lundi 16 février 2009

La Vie et demie, Sony Labou Tansi

"J'écris ou je crie pour forcer le monde à venir au monde"
Dessin de Teddy.

Je soussigné cardiaque déclare que quand on a une Conscience de tracteur, on peut vivre Une Vie et demie dans une Parenthèse de sang. Dès lors, il est impossible de dissoudre son Etat honteux dans Les Yeux du Volcan. Nul besoin de préciser que sonne alors l’heure du Commencement des douleurs : L’Anté-peuple, c’est vous !

Voilà rappelés quelques titres de l’oeuvre riche et novatrice d’un auteur phare : Sony Labou Tansi. La publication, en 1979, de son premier roman, La Vie et demie, fait de lui un grand écrivain de la littérature africaine francophone. Avec les publications suivantes, il en devient même le chef de file. Ses œuvres annoncent en effet une rupture avec les générations précédentes d’écrivains africains.
Sony Labou Tansi, c’est l’imagination créatrice, c’est la verve insolente, c’est la liberté de jeu avec la langue française, devenue pâte qu’on modèle à son goût, pour donner forme à son imagination. Des rapprochements ont été faits avec l’œuvre du Sud-Américain Gabriel Garcia Marquez, mais quel livre ne respire pas les effluves de l’intertextualité ? Le sage Salomon va jusqu’à dire qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil ; en littérature on parlerait plutôt de renouveau.
Auteur d’une quinzaine de pièces de théâtre et metteur en scène, Sony était à la tête de sa propre troupe : le Rocado zulu théâtre, qui a connu du succès à Brazzaville et en Europe. Il a publié six romans dont le dernier, Le Commencement des douleurs, à titre posthume. C’est également après sa mort que le grand public aura accès à sa poésie.



LA VIE ET DEMIE

C’est l’histoire d’une dictature dans un pays imaginaire de l’Afrique noire, la Katamalanasie. Face à cette dictature commencée par le Guide Providentiel et qui sera poursuivie par ses successeurs, il y a un opposant : Martial. Celui-ci sera mis à mort par le Guide, mais ne disparaît pas pour autant puisqu’il apparaît à son ennemi, continue sa lutte contre lui, notamment par l’intermédiaire de sa fille Chaïdana, seule rescapée de la famille de Martial. Elle fera mourir les uns après les autres les membres de ce gouvernement dictatorial en utilisant ses charmes. Le roman s’inscrit d’emblée dans le monde de la fable, comme le précise l’auteur lui-même dans l’avertissement qui précède le texte romanesque, c’est-à-dire un monde qui se traduit par l’invraisemblable, le fantasmagorique. Il s’agit en fait d’ « annales burlesques de régimes dictatoriaux successifs ». Au-delà de la satire politique, la Vie et demie pose des questionnements philosophiques, comme en témoignent les extraits suivants, sur la solitude.
Le premier en parle comme d’une chose irrémédiable pour l’homme :

« La solitude. La solitude. La plus grande réalité de l’homme c’est la solitude. Quoi qu’on fasse. Simulacres sociaux. Simulacres d’amour. Duperie. Tu es seul en toi. Tu viens seul, tu bouges seul, tu iras seul ». (p. 37)

Cependant, même si les relations humaines ne sont que des « simulacres », ceux-ci sont indispensables à l’homme. C’est ce que le second extrait, en prolongeant la réflexion sur la solitude, donne à voir :

« Là le monde était encore vierge (Chaïdana et Martial, les jumeaux de Chaïdana la mère, nés d’un viol, se sont enfuis sous les instances du fantôme de leur grand-père Martial pour échapper à la vengeance du Guide et se sont retrouvés dans la forêt), et face à l’homme, la virginité de la nature restera la même impitoyable source de questions, le même creux de plénitude, dans la même bagarre, où tout vous montre, doigt invisible, la solitude de l’homme dans l’infini des inconscients, et ce désespoir si grand qu’on finit par l’appeler le néant et qui fait de l’homme un simple pondeur de philosophies. (…) La bagarre contre le vert durait déjà depuis deux ans. Deux ans et de grosses poussières. Ils arrivèrent dans la zone de la forêt où il pleut éternellement. Le bruit des gouttes de pluie sur les feuilles a quelque chose d’affolant. Il fatigue les nerfs. Martial Layisho et Chaïdana se bouchaient les oreilles, mais le monde du silence était aussi affolant que celui du tac-tac des gouttes d’eau sur les feuilles. (…)
On a besoin des autres : de n’importe quels autres.
Ils essayaient parfois d’écouter la chorale des bêtes sauvages, la symphonie sans fond de mille insectes, ils essayaient d’écouter les
odeurs de la forêt comme on écoute une belle musique. Mais ils s’apercevaient que l’existence ne devient existence que lorsqu’il y avait présence en forme de complicité. Les choses leur étaient absolument extérieures et c’était eux et seulement eux qui essayaient tous les pas vers elle. Ils avaient soif du vieillard aux blessures
(Martial), ils avaient soif de Layisho (qui les a élevés) et Chaïdana, ils avaient soif des miliciens et de leurs emmerdements (ils sont entre autres connus pour leurs viols), ils avaient besoin de l’enfer des autres pour compléter leur propre enfer. Les quarts ou les tiers d’enfer, c’est plus méchant que le néant. » (p. 88-89)

Les références renvoient à l’édition de poche de La Vie et demie, Editions du Seuil, (Collection « Points »).

9 commentaires:

AnnDeKerbu a dit…

Difficile à lire ce livre et j'avoue avoir abandonné sa lecture rapidement. Je l'ai trouvé très violent. Mais effectivement l'écriture est très riche, "la verve insolente" la caractérise bien. J'essaierai d'y revenir. Vous avez peut-être un autre titre à me conseiller pour un premier contact avec cet auteur, plus accessible?

Liss a dit…

La violence parcourt ce roman de bout en bout, en effet, c'est le but recherché par l'auteur de nous faire réagir, de provoquer un choc chez le lecteur car les pouvoirs politique en Afrique agissent d'une manière plus choquante encore !

Cette critique de La Vie et Demie est relativement récente, pourtant ce n'est pas la première fois que je lisais ce roman. La première fois, comme vous, je n'ai pas apprécié de la même manière, je me demande même si je suis allée au bout, il y a bien longtemps de cela. Donc vous n'êtes pas seule.

Par contre un autre roman de l'auteur, que j'avais davantage trouvé à ma portée est L'Anté-Peuple : une histoire naît entre un professeur et son élève ou un professeur tombe amoureux de son élève, je ne me souviens plus très bien. Je crois que notre ami Gangoueus en a parlé sur son blog.
Je vous dis donc bonne découverte !

rochdi a dit…

je retrouve dans ce roman le délire total d'un peintre qui illustre à l'absurdité dans un texte si violent et si dur à croire même si nous savons trés bien que c'est d'une fable qu'il s'agit.
tout au long de ma lecture et à chaque moment où je prends le livre j'adhère un monde des ténébres ,sombres et cruelles .la cruauté ne vient pas de livre mais vient de ce qu'il entend à faire comprendre aux lecteur. malgré l'avertissement ,je suis prise à l'assaut par un choc et une surprise si inattendus.
je n'arrêterai jamais de dire que ce livre est vraiment et peu importe ce que visait l'auteur lorsqu'ila écrit ce texte,je dirai que c'est la honte de l'afrique.
peu importe le genre que l'auteur a prétendu adapter, cela laisse entrevoir la vérité amére de l'afrique noire.

Liss a dit…

Bonjour et bienvenue, Rochdi !

la Vie et Demie est un roman qui ne laisse pas insensible, en effet. Le "choc", je crois que le mot est tout à fait approprié pour traduire ce qu'on peut ressentir à sa lecture.

Merci de votre visite et au plaisir de vous relire !

Anonyme a dit…

"La vie et demie"... ce n'est pas celui que je conseillerai comme premier contact avec Sony. Très dur, violent, poétique et sombre, mais excellent. Mais qu'est-ce qu'il fumait quand il écrivait ça !! MDR

"L'Anté-peuple" est très bien. Belle histoire, facile à lire bien que assez violent tout de même. Et comme dans le premier, une dénonciation par l'absurde des dictatures.

A découvrir, mais accrochez le cœur avent de commencer la lecture ;-))

Joss

Liss a dit…

Bonjour Joss et bienvenue,

je vois que vous êtes un familier de Sony, et vous avez de l'humour, cette vallée ne s'en portera que mieux !
Merci de votre visite.

Anonyme a dit…

bonsoir, bonsoir,

après avoir découvert cet auteur par la Vie et demie, j'ai transformé l'essai aujourd'hui avec la lecture de l'Anté-peuple...
je me suis sentie très seule les premiers temps, avec pour fardeau une ivresse délirante de joie, tellement enthousiaste, presque amoureuse de l'oeuvre, que j'en devenais incapable d'en parler correctement et de transmettre mon émotion. Je suis contente du moins de voir sur le net que d'autres lecteurs ( apparemment des lectrices :)) le connaissent et l'aiment.
Des deux oeuvres évoquées par ce thread, je préfère la Vie et demie que j'ai dévoré, hypnotisée par ce style éblouissant. C'est bien simple; dans le fond si j'avais pu écrire un livre, ç'aurait été avec cette plume-là. Pour ce qui est de la question socio-politique, je n'ai curieusement pas été interpellée malgré les horreurs décrites et la violence qui ne m'a pas gênée un seul instant. D'une certaine façon, je n'ai encore pu "recevoir" que l'écriture, la poésie, vraiment novatrices. J'ai le même problème avec Steinbeck et Amado, trop messianiques peut-être. Je reconnais qu'il est très délicat de trouver l'équilibre, dans les discussions qui naissent autours d'un livre, entre son apport littéraire, esthétique et sa valeur sociale et politique. Il n'en reste pas moins que ces deux livres sont de très grands livres et mon seul regret est de ne pas les avoir rencontrés plus tôt.

Liss a dit…

Bonjour, heureuse que vous ayez apprécié cet auteur, on aime pas tous un livre pour les mêmes raisons. C'est rare que tout nous séduise, l'écriture ou la poésie comme vous dites aussi bien que le contenu, mais si l'un des deux aspects au moins fait notre bonheur, c'est déjà ça.
Au plaisir de vous relire !

amara a dit…

Salut ce livre de sony est tres riche et traduit le quotidien des peuples africains apres les independances. Mais j ai du mal a interpreter le titre de l oeuvre. Aidez moi svp