lundi 28 novembre 2011

De Sacha à Macha, de Rachel Hausfater et Yaël Hassan

Après avoir passé la semaine dernière à faire l'apologie de l'épistolaire sur facebook, disant notamment que les courriels, les SMS et autres chats n'égaleront jamais en émotion, en beauté et en pureté la bonne vieille lettre papier, cela peut sembler un peu curieux que je vienne vous parler du bien que m'a fait la lecture d'un roman entièrement constitué d'échanges... électroniques.


Vous auriez espéré que je vous parle des Liaisons dangereuses de Laclos ? Une autre fois, peut-être. Pour l'instant je suis bien ancrée au XXIe siècle. En effet, on ne peut se voiler la face : les courriers que les amis, les connaissances s'envoient aujourd'hui se font presque exclusivement par le biais d'Internet. La poste ne sert plus que pour des envois de nature administrative, ou pour des cartes postales, lorsqu'on est loin des siens, mais là également le virtuel a pris le pas sur le réel, de nombreux sites proposant des cartes postales électroniques. Mon ami Cunctator a fait (ci-dessous) une mise au point intéressante sur les divers moyens de communiquer aujourd'hui, je n'y reviens donc pas.

Je dis simplement que Internet a des aspects pratiques non négligeables : la rapidité, le fait de ne pas avoir besoin de se déplacer, de faire la queue pour acheter un timbre etc... Cependant le courriel perd-il totalement en émotion, en chaleur ? En lisant ce court roman écrit à quatre mains, on retrouve le plaisir de la correspondance, sa vivacité, mais aussi le voile et le dévoilement qui caractérisent la communication par l'écrit.




Sacha est un adolescent plutôt solitaire. Il est en classe de troisième et vit avec son père. Il décide d'envoyer des mails à des destinaires inconnus, des filles au prénom à consonnance russe. Il a ses raisons. Il essaie des pseudo comme "Natacha", puis "Anouchka", avec le message suivant : "Il y a quelqu'un ?" Mais les mails lui reviennent : les adresses sont invalides. Il essaie avec Macha. Là, contre toute attente, il obtient une réponse : 
"Bien sûr qu'il y a quelqu'un, puisque je suis là, moi ! Quelqu'un ou plutôt quelqu'une. Ou même ni quelqu'un ni quelqu'une mais moi, Macha..."

C'est ainsi que commence la relation épistolaire entre ces deux adolescents, car la jeune fille, Macha, est à peu près du même âge que Sacha, elle est en quatrième. Les deux correspondants, ainsi que le lecteur, apprennent des éléments l'un sur l'autre mail après mail. Ils s'accordent pour ne pas se livrer en "en vrac", préférant se deviner, approcher la vérité à tâtons :

"Je suis d'accord pour avancer à tout petits pas, à tout petits mots. ça ferait trop peur, sinon. Et puis quand on dit tout, on ne dit souvent rien. Parce qu'il y a des choses qu'on ne peut pas dire d'un coup, et ce sont justement celles-là qui sont importantes. Et vraiment vraies."
(page 20)
C'est ce que déclare Sacha à Macha. Et celle-ci comprendra, au fil des jours et des échanges, qu'il y a un sujet que celui se refuse à aborder. Elle comprendra qu'un drame a dû se produire qui explique le comportement de son correspondant.

Humour, profondeur, humanité, sincérité... Rachel Hausfater-Douieb et Yaël Hassan ont toutes deux mis dans leur livre les ingrédients qui feront que vous trouverez celui-ci captivant, même si vous n'êtes plus ado.

Rachel Hausfater-Douieb et Yaël Hassan, De Sacha à Macha, Flammarion jeunesse, 160 pages, première édition : 2001.

samedi 26 novembre 2011

Une belle réflexion de Cunctator sur l'épistolaire

Pour la correspondance épistolaire
Etouffée, ringardisée, méprisée depuis l’essor des nouveaux moyens de communication, cette forme d’échange jadis nécessaire et noble, qui ne résiste encore que dans sa forme administrative (la plus sèche, la plus rugueuse et la moins brillante de ses formes), ne mérite pas le sort qu’on lui fait aujourd’hui, traitée comme une relique d’une époque dont les progrès impressionnants que constituent l’internet, les sms, les tweets, les chats nous donnent l’impression qu’elle avait cours plusieurs millénaires avant notre ère. On ne la voit plus employée que par ces personnes-musées qui pour aucun progrès n’abandonneraient cette forme si belle de communication et d’expression.
Pour être plus efficaces en ce qu’ils garantissent la rapidité, la spontanéité et même la simultanéité des échanges, les nouvelles formes de correspondances, parce qu’elles ne favorisent pas la libre disposition de notre temps, ne permettent pas de poser son esprit, de choisir les moyens, les figures et les images que l’on souhaite communiquer. Le téléphone, les sms et les chats sont le domaine de la spontanéité, ils ne se prêtent pas aux évocations subtiles qu’au premier abord on dirait inutiles, mais qui pourtant font la beauté de l’échange épistolaire. En effet une lettre permet de raconter et de se raconter, car écrire c’est toujours faire passer un peu de soi. A travers le stylo ou le crayon, la pensée que nous sommes allés puiser au fond de notre notre être se coule dans la geste scripturale qui seule transforme la lettre en une sorte d’œuvre du fait de l’originalité qu’elle lui confère. En parlant de sa journée on pourra évoquer l’actualité, le temps qu’il fait au moment où l’on écrit, le lieu où l’on se trouve, les bruits qu’on entend, bref, les impressions que fait sur nous notre environnement. Pour ceux qui apprécient la retraite que propose un banc dans un bois tapissé de feuilles d’automnes, traversé par un ruisseau rocailleux et si clair qu’on peut y voir les poissons se conter fleurette, une lettre écrite depuis cet endroit qui invite au lyrisme sera fortement marquée par l’épanchement de l’âme de l’émetteur. On pourra même évoquer des souvenirs, partagés ou pas, que ravivent la vue de tel ou tel chose. Cette communication n’est pas simple émission et réception avec un interlocuteur, mais elle est aussi introduction de l’autre dans notre intérieur. Intérieur qui sera traduit par des phrases que seul sait constituer le style, c'est-à-dire la personnalité propre de l’émetteur. C’est pour cela qu’il n’y a pas deux lettres d’auteurs différents qui se ressemblent.

Les lettres ont encore ceci de bénéfique qu’elles facilitent l’épanchement. L’âme, il est vrai, entend plus facilement le langage de la musique que la parole et se livre plus facilement au moyen de l’écrit que par le discours. Une conversation, aussi élevée soit-elle, ne prend jamais le tour qu’aurait pu lui donner l’écrit, ainsi la correspondance mémorable de ceux à qui leur génie particulier octroyait le don d’écrire. On met tellement de soi dans une correspondance épistolaire que cette dernière devient une trace que nous laissons. La correspondance des grands hommes et femmes n’est-elle pas un outil d’analyse précieux de leurs personnes, de leurs actions et de leurs œuvres ? En écrivant à un ami on lui parle de ses idéaux sociaux, politiques, philosophiques. On lui parle de ses goûts, de la vision que l’on a de tout ce à quoi nous touchons. La correspondance épistolaire favorise donc l’intimité, c’est pourquoi quelques personnes seulement ont le privilège d’échanger des lettres avec une autre. Elle est en effet le privilège des esprits amis ; elle est un moyen d’entrer dans leur profondeur sans passer par le pont de la fréquentation réelle.



Royaume du temps apprivoisé, les lettres permettent de se mettre à l’ouvrage et d’arrêter quand on ne sait plus quoi dire pour revenir une fois l’inspiration de retour, tandis que le téléphone, les sms et tous ce qui leurs ressemblent, marqués par la rapidité, la brièveté, l’économie, nous font l’impression d’un temps fugace et non maitrisé : on passe vite, on évite les détails et surtout on adopte un langage synthétique et elliptique. Que des informations diluées au maximum, la tendance étance au light et au fast. Il est compréhensible qu’à une époque où la priorité est donnée à la course au temps que d’ailleurs on utilise mal, que peu nombreux soient ceux qui veulent se prêter à un exercice qu’on ne réussit pas sans patience. Coucher des mots, eux-mêmes ne se donnant pas sans effort à la pensée, les choisir les assembler selon l’effet que l’on veut produire ne convient pas aux amoureux des résultats immédiats.


Outre le fait que la lettre permet d’user de son temps à loisir afin d’affiner l’ouvrage et de le rendre plus beau, comme pour une œuvre d’art, bien que dans une moindre mesure, écrire une lettre c’est aussi un acte solennel. Les lettres fussent-elles d’enfants, de méchants scriptes ou de personnes peu éduquées sont rarement lues sans cette sorte de cérémonial auquel s’adonne la personne qui la reçoit. Souvenez vous des lettres de vos parents lorsque vous en étiez éloignés, des lettres de votre amour ; de quelles précautions vous entouriez vous avant de les lire ? Comme tout art, l’art épistolaire amplifie ce que nous négligeons peut-être au quotidien. Les émotions transmises, parce qu’on peut les entendre raisonner et parce qu’elles nous parviennent à un moment particulier, ce moment ainsi que la phrase chargée de ces émotions que nous percevons à la lecture, nous ne les oublierons jamais, ils sont grossis et acquièrent une solennité et une gravité autres. Il suffit que nous soyons traversés par je ne sais quelle humeur pour rouvrir cette lettre chérie, relire et relire le passage qui nous a marqué.

Cunctator.

Vous pouvez également lire l'article de Cunctator ici.

samedi 12 novembre 2011

Trois femmes puissantes, de Marie Ndiaye

Alors que les prix littéraires pour l'année 2011 viennent d'être décernés, promesses de lectures qui devraient ravir le lecteur, j'en suis encore, moi, à tenir les promesses que je m'étais faites il y a un bon bout de temps. Parmi elles, celle de revenir vers Marie Ndiaye, en lisant notamment Trois femmes puissantes, couronné par le prix Goncourt, en 2009. J'espérais que ce serait l'occasion de tisser un lien réel avec cette auteure, car nos relations avaient commencé par un désagréable malentendu.

En effet, il y a une bonne dizaine d'années, sachant que le nom de Marie Ndiaye se distinguait dans le paysage littéraire français, je m'étais approchée d'elle en empruntant, au hasard, un de ses livres à la bibliothèque. Je ne saurais dire lequel, le titre s'étant complètement effacé de ma mémoire. Ne m'est resté que le sentiment d'une déception, liée sans doute au fait que je m'attendais à quelque chose... qui ne s'est pas révélé à moi. Je me suis comme retrouvée en pays inconnu, alors que le propre d'un livre qu'on va aimer, auquel on s'attache, est de procurer une sensation de familiarité, de reconnaissance, indépendamment du fait que les lieux, les situations évoqués vous soient familiers ou non. Il y a une certaine complicité qui se noue dès le départ.

Malheureusement, dans ce livre, Marie Ndiaye est demeurée très loin de la rive où nous devions nous rejoindre, ou bien est-ce plutôt moi qui ne me suis pas suffisamment avancée. C'est bien probable puisque je n'ai pas terminé le livre, le rapportant à la bibliothèque en même temps que mon esprit gommait ce nom de mes priorités de lecture. Le prix Goncourt a fait naître un regain d'intérêt, d'autant plus que des amis blogueurs, notamment Gangoueus et Anne, ont consacré aux Trois femmes puissantes un article qui m'incitait vivement à le lire. Et j'ai été comblée.




Ce qui frappe avant tout dans ce roman, c'est bel et bien la "puissance". Puissance de la narration d'abord, et en cela Marie Ndiaye m'est apparue comme une "femme puissante", orchestrant les trois récits qui composent son roman de telle manière que chacun d'eux se distingue par sa singularité, en même temps que se dégage de tous une atmosphère similaire : une tranquille assurance au milieu d'un environnement qui pourrait paraître désarçonnant pour les personnages féminins ; une douce inquiétude pour les personnages masculins, alors même qu'ils apparissaient de l'extérieur comme étant en position de force. C'est la misère, ou plutôt la désolation derrière la force apparente et, inversement, la force sous des dehors fragiles.

Les trajectoires, les intrigues sont différentes dans les récits mais des liens ténus et en même temps ostensibles jettent des ponts entre eux.

Tout d'abord il y a le pont entre l'Afrique et l'Europe. Dans le premier récit, une jeune femme métisse, Norah, répond à l'appel pressant de son père à aller lui rendre visite chez lui, au Sénégal. Avant de quitter la France où il avait avait séjourné, se liant à une française et obtenant d'elle trois enfants, dont Norah, il réussit à emmener avec lui le seul fils qu'il aura jamais, l'enlevant à sa mère. Dans le second, c'est un Français qui cette fois pense enlever sa femme africaine, à la misère de sa condition, une misère qui semble pourtant bien préférable à celle qu'il lui impose en France. Dans le dernier, la ferme volonté de gagner l'Europe où l'on espère une vie meilleure occasionne beaucoup de malheurs, même si quelques uns, comme Lamine, parviennent à donner corps à ce rêve, mais à quel prix ? 

Il y a aussi la place de l'enfant au sein du couple, enfant dont on peut se servir pour assouvir ses desseins ou qui échappe souvent aux préoccupations strictement liées au bien-être de l'enfant. Dans le dernier texte, c'est plutôt l'absence d'enfant qui constitue le point de départ de l'enfermement du personnage dans un univers qui la protège de la violence de la réalité.

Le couple suscite des interrogations dans ces récits. Dans chacune des relations conjugales, même celle qui n'aura pas connu de dégradation, les conjoints semblent appartenir chacun à un monde bien distinct de celui de l'autre, même s'ils partagent la même maison...

Le lien le plus caractéristique est cependant, à mon sens, celui lié à la présence animale dans ces trois récits.  La comparaison animale est même au coeur de la narration, mais elle revêt une dimension plus profonde, elle touche à une sorte de mysticisme, si bien que, derrière la langue toute classique de Marie Ndiaye, à l'intérieur de son texte tout ce qu'il y a de plus français, se révèle une essence purement africaine. Mais c'est une essence qui se devine plus qu'elle ne crève aux yeux du lecteur : le père de Norah regagnant son perchoir, un grand flamboyant, tous les soirs, comme le ferait un oiseau nocturne, et rejoint à la fin du récit par sa fille ; la buse suivant Rudy Descas comme si c'était Fanta, sa femme, elle-même ; c'est aussi par une sorte d'incarnation animalière que se termine le dernier récit.

Bref, c'est un roman construit sous le signe de l'ambivalence, une ambivalence que Rudy Descas incarne peut-être le mieux, lui qui renferme beaucoup d'amour, de tendresse à l'intérieur, mais qui se conduit comme une brute avec tout le monde, surtout avec ceux-là même à qui il souhaiterait témoigner son amour.

La différence d'angle de narration participe également de la richesse et de la diversité du roman : alors que le récit épouse le point de vue du personnage féminin dans le premier et le dernier chapitres, c'est à travers le regard de Rudy, époux de Fanta, que l'on perçoit les choses dans le deuxième. Un dernier paragraphe cependant place le lecteur du côté du personnage masculin dans les chapitres I et III.

Bref c'est un roman dense, dont la dimension psychologique saisit d'emblée le lecteur et l'entraîne dans les sinuosités de l'âme humaine. Le roman pourrait être résumé par l'allusion anaphorique qui parcourt le second récit et qui, finalement, pourrait s'appliquer à l'ensemble des personnages :

"Comment s'extraire de ce rêve infini, impitoyable, qui n'était autre que la vie même ?" (p. 162)

A cette question, les personnages féminins, dans le roman,  manifestent plus de ressource intérieure que leurs homologues masculins, d'où leur "puissance". C'est aussi une question qui est adressée au lecteur.


mardi 1 novembre 2011

Le Sceau de l'Ange, de Willy Mouele

Peut-on avoir échappé plusieurs fois à la mort et ne pas penser qu'un "ange" veille sur nous ? Peut-on avoir emprunté le tunnel des horreurs, en être sorti, et se taire ? A ces questions, Willy Mouele, que l'on appelle aussi Zekid, répond : "Non !" C'est un "non" bien catégorique, un "non" impérieux qu'il voudrait faire entendre à tous, d'où la publication du Sceau de l'Ange, aux Editions The Book Edition.  Ce "non" a une double signification : il exprime également la volonté de l'auteur de ne plus voir son pays sombrer dans la guerre.




Le texte se présente comme une autobiographie. Willy Mouele y retrace son parcours, celui qui l'a conduit à quitter Brazzaville par tous les moyens, puisque la menace de la mort l'a recouverte d'un manteau rouge sang. Brazzaville, qualifiée autrefois de "la verte", prend en 1997 et en 1998, le visage d'un masque mortuaire grimaçant pour peu qu'on appartienne à telle ou telle autre région du Congo. Au départ, il s'agit simplement de changer de quartier, mais très vite on se rend compte qu'il faut partir vraiment. Un long voyage commence alors, qui va conduire le narrateur à travers différentes villes du Congo parmi lesquelles Dolisie et Pointe-Noire. Puis il gagne d'autres cieux, accompagné de celle qui prend de plus en plus de place dans sa vie : Darline. C'est d'abord la Côte d'Ivoire qui l'accueille, mais il ne s'arrête pas là. Il parcourt d'autres pays d'Afrique avant d'atterir en France. 

Durant ce périple, les épreuves sont nombreuses, les dangers, surtout celui de la mort, embusqués sournoisement. Mais Willy semble marqué d'un "sceau" : soit un ami le secourt au moment où il s'y attend le moins, soit il pressent à travers des rêves, que l'on pourrait qualifier de "prémonitoires", ce qu'il faut faire. Ces amis providentiels étaient souvent des amis appartenant à la région ou à la tribu adverse. Les tribus ne sont devenues adverses que par la volonté des politiques, mais on peut voir à travers ce livre que les amitiés forgées dans le domaine artistique ont parfois résisté aux épreuves de la guerre. Willy était à la tête d'un mouvement rassemblant de jeunes artistes et à ce titre il était connu et même populaire parmi eux, d'autant plus qu'il avait aidé un certain nombre à sa manière. C'est ainsi que certains le lui rendront bien, comme ce jeune homme, dont il ne se rappelle même plus le nom, ni le visage d'ailleurs, qui, en sa qualité de chef "ninja", l'aidera à passer des barrages où il était certain qu'il y aurait laissé sa vie. Curieusement, c'est lorsqu'il arrive sur le territoire "nibolek", autrement dit là où il est censé se sentir en sécurité, que les choses se gâtent, le sort se rie souvent de nous !

Le Sceau de l'Ange, c'est donc le témoignage de Willy Mouele sur la guerre civile au Congo-Brazzaville, laquelle a poussé de nombreux jeunes gens comme lui à s'installer ailleurs. C'est un texte qui est rythmé par une expression commune : "un ange passa", mais à laquelle l'auteur donne une coloration particulière, en fonction du contexte, et j'ai trouvé cela amusant.  Tenez, par exemple les plus cocasses :

Arrivé en Côte d'Ivoire, la réceptionniste de l'hôtel où Willy descend avec sa compagne n'hésite pas à lui demander la nature de ses relations avec celle-ci, "Sinon, je suis là, hein ! Si vous avez besoin de moi quoi !" déclare-t-elle. Et le récit de se poursuivre ainsi : "Un ange passa, une capote anglaise sur son auréolé" (p. 159). Plus loin, il est encore tenté, mais cette fois d'une manière vraiment provocatrice, par Kody, la meilleure amie sa compagne, Darline, qui se trouve au Sénégal pour quelques temps. Kody s'offre dans son plus simple appareil : "Sans prendre la peine de se couvrir, Kody ferma les yeux, me laissant seul avec ma conscience. Un ange passa, l'air de rien, absorbé qu'il était par la lecture du Kâma Sûtra." (p. 243) 

Cet "ange qui passe" fait, d'une manière ludique, le lien avec le titre.

Si vous voulez avoir un bel aperçu de la vie, de l'entourage de l'auteur, dessinateur de talent, créateur de BD, alors lisez Le Sceau de l'Ange. L'auteur crache là sa vérité, même si on aurait souhaité qu'elle se présente sous une meilleur forme, mais quand la priorité est de "dire", cela se fait souvent au détriment de la forme.

Un extrait :

"J'ignore totalement de quoi sera fait demain, c'est vrai. Mais ici j'ai retrouvé, en quelques secondes à peine, cette chose fondamentale que j'avais perdue dans mon pays et qui s'appelle l'Espoir.
Là-bas, l'avenir me semblait gris, obscur. Ici, fort de cette assurance que permet parfois l'inconscience, tous les rêves me sont permis. Nous sommes à Abidjan, et toute la ville semble s'être jointe à la voix du chauffeur de taxi pour nous souhaiter Akwaba... La bienvenue !" 

(Le Sceau de l'Ange, p. 151)

Willy Mouele, Le Sceau de l'Ange, The Book Edition, Collection Plume au bout des doigts.

lundi 5 septembre 2011

Une "Histoire pressée" pour fêter la rentrée

     Papa, il est prof de français… Oh, pardon : mon père enseigne la langue et la littérature françaises. C’est pas marrant tous les jours ! Je veux dire : parfois, la profession de mon père est pour moi cause de certains désagréments.
     L’autre jour, par exemple. En sciant du bois, je me suis coupé le pouce. Profond ! J’ai couru trouver papa qui lisait dans le salon.
- Papa, papa ! Va vite chercher un pansement, je pisse le sang ! ai-je hurlé en tendant mon doigt blessé.
- Je te prie de bien vouloir t’exprimer correctement, a répondu mon père sans même lever le nez de son livre.
- Très cher père, ai-je corrigé, je me suis entaillé le pouce et le sang s’écoule abondamment de la plaie.
- Voilà un exposé des faits clair et précis, a déclaré papa.
- Mais grouille-toi, ça fait vachement mal ! ai-je lâché, n’y tenant plus.
- Luc, je ne comprends pas ce langage, a répliqué papa, insensible.
- La douleur est intolérable, ai-je traduit, je te serais donc extrêmement reconnaissant de bien m’accorder sans délai les soins nécessaires.
- Ah, voilà qui est mieux, a commenté papa, satisfait. Examinons d’un peu plus près cette égratignure.
     Il a baissé son livre et m’a perçu, grimaçant de douleur et serrant mon pouce sanguinolent.
- Mais t’es cinglé, ou quoi ? a-t-il hurlé, furieux. Veux-tu f… le camp, tu pisses le sang ! Tu as dégueulassé la moquette ! File à la salle de bains et dém…-toi ! Je ne veux pas voir cette boucherie !
- J’ai failli répondre : « Très cher papa, votre façon de parler m’est complètement étrangère. Je vous saurais donc gré de bien vouloir vous exprimer en français. » Mais j’ai préféré ne rien dire.
     De toutes façons, j’avais parfaitement compris. Je suis doué pour les langues, moi.

 
Bernard Friot, « Façons de parler », in Nouvelles Histoires pressées, Editions Milan, première édition 1992.

samedi 27 août 2011

Témoignages sur Philippe Makita

J'avais réussi, à la disparition de Philippe Makita, à recueillir le témoignage de quelques hommes de lettres : Matondo Kubu Ture, Apollinaire Singou Basseha, Jean-Blaise Bilombo Samba et Noël Kodia, qui acceptèrent volontiers de s'exprimer, rendant ainsi un bel hommage à celui qui fut leur ami.


MATONDO KUBU TURE (sociologue et écrivain) :
« Philippe Makita : un écrivain secret »

Ce titre, Philippe ne l’aurait pas aimé. Il aurait critiqué avec bonhomie : il n’était pas un polémiqueur né. Il aurait fait remarquer, en kituba, avec l’accent de Dolisie : « Toi aussi, c’est quelle marque ça, où tu vas toujours chercher tes histoires-là ! »

Si l’expression « écrivain secret » est trop forte, je suis prêt à la remplacer par « écrivain qui travaillait tranquillement et calmement ». Encore que… j’utilise le verbe « travailler » en insistant sur l’idée de s’appliquer intensément à une tâche, tout en prenant le temps de ne laisser transpirer aucune information susceptible d’avertir la galerie… Tiens Philippe est actuellement en train de finir son deuxième roman !

Il donnait toujours l’impression qu’il avait l’éternité devant lui, tout le temps de mûrir les fruits de son écriture. S’il était un affairiste invétéré, comme on en voit sur la place, aujourd’hui , Philippe serait l’écrivain congolais le plus publié. En une année, en 2003, il a publié, tour à tour, une anthologie, un recueil de poèmes, un roman, au grand mutisme des médias.

Il fit paraître son premier recueil de poèmes Les Sandales retournées en 1978, aux Éditions Saint-Germain-des-Prés. Il a fallu attendre près d’un quart de siècle, pour retrouver son nom dans les librairies. En 2003, justement il nous gratifia de la Nouvelle Anthologie de la littérature congolaise en collaboration avec Jean-Baptiste Tati Loutard.

Ses tiroirs sont encore remplis de nouvelles, de romans de pièces de théâtre auxquels il travaillait quotidiennement. Quand je le traitais de maniaco-perfectionniste, il répondait avec son éternel sourire : « Nous ne sommes pas des gens du show-business ; une écriture authentique doit arriver au point où elle respire à jamais la paix et le silence » (je fais l’effort de restituer fidèlement ses mots à lui).

Je ne sais pas s’il faisait lire ses manuscrits à son entourage, peut-être à Sylvain Bemba, à Letembet-Ambily, peut-être à Tati Loutard ou à Maxime N’debeka, à ceux de notre génération, j’en doute. Pourtant c’est souvent avec les gens de sa génération qu’il discutait littérature, la poésie en premier lieu. Il se sentait toujours enfant des poètes, une filiation qu’il n’abandonnait jamais, même quand il écrivait des textes que le monde appelle roman ou nouvelle, tel que Le Pacte des contes (2003)

Il avait un secret : la patience de croire à la beauté, comme un apaisement universel que l’on ne peut obtenir qu’au bout d’une longue corvée intelligente.

« Noue à ton front l’anneau de mon intelligence
Et tends-moi tes sandales
Précède-là à l’Orient et reviens sur tes pas
Alors, la lune se réveillera dans tes bras »
(Les Sandales retournées, 1978)

Écrivain doublé d’un critique littéraire, il adorait parler des œuvres des autres. Il connaissait tout ce que les Congolais et les Congolaises faisaient paraître, gardant la plupart de ses propres écrits dans la tranquillité des tiroirs. Si un jour, tous ses livres étaient publiés, je serai le premier à m’écrier : « Quelle chance d’avoir connu cet écrivain-là ! »


Apollinaire SINGOU-BASSEHA (écrivain et éditeur) :
« Philippe Makita : une mission inachevée »

Il m’est très difficile de témoigner pour un ami avec qui j’ai une longue amitié, un parcours d’écrivain irréprochable, un frère de plume qui, toute sa vie, n’a cessé de se battre pour le rayonnement de la littérature congolaise, un frère « qui bat sur terre le tam-tam fécond/de la force et de la dignité » pour reprendre quelques mots de son recueil Les Sandales retournées. Nul n’ignore qu’en Afrique, le tam-tam annonce toujours une nouvelle. Bonne ou mauvaise.

Lorsque le 27 août 2006, j’apprends la nouvelle de la disparition de Philippe, je suis resté estomaqué : quelques jours auparavant, nous avions mangé ensemble avec Alain Mabanckou, venu à Brazzaville prendre part à la première édition des « Rencontres du livre vivant ». Je me suis dit : « Pourquoi cette fatalité ? Et pourquoi un à un nous, écrivains, quittons cette terre à la pointe des pieds ? En commençant par Tchicaya U Tam’Si, Sony Labou Tansi, Sylvain Bemba, Amélia Nene, Alice Valette, Didier Kounkou-Lareis, Bernard Zoniaba, Serge Bourra dit Ma Kandet, Antoine Letembet-Ambily… »

Par son activité littéraire, Philippe Makita avait, sans conteste, un avenir prometteur. Il publie en 1978 Les Sandales retournées (Éditions Saint-Germain-des-Prés), en 1982, une étude critique intitulée « L’Étrange destin de Wangrin d’Amadou Hampaté Bâ ». Il participe à L’Anthologie des littératures francophones d’Afrique centrale. En 2003, il publie Femme, mon paysage aux Éditions Acoria et un roman Le Pacte des contes aux Éditions La Bruyère. Philippe Makita s’était promis de publier, tous les deux ans, un nouveau livre. Il est dommage que cet « amoureux des belles lettres », cet « individu pluriel » qui constituait « une force et une dignité » de notre horizon littéraire n’ait pas achevé sa mission.

Sa rencontre avec Jean-Baptiste Tati Loutard aura symbolisé un pont jeté entre deux générations, la réactivation d’un enthousiasme, le rappel de la responsabilité pour notre génération de prendre en charge le destin de notre littérature. La preuve ? Leur Nouvelle anthologie de la littérature congolaise, un travail minutieux entrepris par des regards complices et croisés. À ce propos, je me souviens de la réponse de Philippe au cours d’un entretien qu’il m’a accordé le 22 septembre 2003 lors de la présentation de cet ouvrage : « Une anthologie est une œuvre sélective. Ça veut dire qu’il faut absolument faire un choix, il faut faire des sacrifices. Ça n’a pas été facile ».

La disparition de Philippe Makita laisse un grand vide dans les lettres congolaises. Philippe avait encore beaucoup de choses à dire et à faire.

Adieu Philippe, mon ami, mon frère de plume !



Noël KODIA (universitaire, écrivain et critique littéraire) :
« MAKITA, un grand poète »

Philippe Makita a été mon collègue à l'Université de brazzaville. C'est là qu’il m'avait parlé de la publication de son premier recueil de poèmes composé de textes écrits presque au lycée. Nous discutions beaucoup de littérature, surtout du théâtre scolaire. Dans les années 70, il écrivit "Les talons de la souffrance" que présenta la troupe théâtrale du Lycée du Drapeau rouge (actuellement lycée Chaminade), où il enseignait le français, pendant que de mon côté j'écrivis "Les conjurés ou la voix de Lumumba", une pièce de théâtre qui retrace le destin du héros congolais avant sa mort.

Nous nous sommes séparés en 1983 quand je vins en France pour mon troisième cycle. De retour au pays, je le retrouvai comme chercheur à l'INRAP où il occupait la fonction de chef des programmes tout en donnant des cours de littérature à l'Université, parce que titulaire d'une Maîtrise de littérature africaine. Nous avons milité à l'UNEAC* jusqu'à mon départ pour la France.

Makita pour moi est un grand poète de la nouvelle génération, qui s'est donné au roman avec "Le Pacte des contes", un récit qui sort de l'ordinaire et qui trace un autre chemin que jusque-là le roman congolais n'avait jamais emprunté. Après Sony Labou Tansi et Henri Lopes, il est le seul à avoir eu le courage de mettre en cause le romanesque linéaire dans lequel se sont embarqués la majorité de ses confrères. Avec Le Pacte des contes s'est ouverte une autre page du roman congolais qui malheureusement se voit vite fermée par la disparition de son auteur.

*UNEAC : Union nationale des écrivains et artistes congolais.


Jean-Blaise BILOMBO SAMBA (poète) :
« Car les sandales se sont retournées pour longtemps. »

La première somme de poésie de Philippe Makita avait pour titre Sandales retournées ; elle avait été saluée comme un nouveau ton, juste et ouvert dans sa proximité avec autrui. Une voix nouvelle se posait là, urgente et sensible, donc digne.

C’est à mon retour de Dakar, en 1990, que ma compagne, Marie-Léontine Tsibinda, m’a présenté Philippe : il était déjà membre de l’équipe d’expertise de l’Inrap. Bien sûr, il avait déjà publié les Sandales retournées dont Edouard Maunick avait fait un compte-rendu élogieux dans mille soleils à Rfi. De ces deux opportunités, démarre ma relation amicale avec Philippe. Nous mettions à profit toutes les opportunités de rencontre pour parler de notre poésie, le destin de notre parole que nous souhaitions lumineuse. Il parlait d’écrire le Livre solaire, une manière poétique de poursuite d’une espérance infinie inversement proportionnelle de la noirceur de la vie nationale.

En novembre 2003, nous avions, Philippe, Matondo Kubu Ture et moi-même partagé le si peu ordinaire désir d’une « rentrée littéraire » autour de la figure de Tati Loutard. Nous portions alors le rêve ouvert et redoutable de tenter de faire exister à nouveau Brazzaville comme un Orient culturel incontournable, créatif et libre. Nous avions préparé cet événement à son domicile avenue des Trois Martyrs, où sa compagne, grande prêtresse, pourvoyait en arachides, tubercules et autres ignames de Djambala, cette religion de nouveaux allumés littéraires en quêtede sacrements inédits. Philippe avait pu obtenir l’aval de Tati. La Nouvelle anthologie de la littérature Congolaise venait de paraître. Nous étions frappés par la disponibilité du monde à notre endroit : un vendredi et un samedi de novembre 2003, la littérature congolaise s’intégrait dans une espérance oubliée depuis Sony Labou Tansi et Sylvain Bemba.

Toujours en 2003, lorsque, je lui ai confié mon idée de constituer un Bureau (une bibliothèque ?) de liaison des poètes dans notre capitale, il s’est emballé et m’a encouragé de toutes ses forces. Il a été l’un des tous premiers à signer sa fiche d’adhésion. Mais comme toujours, je vais très peu au bout des choses et il n’a cessé me chahuter pour cela.

Habitant une discrétion essentielle, Philippe Makita m’a toujours paru un être secret. Eminemment secret. C’est ainsi qu’installé dans l’attente du Livre solaire dont il m’avait tant parlé, j’ai vu arriver, coup sur coup comme des météores, Femme, mon paysage (poésie, 2003) et Le Pacte des contes (roman, 2004). Sûr qu’il a toujours écrit à la frontière du silence, cherchant à atteindre quelque chose qui le dépasse et nous dépasse, quelque chose qui le rende davantage disponible au monde et à l’autre, mieux à la transcendance même. Sinon comment aurait-il jamais eu l’amour d’initier et la patience de faire aboutir la Nouvelle anthologie de la littérature congolaise ? Dans sa discrétion élective, Philippe a élaboré une nouvelle éthique de la relation littéraire fondée sur un rapport intranquille mais digne et respectueux de l’intimité de l’autre dans sa parole et sa confrontation au Comment vivre cher à Tchicaya.

Insoumis mais serein, tel était Philippe. Pas engagé comme moi, mais habité par la teneur de sa responsabilité civique, celle qui imbibe toute son œuvre. C’est en cela que Femme, mon paysage m’apparaît comme un coup de tonnerre dans un ciel tranquille.

Un jour de l’année 2005, discutant avec lui de ma fascination pour le mythe d’Orphée et me plaignant de l’absence de documentation, quelle ne fût ma surprise de le voir revenir de France, à quelques mois de là, le livre d’Edouard Schuré Les Grands Initiés sous les bras. Il n’avait pas oublié ma quête. Or lui, bien avant moi, interrogeait déjà notre sphère de dialogue avec la nature, le cosmos et l’immanence. C’est bien ce que dit Sylvain Bemba qui, parlant de Philippe, convoque Claudel pour qui « …chaque chose ne subsiste pas pour elle seule, mais dans un rapport infini avec toutes les autres… »

Sylvain avait ouvert le domaine de notre rêve en nous dédiant à tous les deux son troisième roman Le Dernier des cargonautes. Cette élection non sollicitée, nous avait, Philippe et moi, installé dans une manière de binaire qui appelait à rechercher en permanence le troisième terme, celui d’une autonomie fraternelle : l’écriture et le sacré, ebale ya bo moyi, un chemin d’eau et de vie pour pagayer vers le grand large tout simplement…

Nous avions encore tant de choses à faire ! Maintenant que les sandales se sont retournées pour longtemps, Philippe nous manque déjà : sa vigilance, son empathie, sa conceptualité littéraire arrimée à la raison citoyenne. Cependant, sa figure et ses mots porteront toujours la contagion d’un univers à explorer afin de nous connaître davantage et nous rendre compatible avec la paix, la beauté et la joie, somme toute, la démocratie d’être.


Témoignages recueillis avec le concours d’André-Patient BOKIBA, Professeur de Lettres à l’Université de Brazzaville.

Le Pacte des Contes, de Philippe Makita

Voici cinq ans, jour pour jour, que Philippe MAKITA nous a quittés. A sa disparition, en 2006, je publiai sur mon ancien blog l'article ci-dessous.



Ceux qui l’ont côtoyé, approché, parlent d’un homme sympathique, un homme qui savait irradier les cœurs de la chaleur de l’amitié. Ceux qui l’ont connu à travers ses œuvres retiennent l’engagement d’un universitaire pour que rayonnent les lettres congolaises. Philippe MAKITA a signé avec Jean-Baptiste Tati-Loutard la Nouvelle Anthologie de la Littérature Congolaise, publiée en 2003, année du cinquantenaire de la naissance de la littérature congolaise. La première œuvre congolaise, le roman Cœur d’Aryenne de Jean MALONGA, avait en effet été publiée en 1953. Philippe MAKITA est l’auteur de divers travaux critiques, que l’on peut retrouver dans des ouvrages collectifs comme l’ Anthologie des Littératures francophones d’Afrique centrale parue chez Nathan en 1995. Il était par ailleurs chef de service des programmes à l’Institut National de Recherche et d’Action Pédagogique (INRAP).



 
Philippe MAKITA n’était pas seulement universitaire, il était aussi écrivain. Il a flirté très tôt avec la poésie, au point d’avoir avec elle une véritable histoire d’amour. Son premier recueil de poésie, Sandales retournées, a été écrit au cours de ses années lycée. Un second recueil est paru récemment chez Acoria. Les rapports privilégiés de l’auteur avec la poésie se manifestent également dans son roman, Le Pacte des contes. Celui-ci est en effet traversé de part en part d’un souffle poétique qui en rafraîchit la lecture, et qui invite à vouloir découvrir l’auteur dans ses recueils.

Depuis le 27 août 2006, Philippe MAKITA n’est plus des nôtres, pourtant il sera toujours avec nous, et ce chaque fois qu’on ira fouiner dans les pages de ses œuvres, pour qu’elles nous livrent leurs trésors. N’est-ce pas le souhait qu’il exprime – être toujours vivant – à la page 76 de son roman ?

 
« On croit qu’avoir beaucoup de voitures, de maîtresses, de maisons (…) et de l’argent suffit à être inscrit sur titre dans le Livre de la postérité. Erreur. Dès que l’Acte de décès est établi, la décoration à titre posthume posée sur le cercueil, le quarante cinquième jour de deuil arrosé de bière, c’est fini. Disparu. Oublié. Un grand auteur, lui, survit à l’oubli familial, national pour entrer dans la mémoire internationale, et avec lui certains personnages de ses livres : Rabelais et Gargantua par exemple »

A travers ces lignes, on entend comme une petite voix qui dit : « Ne m’oubliez pas ! »


LE PACTE DES CONTES

Dans ce texte, Philippe MAKITA ne ménage pas son lecteur, il sollicite toujours de sa part une attention soutenue. En effet le lecteur distrait pourrait s’égarer entre le réel et le virtuel, entre le récit du narrateur et celui du personnage. Le pacte des contes est en fait un roman qui en contient d’autres. Et puis surtout on assiste à quelque chose de fabuleux : les personnages, des êtres fictifs, virtuels, entrent dans la vie réelle, prennent corps, sous l’œil médusé de leur créateur.

C’est l’effet fantastique inverse de celui réalisé par Gudule dans La Bibliothécaire, un roman jeunesse que les adultes apprécieront bien plus à cause des références littéraires pas toujours à la portée de jeunes lecteurs. Les héros de ce roman font l’extraordinaire expérience d’entrer dans les livres, de vivre véritablement les aventures racontées dans ces livres, de faire la connaissance physique des personnages. Ils enjambent ainsi les limites temporelles, car nos jeunes héros rencontrent par exemple l’intrépide Gavroche des Misérables de Victor Hugo, ils tremblent de sa témérité, espèrent qu’il ne va pas se faire tuer sous les balles ….

On retrouve d’ailleurs Gavroche dans Le Pacte des contes, où cette fois ce sont les personnages qui quittent leur monde de papier pour connaître la vraie vie. Ainsi Faris, personnage du roman que Palingus est en train d’écrire, devient un vrai humain, avec l’avantage sur les autres humains de lire dans les pensées de son créateur Palingus. Mais n’oublions pas que nous sommes toujours dans la fiction, car Palingus est lui-même le personnage principal du roman non encore publié, La rade des voluptés, que ses concepteurs Iyédi et Ngabouyédi ont soumis à leurs lecteurs, afin qu’ils puissent faire leurs suggestions quant à la trame de l’histoire.

Faris se rebaptise « Lyman » pour sa vie de personnaute. On dit bien internaute pour désigner toutes celles et tous ceux qui naviguent dans le monde virtuel qu’est l’Internet ? Eh bien Philippe MAKITA a trouvé le concept de personnaute pour qualifier les êtres virtuels qui viennent ‘‘en personne’’ dans notre monde physique.

En bref, le pacte des contes est un roman où l’auteur a voulu donner le meilleur de lui-même : il parle de son plaisir d’écrire, réfléchit sur la condition de l’écrivain, exprime surtout son amour de la littérature ; c’est à mon sens ce qui lui donne le plus de charme, car un livre doit entre autres nous faire aimer les livres, il doit nous donner envie de lire, il doit être en quelque sorte une célébration de la littérature. C’est ce que sont, sans aucun doute, Le pacte des contes de Philippe MAKITA, La Bibliothécaire de Gudule, Verre cassé d’Alain MABANCKOU... Bien entendu ce ne sont là que quelques échantillons des livres de la bibliothèque mondiale qui fêtent la littérature.

Le Pacte des contes est aussi, pour tout congolais – loin du pays en particulier – un moyen de retrouver son Congo natal, car l’auteur non seulement évoque certains endroits mais insère aussi des expressions lingala ou kituba.

Philippe Makita, Le Pacte des contes, Editions La Bruyère, 2004, 142 pages.