dimanche 12 juillet 2009

Hermina, de Sami Tchak

En attendant que les Filles de Mexico ne viennent frapper à ma porte, je me suis laissée tenter par Hermina. C'est le deuxième roman de Sami Tchak que je lis, après Place des fêtes.

Heberto, prof de lycée, est logé chez les Martinez. Leur fille, Hermina, 16 ans, le fascine au point de lui inspirer l'écriture d'un roman qui porterait son nom : Hermina. Heberto a mis un terme à sa profession d'enseignant pour se consacrer à l'écriture, mais ce n'est pas facile de "coudre la vie avec le fil doré des mots" (p. 12). C'est à l'école du vieux Santiago, le héros du Vieil homme et la mer, qu'il se mettra d'abord pour faire éclore ses talents d'écrivain. C'est lui qui remplace le petit garçon dans le roman d'Ernest Hemingway et accompagne le vieux dans sa barque, essayant de recueillir un peu de la sagesse et de la profondeur de celui-ci.

La référence à d'autres romans est permanente dans Hermina. Après l'hommage au Vieil homme et la mer, que le lecteur devine dès les premières pages, suivront d'autres textes choisis essentiellement pour leurs morceaux choisis sur la sexualité : celle-ci apparaît dans le roman comme étant le lieu d'où partent et où aboutissent tous les chemins. La sexualité est en tout cas l'encre dans laquelle Sami Tchak trempe sa plume pour dire le monde, un monde où société rime souvent avec solitude, où on ne trouve souvent sa place qu'en "jouant les singes", où on est parfois obligé de s'exiler pour donner des ailes à ses ambitions, un monde qu'on est tenté de fuir par l'écriture, même s'il s'agit de l'écriture de ses fantasmes.

A propos du corps humain dans tous ses états, des parties intimes notamment dont l'auteur de Place des fêtes parle sans tabou, on peut lire ceci dans Hermina :

Il avait d'abord eu envie d'écrire un essai politique, avant de juger ce projet plutôt futile, pour rêver de construire un univers en faisant passer par le corps afin de les ramener à la portée de tout le monde les idées philosophiques qui l'avaient fasciné, lui. Sa passion pour les femmes serait-elle venue de là ? Peut-être. (p. 34)

Ce passage sonne comme un avertissement à ceux qui ne comprendraient pas ou prendraient mal cette prédominance du sexe dans les romans de l'auteur. Cette explication change-t-elle le regard du lecteur ? On aime ou on n'aime pas. De toutes façons, dans tout livre, il y a des choses qu'on apprécie moins que d'autres. Ou qu'on aime plus que d'autres, c'est selon. Moi ce que j'ai apprécié dans ce roman, c'est cette posture de l'écrivain qui se met en scène et qui donne son avis sur l'écriture, s'exprime sur ce que peuvent être les difficultés entravant le chemin d'un jeune auteur vers son ascension. Cette mise en abyme, on la rencontre souvent chez les écrivains.

J'ai aussi aimé le fait que l'auteur célèbre d'autres auteurs, j'ai particulièrement aimé le passage sur Ananda Dévi, que j'avais découverte avec Eve de ses décombres, qui vous fait s'incliner devant sa beauté, j'entends beauté du texte. Je n'ai pas encore vérifié si Sami Tchak a réellement publié un article sur la Mauricienne ou s'il profite de l'espace de son propre roman pour parler du roman Soupir et rendre hommage à la plume de l'auteure, jugez plutôt par vous-même :

"Il lisait les journaux surtout le matin, mais les livres constituaient toujours sa principale passion. C'est au cours de cette période, où il sortait seul, qu'il était tombé sur un article traitant de Soupir d'Anada Dévi, un roman qu'il n'avait pas lu. L'auteur de l'article était S.T., un critique littéraire très connu. ''Soupir, avait écrit S.T., est un univers où les personnages semblent condamnés à l'enfer avant d'avoir même tenté de pécher, où l'amour et le sexe ouvrent toujours les vannes derrière lesquelles la folie bat son tambour [...] Ici, l'amour engendre des démons, sème sur sa route des cadavres et des histoires pas faciles à dire. [...] (Le sexe) est l'entrée assez visible vers des zones dont l'obscurité s'épaissit au fur et à mesure que l'on croit avancer vers la lumière. La relation intime à deux renvoie à la solitude, dévoile l'impossible communion des êtres. Le monde dévien, c'est le monde de la beauté douloureuse, des douceurs amères [...] On met du temps avant de s'apercevoir qu'il n'y a pas de chemin, qu'on ne peut pas avancer, qu'en fait, sur les pistes d'Ananda Dévi, le lecteur va à la rencontre de sa propre solitude, que les fragments de destins qu'il tente de reconstituer comme dans un puzzle existentiel constituent autant de morceaux de son propre être éparpillé entre le désir ardent de prendre en main son destin, la rage impuissante et enfin la résignation [...]" (p. 116-117 )

Ce qui est curieux, c'est qu'on peut ressentir la même impression en lisant Hermina : il n'y a pas de chemin, on semble ne pas avancer, le lecteur tente de reconstituer la vie des personnages, l'action du roman, de faire la part entre fantasmes et réalité, mais ce qui prédomine, c'est la solitude, la difficulté de communication. Le passage où Heberto se retrouve dans le petit appartement d'Ingrid comme dans une "cage" et où tous deux sont pris au piège de la "déprime" m'a fait penser au "Déjeuner du matin", célèbre poème de Jacques Prévert.

Quant au parfum entêtant de sexe dans le roman, je vais être franche et je vais parodier pour cela le héros du roman lorsqu'il parle des films X : cela devient rapidement lassant. Ce n'est pas le parfum lui-même qui me gêne, ce ne sont pas les termes crus, mais la répétition, l'entêtement. J'aurais préféré que ce parfum chatouille mes narines au lieu de les envahir, peut-être que cela participe de quelque chose que je n'ai pas encore percé. Cela dit, la seconde moitié du roman est particulièrement intéressante.

Hermina, Gallimard, 2003, 350 pages.
Sami Tchak, six romans à ce jour, Grand Prix Littéraire d'Afrique Noire 2004.

7 commentaires:

Mabrouck a dit…

J’ai un peu honte d’avouer que je ne connaissais pas Sami Tchak avant ce commentaire. Très bon, comme d’habitude. Merci de cette découverte !

Liss a dit…

il n'y a pas de quoi, il y a tant d'auteurs à découvrir ! Moi aussi j'ai été gênée de n'en savoir un peu plus sur l'auteur du Petit Malik et du Poids d'une âme que récemment.

Daniel Fattore a dit…

J'ai un autre roman de Sami Tchak sur ma pile de livres à lire... mais je suis tombé chez vous grâce à Ananda Devi! Je m'en vais explorer votre blog, qui m'a l'air captivant.

Liss a dit…

Bienvenue Daniel Fattore,

Quel est le titre du roman de Sami Tchak qui attend patiemment sur votre pile ? Quand vous l'aurez lu, j'aimerais bien aller lire votre notre. Ces regards croisés sur internet, je trouve ça fabuleux.
Merci de votre visite.

Daniel Fattore a dit…

Merci de votre réplique!

Il s'agit de "La Fête des masques". Je vous ferai volontiers signes lorsque je sortirai un billet à ce sujet sur mon blog - simplement, il faudra prévoir un délai... même s'il risque de passer à la phase "lecture" bientôt.

Daniel Fattore a dit…

... la phase "lecture" est passée - et je viens de rédiger un billet sur "La Fête des masques":

http://fattorius.over-blog.com/article-la-fete-des-masques-de-l-amour-et-de-la-mort-39686962.html

Salutations!

Liss a dit…

J'y cours ! je vous dis donc à tout de suite, chez vous.