lundi 8 novembre 2010

Le Bus dans la ville, de Yahia Belaskri

J'ai hésité pendant de longues minutes : "Si tu cherches la pluie" ou "Le Bus dans la ville" ? J'aurais bien aimé embarquer les deux romans, mais mon portefeuille n'était pas de cet avis, il n'était même pas du tout d'avis que j'en prenne un, mais il m'arrive souvent de n'en faire qu'à ma tête, de ne pas entendre sonner l'alarme du porte-monnaie, notamment quand il s'agit de livres et lorsque, privilège suprême, l'auteur se trouve devant moi. C'était le 28 octobre dernier, à l'Albarino Passy, où se tiennent chaque dernier jeudi du mois les rencontres Afriqua Paris.

Alors lequel choisir ? Question posée à l'auteur. Il m'a dit un mot de chaque, et un mot a pesé en faveur du premier : "poésie". En début d'année, je m'étais fait la promesse d'accorder plus de  place à la poésie. Alors si, de l'avis de l'auteur, un des deux romans était particulièrement baigné de poésie, il n'en faut pas plus pour emporter mon suffrage.

                                          Liss et Yahia Belaskri.  

Dans ce premier roman de l'auteur, publié en 2008, ne cherchez pas d'intrigue. Laissez-vous simplement porter par les mots. Des mots qui égrènent des souvenirs. Des souvenirs qui jaillissent au gré des soubresauts du bus dans lequel se trouve le narrateur. Ce bus qui s'arrête inopinément, repart, ralentit, s'arrête encore, cherche son chemin dans les rues sinueuses de la ville sont autant d'occasions pour le narrateur de se perdre dans les sinuosités de la mémoire ou de vivre son présent au passé. Passé et présent se regardent, se croisent. Mais à tout bien considérer, ils n'en font qu'un : que ce soit dans les souvenirs du narrateur ou dans le paysage qui s'offre à lui, cette ville qui est la sienne lui répugne : elle n'offre pas d'avenir.

"La misère était grande et générale. Partout, les mêmes ombres, voûtées, soumises, victimes consentantes de la fatalité. Partout le même désespoir chevillé à leurs guenilles. Partout, le même désarroi, le même malheur."
(Le Bus dans la ville, p. 56)

Pire, la ville dévore celles et ceux qui veulent créer des possibilités de réussite. Des volontés se manifestent, des jeunes se lèvent, se mettent en marche vers leurs rêves, mais ceux-ci sont brisés, avec cruauté.

Dans cette ville
La jeunesse est un crime.
L'intelligence est un crime.
La beauté est un crime.
(pages 73-74)

Ils sont nombreux, ceux qui ont voulu faire quelque chose pour leur pays, pour leur ville, pour sa jeunesse, comme Dida, qui veut créer une école de théâtre, comme Samir, les idées plein la tête pour que son pays connaisse le progrès, comme Toufik, comme Alima et bien d'autres, mais ces élans sont arrêtés net. Ce ne sont pas seulement les rêves, ce sont aussi les vies qui sont brisées. La mort, la disparition semble le seul bien que la ville distribue généreusement. Le narrateur a vu partir tous les siens : parents, amis, proches, femmes aimées... tous ont été dévorés par la ville ogresse.

Le Bus dans la ville, un roman construit en échos. L'horizon, dans cette ville du Maghreb, semble irrémédiablement assombri, mais l'auteur l'évoque au travers d'une écriture poétique. Le lecteur tout comme le narrateur semblent tourner en rond, comme le bus, qui "tournait autour de la ville sans jamais la déflorer. Il tournait sans cesse autour de ses blessures, comme un charognard qui attend que sa proie s'effondre." (p. 122)

Très belle lecture.

Yahia Belaskri, Le Bus dans la ville, Vents d'ailleurs, 2008, 128 pages, 14 €.

Le blog de l'auteur :
http://ventsdailleurs.com/Yahia_Belaskri/

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http://www.e-litterature.net/publier2/spip/spip.php?article1066

8 commentaires:

Françoise a dit…

Liss je crois, malheureusement pour notre portefeuille, que Yahia Belaskri ne nous laisse pas le choix: il faudra bien qu'on lise les deux romans !

kinzy a dit…

Bonjour Liss
Je découvre, je n'avais pas entendu parler de cet auteur.
@ un jeudi peut-être :)
Bises ma chère Liss

Liss a dit…

@ Françoise,
Il aura beau crier, le portefeuille, on ne l'écoutera pas, on achètera les livres de Belaskri et bien d'autres encore qui n'attendent que de passer entre nos mains.

@ Kinzy,
ma chère soeur, j'espère aussi qu'un prochain jour, j'aurai la chance de te revoir et je pourrais ainsi réparer mon étourderie de la fois dernière : je n'ai pu immortaliser notre rencontre alors que j'avais préparé l'appareil...

GANGOUEUS a dit…

Soyez quand même sages, mesdames, avec vos porte-monnaies, la passion n'autorise pas tout, surtout en ces temps de crise...

Liss a dit…

Oui, mais comment réister, Gangoueus ? C'est trop dur...

Françoise a dit…

Chère Liss, maintenant que j'ai lu les deux romans de Yahia Belaskri, je te conseille encore plus vivement de lire le deuxième : moins de poésie sans doute, plus de violence, mais livre plus abouti je trouve ; j'ai un peu été gênée par cette énumération de personnages sur lesquels l'auteur ne s'attarde pas beaucoup parfois." si tu cherches la pluie elle vient d'en haut" est un roman qui m'a beaucoup troublée, " le bus dans la ville" est très bien mais ne m'a pas donné cette charge émotionnelle qui te fait refermer un livre en y pensant ensuite pendant longtemps .

Liss a dit…

Chère Françoise,

Yahia Belaskri devrait faire de toi son agent littéraire, tu es bien redoutable ! Et moi je suis bien faible quand il s'agit de résiter aux livres que mes amis me suggèrent avec tant de ferveur !

Animation Success Stories a dit…

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