lundi 5 septembre 2011

Une "Histoire pressée" pour fêter la rentrée

     Papa, il est prof de français… Oh, pardon : mon père enseigne la langue et la littérature françaises. C’est pas marrant tous les jours ! Je veux dire : parfois, la profession de mon père est pour moi cause de certains désagréments.
     L’autre jour, par exemple. En sciant du bois, je me suis coupé le pouce. Profond ! J’ai couru trouver papa qui lisait dans le salon.
- Papa, papa ! Va vite chercher un pansement, je pisse le sang ! ai-je hurlé en tendant mon doigt blessé.
- Je te prie de bien vouloir t’exprimer correctement, a répondu mon père sans même lever le nez de son livre.
- Très cher père, ai-je corrigé, je me suis entaillé le pouce et le sang s’écoule abondamment de la plaie.
- Voilà un exposé des faits clair et précis, a déclaré papa.
- Mais grouille-toi, ça fait vachement mal ! ai-je lâché, n’y tenant plus.
- Luc, je ne comprends pas ce langage, a répliqué papa, insensible.
- La douleur est intolérable, ai-je traduit, je te serais donc extrêmement reconnaissant de bien m’accorder sans délai les soins nécessaires.
- Ah, voilà qui est mieux, a commenté papa, satisfait. Examinons d’un peu plus près cette égratignure.
     Il a baissé son livre et m’a perçu, grimaçant de douleur et serrant mon pouce sanguinolent.
- Mais t’es cinglé, ou quoi ? a-t-il hurlé, furieux. Veux-tu f… le camp, tu pisses le sang ! Tu as dégueulassé la moquette ! File à la salle de bains et dém…-toi ! Je ne veux pas voir cette boucherie !
- J’ai failli répondre : « Très cher papa, votre façon de parler m’est complètement étrangère. Je vous saurais donc gré de bien vouloir vous exprimer en français. » Mais j’ai préféré ne rien dire.
     De toutes façons, j’avais parfaitement compris. Je suis doué pour les langues, moi.

 
Bernard Friot, « Façons de parler », in Nouvelles Histoires pressées, Editions Milan, première édition 1992.

4 commentaires:

St-Ralph a dit…

Je me souviens de toutes les précautions que mon fils - alors au collège - avait prises pour me faire comprendre qu'un de ses camarades avait employé un terme communément jugé ordurier. Sa démarche m'a fait comprendre qu'il avait conscience qu'il était différent de certains par sa manière de s'exprimer. J'ai trouvé cela très touchant mais aussi inquiétant : comment se faire accepter des autres en restant soi-même quand on est un jeune ?

Liss a dit…

C'est, pour les jeunes, une question difficile à résoudre, et c'est pour ça qu'il y a de plus en plus de "problèmes" à l'école, qui est le lieu par excellence de confrontation des éducations. J'aime bien ce chapitre du recueil de Bernard Friot où chacun des personnages passe de l'un à l'autre niveau de langue.

J'ai eu une pensée pour toi, hier. Je te souhaite une excellente année scolaire!

Caroline.K a dit…

D'une génération à l'autre, c'est un pérpetuel recommencement apparemment. J'imagine que mes enfants parleront une langue différente de la mienne, je n'arrête pas de corriger mes neveux et nièces en gardant en tête que moi aussi, j'ai été corrigée adolescente parce que je rentrais avec des expressions "cool" à la mode et que l'envie d'être dans le groupe est encore plus grande quand on est timide. Et puis aujourd'hui, je me rends compte que je ne sais plus quand j'ai recommencé à parler normalement.

C'est un extrait très théâtral.

Alors j'espère que ta rentrée s'est bien passé et que tu as toujours la fibre et la passion pour l'enseignement.

Tu fais une pause blog en ce moment ou tu ne blogues plus du tout?

Un bon lundi par chez toi

bises

CaroLINE

Liss a dit…

Ma chère Caro,

c'est toujours un plaisir de te lire, tes messages sont toujours remplis de cette chaleur humaine revitalisante et tellement précieuse !
Ne plus bloguer du tout ? Ce n'est pas encore à l'ordre du jour, simplement je n'ai pas eu le temps de bloguer, cela fait un bail par exemple que je ne suis pas allée te rendre visite. J'espère me remettre un peu dans le bain très prochainement, c'est-à-dire dans quelques jours : vive les vacances !
C'est gentil de prendre de mes nouvelles.
Bonne fin de semaine à toi. Bises.