dimanche 14 septembre 2008

Les souffrances du jeune Werther, Goethe

France 2 a réussi le pari, non seulement de rendre l’opéra populaire, mais encore de susciter chez les téléspectateurs le désir de lire ou relire les classiques. J’ai particulièrement apprécié les interprétations de Roberto ALAGNA, diffusées à la télé, notamment celle de Faust cet été. Je voulais donc relire Faust et je suis tombée sur Werther, la première œuvre de Goethe : romantique, avec des accents lyriques poignants. C’est qu’une œuvre touche d’une façon autrement plus incisive, plus profonde, lorsqu’elle prend sa source dans le vécu même de l’auteur.

En un mot c’est une histoire d’amour à trois. Plus précisément, deux esprits se rencontrent, deux cœurs se répondent, deux âmes se trouvent mais ne peuvent fusionner. Un jeune homme, Werther, trouve en une jeune fille, Charlotte, dite Lotte, l’écho de son propre être, mais elle est promise à un autre, Albert. Cette situation met de plus en plus le héros au supplice.
Auparavant il était vivifié, transporté par la grandeur, la beauté de la nature, expression de la grandeur, de la bonté du créateur... Il était en parfait accord avec le monde. Depuis qu’il la connaît, seule la présence de Lotte pourrait nourrir son existence. Mais que faire ? Elle ne peut lui appartenir ! Il décide de « partir ». « Ce n’est pas du désespoir, affirme-t-il, c’est la certitude d’être parvenu au terme et de me sacrifier pour toi. Oui, Lotte ! pourquoi devrais-je le taire ? L’un de nous trois doit disparaître et je veux être celui-là ! » (p.142)

Lui, pourtant croyant, envisage cette disparition volontaire avec sérénité. Il raille d’ailleurs ceux qui craignent de regarder la mort en face, qui pensent que le pire nous y attend :

« Lever le rideau et passer derrière ! C’est tout ! Et pourquoi tergiverser et tarder ? Parce qu’on ne sait pas ce qu’on trouvera derrière ? et qu’on ne revient pas ? Et que c’est le propre de notre esprit de n’imaginer que confusion et ténèbres là où nous ne pouvons rien mettre de précis ? » (P. 138)

Ces paroles me font penser à Baudelaire : « Enfer ou Ciel, qu’importe ? », l’essentiel étant de plonger « au fond de l’Inconnu pour trouver du nouveau ! » (Les Fleurs du Mal, « Le Voyage », VIII)

On comprend aisément que, à côté du vif succès que remporta ce roman épistolaire, des voix se soient élevées pour dénoncer l’incitation au suicide. Il y eut semble-t-il un taux plus élevé de suicides après la publication des Souffrances du jeune Werther.
Incitation au suicide ? Tous ne partagèrent pas cette opinion, et aujourd’hui non plus on ne pourrait faire l’unanimité. Ce qui en revanche mettra tous les lecteurs d’accord, c’est la grande facture poétique du texte, un texte beau comme je les aime, des pages de prose qui peuvent se lire comme des poésies, il y en a à volonté. Tendez donc l'oreille, recueillez ces morceaux choisis :

Avant :
« Tout, tout est peuplé de mille formes, cependant que les hommes se rassemblent à l’abri de leurs chaumières et se font un nid en s’imaginant qu’ils règnent sur le vaste monde ! Pauvres insensés ! qui jugent tout si infime, parce qu’ils sont si petits. – Depuis la montagne inaccessible jusqu’à l’extrémité de l’Océan inconnu, par-dessus le désert que nul pied ne foula, souffle l’Esprit de L’Eternel Créateur. Et il se réjouit du moindre grain de poussière qui le perçoit et qui vit – Ah ! que de fois alors n’ai-je pas envié les ailes de la grue qui volait par-dessus ma tête pour atteindre la rive de la mer immense, pour boire à la coupe écumante de l’infini cette volupté de vivre qui dilate le cœur, afin de sentir, ne fût-ce qu’un instant, dans la force limitée de mon sein, une goutte de félicité de l’Être en qui et par qui tout fut créé. » (p. 90)

Après :
« Hier, cela aurait dû être le dernier moment de ma vie. O mon ange ! Pour la première fois, oui pour la première fois sans que j’en puisse, j’ai senti jusqu’au fond de mon être pénétrer l’ardeur de ce sentiment bienheureux : elle m’aime ! elle m’aime ! Il brûle encore sur mes lèvres, le feu sacré qui affluait des tiennes... [...] Te souviens-tu des fleurs que tu m’envoyas, le jour où dans cette maudite réunion tu n’avais pu ni me dire un mot ni me tendre la main ? [...] Tout cela est périssable, mais nulle éternité n’éteindra l’ardente vie que j’ai savouré hier sur tes lèvres, que je sens en moi. » (p. 154)


N.B. : La pagination renvoie à l’édition Garnier-Flammarion, 1968, traduction de Joseph-François Angelloz.