mercredi 18 août 2010

Votre message n'a pas été envoyé, de Joss Doszen

Votre message n'a pas été envoyé est le troisième roman de Joss Doszen, que j'ai eu la chance de rencontrer au cinquantenaire de l'indépendance du Congo, vendredi dernier (je vous en dirai un mot prochainement). Je lui avais en effet transmis l'invitation, espérant que nos compatriotes allaient se jeter sur ses livres en voyant un auteur de leur temps en face d'eux, n'attendant que de leur faire découvrir son univers. Un univers dont vous pouvez vous faire une idée en allant farfouiller sur ses différents espaces. Vous y prenez tout de suite la température de la plume de l'auteur, faite d'humour et de bonne humeur. Je vous invite notamment à visiter l'espace loumeto, où l'auteur publie régulièrement ses billets, depuis plusieurs années.


Le gars, aussi haut perché que l'est son verbe, se livre sans détours dans ce troisième ouvrage. Disons plutôt que le personnage principal, la quarantaine, livre ses pensées sans qu'aucune bride ne vienne retenir son langage. Il le fait en toute quiétude car les différents mails dans lesquels il se livre ainsi, destinés à un amour perdu depuis dix ans, ne sont jamais envoyés mais conservés dans les brouillons. Cela donne l'impression au héros d'avoir une interlocutrice, mais cela ressemble beaucoup plus à un journal intime.

Le mot "intime" vient bien à propos car le narrateur nous entraîne au coeur de sa vie amoureuse, au coeur de ses expériences plutôt, qu'elles soient amoureuses, amicales, professionnelles, religieuses ou autre. Le regret pour celle qu'il a fait fuir malgré lui n'est qu'un prétexte pour déverser tout ce qu'il a sur le coeur. L'humour le dispute à l'ironie dans ses confidences, et si vous avez envie de lire quelque chose de léger ou d'amusant en apparence mais qui tâte les maux de notre société actuelle, avec ses contradictions, vous avez de quoi passer un bon moment de lecture avec Votre message n'a pas été envoyé. Franchement j'ai parfois éclaté de rire et j'ai aussi retrouvé des problématiques qui ont également mobilisé mon esprit.

Le langage est oral, imagé, j'ai en particulier bien aimé les comparaisons, elles foisonnent. Ce roman est aussi, en quelque sorte, un hommage aux langues.
Bon, si vous n'êtes pas convaincu, voici quelques extraits :


"Pourtant je crois que comme avec l'obésité, les hommes veulent que vos sentiments entrent dans des compartiments minuscules conçus pour des nains maigrichons. Tours de taille plus large, passions inextinguibles, jambes longues, tendresse en débordement ; mêmes combats.
On en revient toujours au même principe. Ne pas sortir de la norme du moment. Correspondre à la boîte dans laquelle les autres voudraient vous mettre. C'est comme ça en permanence. Les gens n'aiment pas êtres surpris, alors on doit être ce qu'ils pensent que l'on est. Et on passe comme ça les uns à côté des autres sans se connaître vraiment."

[Votre message n'a pas été envoyé, p. 42-43]



"Dans tous les pays occidentaux où ce genre de débat a surgi il y a une constance ; les gens veulent choisir et imposer leur seule vue de l'histoire comme étant celle méritant de figurer aux panthéons nationaux.
Ils veulent nous faire bouffer du Louis XIV, du Christophe Colomb, du docteur Livingston, du capitaine Cortez, etc. La grandeur de l'Europe ne saurait souffrir d'être masquée par la broussaille du temps.
Le problème c'est quand moi j'exhibe ma connaissance historique de l'Europe, il semble toujours apparaître comme un hiatus dans l'amour de l'histoire. Quand je réplique Napoléon l'esclavagiste, Nantes bâti sur le sang des Noirs, Léoplod II massacreur des Congolais, Bob Denard le pantin français faiseur de présidents africains... là, il y a malaise.
Quand je parle de ce pan-là de l'histoire on me reproche inévitablement mon soi-disant désir de victimisation, ma haine de l'Occident et mon communautarisme. On me jette à la figure ma soi-disant accusation - indue évidemment - contre des contempprains auropéens qui ne sont pas responsables des méfaits du passé.
Des cris d'orfraies, des regards accusateurs, c'est tout ce que je reçois quand je mets en avant un passé un poil moins glorieux, une histoire qui ne caresse pas les ego dans le sens du poil. Comme dirait l'autre, individualisation des méfaits et collectivation de la gloire."
[p. 68-69]


Joss Doszen, Votre message n'a pas été envoyé, Auto édition Loumeto, juin 2010, 164 pages.

Pour commander le livre : fnac, librairie Anibwé ou cliquer ici.

Pour en savoir plus sur l'auteur et son oeuvre, une interview chez Gangoueus.
N.B. : Une erreur du graphiste a fait que les exemplaires du premier tirage portent comme titre "Votre Courrier n'a pas été envoyé", au lieu de "Votre message"

7 commentaires:

GANGOUEUS a dit…

Chere Liss,
C'est toujours un plaisir de lire une chronique venant de toi et un atout pour l'auteur. Je reaffirme ce Doszen est talentueux. Et pour une fois, si les blogs peuvent servir a quelque chose c'est de faire echo a ce type d'auteur.

Le clan Boboto que j'ai presente en juin dernier est surement l'un des romans les plus brillants ecrit sur les jeunesses de banlieue.
Bien a toi!

Liss a dit…

Je suis également rentrée avec Le Clan Boboto dans mon sac. Si tu en dis tant de bien, je ne doute pas que je vais y trouver mon plaisir. Votre Message n'a pas été envoyé m'a de toute façons convaincue quant au talent de l'auteur. Merci de nous l'avoir fait découvrir.

Joss a dit…

Merci à vous deux d'avoir pris de votre temps pour lire un illustre anonyme ;-))

Françoise a dit…

C'est un petit livre trop vite lu, très agréable, où l'on sent bien que l'auteur a profité d'un monologue très masculin pour mettre beaucoup de choses qu'il a sur le coeur ! bon, du coup les femmes (la femme !) ne peuvent pas trop se défendre ni se justifier, mais c'est la volonté du texte, c'est aussi ce qui en fait toute son originalité ! j'aime bien cette écriture directe, parfois culottée,toutes ces références argotiques et ces renvois en lingala, heureusement pour moi qu'il y a un lexique ! un petit livre à faire découvrir aux jeunes filles qui ne connaissent pas encore tout de la nature masculine ! J'ai néanmoins préféré "le clan Boboto",plus dense et très abouti, mais Joss gagne vraiment à être plus connu !

Liss a dit…

Lecture rapide et agréable, oui, chère Françoise, ce sont les atouts de ce roman. Et tu as raison, Le Clan Boboto est plus intense, il va plus profond, et attention à ne pas se perdre dans les méandres psychologiques de chacun des membres du clan. J'ai apprécié, j'espère pouvoir publier ma critique d'ici-là.

Marcelle Pengué a dit…

J'ai pris ce livre lors de l'anniversaire des un an des rencontres littéraires.
Je l'ai dévoré en une semaine. J'ai beaucoup aimé, j'ai ri et aussi réfléchi même si je l'ai parfois trouvé "cru" dans ses propos.
On m'a conseillé Le Clan Boboto et j'ai hâte de le lire.
Quoiqu'il en soit chapeau à son auteur. J'ai aimé le concept.

Liss a dit…

Merci de ton message, Marcelle, tu as fais une très bonne acquisition en te procurant Votre Message n'a pas été envoyé et avec Le clan Boboto, tout ce qu'on peut déplorer en lisant Joss, c'est que les éditeurs passent souvent à côté de richesses dont il ne se doute, puisqu'ils misent beaucoup plus sur les auteurs qui font vendre, c'est-à-dire qui sont médiatisés, c'est pourquoi les rencontres "Palabres autour des arts" ont décidé de se charger de cette médiatisation, même si elle n'est pas à une échelle nationale (nous n'avons pas de télé ni de radio, mais c'est déjà ça ! Au plaisir de te compter encore parmi nous la prochaine fois !