mardi 23 novembre 2010

Pour l'amour de Mukala, de Thérèse Zossou Esseme

Je n'ai pas mijoté de plat ces jours-ci, je sors donc de mon frigo (de mon congélateur je devrais dire) un plat que je réchauffe tout spécialement pour vous, notamment parce que le roman dont il est question dit l'Afrique et les Africains d'une manière encourageante.


Pour l’amour de Mukala, roman de Thérèse Zossou Esseme est un court récit qui se lit comme on écoute un aïeul nous raconter un conte merveilleux. Merveilleux parce qu’il y a l’intervention de faits qui échappent à la raison, des choses qui relèvent du mystique comme les hommes ayant un double animal et qui meurent lorsque ce dernier est tué. Cette croyance, largement répandue en Afrique, est le sujet même du roman Mémoires de Porc-épic d’Alain Mabanckou. Merveilleux aussi parce qu’on a l’impression que, malgré les péripéties, malgré les terribles épreuves auxquelles les deux personnages principaux, Daniel Dika et Yvonne appelée aussi Mukala, doivent faire face, dans ce roman comme dans les contes, tout est bien qui finit bien.

Ce roman se lit aussi comme si on était l’oreille privilégiée d’un ami qui nous fait des confidences, nous fait part de ses souvenirs, de ses espérances, de sa vision de la vie et de l’Afrique.

L’Hymne à la vie

Le roman de Thérèse Zossou Esseme est en effet comme un hymne à la vie, un appel à toujours combattre pour lui donner le dessus. Il faut, pour que la vie soit belle, se battre pour elle. On voit progresser, durant les trois quarts du livre, les relations entre les deux personnages principaux, qui habitent la même Résidence Universitaire, celle d’Antony, en Région parisienne. Peu à peu ils se rapprochent, tombent amoureux. Mais les choses ne sont pas si simples. Chacun d’eux a connu la pire des épreuves : la disparition d’un être cher. Ce qui fait que Daniel s’interroge sur le sens de sa vie, se demande pourquoi avoir des ambitions et faire des efforts, puisque sa sœur, qui était sa complice, les quitte. Quant à Yvonne, elle a perdu le père de son enfant dans des conditions tragiques, elle ne livre pas son cœur facilement. Ils finissent cependant par s’ouvrir l’un à l’autre et unir leurs vies. Suivent alors des moments de grande félicité. Mais cette ascension vers le sommet du bonheur est brusquement interrompue, ils se retrouvent face à l’adversité : problème de santé conduisant à la perte de la vue pour Yvonne et surtout perte de la petite fille qui est née de leur union. Cette sombre période de leur vie est condensée en seulement deux chapitres, comme pour montrer combien le malheur resserre l’étau autour de leur cou pour les étrangler. Mais les deux jeunes gens rebondissent, ils décident de s’en sortir. Et la fin du livre est comme un retour au bonheur initial.

Une autre image de l’Africain

Thérèse Zossou Esseme veut donner une autre image de l’Africain en séjour en Europe, pour ne pas dire en France. Aujourd’hui celui-ci est plutôt vu comme un profiteur, comme celui qui vient réquisitionner les allocations ainsi que les cœurs, abusant de l’amour naïf d’un blanc ou d’une blanche pour obtenir des papiers. Dans le roman Cœurs en papier de Christian Mambou, on a aussi cette volonté de donner une autre image de l’Africain. Pour l’amour de Mukala donne un exemple de jeunes africains qui ne profitent pas des opportunités qui peuvent se présenter à eux. Ils décident de rentrer au pays, leurs études terminées, car là-bas tout est à construire. Malgré les mauvaises conditions de travail, le manque de matériel, les deux héros mettent leur savoir acquis en Europe au service de leur pays. Le livre a certes été écrit dans les années 80, et exprime le rêve de tous les Africains pour leur continent : que celui-ci puisse se construire grâce à ses enfants. Or ce qu’on remarque aujourd’hui, c’est l’accroissement de la fuite des cerveaux, à cause des régimes politiques actuels, qui ne font rien ou ne créent pas les conditions pour un retour au bercail des ‘‘cerveaux’’ du pays.

L’Afrique des valeurs

L’auteur veut aussi montrer dans son livre que l’Afrique, même si elle n’a pas encore ce développement qu’elle envie aux pays occidentaux, possède cependant une richesse morale qui fait sa particularité, et qu’elle peut perdre si elle n’y prend garde. Si Daniel et Mukala s’en sortent, c’est surtout parce qu’ils sont soutenus, par la famille, par les amis. Ils ne sont pas seuls dans leurs malheurs. Ce roman donne de l’importance à la famille, aux relations humaines. L’entourage, qu’il s’agisse de proches, d’amis, de voisins, ou de connaissances, est un rempart contre la dépression. Si l’Afrique souffre de sous-développement, en Europe on souffre souvent de solitude, on n’a parfois personne vers qui se tourner. Des personnes âgées, même ayant des enfants qui travaillent et un logement, se retrouvent en maisons de retraite ; des hommes et des femmes se retrouvent SDF (sans domicile fixe) alors même qu’ils ont des frères et des sœurs ou même des parents qui pourraient les loger en attendant de retrouver une situation stable ; des jeunes se suicident car ils n’arrivent pas à porter le poids de leurs souffrances, alors qu’ils pourraient les partager avec d’autres… Ce n’est pas pour dire que l’Afrique ne connaît pas ces tragédies, mais l’impact en est moins important parce qu’on est plus entouré.

Or certains jeunes africains, surtout ceux qui ont grandi ou séjourné en Europe, voit la famille d’un autre œil, elle devient comme un poids, car il faut s’occuper de tout ce monde. Thérèse Z. Esseme veut replacer les choses dans leur contexte et montrer qu’on peut le faire sans avoir l’impression de se ruiner. Elle met aussi en valeur un certain savoir-faire des Africains, dans le cas de la santé par exemple. Il y a des cas de maladies ou la science du Blanc échoue. C’est le cas lorsque Mukala perd la vue, mais c’est la sagesse des anciens, la mobilisation de la famille, qui aura raison de son handicap.

Bref, Pour l’amour de Mukala veut dire une autre Afrique, et c’est à juste titre que ce roman a été publié dans la collection « Ecrire l’Afrique » des Editions L’Harmattan.

L’Auteur : Thérèse Zossou Esseme est né en 1952 à Mbanga, au Cameroun. Elle est professeur d’Allemand à l’EFE Montaigne de Cotonou.
Pour l'amour de Mukala, Editions L'Harmattan, 2007, 130 pages.


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2 commentaires:

kinzy a dit…

Bonjour Liss
Et si les européens avaient pris la peine de voir ce qui faisait l'essence même de l'Afrique, il en serait autrement.

J'ai beaucoup aimé le roman de Mabanckou.
croyance qu'on retrouve dans d'autres régions comme en Australie chez les Aborigènes et les indiens d'amérique.

Donc il me reste à lire Thérèse Zossou Esseme.
merci Liss

Liss a dit…

Coucou ma Kinzy,

Tout dépend en effet de la façon dont on regarde l'autre ; combien de choses ne seraient pas différentes si les autres nous voyaient autrement
Tu as donc lu Mémoires de Porc-épic ? Lecture intéressante !
Bon week-end,

Liss.