vendredi 19 mars 2010

J'aime pas ta clope

Non, je ne pouvais pas rester sur la note négative du billet de janvier dernier, intitulé Internet, cette peste ! J’étais alors on ne peut plus déçue par l’attitude réfractaire des élèves dès qu’il s’agit de lecture et de travail. J’étais découragée par leur paresse, parfois excessive, alors qu’ils sont capables de beaucoup lorsqu’ils s’en donnent la peine. Je le savais qu’ils pouvaient surprendre agréablement, mais quand ? à quelle occasion ? ça, impossible de le savoir à l’avance ! On essaie des choses, se demandant avec angoisse ce que ça va donner. Parfois ça marche, parfois ça ne marche pas. Quand ça marche, quel plaisir ! Ces étincelles qu’ils s’évertuent à camoufler sous une apparente indifférence, je viens de les voir jaillir, je m’empresse donc de donner en quelque sorte une suite positive à ce précédent billet, pour équilibrer les choses.

Nous étions en train d’étudier la correspondance aujourd’hui, les mails par exemple. Nous en avons lu un d’une jeune fille qui écrit à une association de lutte contre le cancer. Elle déclare avoir écrit un poème pour dire tout le mal causé par le tabac. Dans la deuxième moitié de l’heure, j’ai donc demandé aux élèves d’imaginer ce poème, histoire de les occuper. « Produisez-moi quelque chose qui frappe les esprits, avec des rimes bien sonnantes si possible. Ne vous préoccupez pas de la longueur des vers. Même nombre de syllabes ou pas, les vers restent des vers. Vous pouvez travailler à deux. » Je ne m’attendais pas à ce qu’ils se passionnent pour la chose. Sous mon regard étonné, j’ai vu ces élèves de 4e muer soudain et se transformer en jeunes poètes. Même les petits indisciplinés, les gros bavards, les contrevenants permanents aux règles en vigueur en classe se sont révélés, le temps d’une création, comme étant des auteurs de talent. J’en ai même qui ont tout bonnement ajouté la mention « écrivain et poète », à côté de leur nom, au bas de la feuille.

Tenez, dans le genre court mais précis, H. et C. n’y sont pas allées par quatre chemins :

Le tabac c’est pas bien, ça rend tout vilain
Le tabac c’est pas bon, ça rend vraiment con
Le tabac donne le cancer avec son mauvais air

A., elle, tire la sonnette d’alarme :

Arrête-moi ça !

Arrête la cigarette,
Ça va te rendre trop bête ;
Arrête de fumer,
Ou tu finiras chouté !

Une fois que tu commences,
T’es piégé,
Les violences et les urgences,
Tu finiras par en abusés.

Le tabac,
N’y touche pas,
Ou tu finiras tout raplapla !

Vous aurez remarqué que je vous sers le texte tel quel, sans correction orthographique ni grammaticale aucune. Ça ajoute à la beauté du texte, je trouve. Pour une fois je n’ai pas sorti mon stylo rouge, même quand l’orthographe était endommagée par les mauvaises habitudes contractées avec le virus SMS :

Le tabac c pas pour toi
C comme la Playstation 3
Si tu joue une fois elle se retrouve chez toi
Si tu ve pas arreter je vais devoir te defoncer
Non c pour rigoler mais le tabac nuis a la santé
Et a toute l’umanité

De l’humour et du réalisme avec cette comparaison à la playstation, pour traduire l’addiction à la nicotine ! Alors je n’allais tout de même pas incriminer Y. à cause des entorses à l’orthographe, pour une fois qu’il s’applique à faire quelque chose de bien ! D’habitude il s’applique à... bavarder, de la première seconde du cours à la dernière.

Je parlais de réalisme, jugez donc le poème de H.

Bad nicotine

Elle te séduit et elle te tue,
Nicotine, goudron, pétrole sont ses armes absolues
Tu t’en tape plusieurs par jours
Tu ne peut plus te passer d’elle
C’est la crise, tu t’en fou, t’en achète quand même
Tu la grille…
Mais celle qui va te fumée
C’est bien elle !!

Dans le genre ‘‘conseils de deux jeunes filles sages’’, et elles sont sages, P. et F., elles travaillent toujours ensemble, elles sont efficaces :

A bas le tabac

Fumer,
C’est pas bon pour la santé.
Deviens pas dépendant,
Sinon, jaunes seront tes dents.
Ce n’est pas bon,
Ça favorise le cancer du poumon
Alors, si t’es accro,
Bois plutôt de l’eau…


Sur le mode ludique, A. et A. proposent une définition du tabac :

T comme tué le tabac peut tué
A comme arrêt cardiaque le tabac peut arrêter le cœur
B comme bêtise fumer est une grosse bêtise
A comme abrutit il faut être abruti pour consomé cela
C comme cochonerie le tabac est une cochonerie qui ne fait que détruire ce que tu construit

TABAC certifié dangereux.

Pas d’hypocrisie avec J. : on veut arrêter les dégâts provoqués par le tabac ? La solution est pourtant simple !

Le tabac, je n’aime pas ça
Savez vous pourquoi ?!
Le tabac vous ruine
Et en plus ça donne mauvaise mine
Le tabac ne sert à rien
Ça ne vous fait pas du bien
Mieux vaut le supprimer
Au lieu de le consommer
Pourquoi a-t-il été inventé
Seulement pour vous empoisonner
C’est bien pour l’argent…
Malheureusement.


Vous êtes sportif ? Alors le poème de R. saura vous toucher.

Si tu fumes,
Pas de compétitions
Tu cours, tu t’essouffles
Cigarette, briquet et cendrier
Sont tes nouveaux compagnons
Et guerre avec tes poumons !

Si tu t’arrètes,
Plus de contraintes
Tu vas vers le bonheur

Sur le mode ironique, voici le poème de M. Faut peut-être que je m’assure qu’il n’est pas allé pomper ça quelque part (mes doutes qui me reprennent). En effet quelques uns m’ont rendu le travail le lendemain ou le surlendemain. Mais je lui fais confiance, il m’a déjà montré qu’il avait des ressources.

Ma famille, mes amis, mes frères
Voilà déjà tant d’années que le tabac ronge notre ère,
Il pourrit notre air
Et détruit notre terre

Combien d’adultes allez vous laissez mourir ?
Combien d’ados comptez vous regardez périr ?
Bon dieu, il faut réagir !!
Il n’y a déjà que trop de martyrs…

Voilà après tout, devenir fumeur,
Ça ne fait pas si peur,
A part des poumons affectés,
Et des milliers de décédés…
Il n’y a pas de quoi être effrayé !!!

Bon, dites-moi, n’est-ce pas beau tout ça ? Je me demande combien fumeront malgré tout dans quelques années. Et vous donc ? Vous qui lisez, vous qui prétendez ne pas pouvoir arrêter, A. vous demande d’arrêter vos simagrées :

C’est écrit sur vos paquets
Fumer nuit à la santé
Quand vous avez commencé
Vous ne pouvez plus vous arrêter
Ça augmente le taux de mortalité
Arrêtez !! C’est juste une question de volonté…

Bon, je ne peux tout vous faire lire, tant pis pour vous. Ah ! j’oubliais : le titre « J’aime pas ta clope », c’est le premier vers du poème de L. Voilà. … Comment ? Oui, oui, je vous l’accorde, va falloir consacrer une séance de langue sur ces poèmes : correction de l’orthographe, de la grammaire, de la ponctuation. D’accord, d’accord. En attendant, goûtez avec moi ces jolis textes. Ils sont créatifs, ils sont adorables, ces enfants ! Ah la chance que j’ai de me frotter à ces intelligences !

10 commentaires:

AnnDeKerbu a dit…

Ah! Liss vous faites plaisir à lire aujourd'hui avec votre enthousiasme. Vous faites un beau métier! Mais vous êtes sûre qu'il est nécessaire de consacrer une séance à la correction de ces textes? Tant pis, non? pour cette fois...
Concernant la lecture, je me souviens très bien de ce que je lisais, que je dévorais, lorsque j'étais en primaire et au lycée. En revanche, je n'ai pratiquement aucun souvenir de mes lectures de collège. Est-ce que ce n'est tout simplement pas un âge où il est plus difficile de lire?

Liss a dit…

Bonjour Anne,

c'est aussi ce que je m'étais dit dans un premier temps : passer outre la grammaire et l'orthographe... Vous me confortez dans cette première idée, car par la suite je me suis dit que ce serait l'occasion pour eux de comprendre l'utilité de la grammaire. Votre témoignage me réconforte : il ne faut pas trop tirer sur la corde avec les collégiens, vous avez sans doute raison, j'essaierai de me contenter de ce qu'ils donnent.

kinzy a dit…

Coucou Liss
J'ai l'exemple de mon grand ,
Qui quand il avait l'âge de tes élèves, nous demandait d'arrêter de fumer à son père et moi.
Aujourd'hui c'est moi qui l'incite à arrêter
Pourvu que tes élèves ne changent pas d'avis quand ils deviendront grands..

@ bientôt.

Liss a dit…

Coucou Kinzy,

"Fais ce que je dis, ne fais pas ce que je fais", je connais l'histoire. Ce n'est pas facile d'arrêter quand on a commencé. J'espère aussi que mes élèves ne commenceront pas.

St-Ralph a dit…

C'est agréable de lire ton enthousiasme devant les productions de tes élèves poètes ! Beaucoup de personnes se trompent en affirmant que la poésie est difficile pour les enfants.

Quand j'ai tenté, pour la première fois, l'expérience de faire écrire des poèmes à mes élèves de 6è, j'ai été agréablement surpris. J'avais même, à l'époque, publié leurs travaux sur un blog. Je me souviens que je leur avais demandé un travail sur les saisons. Pendant une bonne partie de la séance, Cédric avait passé son temps à se tourner les pouces ignorant superbement la bonne humeur de ses camarades. Un peu exaspéré, j'ai fini par l'interpeller. Il m'avait alors répondu qu'il n'aimait pas les saisons ! J'ai horreur de ce genre de réponse facile. Je lui ai donc aussitôt demandé de m'exprimer en un poème son horreur des saisons. Le résultat a été magnifique ! L'une des meilleures productions de la classe. Plus tard, je l'ai vu très fier de trouver son oeuvre exposée parmi les meilleures lors des portes ouvertes de notre établissement.
Heureusement que nous connaissons tout de même de bons moments avec nos élèves !

Liss a dit…

St-Ralph,

Ce sont ces "bons moments", aussi peu nombreux soient-ils, qui rachètent toutes les déconvenues qu'on aura pu vivre avec eux. On souhaite bien évidemment que ces moments-là se multiplient. Quand on valorise leur travail, les élèves se donnent à fond. Les miens ne savent pas que j'ai publié leurs travaux sur mon blog (dont ils ignorent également l'existence), mais les chefs d'oeuvre sont exposés dans la classe.

Obambé a dit…

Bonjour chères toutes et chers tous,
Le Français François de Closets a sorti un bouquin dont on a pas mal parlé ces temps, « Zéro faute » en proposant de simplifier le plus possible la langue française qui à son avis est d’une complexité sans fin. Lui qui dit que, élève, il avait le plus grand mal avec l’orthographe cherche à se venger. Aussi, je souris la plupart du temps lorsque je vois comment certains jeunes, certains enfants écrivent, avec un regard tendre plutôt qu’avec colère car je pense qu’ils ont vraiment le temps d’apprendre. Et ce, toute la vie car l’orthographe, ah ! mon Dieu…

Bon, personnellement, je ne fume pas. Mais je suis pour qu’il y ait toujours des fumeurs, et même de plus en plus… tant qu’ils fument loin de moi. En effet, que deviendront tous ces travailleurs des usines de tabac, sans oublier les paysans qui en vivent ?

Dis-moi, ils ont quel âge, tes mômes que tu encadres ? Oui, ils sont vachement réalistes, ; ces enfants. Je suis bluffé par la profondeur de leur message.

@+, O.G.

Liss a dit…

J'avais aussi entendu parler de ce "Zéro faute", mais je ne l'ai pas encore lu, mais sa démarche est d'emblée compréhensible. Ce sont des élèves de 4e dont je parle, ils ont dans les 13 ans, et en effet il surprennent parfois par la maturité de leur pensée.

Caroline.K a dit…

Bravo Liss et félicitations à tes élèves, il n'y a que le premier pas qui coûte m'a dit une de mes muses un jour. Je ne suis plus sceptique de ce côté. Je me souviens de l'article auquel tu fais référence et aussi de ta déception et je suis heureuse de voir que comme pour le yoyo, tout est changement...

Caroline

Liss a dit…

Les choses peuvent changer en effet, chère Caro, tant qu'il y a la vie il y a de l'espoir.