lundi 19 janvier 2009

Le Coeur des enfants léopards, Wilfried NSONDE

Les multiples passages sur les plateaux télé d’Abdl-Malik, artiste d’origine congolaise, et son interprétation d’un des titres de son dernier album, celui ponctué par « c’est du lourd », me donnent envie de remettre à table ma lecture du roman Le Cœur des enfants léopards, lecture qui avait été publiée fin 2007 sur grioo.com. Comprendre et accepter le fait que la France est multiraciale et multiculturelle ; que sa beauté, sa richesse sont intimement liées à la mixité, c’est ça "du lourd", pour Abdl-Malik comme pour Wilfried N’Sonde. C'est peut-être aussi l'événement que le monde va suivre demain qui me donne cette envie : yes, we can a lot, with everyone... L'Amérique se lève, forte de la volonté de chacun de ses fils. La France doit aussi se sentir forte de la diversité de ses enfants.


« Des questions, toujours des questions. Il ne s’arrêtera donc jamais ! J’ai énormément du mal à comprendre où je suis. » Ce sont là les premières lignes du roman de Wilfried N’SONDE, Le Cœur des enfants léopards, publié en 2007 chez Actes Sud, et qui avait obtenu le Prix des Cinq Continents de la Francophonie de cette même année. Le héros du roman est en état d’arrestation, il doit répondre aux questions du capitaine, qui attend des aveux, quitte à user de violence envers lui. Qui est donc ce jeune homme et qu’a-t-il fait ?

Le lecteur apprend à le connaître au gré des soubresauts de sa mémoire qui restitue des pans de sa vie. Né en Afrique, il n’y est resté que quelques années. Sa scolarité, sa vie s’est construite en France, dans une cité, en région parisienne. Comment vit-on dans une cité ? Cette dernière ne prend-elle pas ses fils et ses filles en otage ? N’apparaît-elle pas comme une ombre qui obscurcit considérablement leurs chances de se forger un destin à la hauteur de leurs rêves ? Les jeunes de cité, de diverses origines, se rendent très tôt compte du sort qui les attend. Ils sont perçus comme une menace et parqués dans cette cage dans laquelle on veut les enfermer : l’immigration.

Pourtant, malgré leur différence de peau ou leurs cheveux frisés, en eux-mêmes ils ne se sentent pas différents de leurs camarades blancs. Ils ne pensent pas être des étrangers loin de chez eux. Leur ‘‘chez eux’’, c’est la cité, c’est le RER, les bars cafés, c’est la France. Pour les autres cependant, ils ne sont pas à leur place. « Tu viens d’où ? Tu connais ta culture ? »1 « T’es qui toi ? »2 « T’es quoi en fait, français ou africain ? »3
Comment donc être ? Comment se tenir ? Comment se comporter ? D’ailleurs qui est-il, ce jeune Noir de banlieue ? En effet les uns disent qu’il se prend pour un Blanc et les autres pensent qu’il devrait retourner sur son bananier en Afrique. Le jeune de banlieue est soumis à une quête d’identité qui peut aller jusqu’à la crise, comme c’est le cas pour Drissa, l’ami du héros, noir comme lui.

En fait, la prison où se trouve le héros symbolise l’enfermement des Noirs et autres immigrés dans un tiroir, leur réduction à une étiquette : Noir égal délinquance, égal « problèmes à l’éducation nationale, violence et échec scolaire. »4
De même les questions qui sont évoquées au tout début du roman, et qui font référence à l’interrogatoire serré du personnage principal par la police, préfigurent le « virus des questions »5 qui, comme un monstre, menace l’équilibre psychologique des jeunes habitants des cités. Il faut alors résister à cette Charybde, cette Scylla, apprendre à les ignorer ou à mettre une distance entre elles et vous, autrement elles dévorent votre tranquillité, votre insouciance, votre vie… Elles envahissent votre être, elles vous poursuivent partout. Comment échapper aux stigmates de la cité ? Comment garder l’équilibre ?

Le héros avait jusque-là l’amour de Mireille. Il a aussi les « esprits » des ancêtres dont le totem est le léopard : communiquer avec eux est une façon pour lui de donner vie et corps à une famille, à des parents pour qui il compte, parce que le peuple français auquel il croyait appartenir le repousse.
Mireille qui, de race blanche pourtant, se sent aussi à l’étroit dans cette cité, avait les livres :

"Elle me parle rarement d’elle et de sa famille, seulement de cette cascade de vers, de strophes, des kilos de prose qu’elle veut absolument partager avec moi, assis sur un banc ou parfois à même le sol, main dans la main. Quand les mots étaient trop beaux, le sens infiniment profond, nous nous embrassions, du magma dans la bouche."6

Aussi, lorsque Mireille met un terme à leur relation amoureuse, c’est pour le héros un séisme qui l’entraîne dans les profondeurs de l’abîme. L’énigme du début de l’histoire est peu à peu dévoilée : le héros a commis un meurtre. Un narrateur extérieur intervient même subrepticement pour apporter plus de lumière au lecteur. Autrement, c’est la voix intérieure du personnage principal qui retentit tout au long du roman, c’est à travers elle que l’on perçoit les pensées, les paroles, les actes des différents personnages, et sans qu’il n’y ait de signes de ponctuation particuliers pour souligner le changement d’interlocuteurs.

La voix du héros-narrateur est une voix qui rend hommage à la femme, mère ou maîtresse ; à l’amour. L’amour qui épanouit et qui fait tant mal trouve dans ce roman un poème incomparable.

Wilfried N’SONDE, Le Cœur des enfants Léopards, Actes Sud, 2007. 140 pages. 15 €.


Notes :

1. p. 29
2. p. 123
3. p. 130
4. p. 49
5. p. 123
6. p. 97-98

16 commentaires:

GANGOUEUS a dit…

Une très belle critique pour un très grand roman, chère Liss.

Une agréable surprise ce roman de Wilfried N'Sondé et une analyse fine de ce qu'est la question des jeunes de banlieues. Beaucoup d'humanité, parce que finalement, la situation du narrateur dépasse le cadre des cités.

Pour avoir lu quelques auteurs traitant de la question des banlieues version immigration, Mabrouck Rachedi ou Faïza Guène, N'Sondé apporte la particularité d'une écriture érudite et poétique.

Mais en regardant de plus près, les thématiques sont très proches.

Je pense personnellement que la banlieue peut posséder plusieurs niveaux d'écriture sans qu'on en fasse un danger pour la littérature de France et de Navarre.

@ bientôt,

Liss a dit…

J'ai vu que tu en avais aussi fait la critique sur ton blog, en terminant par quelques liens vers d'autres critiques, comme tu en as l'habitude. C'est intéressant ces différents regards sur une même oeuvre, ces regards croisés devrais-je dire...
@+

Anonyme a dit…

J’ai aussi beaucoup apprécié ce livre. Cependant l’auteur nous met vraiment à rude épreuve. Les moments de bonheur où le héros s’échappe par l’esprit vers ses rencontres amoureuses avec Mireille ou vers son ancêtre nous font du bien à nous aussi tant son présent est insupportable. Le sentiment d’un énorme gâchis de ces différentes vies prédomine.
Merci de m’avoir fait découvrir cet écrivain.
Anne

Liss a dit…

Bonjour Anne,
C'est toujours un plaisir de vous lire. "Gâchis", je pense qu'il n'y a pas mieux pour exprimer ce sentiment que tout aurait pu être si différent, que cela ne dépendait que des hommes et non de la providence ou de Dieu.
Dites-moi, auriez-vous un espace où je puisse vous rendre aussi visite ?

Anonyme a dit…

Liss, non, je n'ai pas d'espace. Je me contente pour l'instant de rendre visite à quelques blogueurs et d'y laisser de temps en temps un commentaire. Mais c'est vrai que ce serait bien d'avoir la possibilité d'échanger avec vous sur les auteurs que j’apprécie, moi aussi.
Anne

Liss a dit…

Pourquoi ne pas se lancer ? Vous travaillerez à votre rythme, parlerez des auteurs de votre choix, (comme un chef d'entreprise), et j'aimerais vraiment lire vos critiques : ce que vous aviez dit par exemple de vos dernières lectures, dans le billet sur Les souffrances du jeune Werther, m'avait donné envie de vous lire en plus long et plus large.

Anonyme a dit…

Ok, Liss, vous serez ma première invitée! Mais ce serait tout de même dommage de ne plus avoir le temps de venir sur votre blog.
Anne

Liss a dit…

L'un n'empêche pas l'autre, chère Anne !

Anonyme a dit…

Liss, il fait combien de pages, le pavé que vous lisez en ce moment et qui vous retient si longtemps?
J'espère que vous vous portez bien.
Anne

Liss a dit…

C'est très gentil à vous de vous inquiéter de mon "absence", ça me touche beaucoup. Le dernier livre que j'ai lu avait bien plus de cinq cents pages, et je compte en parler ici, mais ce n'est pas ce qui me retient loin du blog. il s'agit plutôt de ma vie personnelle : l'arrivée d'un bébé ainsi qu'un déménagement qui n'en finit pas (c'est pour cela que mes connexions sur internet deviennent irrégulières). J'ai du mal ces derniers temps à me ménager du temps pour mes lectures. Mais vous me motivez, je vais tenter l'impossible.
Bises.

Anonyme a dit…

Ah! C'est une très bonne nouvelle, cette arrivée d'un bébé!! Félicitations, Liss!! Et oui, quand le bébé dort, la maman dort aussi. A bientôt.
Anne

Anne a dit…

En attendant votre réapparition sur la sphère, j'ai cherché à m'occuper... Alors comme promis, vous êtes ma première invitée.
Bonne visite chez mon nouveau chez moi!
Anne

Liss a dit…

Voilà une excellente nouvelle, je cours vous voir chez vous...

Nicolas a dit…

Belle plume que celle de NSondé. Un roman très poétique, mais dommage que l'histoire ne soit pas davantage intéressante. Bref, j'ai beaucoup accorché à la forme, moins au fond. Dommage!

Liss a dit…

Bonjour Nicolas et bienvenue !
Histoire pas davantage intéressante ? peut-être parce que le roman est assez court, en tout cas tout le monde s'accorde sur la beauté du texte, moi c'est ce qui me motive d'abord.
merci de votre passage dans cette vallée qui, je l'espère, vous accueillera de nouveau.

Caroline.K a dit…

Bonsoir Liss,

Je me souviens avoir entendu parler de cet auteur au moment du prix, mais le sujet ne m'intéressait pas vraiment. Mais je note le titre qui sait peut-être un jour, une version théâtrale ou le livre lui même m'inspireront.
Caroline