mercredi 9 février 2011

Route de nuit, de Dominique Ngoïe-Ngalla

Route de nuit se présente comme un texte autobiographique : le narrateur-auteur y témoigne de ce qu'il a vécu durant la guerre de 1997, qui ne cesse d'interpeller les Congolais, notamment ceux dont les mains ne savent s'emparer d'autre chose que de la plume pour dénoncer les horreurs que les hommes se font les uns aux autres avec tant d'application.


Dominique Ngoïe-Ngalla, universitaire, poète, écrivain raconte notamment une journée, celle qui le conduit à quitter précipitamment Dolisie, ville du Congo rattrapée par la guerre, pour son village natal, Mandou. Il marche tout le jour, mais surtout toute la nuit, et cette longue marche "jusqu'au bout de la nuit" traduit également le cheminement de sa pensée qui se fraye un passage à travers l'obscure destinée des pays africains, pour trouver la lumière. La lumière, ne serait-ce pas la beauté ? Et la beauté d'un ciel observé par temps de clair de lune n'est-elle pas propre à imprimer en soi le sentiment du divin ?

Le récit de l'auteur est donc entrecoupé de réflexions sur l'Afrique et sur l'existence de Dieu, de sorte que, s'il peut être considéré comme une autobiographie, comme un roman ou une longue nouvelle, ce texte prend également les allures d'un essai.

L'Afrique est souvent au coeur des médias, il fait le bonheur de la radio qui "dépeint avec jubilation, pour le divertissement de l'Occident en mal de sensationnel, les tristesses et les misères de l'Afrique, ce grand malade que, on le sait, personne n'assistera ; mais qui une fois mort, sera l'objet de débats indignés, dans les parlements européens et à l'O.N.U." (Route de nuit, p. 11-12)

Comment ne pas s'interroger sur l'histoire de l'humanité, "pleine de bruit et de fureur. La guerre et la violence partout et tout le temps" ? L'histoire de l'Afrique en particulier, surtout ces dernières décennies, offre le spectacle de la violence au point que certaines langues parlent de "malédiction". Qu'est-ce qui peut déconstruire cette opinion ?

Texte sobre, Route de nuit fait entendre une voix lyrique, pleine d'émotion, une voix dure aussi, surtout lorsqu'il faut parler de l'élite africaine, composée de gens "bardés de diplômes, mais incultes" (p. 51) ou de cette mère symbolique :

"la France, qui pendant de longues années, m'avait nourri de son pain et de ses lettres ; une mère, en somme, mais que l'histoire récente et la nouvelle coloration de ses relations avec l'Afrique Noire m'obligeaient maintenant à juger sans complaisance, mais non sans douleur. J'avais tant aimé ce pays !" (p. 31)

L'auteur en vient ainsi à distinguer deux France, l'une qui a beaucoup de titres à revendiquer, entre autres celui de "patrie des droits de l'homme" et l'autre moins glorieuse, ingrate :

"Pauvres diables de Nègres ! Vous n'êtes rien que ces stupides sourires des panneaux publicitaires des banlieues parisiennes et des bouches de métro parisien ! Vous n'existez pas. [...] Vous sur qui reposèrent au plus fort du péril, les destinées de la France. En cet épouvantable été de 1941, un non de Brazzaville et du Congo à l'Appel fameux de De Gaulle eut suffi pour que la France fût perdue. Et cependant combien de Français ont conscience aujourd'hui de devoir un peu de leur bonheur au Nègre Félix Eboué et aux tirailleurs Sénégalais de Brazzaville, d'Abidjan, de Dakar, de Niamey, de Libreville que la France repousse aujourd'hui avec brutalité comme d'épouvantables bêtes puantes et malfaisantes, pour peu qu'il leur manque un petit papier ?"(p.38-39)

Si vous voulez poursuivre la méditation, vous savez ce qu'il vous reste à faire.

Dominique Ngoïe-Ngalla, Route de nuit, Publibook, 2006, 74 pages, 10 €.

14 commentaires:

Cunctator a dit…

"Le récit de l'auteur est donc entrecoupé de réflexions sur l'Afrique et sur l'existence de Dieu, de sorte que, s'il peut être considéré comme une autobiographie, comme un roman ou une longue nouvelle, ce texte prend également les allures d'un essai."
A la lecture de quelques textes de Dominique Ngoïe-Ngalla, soient-ils autobiographiques ou de fiction, j'ai moi aussi constaté cette démangeaison a parsemer ses récits de réflexions sur l'Afrique, toujours sur le versant critique. Pour le reste ta brillante analyse, tant du point de vue esthétique (tu fais parler ton texte avec beaucoup d'éloquence) que du fond me donne envie de lire. de même pour la présentation précédente (le texte de Dalembert).

Cunctator.

Liss a dit…

Cher cunctator,

Tout ce que j'ai pu lire de Ngoïe-Ngalla jusque-là a retenu mon attention, et à plus d'un titre. Mais ce qui le caractérise le plus c'est sans doute le combat pour le vrai, le grand, le beau. Je comprends l'exaspération de l'auteur face à la médiocrité ambiante, il n'est pas du tout tendre avec ses compatriotes, avec les Noirs en général, et peut-être est-il excessif (à dessein, pour faire réagir ?) : "lenteur du regard à s'élever vers l'amour et sa lumière", "épaisseur pâteuse de l'esprit"...
Un texte à lire et à faire lire !

Cunctator a dit…

J'admets que ce petit livre de trois sous est un condensé de plaisir et de révolte. Comme tu l'as dit il est très lyrique, notamment dans le récit de ses derniers moments avec ses parents dont il a longtemps été séparé. Quelle tristesse de lire ces pages...

St-Ralph a dit…

Que de beaux livres tu proposes ! Et moi qui n'ai qu'une vie, comment pourrais-je lire tout cela ? Il est bon de constater que les africains participent à la réflexion sur l'état de l'Afrique et sur son avenir.

Soit dit en passant : je viens d'entendre ce soir, à la radio, l'auteur de "Noires blessures". Un encouragement supplémentaire qui m'est adressé !

Liss a dit…

J'espère vivement que tu lises Noires blessures, tu ne seras pas décu.

Quant aux Africains et à la réflexion sur l'Afrique, moi je ne cherche plus, je connais une antre où il fait bon se retirer pour découvrir des "réflexions et analyses" pertinentes.

Cunctator a dit…

Indique nous cet antre, moi aussi je veux aller m'y perdre. pour compléter St-Ralph, non seulement tu nous indiques de bonnes lectures, mais encore tu le fais Bien...

Liss a dit…

C'est bien gentil à toi, cunctator, merci pour tes mots. Quant à l'antre dans lequel (pardon, j'avais mis "une antre") je me retire souvent, eh bien il s'agit du blog de St-Ralph, alias Raphaël. Si tu ne l'avais pas encore visité, voici le lien :
http://raphael.afrikblog.com/
Bonne (re)découverte !

Cunctator a dit…

J'y ai jeté un œil il y a peu, je prendrai le temps de m'y plonger.

Cunctator

St-Ralph a dit…

Toujours très gentille avec moi, Liss. J'espère que Cuntator ne sera pas déçu. "Noires blessures", titre poétique et facile à retenir. Il fera partie de ma prochaine commande. Affaire à suivre.

Cunctator a dit…

@St-Ralph, j'ai aimé votre blog, j'ai lu un compte rendu de votre lecture de "The Help", excusez moi, j'ai oublié le titre en français. je l'ai tout de suite commandé. Vous savez le roman dont l'histoire parles des relations entre les bonnes noires du sud Des USA ségrégationniste et de leurs patronnes blanches. Vous pouvez également visiter "Reflexions Actuelles" pour ne pas trop quitter le champ lexical proche du votre: hhtp://reflexions-actuelles-dnn.blogspot.com

St-Ralph a dit…

Message reçu, Cunctator ! Je ne manquerai pas de te rendre visite. Quant à l'article, il renvoie bien à "The Help" ou "La couleur des sentiment" en version française.

Cunctator a dit…

Hello St-Ralph, j'ai reçu "The help", je préfère le lire dans le texte, on profite mieux des nuances de la langue, qu'il n'est pas aisé de transcrire en français. Ce sera avec plaisir que je vous accueillerai.

A bientôt.

Du bénéfice qu'on peut tirer des rapports virtuels: http://reflexions-actuelles-dnn.blogspot.com/2011/01/du-benefice-quon-peut-tirer-des.html

Liss a dit…

Euh... Cunctator, on pourrait tout de même laisser tomber le "vous" cérémonieux pour goûter avec plus de franche camaraderie aux joies et plaisirs des rapports virtuels, n'est-ce pas ? Ce que St-Ralph n'a pas tardé à faire !

Cunctator a dit…

Hihihihihi Liss, tu me vois en conservateur toi aussi? Je suis à mes premires échanges avec St-ralph, je ne permettrai quand m^me pas de lui donner du tu d'entrée de jeu. C'est un vous abstrait, si je puis dire, il n'a pas l'intention d'ériger ni mur ni distance entre nous. Simple respect des convenances.

A suivre.