences qu’il nous confie, ses rencontres, ses rapports avec les autres. Le connaissent-ils vraiment ? Le comprennent-ils ? Savent-ils quel garçon il est ? Il y en a, comme sa petite sœur Phoebé, comme son frère écrivain, qui constituent comme des points d’équilibre, des bouées de sauvetage. Est-il vraiment un cancre comme il le prétend ? Au fond c’est quelqu’un qui refuse d’être ce que les gens attendent qu’il soit. Il a simplement envie d’être lui. Lui, il ne veut pas jouer la comédie, il ne veut pas faire partie de ce monde où tout se joue sur les apparences, où on soigne les dehors ; et le dedans alors !

Nécessairement, on se sent seul quand on ne fait pas comme les autres, on est isolé, pourtant Holden n’a pas envie d’être seul, il recherche la compagnie, quelqu’un avec qui parler. Parler de choses et d’autres. Parler des canards du lac par exemple : où vont-ils quand l’eau est gelée ? Parler des dedans peu reluisants sous des dehors impeccables. Ça, ça le ''tue'', comme il dit. Cette expression m’a ''tuée’’, moi aussi. L’histoire de ce garçon, qui apprend à voir le monde tel qu’il est, est émouvante, mais en même temps j’ai eu du mal à contenir des éclats de rire durant toute ma lecture, j’avais vraiment envie de rire un bon coup, et quand on se trouve dans le train, avec plein de passagers plongés dans leurs lectures et leurs pensées respectives, ce n’est pas vraiment indiqué.


Holden sortant du théâtre :

« Alfred Lunt et Lynn Fontane jouaient le vieux couple et ils étaient très bons mais je ne les aimais pas tellement. Je dois dire pourtant qu’ils étaient particuliers. Ils jouaient pas comme des gens ordinaires, ils jouaient pas non plus comme des acteurs. C’est difficile à expliquer. Ils jouaient plutôt comme s’ils savaient qu’ils étaient des célébrités et tout. Ce que je veux dire c’est qu’ils étaient bons, mais qu’ils étaient trop bons. [...] Quand on est trop bon, alors, après un moment, si on n’y prend pas garde, on a tendance à se donner des airs. Et on est plus bon du tout. [...]
A la fin du premier acte, on est sortis avec tous les autres connards pour fumer une cigarette. Vous parlez d’un plaisir. Dans toute votre vie vous avez jamais vu autant de mecs à la gomme qui fumaient comme des locomotives en discourant sur la pièce et en s’arrangeant pour que tout le monde puisse entendre leurs remarques subtiles. [...] Vous auriez dû le voir quand Sally lui a demandé comment il trouvait la pièce. C’était le genre de mec bidon qui a besoin d’espace pour répondre quand on lui pose une question. Il a reculé, et il a marché en plein sur le panard de la dame qu’était derrière lui. Il lui a probablement cassé tous les orteils. Il a dit que la pièce elle-même était pas un chef-d’œuvre mais que les Lunt bien sûr étaient tout simplement des anges. Des anges. Putain. Des anges. Ça m’a tué
. » (p. 154-156)

Difficile parfois de savoir ce qu’on veut, ce qu’il faudrait faire, quand on a seize ans, et même plus. Difficile de prendre la vie à bras-le-corps quand elle semble vous échapper. Alors, pour éviter la déprime, Holden essaie de profiter de l’instant présent, de se créer des instants de bien-être, car il suffit parfois d’un rien pour se sentir bien, il suffit d’être avec un autre humain, d’écouter un morceau de musique et de danser, pour chasser le cafard qui vous guette, pour oublier ses soucis. Et là j’ai retrouvé un passage du Ballet noir à Château-Rouge d'A. Ngoye.

« Elle s’est mise à danser un boogie-woogie avec moi mais pas ringard, tout en souplesse. Elle était vraiment douée. Je la touchais et ça suffisait. Et quand elle tournait sur elle-même, elle tortillait du cul si joliment. J’en restais estomaqué. Sans blague. Quand on est allés se rasseoir j’étais à moitié amoureux d’elle. Les filles c’est comme ça, même si elles sont plutôt moches, même si elles sont plutôt connes, chaque fois qu’elles font quelque chose de chouette on tombe à moitié amoureux d’elles et alors on sait plus où on en est. Les filles. Bordel. Elles peuvent vous rendre dingue. Comme rien. Vraiment. » (p. 92)

Envisageant la mort :

« Et puis j’ai pensé à toute la bande qui me foutrait au cimetière et tout, avec mon nom sur la tombe et tout. Au milieu de ces foutus trépassés. Ouah, quand on est mort, on y met les formes pour vous installer. J’espère que lorsque je mourrai quelqu’un aura le bon sens de me jeter dans une rivière. N’importe quoi plutôt que le cimetière. Avec des gens qui viennent le dimanche vous poser un bouquet sur le ventre et toutes ces conneries. Est-ce qu’on a besoin de fleurs quand on est mort ? » (p. 188)


Suffit d’un bon roman parfois pour vous faire vous sentir bien. En fait le rêve de Holden à propos de la lecture s’est réalisé pour moi en lisant L’Attrape-cœurs :

« Mon rêve, c’est un livre qu’on arrive pas à lâcher et quand on l’a fini on voudrait que l’auteur soit un copain, un super copain et on lui téléphonerait chaque fois qu’on en aurait envie. Mais ça n’arrive pas souvent. » (p. 30)

Quel plaisir ça a été de lire ce roman. A lire et à faire lire sans modération !


Jerome David SALINGER, L’Attrape-cœurs, Robert Laffont, collection Pocket.
256 pages. Publication en 1945. 1986 pour la traduction française.