mardi 8 juin 2010

Une fille du Congo, de Patrick Serge Boutsindi

Voici ce qu'on pourrait appeler un roman de formation ou d'initiation : l'héroïne, Bouesso (ce qui veut dire "la chance"), quitte son village natal pour la capitale, Brazzaville, où diverses expériences se chargent de l'instruire des choses de la vie et de la nature humaine. La jeune fille naïve que nous connaissons au départ devient la maîtresse du mari de sa tante puis d'autres hommes, en particulier des hommes politiques, dont elle fait la connaissance dans le bar où elle a décroché un emploi de serveuse.


(Sur l'illustration de couverture on peut reconnaître le portrait de Rhode Makoumbou)

Lorsque sa tante, après avoir découvert ses relations coupables avec son mari, la chasse de chez elle, il fallut en effet que Bouesso se prenne en mains et subvienne à ses besoins. Elle multiplie les aventures et devient également militante dans un parti politique où elle se voit attribuer des responsabilités. C'est l'occasion pour l'auteur parler de la vie politique du pays. Dans la seconde moitié du roman, le personnage de Bouesso s'efface (bien que ce soit toujours elle la narratrice) pour faire place à l'avènement de la Conférence nationale, aux espoirs et tumultes qu'elle a générés, aux rivalités entre hommes politiques, aux coups bas...

J'ai commencé la lecture de ce roman d'un auteur congolais que je ne connaissais pas jusqu'alors avec beaucoup d'enthousiasme, surtout qu'il nous plongeait tout de suite dans l'univers congolais : us et coutumes, sans oublier la gastronomie et la musique. Tenez :

"Véro portait plusieurs bijoux. Elle brillait comme une momie égyptienne. Elle pratiquait de plus en plus la dépigmentation de la peau, comme la plupart des femmes africaines. Une chose qu'avait dénoncé le musicien Franklin Boukaka, dans une chanson restée célèbre.

Na tango ya bankoko, basi ba zalaki kitoko :

Makiyaj te, nzoto na bango sembe sembe.

Sika oyo, soki Ambi e zangi
Ba komo lokola makayabo e zangi mungwa.

(Du temps de nos ancêtres, les femmes étaient belles
Et ne se maquillaient* pas ; leur peau était douce.
A présent, à court de crème Ambi
Elles ressemblent à du poisson salé sans sel.)"
(Une Fille du Congo, p. 48)

*Je précise que le verbe "se maquiller" doit être pris au sens africain, c'est-à-dire se dépigmenter la peau.

Cela fait plaisir de retrouver les odeurs et les couleurs d'un pays qui nous est cher, mais l'enthousiasme s'amenuise au fil de la lecture. Cela est dû notamment au fait que le récit est linéaire, il n'est pas orchestré de manière à faire rebondir l'intérêt du lecteur. A ce défaut de rebondissement, dans la structure aussi bien que dans l'intrigue, s'ajoute un manque de recherche au niveau du langage. Je veux dire que, sans rechercher l'esthétisme, loin de là, la langue aurait gagné à être plus littéraire. On peut comprendre que Bouesso, une broussarde dont les rêves d'études sont brisés aussitôt arrivée dans la capitale, s'exprime d'une manière triviale, comme une jeune fille de la rue puisque c'est là, finalement, qu'elle fait son éducation. Mais cette trivialité se retrouve également dans la bouche du narrateur externe, ce qui est pour le moins gênant.

Mais bon, je n'aime pas m'attarder sur les insuffisances d'un livre, je préfère revenir aux aspects positifs. Parmi ceux-ci, la volonté de l'auteur de montrer les travers de la société congolaise, les causes qui font que son pays, l'Afrique noire en général, patine :

Au cours d'un rassemblement politique, une jeune fille prend la parole :

"Je me nomme Gisèle Obala, j'ai fait mes études supérieures à Strasbourg, en France. je suis licenciée en anglais. Mais je vends au marché pour subvenir à mes besoins. Parce qu'à chaque fois que je me rends à un entretien d'embauche, le directeur des ressources humaines, voire le patron de l'entreprise, désire d'abord coucher avec moi avant de m'embaucher. Je veux savoir quel rôle votre parti va donner à la femme dans notre pays" (p. 153)


Des amis discutent :

"- Nous les Noirs, on a du mal à trouver des idées en premier. [...]
- Laisse-moi te dire que lorsqu'un Noir veut mettre une bonne idée en pratique, ce sont ses propres compatriotes qui vont être les premiers à s'en moquer. Alors que si cette même idée est avancée par un Blanc, le Nègre obéit et se met à le féliciter. Nous avons encore un sentiment d'infériorité vis-à-vis des Blancs, commenta Pauline.
- Moi j'ajouterai que cela se remarque beaucoup du côté de nos hommes politiques, et moins du peuple. [...]
- L'homme africain, en général ne fait pas un grand effort dans la façon d'analyser les choses. Regarde la conception qu'il a pour mettre des enfants au monde. Pour lui, les enfants devraient à tout prix l'aider financièrement une fois qu'il sera à la retraite. Qu'il deviendra vieux. On ne doit pas prendre un gosse pour un placement financier, comme on le fait avec une banque.( p. 193-194)

Patrick Serge Boutsindi, Une fille du Congo, L'Harmattan, 210 pages, 20 €.

L'auteur a déjà publié plusieurs recueils de nouvelles et deux romans.

17 commentaires:

Obambé a dit…

Adjugé!
Vendu!
J'achète!

Néanmoins, quand je rencontrerai l'auteur, je discuterai avec lui d'un sujet qui me tient à coeur, la chanson qu'il reprend, sauf erreur omission de ma part n'a pas été chantée par feu Franklin Boukaka, je ne me souviens plus hélas! du nom de cet artiste. Une chanson par contre de Boukaka peut être comparée à celle reprise dans le roman de P.S. Boutsindi, c'est "Bomoto" où une certaine Carolina est raillée par le chanteur car depuis le 15 août 1960 elle a radicalement changé de vie, elle que l'indépenda,ce a sorti du "bonyanama" (sauvagerie).
Bon, bonne occasion aussi de réviser mes classiques.

@+, O.G.

Liss a dit…

Cher Obambe,

j'espère que l'auteur fera un tour par ici pour prendre en compte ta remarque et engager la discussion avec toi. Quant à moi je ne suis pas aussi érudite que toi en ce qui concerne la musique congolaise pour vous départager. Comme quoi, moi aussi je dois connaître mes classiques.

Obambé a dit…

Leki na nga,

Merci, pour l'érudition, même si c'est un chapeau trop grand pour ma petite tête pleine de nguriyaka et de ntoba mbori (lol!), je suis passionné il est vrai, et j'enrage de ne pas toujours retrouver le nom de ce chanteur: la chanson, depuis que j'ai lu ta présentation du roman me trotte dans la tête, mais impossible de trouver réponse à ma question!!!!!!!!!!!!
Allez, un peu de Boukaka avec sa chanson:
Nakomi tuna:Mondele akende (Je me demande : le colonisateur s'en est allé)
Lipanda tozuwaka o ya nani e? (Pour qui avons-nous obtenu l'indépendance ?)
Africa e Oh !

Ah e e Africa
Eh e Africa
Eh ! l'Afrique
O Lipanda (Où l'indépendance)

@+, O.G.

K.N. a dit…

Obambé,

La chanson de F. Boukaka dont il est question ce n'est pas plutôt Likambo oyo? Chanson dans laquelle il se moque de celles qu'il appelle Basi mbila( femmes couleur noix de palme, appréciez la métaphore lol)

(...) Mwasi na nga nzoto mbila, mayélé é sila
Bopakoli ya bo pommadi yé éé, kasi liboso (...)


C'est pas très sympa mais bon...lol! Et plus loin
Kala kala, ozalaki kitoko,
yo mwasi ya Congo osili obébi boyé
kala kala mwindo na yo na lulaka
yo mwasi ya Congo okomi ko mbila boyé (...)


K.N.

Obambé a dit…

K.N.,

Autant pour moi, je me suis emmêlé effectivement les pinceaux car dans les deux chansons il stigmatise la gent féminine, et dans "Bomoto", c'est une femme particulièrement qui est visée, alors que dans celle que tu cites, elles sont un bon paquet à être renvoyées dans leurs cordes...
Bon, la balle de l'érudition, comme le lipato, va "dormir" dans le camp de K.N.

@+, Obambé G

K.N. a dit…

Érudition? Cette charge est trop lourde pour mes pauvres épaules! Ah non, ce lipato ne dormira pas chez moi: K.N. cherche désespérément quelqu'un à qui refiler le lipato avant ce soir minuit (rires).

K.N.

Liss a dit…

Ce que je vais faire, c'est aller dare-dare à Château-Rouge fouiller dans les boutiques, il y en a bien une où je pourrai dénicher un album du Grang Franklin.
Merci pour ton éclairage K.N.

Ya Obambé, tu as trouvé quelqu'un pour te donner la répartie.

Bonne nuit à tous deux, avec ou sans lipato.

Obambé a dit…

Liss,

K.N. est un puits de culture. Le jour où elle écrira ses méoires, nous n'en serons que plus riches en connaissances...

@+, O.G.

Liss a dit…

J'avais compris que c'était une personne de ta connaissance, et on sent qu'il fait bon la fréquenter car on apprend à ses côtés, sa modestie ne réussit pas à dissimuler ce "puits" qu'elle est.

Grâce à toi, le titre "Ah e e Africa, Eh e Africa, O Lipanda" passe et repasse dans ma tête. Il faut vraiment que je suive tes conseils et aille fouiller à Château-rouge.

Obambé a dit…

Ma soeur,

Modeste pourrait être un bon prénom pour K.N., je pense.

Je vais faire un hors sujet si cela ne t'ennuie pas: as-tu lu le dernier bébé de Patrick Besson (Mais le fleuve tuera l'homme blanc, Fayard)? Si oui, qu'en penses-tu? Si non, ben on en reparlera si tu le lis un jour. Ton avis éclairé et avisé me serait d'un grand secours.

@+, O.G.

K.N. a dit…

Dis donc, vous deux, laissez moi pour moi lol. Obambé, tu me parles d'écrire mes mémoires, mais que veux tu je mette dedans hein? Les mémoires c'est pour les gens qui ont des choses à dire.

Ce fleuve qui tuera l'homme blanc, ça donne quoi?

K.N.

kinzy a dit…

Hi,
Une fille du Congo,
ressemble t-elle à la majorité des filles du Congo ?

Bô week end Sista

Liss a dit…

Le dernier Besson, je ne connais pas, ni le premier d'ailleurs. Je suis souvent en retard en ce qui concerne les auteurs Français contemporains. Par contre, si tu as lu, toi, tu pourrais nous en toucher un mot. K.N., nous attendons.

Hi Kinzy,
Bon WE à toi aussi.

Obambé a dit…

Salut ma soeur,

Je reviens sur ce roman (en quelques lignes, je n'ai pas le talent de critique) pour en dire quelques mots dès que le temps me le permet.

@+, O.G.

Liss a dit…

OK Grand-frère,

ta réponse m'a fait me relire, et je vois qu'il y a un couac, je voulais dire : K.N. et moi, nous attendons, mais je pense que tu avais compris.

Obambé a dit…

Bonjour la famille,

Je vais prendre un tout petit peu de temps pour vous donner mes impressions sur le dernier bébé de P. BESSON. Au risque de me tromper, je pense que ce roman n’est pas vraiment destiné aux Congolais, à moins que les Congolais qui le lisent aient envie de savoir ce que pensent ces Occidentaux (pas mal de personnages dans ce roman) du petit Congo en particulier et un tantinet aussi de l’Afrique. Personnellement, je ne me suis pas ennuyé, malgré les reproches que je pourrais faire à l’auteur (certains faits historiques du Congo sont mal restitués). Le plus plaisant pour moi, c’est cette impression d’être (re)plongé dans ma ville natale, avec les noms des quartiers et arrondissements qui sont cités. Il y a ces flash-backs que j’apprécie : entre l’année 1987 (année d’un congrès où l’apartheid est cloué au pilori au Congo par diverses sommités venues d’un peu partout, et l’un des personnages qui ressemble de très près à Patrick Besson himself, hum !) et les années 2000 et des poussières où se déroule l’essentiel de l’œuvre.
Les personnages sont aussi attachants les uns que les autres, drôles parfois dans leurs réflexions (surtout les Européens quand ils se mettent à faire des réflexions et à tirer des conclusions sur nous, nos mœurs, nos habitudes), mais parfois aussi pathétiques avec des conclusions hâtives du genre L’oubli est bantou (page 204, paragraphe 1). C’est une sorte de roman policier dans lequel il faut beaucoup de patience pour pénétrer le sujet. Mais ce pavé de 484 pages se laisse lire, malgré les moments de colère du lecteur que je suis, défenseur acharné de l’Afrique contre les préjugés.
Donc, les personnages (il y en a plein, je n’en cite que peu) : une ex-agent secrète française, âgée, qui a eu une seule fille dans sa vie (sans le moindre père), fille morte d’ailleurs qui traverse souvent ce roman (Cordélia). Elle est recrutée par les Hommes de Paul Kagamé pour tuer un extrémiste hutu. Mais elle doit aussi abattre un Français comme elle, arrivé comme elle au Congo. Ce dernier, bien plus jeune (la 40aine) se fait passer pour un avocat spécialisé dans les Fonds vautours. Il fait la connaissance dans notre ville-capitale de Tessy, jeune étudiante qui, lors des tristes événements de décembre 1998 avait été violée 13 fois par 13 cobras, à l’âge de 13 ans. Sa mère sera tuée lors des ces événements. Elle a deux petits enfants, mais elle tient à finir ses études. Bon, je n’en dirais pas plus car les commentaires dans les blogs de Google sont assez limités en espace.
@+, O.G.

Liss a dit…

Merci Obambé d'être revenu sur le sujet et d'avoir étanché notre soif d'en savoir plus sur ce Besson. Mitigé, ton billet : d'une part j'ai envie de lire le roman, de voir comment l'auteur parle du pays, d'autre part les petites réserves que tu émets ne me laissent pas insensible. L'histoire semble intéressante, encore un titre à rajouter à ma liste. Merci pour la découverte !