dimanche 23 mai 2010

La Guerre des banlieues n'aura pas lieu, d'Abd Al Malik

La Guerre des Banlieues n'aura pas lieu est un livre qui fait signe. Il fait signe déjà par son titre, qui fait écho à La Guerre de Troie n'aura pas lieu, de Jean Giraudoux, une guerre qui opposa Grecs et Troyens pendant dix ans, d'après les récits d'Homère. Elle eut donc bien lieu, cette guerre, mais par cette négation Giraudoux voulait conjurer le sort, expérimenter la possibilité de la paix dans un monde où la guerre est toujours prête à éclater. Est-ce que la guerre de Troie aurait pu ne pas avoir lieu ? Laissons la légende, revenons à notre époque : la première ou la deuxième guerre mondiale auraient-elles pu ne pas avoir lieu ? Toutes les guerres que nous avons connues jusqu'à ce jour auraient-elles pu être évitées si on s'y était pris autrement ?


Les banlieues donnent en France l'impression d'être une poudrière qui explose facilement. On dirait même que certains prennent plaisir à la voir sauter. On ne se rend pas compte qu'on contribue à la faire sauter. « La Tess (autrement dit ''la cité''), c'est comme une grosse usine nucléaire qui pourrait éclairer tout le pays si on l'utilisait à bon escient. Mais, en vrai, c'est des bombes atomiques en devenir qu'on laisse à l'abandon », déclare le personnage narrateur. (La Guerre des banlieues n'aura pas lieu, page 35)

Si on change notre regard – notamment sur ceux qui semblent différents de nous –, si on change nos mentalités, notre manière de considérer les banlieues, bien des feux n'auraient pas besoin d'être éteints car ils n'auraient pas eu l'occasion de s'allumer. La Guerre des banlieues n'aura pas lieu est un livre qui fait un signe de paix. Il peut être lu comme un roman, comme un long poème, comme une autobiographie aussi.

Comme un roman, assurément. Il y a un personnage principal, Peggy, qui plus tard adopte la religion musulmane et saisit la chance de changer de nom (Son prénom de fille est à l'origine de bien des misères). Il devient Suleyman. Il raconte son itinéraire, sa vie dans la cité, ses rencontres, la rencontre de l'islam, la rencontre de l'amour… Parfois le récit est pris en charge par un narrateur externe.


Comme un poème. Pourquoi pas ? La poésie est le lit dans lequel ABD AL MALIK aime faire reposer ses textes. Elle imprègne les pages de La Guerre des banlieues n'aura pas lieu. La disposition des phrases fait même penser aux vers ou versets des livres saints, notamment dans le texte liminaire où « L'auteur annonce la couleur et le récit qui va suivre », dans le premier chapitre ou dans la conclusion, où il faut faire « La Concordance des différences ».


« Comment faire pour que, dans un monde globalisé, sur un globe mondialisé, chacun de nous puisse être un, sans se défaire de sa différence singulière qui fait le multiple dans l'un et la beauté du lien ? […]
Je parle de ma voix, je pars de ma voie, celle que j'ai choisie pour être moi, pour être en paix avec moi
Et avec les autres, puisque nous devons vivre ensemble.
Voilà mon propos : c'est à chacun de trouver la voie qui lui correspond pour une solution commune. » (p. 161 et 163)


Comme une autobiographie. C'est une possibilité qui saute aux yeux. Qui veut apprendre à connaître ABD AL MALIK, connaître sa vision de la France, son rapport à la religion, ses rapports avec les autres ferait bien de prendre ce livre entre ses mains : il dévoile la personnalité de l'auteur, emplie d'humanisme. Que ce soit dans ses chansons ou maintenant dans ses livres, ABD AL MALIK tisse des liens de fraternité avec les autres.


J'ai donc lu ce livre avec plaisir. Il y a juste un chapitre que je trouve de trop. Ce n'est pas que le livre soit volumineux, au contraire il se lit vite. Mais, s'il est justifié que Suleyman, double de l'auteur en quelque sorte, explique ce que représente la religion musulmane pour lui, s'il montre intelligemment le sens et la place de la religion en général dans la vie d'un homme, que ce soit l'islam, le Christianisme ou autre, je trouve que profiter de l'occasion pour faire la genèse de l'Islam, raconter son histoire, l'auteur pourrait avoir le loisir de le faire dans un essai sur l'islam, tandis que là il faut juste montrer que musulman n'est pas égal à terroriste, d'où mon sentiment de trouver le chapitre onze de trop. Mais ce n'est qu'un sentiment, une impression, sinon je vous recommande vivement ce deuxième livre de l'artiste musicien, après Qu'Allah bénisse la France (2004), c'est une autre manière de raconter la banlieue, la cité. Il y a plusieurs romans maintenant sur le sujet et c'est très bien, car là on a une autre présentation des choses, différente de celle que nous donnent les médias.


Bon, un dernier extrait :


Et puis, il y a aussi ces tours de briques rouges de mensonges, tours d'illusionnistes qui s'illusionnent eux-mêmes.

Nos enfants s'en rendront compte, tôt ou tard. Et ils demanderont des comptes à tous ceux qui, par peur, je crois, ou par inconscience, peut-être, se seront laissés car-jacker d'eux-mêmes.

Laissés dépouiller des armoiries de l'universel rêvées, au départ, comme des véhicules positivement consensuels : je parle de patriotisme, de nation et de peuple – des termes si souvent pris en otage et déviés de leur sens par ces toxicomanes de tous bords défoncés à la politique des extrêmes et au choc des civilisations…

Et elle chancelle, fuit du regard, pique du nez comme sous l'effet de l'héroïne, la France.
J'y vois comme une parabole pour nous dire combien elle était belle avant qu'elle ne se came pour supporter le pesant du prestige de ce qu'elle était avant, la France.

Mais il faut bien cesser, d'une manière ou d'une autre, de téter ce sein malin, cette pipe à crack du « tout va bien ». (p. 63-64)



ABD AL MALIK, La Guerre des Banlieues n'aura pas lieu, Le cherche midi, 2010, 190 pages, 10 €.

8 commentaires:

AnnDeKerbu a dit…

L'album "Gibraltar" d'Abd Al Malik est un de mes albums préférés. C'est donc avec empressement que je me suis procurée ce roman. Roman a la forme singulière. Où le narrateur interpelle directement le lecteur. Avec des coupures de rythme comme les chapitres 5 et 11 que vous soulignez et que j'ai moi aussi regrettés. Ecriture très poétique. Message de paix et de fraternité. L'intérêt supplémentaire de la lecture de ce texte, écrit par un chanteur, est que parfois j'entendais sa voix qui me chantait à l'oreille.

Liss a dit…

Bonjour Anne,

C'est vrai qu'on pourrait regretter également le chapitre 5, sauvé à mes yeux par la qualité littéraire du long discours du conférencier. Et j'ai eu la même impression que vous en lisant le livre, je voyais la tête d'Abd al Malik et j'entendais sa voix. Très belle lecture.
Bon week-end de pentecôte !

St-Ralph a dit…

J'ai longuement tenu ce livre entre mes mains, il y a quelques jours. Mais je n'ai pas osé franchir le pas de l'achat. Le style poétique me plaît. Une façon douce de dire des choses dures ou des vérités (les pages cités !). Que les jeunes des banlieues prennent la parole est une excellente chose. Qu'ils parlent, afin que les autres cessent de parler à leur place.

Liss a dit…

Pourquoi as-tu donc tant hésité ? J'espère que Anne et moi, nous t'aurons convaincu que tu ferais une belle lecture.
Bonne semaine !

Obambé a dit…

"Nos enfants s'en rendront compte, tôt ou tard. Et ils demanderont des comptes à tous ceux qui, par peur, je crois, ou par inconscience, peut-être, se seront laissés car-jacker d'eux-mêmes."

Si on n'y prend pas garde en effet...

@+, O.G.

Liss a dit…

En effet, Obambe, Abd Al Malik tire en quelque sorte la sonnette d'alarme : il faut absolument faire quelque chose, après il sera trop tard, et on ne pourra pas faire croire à nos enfants qu'on ne savait pas, ou qu'on ne pouvait pas changer les choses.

Obambé a dit…

« La prochaine fois le feu », voilà le livre auquel je pense, signé James Baldwin
Excellent.

@+, O.G.

Liss a dit…

Voilà un livre qui figure depuis longtemps dans ma liste de lectures futures, ton commentaire me pousse à accélérer enfin les choses.