lundi 1 février 2010

Chagrin d'école, de Daniel Pennac

- J’y arriverai jamais, m’sieur.
- Tu dis ?
- J’y arriverai jamais !
- Où veux-tu aller ?
- Nulle part ! Je veux aller nulle part !
- Alors pourquoi as-tu peur de ne pas y arriver ?
- C’est pas ce que je veux dire !
- Qu’est-ce que tu veux dire ?
- Que j’y arriverai jamais, c’est tout !
- Ecris-nous ça au tableau : Je n’y arriverai jamais.
Je ni ariverai jamais.
- Tu t’es trompé de n’y. Celui-ci est une conjonction négative, je t’expliquerai plus corrige. N’y, ici, s’écrit n apostrophe, y. Et arriver prend deux r.
Je n’y arriverai jamais.
- Bon. Qu’est-ce que c’est que ce « y », d’après toi ?
- Je sais pas.
- Qu’est-ce qu’il veut dire ?
- Je sais pas.
- Eh bien il faut absolument qu’on trouve ce qu’il veut dire, parce que c’est lui qui te fait peur, ce « y ».
- J’ai pas peur.
- Tu n’as pas peur ?
- Non.
- Tu n’as pas peur de ne pas y arriver ?
- Non, je m’en branle.
- Pardon ?
- Ça m’est égal, quoi, je m’en moque !
- Tu te moques de ne pas y arriver ?
- Je m’en moque, c’est tout.
- Et ça, tu peux l’écrire au tableau ?
- Quoi, je m’en moque ?
- Oui.
Je mens moque.
- M apostrophe en. Là tu as écrit le verbe mentir à la première personne du présent.
Je m’en moque.
- Bon, et ce « en » justement, qu’est-ce que c’est que ce « en » ?
- ...
- Ce « en », qu’est-ce que c’est ?
- Je sais pas, moi... C’est tout ça !
- Tout ça quoi ?
- Tout ce qui me gonfle !


(D. Pennac, Chagrin d’école, Editions Gallimard, coll. Folio, pp 115-116. Prix Renaudot 2007)

Dès sa sortie et avec la médiatisation qui avait entouré la parution de ce livre, surtout après l’obtention du prix Renaudot, je m’étais promis de lire ce dernier ouvrage de Pennac. De toutes façons, avec Pennac, pas besoin de prix ou d’une médiatisation particulière pour m’y plonger dedans avec bonheur. Servez-moi n’importe quel Pennac, je n’ai aucun doute sur le contentement de mon mon palais et de mon estomac avides de choses bien dites, bien écrites et qui, surtout, ont la saveur du vécu quotidien de l’humanité. C’est ça que j’aime chez Pennac : il dit des choses que vous auriez vous aussi souhaité dire, sauf qu’il le fait beaucoup mieux que vous ne l’auriez fait.

Le thème du livre m’avait interpellée au plus haut point. Qui, à un moment donné de sa vie, n’a pas eu à subir un échec ? Echec scolaire bien sûr, mais pas seulement, on peut aller bien au-delà, échec professionnel, difficulté d’obtention d’un concours par exemple, quel qu’il soit. Chagrin né du sentiment d’être moins bon que les autres, sentiment d’être nul, de ne pas être à la hauteur... Ce livre parle de la « douleur partagée du cancre, des parents et des professeurs. »
C’est son expérience personnelle que Pennac raconte. Ancien cancre. (« Quand je n’étais pas le dernier de la classe, c’est que j’étais l’avant-dernier » p. 15) A raté plusieurs fois son Bac. Est devenu malgré tout enseignant. Prof de Français de surcroît, lui qui faisait énormément de fautes et qui désespérait sa mère. Mais voilà, il est devenu enseignant et auteur à succès en plus.

Prenez ce Chagrin d’école comme une autobiographie, comme un essai sur l’école, comme un outil pédagogique qui aiderait pas mal de profs, comme un roman... tout cela est valable. Mais que vous le preniez d’une manière ou d’une autre, une chose est sûre : ce livre est une fête du langage, une véritable célébration de la langue et de la littérature. C’est une constante chez Pennac : chacun de ses livres est toujours un hommage à la littérature. Je peux même me risquer à donner un sous-titre à ce livre : Chagrin d’école ou les bienfaits de la littérature. C’est la lecture qui sauva Pennac de sa « cancrerie ».

Bon, plutôt que dire des choses sur ce livre, j’ai plutôt envie de vous mettre le livre entre les mains. Ne me demandez pas d’autres extraits, il y en a tellement que je voudrais citer ! Bon, juste un, car on parle beaucoup de l’école ces temps, de la violence à l’école pour être plus précis. Une violence résultant de la cancrerie. Une violence et une cancrerie qui seraient étroitement liées à l’immigration. Qu’en pense Pennac ?

« Aujourd’hui [...], c’est toute une catégorie d’enfants et d’adolescents qui sont, quotidiennement, systématiquement, stigmatisés comme cancres emblématiques. On ne les met plus au coin, on ne leur colle plus de bonnet d’âne, le mot « cancre » lui-même est tombé en désuétude, le racisme est réputé une infamie, mais on les filme sans cesse, mais on les désigne à la France entière, mais on écrit sur les méfaits de quelques-uns d’entre eux des articles qui les présentent tous comme un inguérissable cancer au flanc de l’éducation nationale. Non contents de leur faire subir ce qui s’apparente à un apartheid scolaire, il faut, en prime, que nous les appréhendions comme maladie nationale : ils sont toute la jeunesse de toutes les banlieues. Cancres, tous, dans l’imaginaire du public, cancres et dangereux : l’école, c’est eux, puisqu’on ne parle que d’eux lorsqu’on parle de l’école.
Puisqu’on ne parle de l’école que pour parler d’eux. »

(p. 243-244)

Bon, pour ceux qui ne connaissaient pas encore Pennac, qui veulent avoir une petite idée du bonhomme, voici un extrait qui le résume bien : « La littérature ! Le roman ! L’enseignement et le roman ! Lire, écrire, enseigner ! »

10 commentaires:

St-Ralph a dit…

L'extrait qui introduit ton article est magnifique ! Il traduit très bien la "souffrance" du professeur de français embarqué dans celle de son élève. Je ne sais pas s'il faut se réjouir de cette patience de l'enseignant à comprendre le parcours sinueux de l'élève afin de l'emmener sur la voie royale de la connaissance. Suivre et comprendre ce parcours s'avère parfois si douleureux !

Je viens de publier - le même jour que toi - un commentaire du livre dont je t'ai déjà parlé : La sagesse du professeur de français. J'ai comme le sentiment que le ton franc de l'auteur traduit une sorte de souffrance intellectuelle devant les situations d'échec de plus en plus nombreuses dès les premières classes de l'enseignement.

Liss a dit…

Cette souffrance est en effet générale, elle nous interpelle tous. Je suis agréablement surprise que tu te sois intéressé à la Sagesse du professeur de Français , pendant que j'analysais la sagesse proposée par Pennac dans son livre, en ce qui concerne également l'enseignement du français.

Caroline.K a dit…

Coucou

C'est marrant que çà vous surprenne autant que vous ayez des intérêts en commun, moi je trouve çà génial, j'ai l'impression que je vais pouvoir assister à un conseil de profs même si vous n'êtes que deux et peut-être, enfin comprendre comment çà travaille dans la tête d'un prof.

C'est moi où tu as déjà parlé de ce bouquin ou alors de cet auteur Liss ? J'ai eu comme une impression de déjà vu mais différent. Je me souviens que j'avais vraiment hésité à laisser une trace à ce moment là, j'avais l'impression que c'était un genre d'article pour "initiés" tu vois, j'ai bien fais de décider que le ridicule ne me tuerait pas.

Et sinon puisque vous êtes sur le sujet, je crois qu'à cause de vos articles, j'ai tendu les oreilles et retenu un titre et je me suis demandé si çà vous disait quelque chose à l'un et à l'autre
Danièle Sallenave
Nous, on n'aime pas lire

Caroline

Liss a dit…

Excellente mémoire, chère Caro, j'avais en effet parlé de Comme un roman, où Pennac parle de la lecture, du fait que nombre de jeunes (et d'adultes) disent ne pas l'aimer, ou ne pas comprendre, mais ce n'est qu'une façade... Pennac montre qu'un lecteur sommeille en chacun de nous (lorsqu'il n'est pas déjà réveillé) et que personne ne se miniminise... C'est pourquoi je te convie à chasser le plus loin possible ce sentiment que certains articles, celui-là en particulier, était pour des "initiés". Pour moi, le blog c'est ça : proposer quelque chose pour tous les publics ou plutôt présenter quelque chose de telle manière que tous se sentent concernés...
Nous on n'aime pas lire ? Titre intéressant en effet. A suivre !

Kirl a dit…

Trés bien dit et trés important tout ça...moi aussi quelque part c'est mon goût de la lecture qui m'a sauvé d'une vie "invivable" , d'une cancritude mono-tone....la lecture c'est le début de la Culture, la culture de soi et l'ouverture aux cultures du Monde et au monde sensible, la Culture , c'est à dire aussi pouvoir jouer et se relier avec le Monde, LIRE le monde et les mots et ne pas en être prisonnier (au sens ou Dubuffet a écrit "Asphyxiante Culture"), c'est la Vie et l'élan vers la liberté..! Pennac a peiné puis a réussi à surmonter la montagne, de la sous-france au français.. jusqu'à entrer dans la Danse..:-)

Liss a dit…

Merci pour votre témoignage, Kirl, ce livre est aussi agréable qu'utile, utile surtout pour redonner la confiance en soi, l'estime de soi-même, et Dieu sait comme c'est essentiel pour être bien dans sa peau, bien avec les autres...

AnnDeKerbu a dit…

J'ai récemment vu un documentaire-interview dans "Empreintes" (France 5) sur Daniel Pennac. Il s'agit vraiment d'une personne passionnante! Je me suis arrêtée à la lecture des Malaussène, il va falloir que je me rattrape!

Liss a dit…

Bonjour Anne,

Je vais voir si je peux trouver la vidéo de l'émission sur le site de France 5, j'aimerais bien la voir en effet. Les Malaussène, je les avais beaucoup aimé, je ne les ai pas tous lus d'ailleurs, j'ai donc aussi à me rattraper de ce côté-là.

Millie a dit…

Ce livre à l'ai très interressant!
Je viens de commencer mon blog sur des livres que j'ai lu et comme je n'ai qu'un commenataire j'aimerais beaucoup que tu viennes et laisse un comment. C'est sur des livres d'adolescents, j'ai une grande passion pour les livres et je veux les montrer à tout le monde!

Liss a dit…

Bonjour Millie et bienvenue ! Je n'ai pas pu accéder à ton blog. Et donne le temps à ton blog de se faire connaître. Surtout si tu prends l'habitude de publier régulièrement un article, tu verras que les lecteurs vont s'y arrêter de plus en plus et laisser un commentaire. Bon courage !