samedi 8 août 2009

Coeurs en papier, de Christian Mambou

Coeurs en papier est l'oeuvre qui confirme Christian Mambou comme romancier. En effet, en 2004, il publiait son premier roman, La Gazelle et les exciseuses, dans lequel on suit le combat d'une jeune fille qui, soutenue seulement par sa mère, décide d'échapper à l'excision. C'est le courage de dire non à ce qui, dans nos traditions, dans nos coutumes, dévalorise plutôt que ne participe à l'épanouissement de l'individu. C'est aussi apprendre à se battre pour donner à notre vie qui semblait tracée d'avance un autre cours.
Dans Coeurs en papiers, c'est à un autre combat que Christian Mambou nous invite à assister : sur le ring, un jeune Africain, Polhit, et contre lui une sorte de Gorgone, monstre aux cheveux de serpent, que l'on appellera la "Précarité" : précarité du logement, précarité du titre de séjour, précarité des sentiments que les gens affichent à votre égard selon qu'ils doivent ou non manifester un engagement dans votre cause... Bref précarité de la vie d'un sans-papiers tout simplement.
Polhit vient du Waba, pays qui pourrait évoquer le Congo Brazzaville aussi bien que d'autres pays africains où, déterrée, la hache de guerre a sévi avec cruauté. Au moment où il se prépare à retourner dans son pays, diplômes en poche, la guerre éclate et le voilà pris entre le marteau et l'enclume : faut-il rentrer chez lui, alors que le pays est à feu et à sang ? Faut-il rester en France, mais alors pour quelle existence ? La fin des études implique la non reconduction du titre de séjour, qui implique l'irrégularité, qui implique l'impossibilité d'avoir un travail ni un logement. On voit comment une seule cause provoque un enchaînement de conséquences. Le roman est conduit de sorte que le lecteur ne puisse esquiver cette question qui se pose avec toujours plus de force au fil des pages : s'il était dans la situation de Polhit, que ferait-il ?
En effet, dans la trappe où il se trouve pris au piège, Polhit tend la main pour que quelqu'un, quel qu'il soit, la saisisse ; si ce n'est pour le tirer vers le sol ferme, au moins pour manifester, par le contact des mains qui se joignent, une chaleur amicale. Céline, elle, ne se contente pas de dire sa sympathie puis de passer son chemin, elle saisit à pleines mains cette main qui crie ''au secours !''.
Céline, c'est une jeune femme française que Polhit a connue sur le banc de la Fac et qui est devenue une amie. Celle-ci lui ouvre la porte de sa maison, pour que le jeune homme ait au moins un toit où dormir, mais elle lui ouvre aussi la porte de son coeur, espérant qu'il va y entrer et que le mariage blanc qu'elle lui propose pour régulariser sa situation va se transformer en mariage d'amour. Eh oui ! Céline est amoureuse et voudrait bien que Cupidon décoche la même flèche dont elle est atteinte dans le coeur du jeune homme. Or ce dernier a déjà une amoureuse au pays, Faty, à la quelle il veut demeurer fidèle.
On découvre en Polhit un jeune homme qui a des principes, qui essaie de vivre honnêtement, qui voudrait être en accord avec ses convictions, ses aspirations. C'est pourquoi il ne se rue pas dans l'ouverture que Céline pratique pour lui dans son coeur. Certes ce n'est pas le cas de tout le monde. Nombreux sont ceux qui : "faisaient la chasse aux âmes languissantes d'amour. La méthode, basée sur la séduction, conduisait à un véritable mariage. Celui-ci aboutissait plus tard à un divorce une fois le sésame de l'administration en poche. (...) La joie de l'ancien sans-papiers traînait parfois un parfum de trahison. Les victimes s'étaient livrées, dévoilant tout leur être au nom de l'amour. Aveuglées, elles sacrifiaient tout au partenaire calculateur. leur investissement pour le bien-être du couple n'avait d'égal que leurs sentiments. Un beau matin, le coup de grâce mettait fin aux projets à long terme." (p. 70)
La conséquence de ces mariages intéressés est que les "prédateurs" ne laissent derrière eux que "haine et rancoeur", et cette haine se retourne en fin de compte contre toutes les personnes en situation irrégulière, dont on se méfie, qu'on accuse de tous les maux, de tous les forfaits... Ce que veut montrer Christian Mambou, c'est que toutes les situations ne se ressemblent pas : les Africains ne viennent pas en Europe, en France en particulier, pour empester l'air qu'on y respire ; au contraire ils viennent là pour avoir un petite bouffée d'oxygène, et si les choses tournent mal, c'est quelquefois, pour ne pas dire souvent contre leur gré. 

L'impossible dialogue ?
Polhit et Céline veulent se tenir la main afin que l'une puisse soutenir l'autre dans l'épreuve que le premier traverse, mais des forces extérieures s'interposent, venant aussi bien de l'entourage de l'Africain que de celui de la Française, comme si les deux cultures ne voulaient pas, ou n'étaient pas encore tout à fait prêtes à se rencontrer vraiment, à faire la paix. L'aboutissement du mariage entre les deux jeunes symboliserait la possible concicliation des deux cultures. C'est peut-être pour cela que, dans leurs romans, les auteurs mettent à mal les unions mixtes : Joseph alias Kala, le héros du truculent roman de Danile Biyaoula, L'Impasse, se séparera d'avec Sabine ; Mireille connaîtra la désillusion dans sa vie de couple avec Ousmane dans le Chant écarlate de la regrettée Mariama Bâ, pour ne citer que ces exemples. Pourtant on est loin de l'enfer vécu par les couples mixtes il y a quelques dizaines d'années. Le roman de Barbara Wood par exemple, African Lady, montre combien l'amour en noir et blanc était impossible à une certaine époque. Aujourd'hui on semble s'accepter, mais la vérité est qu'on se "supporte", on fait semblant, alors qu'on pourrait franchement s'aimer.

Un titre polyphonique
Dès avant d'ouvrir le livre, votre regard est happé par la couverture qui représente un cœur avec, à l'intérieur, un titre de séjour, tous deux déchirés en leur milieu. Plusieurs interprétations à cette illustration au titre sont possibles.
Les cœurs en papier, ce sont ces cœurs que l'on blesse, que l'on déchire sans la moindre amertume, comme si c'était du simple papier, alors qu'il s'agit d'un organe vivant capable d'éprouver de la souffrance ; c'est le déni de l'humanité. Parallèlement, ces cœurs en papier évoquent aussi les cœurs de ceux-là qui ont perdu toute humanité, qui ne savent plus s'émouvoir des situations des autres : ce sont des cœurs secs, sans vie, en papier.
Mais surtout les "cœurs en papier" pointent du doigt cette nouvelle forme d'amour, intéressé, conditionné par l'obtention des papiers. L'illustration dénonce ces histoires d'amour où le cœur n'est plus le lieu privilégié des sentiments, mais plutôt l'autel de la Préfecture.

(Christian Mambou et Liss Kihindou)

L'auteur
Né en 1975, Christian MAMBOU est l'un des plus jeunes auteurs du Congo Brazzaville. Deux "maîtresses" se disputent son coeur : l'écriture et le journalisme.

7 commentaires:

Caroline.K a dit…

Bonjour Liss,

çà a l'air intéressant comme roman. Pour l'instant, j'ai une petite liste de nouvelles conseillées par Gangoueus à commander et lire, si j'arrive au bout, je me lancerais bien...

Par contre, je suis super surprise de voir qu'il a écrit un roman sur l'excision et que le pays imaginaire (apparemment) soit associé au Congo, alors que je n'ai jamais entendu parler d'excision chez nous. En même temps, je ne maitrise pas toutes les coutumes de toutes les ethnies du Congo, mais tout de même, çà me surprend beaucoup que mes connaissances très au courant et curieux des traditions n'en ai jamais parlé. Est ce que çà concernerait une minorité qu'on refuse de voir ? Je m'interroge. Je vais poser la question à un spécialiste pour en avoir le cœur net.

bonne fin de journée

Caro

Liss a dit…

C'est plutôt son deuxième roman qui peut être associé au Congo, car en ce qui concerne l'excision, notre pays, heureusement, n'est pas touché. Tu as raison de t'étonner, je me souviens que certains avaient eu la même réaction que toi, se demandant si l'auteur était bien congolais ou si finalement il y avait des ethnies concernées au Congo.
Bises.

Caroline.K. a dit…

Bonjour/bonsoir Liss,

Heu...l'ami auquel j'en ai parlé m'a rassuré sur ce fait, je suis bien contente de te lire le confirmer. Par contre, il m'a aussi reprocher d'avoir l'esprit un peu étroit en voulant limiter l'espace de création des auteurs congolais au seul Congo, ce qui n'était pas tout à fait ce que je voulais dire non plus, mais c'est vrai qu'en me relisant et en y repensant, il n'a pas eu tort de me faire cette remarque. En même temps, je n'ai pas pu m'empêcher d'être un peu choquée, quand même, je ne me l'explique pas trop le pourquoi, mais bon...
Enfin, au moins on s'est comprise c'est l'essentiel.

Liss a dit…

c'est un réflexe dont nous aurons du mal à nous défaire de penser en premier au pays d'origine de l'auteur lorsqu'on se plonge dans son oeuvre, pourtant, comme dit ton ami, l'artiste est libre, et il circonscrit l'action de ses livres où il veut, ça n'empêche pas qu'on puisse y retrouver quelque chose de ses origines...
Merci de ta visite.

Caroline.K a dit…

Finalement Liss, j'imagine qu'on a tous nos petits réflexes, mais l'essentiel c'est de ne pas s'y arrêter. Je suis revenue sur la couverture et le titre, et je me suis aperçue que j'aimais beaucoup ce titre, elle fait écho en moi quelque part, cette sécheresse du cœur, d'une certaine manière. Qu'est ce qui motive ton choix d'un ouvrage plutôt qu'un autre ?

Liss a dit…

Bonne question ! En fait ça dépend souvent des circonstances, c'est parfois par un cheminement extraordinaire que certains livres atterrissent sur mon bureau. Mais si je me retrouve devant un certain nombre de livres entre lesquels je doive choisir, c'est vrai que le titre, la couverture et la 4e de couverture surtout jouent beaucoup dans mon choix... Comme toi, si le sujet évoqué me touche particulièrement, alors je fonce.
Bises.

Frozen Yogurt Recipes a dit…

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