dimanche 17 juillet 2011

Les larmes de cristal, Nika l'Africaine III, d'Aurore Costa

Aurore Costa a commencé en 2007 une saga intitulée Nika l'Africaine. Dans le premier volume, on fait connaissance avec la toute jeune fille qu'est alors Nika, mariée à 13 ans à un polygame dont elle a une fille, Kinia, alors qu'elle-même est encore adolescente. Elle est ensuite initiée à la sorcellerie, celle qui consite à avoir des dons supplémentaires pour pouvoir soigner, prévenir les dangers, protéger les siens. Le deuxième volume, Perles de verre et cauris brisés, se concentre sur Kinia, au moment où les Blancs, après avoir découvert les territoires africains, s'installent sur le continent pour implanter leurs colonies. Les uns se dient supérieurs, ils sont les plus forts puisqu'ils ont des armes puissantes et imposent leur loi. Les autres, malgré des résistances individuelles, sont obligés de se conformer aux décisions du Blanc, perçu souvent, à cause de sa couleur, comme quelqu'un venant de l'au-delà. Les Africains sont superstitieux. Ce qui ne fait aucun doute dans leur esprit, c'est que la "sorcellerie" du Blanc semble plus puissante puisque, avec ses "bâtons qui tuent", il peut ôter la vie en moins de temps qu'il ne faut pour le dire. 




Point n'est  besoin de dire que les unions entre ces populations bien distinctes sont prohibées des deux côtés. Alors, lorsque Kinia, la fille de Nika, tombe enceinte de Manuel, un des chefs blancs de la colonie, avec lequel elle vit, en cachette, une histoire d'amour, c'est la catastrophe pour Nika. Ses enfants ni Blancs ni Noirs, considérés donc comme bizarres, ne peuvent être acceptés dans la communauté. Kinia vit retranchée dans la forêt avec ses deux filles. Sa mère Nika va la voir et la ravitailler quotidiennement.

Cependant, un jour qu'elle se rend auprès de sa fille, Nika ne sait pas qu'elle échappe ainsi au massacre de son village. C'est ainsi que se termine le deuxième volume et que commence le troisième, portant le titre Les larmes de cristal. Kinia, qui s'était éloignée de sa cachette malgré les recommandations de sa mère, a rencontré ceux qui ont mis le village à feu et à sang et est tuée. On imagine donc la douleur de Nika, qui a perdu non seulement sa fille, mais aussi les enfants qu'elle a eu de son second mariage, un mariage d'amour cette fois, avec Maka, un "bon"sorcier comme elle. Il ne lui reste comme famille que les deux filles de Kinia, Manola et Luzolo. Mais Manuel, qui sait que Kinia, cette noire qu'il aimait éperdument malgré le fait qu'il soit marié à Carmen, lui a laissé deux enfants, veut les récupérer et leur donner l'éducation à l'occidentale, comme il l'aurait fait pour des enfants légitimes. La grand-mère ne l'entend pas de cette oreille. Au moment où Manuel se prépare à se saisir d'elles, Nika transforme les petites et se transforme elle-même en chouette : elles prennent leur envol.

Dans ce troisième volume de Nika l'Africaine, c'est donc en quelque sorte à une course poursuite qu'on assiste. Nika se retire dans la forêt profonde, où tous craignent de pénétrer par crainte de n'en jamais pouvoir ressortir. Elle aura la chance de rencontrer des pygmées et de bénéficier de leur protection. Manuel met tout en oeuvre pour les retrouver. Mais à quel prix ?

Ce que j'aime dans cette saga, ce n'est pas l'écriture, l'histoire est racontée en toute simplicité, mais c'est le projet de l'auteur que je trouve louable et qui retient mon intérêt. A travers le personnage de Nika, c'est l'histoire de l'Afrique qu'Aurore Costa entreprend de raconter. Elle montre l'évolution progressive des moeurs africaines avec l'arrivée des Blancs. Elle évoque également la vie de ces derniers en colonie. Ceux qui débarquent en Afrique sont souvent des gens qui viennent se faire "oublier" après avoir commis des actes qui les mettent en butte à la justice de leur pays. Ils vivent en vase clos. Pour se distraire, ils organisent fréquemment des rencontres, des soirées qui sont autant d'occasions de nouer des flirts. On a l'impression que tout le monde sort ou est sorti avec tout le monde ou, du moins, que les infidélités sont monnaie courante même si, le dimanche, et surtout devant les indigènes noirs, on joue les saints. Cet aspect de la vie des Blancs en colonie ou en territoires africains a été admirablement peint dans le dernier roman de Louis-Philippe Dalembert, Noires Blessures. J'apprécie également la détermination de l'auteure, elle est à fond dans son projet : que les lecteurs soient ou ne soient pas encore au rendez-vous, qu'on parle d'elle ou pas dans la presse, ce qui lui importe, c'est d'aller au bout de son récit, c'est-à-dire publier les quatre volumes. On sent qu'elle prend du plaisir à raconter cette histoire d'une Africaine qui voit avec regret sa société changer au contact des Blancs.


Aurore Costa, Les larmes de Cristal, Nika l'Africaine III, L'Harmattan, 2011, 424 pages, 29 €.

Pour en savoir plus sur les précédents volumes ou sur l'auteur, vous pourvez lire :

- ma critique du premier volume sur congopage
- l' interview que l'auteure m'avait accordée après la publication de ce premier tome
- ma critique du deuxième volume

6 commentaires:

St-Ralph a dit…

Le début et la fin de ton billet retiennent particulièrement mon attention. Le début parce que le dernier livre que je viens de terminer relate justement l'installation des Européens en Afrique et les frictions que cela occasionne avec les populations locales. Mais des frictions plus violentes que celles dont tu parles ! La fin parce que les mutations au contact de l'autre sont absolument obligatoires. Jeune étudiant, je pensais que les femmes africaines n'avaient pas joué leur rôle parce que j'étais persuadé du pouvoir du sexe sur les hommes. J'ignorais alors que les Noirs étaient des meubles dans l'esprit des Blancs et qu'un meuble ne pouvait en aucune façon incliner le coeur de son posseur vers plus d'humanité. Certes, il y a des exceptions.

Les premières liaisons des filles avec les blancs semblaient laisser les familles indifférntes, sauf quand survenait une grossesse. C'est ce point très délicat que que j'aimerais découvrir sous la plume d'une dame.

Liss a dit…

Cher St-Ralph,

tout ce que je retiens, c'est que je vais bientôt avoir le plaisir de lire ce billet ! Je me demande toujours duquel il s'agit, puisque tu parles de frictions entre les deux populations, la violence de cette rencontre est bien présente dans ce roman-ci, j'aurais peut-être dû mettre un extrait.

St-Ralph a dit…

Un extrait n'est pas nécessaire. Tu laisses imaginer ce monde et c'est très bien ainsi.

J'aurai bientôt fini le livre de Fatou Diome que je suis en train de lire. Malheureusement, je fais des travaux chez moi et je dois à la fin du mois partir en vacances en Normandie puis en Bretagne. Le billet risque d'attendre.

Les frictions que j'évoquais se rapportaient à la correspondance d'Hendrik Witbooi que je viens de découvrir. Le contenu de cette correspondance est très politique. Je viens juste de publier mon billet.

Liss a dit…

Franchement, St-Ralph, je n'y vois que de la malice de ta part ! Et pourquoi ne t'arranges-tu pas à publier ton billet avant de partir en vacances, les travaux sont un faux prétexte, ils te prennent la journée sans doute, mais pas la nuit ! Tu pourrais rédiger ton papier dans la soirée par exemple ? Surtout que tu n'as pas de caprices d'enfants en bas âge à gérer ! Bon, bon, j'espère avoir suffisamment argumenté... Sinon, je pourrais essayer le chantage ! (rires)

St-Ralph a dit…

Malicieux, moi ? Pas du tout ! C'est parce que les journées sont trop coutes que je ne parviens pas à faire tout ce que j'aimerais faire.

Je tâcherai de moins dormir et écrire davantage. Alors peut-être que....

Liss a dit…

Tu as tout compris, St-Ralph, tu dors moins et tu te mets au boulot, c'est un ordre ! (rires) Sérieusement, St-Ralph, il y a un titre qui m'est revenu en mémoire en ce qui concerne les premières unions entre Blancs et Noirs, et sous la plume d'une femme. C'est un roman que je classe parmi mes préférés, mais peut-être aussi parce que je l'avais lu ado, je ne sais pas ce que ça me ferait de le relire aujourd'hui. En tout cas j'avais adoré, il s'agit de African Lady, de Barbara Wood.