Miguel vient d'avoir quarante et un ans. Il reçoit à cette occasion divers témoignages d'affection de ses proches, certains très inattendus. C'est cette soirée d'anniversaire que Miguel Juan Manuel, Français d'origine espagnole, raconte. Naturellement, il en arrive à se scruter, à faire des observations, sur sa vie, sur son travail, sur les autres, offrant au lecteur des gros plans sur ces autres qu'il fréquente et qui constituent son entourage, proche ou plus ou moins lointain. Mais ces observations sur les autres ne sont que divers chemins qui le conduisent à un rond-point : lui. Parler des autres est une manière de s'interroger sur soi-même : ses atouts, ses défauts, sa manière de voir le monde.
Le monde apparaît dans Remington comme un lieu où on se définit de plus en plus par rapport à sa sexualité. Dans ce roman les questions d'appartenance à telle ou telle autre population (noire, blanche, etc.) ou de clivage entre les hommes et les femmes ont très peu d'importance, ils sont en arrière-plan, tandis que domine, en premier plan, celle de la sexualité, qui devient comme LE critère d'identité des personnages : homo ou hétéro ?
Le récit principal (le déroulement de la soirée d'anniversaire) comporte de nombreuses parenthèses (des fenêtres sur la vie, les aventures vécues par les personnages dont parle Miguel ou avec lesquels il est en pleine conversation).
Le texte narratif est toujours aussi fantaisiste que dans les précédents romans de l'auteur que j'ai lus : La Géométrie des variables et Mood Indigo. Par "fantaisiste", je veux simplement parler de la manière dont il est découpé : des chapitres extrêmement courts, parfois de quelques lignes seulement. Chacun d'eux porte le titre d'une chanson. Il faut dire que Miguel s'y connaît en musique, en particulier en musique rock, puisqu'il est critique rock. Il travaille pour le magazine "Remington", qui donne son titre au roman.
La région parisienne est le cadre du récit et, à son exemple, les personnages, les employés du "Remington" sont cosmopolites : leurs origines sont à chercher ailleurs qu'en France : Espagne, Argentine, Sénégal etc. Mais ils sont majoritairement Blancs. Le narrateur, en particulier, se distingue par le fait qu'il est Espagnol. Donc on ne se trouve pas dans un univers africain, mais complètement occidental.
Les réflexions de Miguel sur sa profession (la critique) interrogent le statut de critique aujourd'hui : les professionnels n'ont plus l'entière confiance du public, et ce n'est pas sans raison, puisque leurs papiers ne sont pas toujours rédigés dans un esprit totalement professionnel :
"Quand on est journaliste, on a tôt fait de prendre de mauvaises habitudes, tout vous est donné, tout vous est dû, et on devient ingrat : on troque les services de presse, les plus généreux les donnent, ce qui leur crée des obligés, mais le plus souvent, on les vend - il faut avouer que c'est une profession mal payée, on ne peut gagner sa vie honnêtement en étant journaliste, sans les attachés de presse je n'aurais pas de repas chauds [...].
Un mauvais papier et ce sont des semaines d'apports caloriques qui foutent le camp ! Et de surcroît, on vous menace ; entre les musiciens et les fans cela en fait du monde ! Alors on met un mouchoir, on passe sous silence, et là c'est encore pire : il n'y a pas plus susceptible que les artistes, même s'ils n'aiment pas ce que vous écrivez, ils le préféreront toujours à leurs thuriféraires ! Allez savoir pourquoi, ils veulent tout : le succès public et critique."
" (page 309)
Autre extrait :
"Aujourd'hui on se passe allégrement des commentaires des commentateurs, des analyses des analystes, des critiques des critiques, on se fait sa propre opinion dans les blogs ou dans les courriers des lecteurs, c'est-à-dire auprès de gens dont ce n'est pas le métier, pour être clair : auprès de gens qu'on ne peut pas suspecter de collusion..."
(page 225)
Evidemment, ces réflexions pourraient être étendues à la littérature, à l'art en général, même si le narrateur parle de musique à la base. Le roman est d'ailleurs introduit par une dédicace renvoyant à la critique, une citation de Fritz Lang, une boutade propre à lancer le débat : "Bien souvent les critiques sont plus inventifs que les créateurs eux-mêmes."
La lecture de ce roman m'a fait repenser aux Noires Blessures de Dalembert, en ce que les blessures de l'enfance, ou les rapports que nous entretenons avec nos parents déterminent, pour beaucoup, notre devenir. Certaines thématiques m'ont également rappelé ma dernière lecture, Le monde selon Garp, par exemple le sujet du suicide comme gage de célébrité pour les artistes.
Mamadou Mahmoud N'Dongo, Remington, Gallimard, collection Continents noirs, 2012.
Lire aussi les critiques de mes amis Hervé Ferrand et de Gangouéus.
5 commentaires:
Bonjour Liss,
C'est drôle que tu parles de la critique de Gangoueus parce que je suis passée sur son blog le même jour que pour mon premier passage chez toi et justement il était question de ce roman. Et figures toi que tu viens de me redonner le titre que je cherchais pendant je commentais son article.
En effet, je lui disais qu'on m'a offert Mood Indigo et que je viens juste de le commencer, Mamadou a un style particulier qui ne me déplait pas, les chapitres sont courts, je n'en suis qu'au début, mais je sens que grâce à mes trajets en bus, je vais vite le finir.
Le pitch de Remington ne me donne pas spécialement envie de le lire, je vais voir si l'interview que j'ai téléchargé chez Gangoueus me tentera plus.
Par contre, je n'arrive pas à savoir si tu as aimé ou pas ce livre ?
CaroLINE
Disons que j'ai été sensible aux réflexions du personnage narrateur, qui a le sens de la formule. Nombreux de ses propos sont comme des citations, j'en ai partagé quelques unes sur FB. Et puis il y en qui rejoignent mes propres interrogations, par exemple sur le sens des mots, qu'on n'utilise plus avec précision, il y a une certaine frilosité aujourd'hui alors que les mots ont chacun leur poids.
Mais des trois livres de l'auteur que j'ai lus, je crois que mon préféré c'est le premier : "La Géométrie des variables". Tu me diras ce que tu penses de Mood Indigo, que j'ai chroniqué aussi.
Bonsoir,
J’ai connu Mamadou Mahmoud Ndongo lors d’une édition du Salon du livre de Paris. C’est le bloggueur Gangoueus qui me l’avait présenté. J’en avais déjà entendu parler mais je ne l’avais jamais lu.
Le 1e livre que j’ai lu de lui est « La géométrie des variables » (Gallimard, Continents Noirs).
J’ai lu et j’ai apprécié : Gangoueus avait raison, c’est un bon livre.
Et là, la présentation que Liss nous fait de « Remington » donne aussi envie de se jeter dessus. Ah ! les « Français d’origine (…) », comme ils en ont des histoires.
Tenez, je m’arrête ici : « Mais ces observations sur les autres ne sont que divers chemins qui le conduisent à un rond-point : lui. Parler des autres est une manière de s'interroger sur soi-même : ses atouts, ses défauts, sa manière de voir le monde. » Hé ! oui….
@+, O.G.
Grand-frère,
j'ai le sentiment que le salon du livre de Paris est un événement que tu attends toujours avec impatience car tu y vis de belles histoires d'amour... avec les littératures et les auteurs qui les représentent !
Oui, chère soeur!
Quand cette période pointe son nez, je coche déjà les dates et évite les mariages, baptêmes et autres anniversaires organisées à ce moment, sauf si je n'ai vraiment pas le choix...
@+, O.G.
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