Depuis sa parution en 1982, chez Présence Africaine, le Pleurer-Rire est régulièrement étudié en milieu scolaire et universitaire, au Congo Brazzaville comme ailleurs dans le monde : ce roman est considéré comme un "classique" de la littérature noire-africaine. Je me devais de le relire, pour rafraîchir ma mémoire d'une part et d'autre part aller à la source de l'exploitation, par l'auteur, de ce qu'on pourrait appeler le ''francongolais'' dans ses romans, autrement dit la transcription du français parlé dans les milieux populaires, un français moulé sur les langues nationales, par exemple avec l'expression formée par le pronom personnel ("moi", "toi", "lui", "nous", "vous", "eux"...) précédé de la préposition "pour", expression typique de nos langues, mais qui, rendue telle quelle en français, pourrait déboussoler les locuteurs français de la métropole. Exemple, page 18 :
"Est-ce que je suis pour moi dans leurs histoires-là ? Est-ce que j'ai mangé pour moi l'argent de Polé-Polé ?" (page 18).
Il y a bien d'autres cas de figure qui trahissent le "copié-collé" des langues locales. Certains personnages (ceux qui ont un niveau d'étude suffisant) savent adapter leur français en fonction de leur auditoire, pouvant s'exprimer en francongolais comme en français académique, en passant par le français dit courant. Ce n'est malheureusement pas le cas de Bwakamabé na Sakkadé, militaire devenu président de la république à la faveur d'un coup d'état, ni de la majorité des membres de son gouvernement, choisis non selon leur mérite, leur capacité à assumer les fonctions qui leur sont attribuées, mais recrutés souvent sur une base tribale ou selon leur degré d'allégeance au chef de l'Etat. Il s'agit d'un Etat africain, non précisé : ce pourrait être n'importe lequel.
Ainsi, en dehors du style oral, typiquement congolais, adopté par Henri Lopes, du moins dans les passages de discours rapporté, l'autre intérêt du roman réside dans la description burlesque des régimes politiques africains au lendemain des indépendances.
Le Pleurer-Rire est une joyeuse caricature du pouvoir dictatorial. Bwakamabé na Sakkadé, dont l'inculture n'a d'égale que l'immense étendue de ses lubies, exerce son rôle de chef de l'Etat avec un appétit gargantuesque. Omniprésent, malheur au ministre qui s'avise de faire une déclaration publique ou d'inaugurer le moindre édifice : seul Tonton, surnom de Bwakamabé, doit apparaître en grandes pompes sur les écrans ; seuls ses discours, aussi creux soient-ils, doivent y passer en boucle. Tonton instaure et entretient le culte de sa personnalité. Tout porte d'ailleurs son nom : aéroport, stade, gymnase, grandes places etc.
Le Pleurer-Rire est une joyeuse caricature du pouvoir dictatorial. Bwakamabé na Sakkadé, dont l'inculture n'a d'égale que l'immense étendue de ses lubies, exerce son rôle de chef de l'Etat avec un appétit gargantuesque. Omniprésent, malheur au ministre qui s'avise de faire une déclaration publique ou d'inaugurer le moindre édifice : seul Tonton, surnom de Bwakamabé, doit apparaître en grandes pompes sur les écrans ; seuls ses discours, aussi creux soient-ils, doivent y passer en boucle. Tonton instaure et entretient le culte de sa personnalité. Tout porte d'ailleurs son nom : aéroport, stade, gymnase, grandes places etc.
Bwakamabé estime que le pays, pour ne pas dire le monde, doit tourner autour de sa personne. Normal : il n'est pas n'importe qui et prétend égaler des chefs légendaires comme le roi Louis XIV : n'aménage-t-il pas un jardin qui pourrait faire penser au jardin de Versailles, pour accueillir dignement ses hôtes lors des somptueuses réceptions données à l'occasion de ses anniversaires ? On l'appelle d'ailleurs, à un moment, le "Président-Soleil", par analogie au "Roi-Soleil". Bwakamabé se compare aussi au Christ : le "Messie", le "roi des rois", le "Sauveur", le "Saint Patron"... les allusions religieuses pour le désigner ne manquent pas.
L'importance que se donne Bwakamabé se manifeste surtout à travers une politique d'apparat qui ruine le pays. L'argent public est géré comme si c'était son argent de poche. Le président passe son temps à ordonner des dépenses farfelues et dispendieuses, pour lui-même aussi bien que pour l'entretien de sa famille, de sa tribu, de ses innombrables maîtresses surtout.
A ce rythme, les conséquences ne se font pas attendre : accumulation des mois de retard de paiement des salaires, trésor public à sec, misère du peuple... Mais Bwakamabé a son explication : n'allez surtout pas croire que c'est parce qu'il a dilapidé les fonds publics que ça va mal dans son pays, ah non ! C'est au contraire à cause des "pressions incessantes de la tribu et de l'incompétence d'en bas" (page 318).
La charge ironique est importante dans ce roman qui se présente comme un manuscrit, commenté séquence après séquence par un personnage qui a vécu les événements mais qui a, depuis, quitté le pays, et qui bénéficie du recul nécessaire pour apprécier à sa juste valeur la restitution des faits. Au lecteur de réussir à mettre un nom sur ce commentateur averti. Une remarque cependant de celui-ci mérité d'être relevée car elle met l'accent sur la réception du roman : celle-ci pourrait diverger selon les lectorats : quelles seraient par exemple les impressions d'un non habitué de l'univers africain à la lecture de ce roman ?
"J'ai lu cet envoi d'une seule traite. Reste à vérifier si l'intérêt que j'ai ressenti aura la même puissance chez ceux qui n'ont jamais vécu au Pays." (page 143)
Le Pleurer-Rire nous montre un peuple bâillonné : la moindre remarque négative ou déplacée est sévèrement punie. Il faut acquiescer à tout ce que dit ou fait Tonton. Autant dire que le peuple n'est qu'une marionnette entre les mains de ce dictateur qui, lui, se donne pour le bon père irremplaçable du pays.
"Nous veillions surtout à applaudir quand l'animateur, ou Tonton, donnait le signal, de rire dès que nous voyions poindre un sourire, d'hurler dès que le ton de la voix montait ou l'index remuait avec vitesse. Quelquefois, ayayay ! nous nous trompions, mais nous nous reprenions aussitôt."
(page 219)
Ce roman nous montre aussi les rapports entretenus par ces régimes dictatoriaux avec les puissances occidentales, les "Oncles", des rapports entachés par une certaine hypocrisie. Chacun se souciant uniquement de son profit personnel au détriment du bien-être du peuple.
Henri Lopes, Le Pleurer-Rire, Présence Africaine, 1982 pour la première édition, 380 pages.
Lire aussi la chronique d'Hervé Ferrand, l'une des plus commentées de son blog.
La charge ironique est importante dans ce roman qui se présente comme un manuscrit, commenté séquence après séquence par un personnage qui a vécu les événements mais qui a, depuis, quitté le pays, et qui bénéficie du recul nécessaire pour apprécier à sa juste valeur la restitution des faits. Au lecteur de réussir à mettre un nom sur ce commentateur averti. Une remarque cependant de celui-ci mérité d'être relevée car elle met l'accent sur la réception du roman : celle-ci pourrait diverger selon les lectorats : quelles seraient par exemple les impressions d'un non habitué de l'univers africain à la lecture de ce roman ?
"J'ai lu cet envoi d'une seule traite. Reste à vérifier si l'intérêt que j'ai ressenti aura la même puissance chez ceux qui n'ont jamais vécu au Pays." (page 143)
Le Pleurer-Rire nous montre un peuple bâillonné : la moindre remarque négative ou déplacée est sévèrement punie. Il faut acquiescer à tout ce que dit ou fait Tonton. Autant dire que le peuple n'est qu'une marionnette entre les mains de ce dictateur qui, lui, se donne pour le bon père irremplaçable du pays.
"Nous veillions surtout à applaudir quand l'animateur, ou Tonton, donnait le signal, de rire dès que nous voyions poindre un sourire, d'hurler dès que le ton de la voix montait ou l'index remuait avec vitesse. Quelquefois, ayayay ! nous nous trompions, mais nous nous reprenions aussitôt."
(page 219)
Ce roman nous montre aussi les rapports entretenus par ces régimes dictatoriaux avec les puissances occidentales, les "Oncles", des rapports entachés par une certaine hypocrisie. Chacun se souciant uniquement de son profit personnel au détriment du bien-être du peuple.
Henri Lopes, Le Pleurer-Rire, Présence Africaine, 1982 pour la première édition, 380 pages.
Lire aussi la chronique d'Hervé Ferrand, l'une des plus commentées de son blog.
8 commentaires:
Belle présentation Liss, sans doute un roman que je lirai avant la fin de l'été.
A suivre.
Cunctator.
Je l'ajoute à ma liste. Et j'ai vérifié, il est disponible à la bibliothèque. De l'université, pas de la ville (fallait pas rêver). Ta présentation m'a donné envie de le lire.
Je vous souhaite à tous deux un bon rafraîchissement dans le pleurer-rire !
J.B,
pas facile pour toi, là où tu es, pour les lectures, heureusement tu trouves tout de même certaines oeuvres principales.
J'avoue que j'ai rencontré beaucoup de difficultés à lire ce roman. J'aime beaucoup ta remarque sur le "francongolais" omniprésent, dans le discours direct notamment mais pas seulement. Et ce questionnement que tu mets en valeur du narrateur-auteur : comment les lecteurs non habitués à ce langage recevront-ils l'oeuvre ? Ce langage m'a beaucoup déroutée, probablement parce qu'il est loin de ma culture natale, loin de mes habitudes littéraires.
De plus, le manque d'action a contribué à ma difficulté de lecture. On suit pas à pas le règne d'un dictateur, mais il n'y a pas d'intrigue pure.
Néanmoins, cette oeuvre ne manque pas d'intérêt et il est largement compréhensible qu'elle soit mise en valeur dans le système scolaire et universitaire africain. Une belle parodie du pouvoir dictaturale, beaucoup d'ironie et de prise de distance. Je pense que ce livre est indispensable à la culture africaine et qu'elle en retrace une partie de son histoire, notamment post coloniale. La question des différents narrateurs est elle aussi intéressante...
Je te comprends tout à fait, Cécilia, c'est pourquoi j'ai tenu à souligner dans mon article l'éventualité pour certains lecteurs de ne pas "accrocher"... Après ta première réaction sur FB, je me suis demandée si ce serait ton cas, et j'attendais impatiemment ton verdict.
Mais j'espère que tu ne t'arrêteras pas à ce premier contact... raté ? Disons peu enthousiaste. Je pense que le mieux pour toi aurait été de lire "Une enfant de Poto-Poto", son dernier roman, ou mon préféré de Lopes : "Le Lys et le Flamboyant".
Ce n'est pas vraiment une déception comme tu le soulignes, c'est plutôt un roman qui m'a semblé difficile à lire mais je n'en garde pas un mauvais souvenir parce que c'est aussi son originalité, sa richesse, et il est digne d'intérêt. Le personnage de Tonton est génialissime ! Le style parlé est aussi révélateur et n'est pas dû au hasard ! Le choix de Lopes ici est judicieux et en accord avec le narrateur principal. Je reviendrai vers Lopes pour découvrir d'autres facettes de l'écrivain sans problème.
Cela me réconforte un peu de savoir que ce roman ne fera pas partie de tes mauvais souvenirs de lecture, car ça fait mal au coeur quand on a conseillé un livre ou un auteur et que la personne est finalement déçue... donc je me sens un peu moins mal ! J'espère que lorsque tu retenteras une expérience avec Lopes, ce sera bien mieux !
I really enjoyed your blog post.
Enregistrer un commentaire