mercredi 7 décembre 2011

Black Bazar, d'Alain Mabanckou

"Dis-moi comment tu noues ta cravate, je te dirai qui tu es", telle est la devise du narrateur de Black Bazar, qui se définit comme un "ambianceur". C'est un adepte de la Sape, mais il a également une autre passion : la "face B" des femmes, autrement dit leur postérieur. Ce dernier suscite son plus vif intérêt. Il en a même fait une science. Selon lui, l'observation attentive d'un postérieur de femme est capable de révéler le caractère ou la personnalité de l'intéressée. C'est ainsi que ses amis le surnomment "Fessologue". Il est originaire du Congo Brazzaville et a habité longtemps avec d'autres compatriotes dans un petit studio, en région parisienne, avant d'emménager avec celle qu'il appellera "Couleur d'origine", à cause de sa peau particulièrement foncée. Cette union avec une originaire du Congo provoque le mécontentement de ses copains, Yves L'Ivoirien en particulier, qui considère que c'est un devoir pour les Noirs d'avoir des relations avec des Blanches, une manière de prendre une revanche sur les blessures coloniales du passé :

"Fessologue, réveille-toi ! On est en France ici et il faut marquer de vrais buts parce qu'un but marqué à l'étranger ça compte toujours deux points, mon gars. Or toi, tu as choisi le chemin de facilité en allant vers une compatriote. Est-ce que c'est comme ça que tu vas obliger les gens de ce pays à nous indemniser pour tout ce qu'ils nous ont fait subir pendant la colonisation, hein ? Ils nous ont pris nos matières premières, nous aussi on doit leur piquer leurs richesses à eux, je veux dire leurs femmes ! Laisse tomber cette cramée au cul encombrant et attrape-toi une belle blonde aux yeux bleus ou verts, y en a en pagaille dans les rues de Paris et dans les provinces de France. En plus tu ne seras jamais emmerdé avec les Blanches alors que nos soeurs-là c'est des capricieuses de première classe."
(p. 71)



Les choses se gâtent avec la naissance d'une petite fille : est-elle vraiment son enfant ou celui d'un autre qu'on fait passer pour le sien ? Le torchon brûle au sein du couple, surtout lorsque notre Fessologue fait comprendre à sa compagne qu'il tient plus à ses fringues qu'à elle. 

On ne peut pas ne pas comparer Black Bazar et Verre cassé lorsqu'on les a lus tous deux. L'un nous fait penser à l'autre et vice versa. Il y a d'emblée les références littéraires noyées dans le texte, caractéristique principale de Verre cassé, auxquelles s'ajoutent dans Black Bazar des références cinématographiques et aussi musicales. Il y a également une similitude dans l'issue malheureuse que connaissent les personnages principaux dans leur couple et qui est à mettre sur le compte de la femme, coupable de trahison, de coups bas. Et puis les deux romans se présentent comme le journal du narrateur. Les héros flirtent en effet avec l'écriture.

Je n'indique-là que les point communs les plus forts. Black Bazar prolonge donc le plaisir qu'on aura eu à lire Verre Cassé puisqu'il reprend des recettes qui ont fait le succès de ce dernier, mais je dirais qu'il ne l'égale pas. En fait on ne lit Black Bazar que pour mieux apprécier Verre cassé, que j'avais lu à l'époque sans relever la moindre remarque négative du point de vue de la construction. Tandis que le dernier tiers de Black Bazar m'a paru moins uni, je veux dire que le passage d'un sujet à l'autre se fait d'une manière qui semble moins naturelle. D'une manière générale, Black Bazar n'a pas la même densité que Verre cassé, le rire qu'il provoque aisément et qui est une manière de désamorcer le désespoir reste malgré tout très ludique. Tandis que Verre cassé éveille des émotions plus profondes. Enfin, je n'ai pas relu ce roman depuis, mais c'est l'impression qui m'est restée.

J'avais déjà lu ici et là des avis sur l'un et l'autre, je vous conseille en particulier cette critique comparative des deux romans de mon ami St-Ralph, dont l'une des qualités est de dire tout haut ce qu'il pense (même si cela peut heurter les autres), que ce soit en littérature ou en politique. C'est une critique intéressante à lire. Vous pouvez la lire ici.

Ce que j'ai le plus apprécié dans ce roman, ce sont les clins d'oeil aux écrivains, une manière de leur rendre hommage. Même si le narrateur, que l'on identifie à l'auteur, déclare être "très prudent avec les contemporains", ne lisant "que les morts" parce que les vivants l' "énervent", l' "agacent" (p. 151), il y en a tout de même qu'il apprécie ouvertement. Dès les premières pages du roman, le Fessologue parle de l'amitié qui le lie à Louis-Philippe, écrivain haïtien qui, dans le roman, guide ses premiers pas dans l'écriture. On a alors envie d'ajouter "Dalembert". Ces soupçons sont confirmés plus loin, lorsqu'il est fait mention du titre Le crayon du bon Dieu n'a pas de gomme. Mais ce n'est pas tout, lorsque Mabanckou fait un clin d'oeil à des amis, il faut s'attendre à un nom en particulier. Je trouvais même bizarre qu'il ne l'ait pas encore mentionné alors que Louis-Philippe Dalembert parcourt le roman de bout en bout, c'était mal connaître Mabanckou. Le coquin, je ne m'attendais pas à ce qu'il leur réserve une scène de ménage en bonne et due forme :

"Une demi-heure plus tard la brune était toujours là à raconter que son oncle de quatre-vingt-dix-huit ans et demi avait été en Haïti [...], que son livre préféré à lui c'était Pays sans chapeau de Dany Laferrière parce que dedans il y a l'âme d'Haïti, il y a des proverbes à gauche et à droite, il y a des gens dans la rue qui sont en fait des zombies et tout le reste. [...] Louis-Philippe ne voulait surtout pas que la brune croie qu'il était gêné parce qu'elle vantait les mérites d'un autre Haïtien alors que lui il était là pour signer ses livres à lui.
Il a eu un sourire jaune et a dit :
- Dany Laferrière est un grand ami ! Je vous conseille aussi de lire un de ses livres que j'aime bien, Le Goût des jeunes filles...
[...] La brune est sortie de la librairie en grommelant, mais avec un livre de Dany Laferrière et pas un seul de Louis-Philippe."
(page 154)


Alain Mabanckou, Black Bazar, Editions du Seuil, 2009, 250 pages.

15 commentaires:

Françoise a dit…

Quel drôle de bazar ce roman ! en première lecture, on retient l'humour omniprésent, on étudie la fessologie (quoique c'est pour les garçons ça !)et on perfectionne la sapologie ! en lecture plus approfondie, témoignage instructif sur les relations entre les communautés africaines de Paris, et réflexions sur le racisme et sur les rapports entre les hommes et les femmes ...comme toi chère Liss j'ai préféré "verre cassé", chef-d'oeuvre littéraire à mon avis, mais j'ai adoré lire ce "black bazar" et je l'offre souvent comme entrée en matière à des amis qui ne connaissent pas encore cet auteur formidable qu'est Mabanckou !

kinzy a dit…

Chère Liss,
Moi aussi j'ai un faible pour les auteurs morts,ceci dit je lis aussi les encore vivants, mais je n'ai pas encore eu celui -ci entre les mains.

Bises.

Liss a dit…

@ Françoise,

Difficile, en lisant ce roman, de retenir les éclats de rire. Si on est de mauvais poil et qu'on ne sait pas comment retrouver sa bonne humeur, alors il faut mettre le nez dans ce bazar.

@ Kinzy,

Moi également je me suis longtemps arrêtée au royaume des auteurs morts, avant de me rendre compte que chez les vivants aussi, il y avait de belles découvertes à faire. J'espère que tu apprécieras.

St-Ralph a dit…

Je suis content de constater que tu me rejoins dans la préférence que j'accorde à Verre Cassé que je considère comme l'un des meilleurs romans de ces dernières années. Black Bazar est très loin de l'égaler même si - comme tu le soulignes - il provoque aisément le rire. C'est, à mon avis, le charme essentiel de ce roman ; en tout cas, le seul qui me reste en mémoire.
Merci pour le renvoi à mon billet. Je vois que tu ne m'en veux pas d'avoir souvent la dent dure. Tu es tout simplement adorable et tu sais finement témoigner ton amitié aux autres.

Liss a dit…

Tu as souvent la "dent dure", St-Ralph, mais tu sais justifier tes positions, les soutenir par de solides arguments... tu livres le fond de ta pensée, et ça c'est cent fois préférable à l'hypocrisie dont l'être humain fait souvent preuve avec ses semblables.
Finalement, contrairement à mes prévisions sur ton blog, j'aurais lu le Bazar avant les vingt ans.

Jackie Brown a dit…

J'ai envie de découvrir cet auteur depuis longtemps (j'aime lire son blog). Je vais (malheureusement ?) devoir commencer par Black Bazar, puisque seule la traduction de Verre cassé est disponible à la bibliothèque.

Passe de bonnes fêtes de fin d'année.

Liss a dit…

Chère Jackie,

je pense que, quel que soit le roman de Mabanckou par lequel tu commences, ce sera toujours toujours une belle manière de faire sa connaissance. Ses romans se lisent bien, c'est juste qu'on a des préférences.

Obambé GAKOSSO a dit…

Bonsoir tout le monde,

Parler d'Alain Mabanckou... Bon, de tous es romans (que j'ai eu le plaisir de lire, mais tout), évidemment, comme la majorité, mon préféré reste et demeure Verre cassé. J'ai ri avec ce libre du début à la fin.

Black Bazar aussi est drôle, mais pas du même tonneau. Je me permets ici de recommander deux autres romans de cet homme, dont les gens parlent très peu et c'est dommage: African Psycho et Les petits fils nègres de Vercingétorix Lisez-les (pour ceux qui ne l'ont pas encore fait, vous ne serez pas déçus...

Joyeux Noël à celles et ceux qui le fêtent.

O.G.

Liss a dit…

Mon frère,
tu es un vrai mabanckouphile ! Tu as tout à fait raison de mettre en lumière ces autres romans de Mabanckou dont on parle moins, surtout African psycho que j'avais bien aimé aussi. Mon top trois des romans de Mabanckou c'est Verre cassé, African Psycho et Bleu blanc Rouge. Très bon réveillon à toi aussi !

Cunctator a dit…

Mabanckool, comme on l'appelle, moi je l'ai découvert avec Bleu blanc rouge d'abord et j'ai poursuivi avec Verre cassé. Mais le Mabanckou qui m'a vraiment marqué est Mémoires de porc-épic. Un roman tout en simplicité qui semble être le point de vue tout en dérision d'un animal sur la bêtise humaine avec ses particularités telles que vécues par cette bête des environs de Séké Pembé.
C'est aussi le chant d'un terroire, que voyageur infatigable, Mabanckou n'oublie pas. Cependant quand j'aurais l'esprit à bien rire, je reviendrai sur les autres opus de cet héritier de Rabelais afin de m'imprimer un sourire rieur, et rire avec autant de désinvolture que d'impudeur en mon âme, pour ne pas gêner la quiétude des autres voyageurs avec mon rire strident et irrévérencieux.

Liss a dit…

Cool, cool, cher Cunctator !
Je ne sais pas comment tu feras pour "rire en ton âme" car tu auras franchement envie de rire aux éclats, donc vaudra mieux ne pas être dans les transports !
Tu dis des choses intéressantes sur les Mémoires du porc-épic ! Toujours un plaisir de te lire.

Caroline.K a dit…

Chère Liss,

En te lisant, je vois ce que peut-être une vraie critique littéraire d'un livre. Parce évidemment, je n'ai pas vu les clins d’œils, les allusions littéraires et je ne peux pas non plus comparer avec les autres livres. Mais, çà me donne une autre vision de ce livre dont j'avais parlé sur le blog de la carterie au début. J'avais même fait une esquisse de couleur d'origine, mais elle n'est plus là, puisque j'ai perdu toute la rubrique des "dessins" avec mes problèmes. Mais j'avais retravaillé ce dessin qui est devenue une carte, on en reparlera si jamais tu veux la voir.
En revanche, je te mets le lien vers l'article que j'avais écris et tu verras que mes impressions que je viens de relire prête plus à sourire qu'autre chose.
J'irais lire les critiques de St Ralph, je suis passée chez lui dernièrement le même jour que pour mon premier passage chez toi. Il doit être un peu occupé en ce moment.

A bientôt



Liss a dit…

Cependant tu oublies de me mettre le lien, Caro, j'ai bien essayé de trouver via Google, mais je n'ai pas réussi.

Liss a dit…

J'ai compris, Caro, il fallait cliquer sur ton pseudo, je viens de lire avec plaisir ta critique, je ne l'avais pas lue à l'époque, merci pour la découverte.

Caroline.K a dit…

Autant pour moi Liss, j'aurais du mieux m'expliquer. En fait, sur mes blogs, je réponds aux commentaires puis je clique sur le pseudo pour aller chez les blogueurs quand ils ont un espace. Je m'imaginais à tort que tout le monde faisait pareil. C'est trop bête. Enfin tout est bien qui finit bien.

Je suis rassurée que tu ne te sois pas endormie en lisant mon avis d'amateur. Hi ! hi !

CaroLINE