mardi 1 novembre 2011

Le Sceau de l'Ange, de Willy Mouele

Peut-on avoir échappé plusieurs fois à la mort et ne pas penser qu'un "ange" veille sur nous ? Peut-on avoir emprunté le tunnel des horreurs, en être sorti, et se taire ? A ces questions, Willy Mouele, que l'on appelle aussi Zekid, répond : "Non !" C'est un "non" bien catégorique, un "non" impérieux qu'il voudrait faire entendre à tous, d'où la publication du Sceau de l'Ange, aux Editions The Book Edition.  Ce "non" a une double signification : il exprime également la volonté de l'auteur de ne plus voir son pays sombrer dans la guerre.




Le texte se présente comme une autobiographie. Willy Mouele y retrace son parcours, celui qui l'a conduit à quitter Brazzaville par tous les moyens, puisque la menace de la mort l'a recouverte d'un manteau rouge sang. Brazzaville, qualifiée autrefois de "la verte", prend en 1997 et en 1998, le visage d'un masque mortuaire grimaçant pour peu qu'on appartienne à telle ou telle autre région du Congo. Au départ, il s'agit simplement de changer de quartier, mais très vite on se rend compte qu'il faut partir vraiment. Un long voyage commence alors, qui va conduire le narrateur à travers différentes villes du Congo parmi lesquelles Dolisie et Pointe-Noire. Puis il gagne d'autres cieux, accompagné de celle qui prend de plus en plus de place dans sa vie : Darline. C'est d'abord la Côte d'Ivoire qui l'accueille, mais il ne s'arrête pas là. Il parcourt d'autres pays d'Afrique avant d'atterir en France. 

Durant ce périple, les épreuves sont nombreuses, les dangers, surtout celui de la mort, embusqués sournoisement. Mais Willy semble marqué d'un "sceau" : soit un ami le secourt au moment où il s'y attend le moins, soit il pressent à travers des rêves, que l'on pourrait qualifier de "prémonitoires", ce qu'il faut faire. Ces amis providentiels étaient souvent des amis appartenant à la région ou à la tribu adverse. Les tribus ne sont devenues adverses que par la volonté des politiques, mais on peut voir à travers ce livre que les amitiés forgées dans le domaine artistique ont parfois résisté aux épreuves de la guerre. Willy était à la tête d'un mouvement rassemblant de jeunes artistes et à ce titre il était connu et même populaire parmi eux, d'autant plus qu'il avait aidé un certain nombre à sa manière. C'est ainsi que certains le lui rendront bien, comme ce jeune homme, dont il ne se rappelle même plus le nom, ni le visage d'ailleurs, qui, en sa qualité de chef "ninja", l'aidera à passer des barrages où il était certain qu'il y aurait laissé sa vie. Curieusement, c'est lorsqu'il arrive sur le territoire "nibolek", autrement dit là où il est censé se sentir en sécurité, que les choses se gâtent, le sort se rie souvent de nous !

Le Sceau de l'Ange, c'est donc le témoignage de Willy Mouele sur la guerre civile au Congo-Brazzaville, laquelle a poussé de nombreux jeunes gens comme lui à s'installer ailleurs. C'est un texte qui est rythmé par une expression commune : "un ange passa", mais à laquelle l'auteur donne une coloration particulière, en fonction du contexte, et j'ai trouvé cela amusant.  Tenez, par exemple les plus cocasses :

Arrivé en Côte d'Ivoire, la réceptionniste de l'hôtel où Willy descend avec sa compagne n'hésite pas à lui demander la nature de ses relations avec celle-ci, "Sinon, je suis là, hein ! Si vous avez besoin de moi quoi !" déclare-t-elle. Et le récit de se poursuivre ainsi : "Un ange passa, une capote anglaise sur son auréolé" (p. 159). Plus loin, il est encore tenté, mais cette fois d'une manière vraiment provocatrice, par Kody, la meilleure amie sa compagne, Darline, qui se trouve au Sénégal pour quelques temps. Kody s'offre dans son plus simple appareil : "Sans prendre la peine de se couvrir, Kody ferma les yeux, me laissant seul avec ma conscience. Un ange passa, l'air de rien, absorbé qu'il était par la lecture du Kâma Sûtra." (p. 243) 

Cet "ange qui passe" fait, d'une manière ludique, le lien avec le titre.

Si vous voulez avoir un bel aperçu de la vie, de l'entourage de l'auteur, dessinateur de talent, créateur de BD, alors lisez Le Sceau de l'Ange. L'auteur crache là sa vérité, même si on aurait souhaité qu'elle se présente sous une meilleur forme, mais quand la priorité est de "dire", cela se fait souvent au détriment de la forme.

Un extrait :

"J'ignore totalement de quoi sera fait demain, c'est vrai. Mais ici j'ai retrouvé, en quelques secondes à peine, cette chose fondamentale que j'avais perdue dans mon pays et qui s'appelle l'Espoir.
Là-bas, l'avenir me semblait gris, obscur. Ici, fort de cette assurance que permet parfois l'inconscience, tous les rêves me sont permis. Nous sommes à Abidjan, et toute la ville semble s'être jointe à la voix du chauffeur de taxi pour nous souhaiter Akwaba... La bienvenue !" 

(Le Sceau de l'Ange, p. 151)

Willy Mouele, Le Sceau de l'Ange, The Book Edition, Collection Plume au bout des doigts.

14 commentaires:

K.A. a dit…

Je connais ce gars... jamais rien lu de lui mais avons beaucoup échangé sur la vie.

Cunctator a dit…

Merci Liss pour la présentation de ce livre que tu nous invite à lire. L'expérience épique de Willy est celles de milliers de jeunes congolais ayant vécu la guerre. la fureur des bombes et des canons...la fuite, puis l'odyssée. un long voyage qui ressemble à un chemin initiatique qui ne s'arrête qu'au moment où nous saisissons l'essentiel.
Profondément marqué par la même expérience que Willy, j'ai moi aussi eu envie de la raconter. Finalement une sorte de pudeur m'a enveloppé, qui m'a fait modifier mes projets.

A suivre.

Liss a dit…

Cher K.A.,
comment ça se fait que tu le connais ? Puis-je espérer un jour te présenter quelqu'un que tu ne connais pas ?
Humainement, je pense aussi que Willy Zekid a beaucoup à apporter.

@ Cunctator,

Je comprens ta pudeur, mais il arrive parfois qu'on se sente comme obligé de mettre entre parenthèses sa pudeur, le temps de se dénuder dans un livre, mais un livre dont les pages serviront en même temps à couvrir votre nudité, il y a dévoilement et pudeur en même temps à écrire ce genre d'ouvrage, je ne sais pas si je me fais comprendre, mais c'est ainsi que j'en suis arrivée à Détonations et Folie...
Il y a eu Route de nuit, à ce que je me souvienne, et comme il y a une certaine ressemblance ou complémentarité entre toi et... Peut-être aurions-nous la chance de lire ton témoignage sur ces événements ?

Cunctator a dit…

Ressemblance et complémentarité! je ne sais pas. C'est toi qui observe et qui lit. C'est un énorme compliment pour moi, Liss. Il ne faut pas m'en faire des comme ça, ça risque de me plonger dans la nonchalence de celui qui s'y croit déja. or en ce qui nous concerne, je veux dire, en ce qui concerne la production scripturale, je suis encore en germination et je me demande si j'éclorerais bien un jour.détonations et folie, est-ce le titre d'un de tes ouvrages? je souhaiterais le lire très prochainement. Tu me sembles être une auteure qui a réellement des choses à dire, des choses à remuer, et surtout une créatrice maniant bien son instrument.

Liss a dit…

Cher Cunctator,

c'est plutôt toi qui me fais de gros compliments, du genre à vous faire prendre la grosse tête !

Détonations et Folie est mon deuxième recueil de nouvelles, dans lequel différents personnages, hommes ou femmes, racontent ce qui leur arrive ou leur est arrivé durant la folie de la guerre. Cela m'intéresse d'avoir ton avis là-dessus.

Cunctator a dit…

Bien entendu Liss, je le lirai volontiers. Envoie moi un lien à partir duquel je peux ma le procurer et je t'en donne mon point de vue après ma lecture. Mes félicitations pour le travail abattu, car on pense souvent que la création littéraire est facile, qu'il suffit, pour créer, de coucher sur papier ce que l'imagination indique à la plume. Bien, tu le sais, c'est un peu plus compliqué et guider la plume n'est pas aussi simple que tenir la bride d'un cheval. Elle n'est pas docile tant qu'on ne l'a pas encore apprivoisée, même alors, elle se cabre, elle se refuse à nous et invite à recommencer, à travailler et travailler davantage.

Liss a dit…

Cunctator, c'est trop bien dit, je publie ta pensée sur FB.

Djemaa a dit…

Merci de votre passage sur mon blog. Je suis content de recevoir des visites de temps en temps ! Pascal.

Anonyme a dit…

Bonjour Liss, et merci pour la présentation de ce livre. Je connaissais déjà Zakid, lauteur des BD, je vais tâcher de connaître l'auteur du Sceau de l'ange.

Barly. L.

Liss a dit…

Salut Barly,

heureuse de te retrouver, j'espère que tu es toujours penché sur une feuille, stylo en mains (rires). Décidément, Zekid est bien connu, comme il le dit dans son livre.
Au plaisir de te revoir par ici.

Caroline.K a dit…

Bonjour chère Liss,

Comment vas tu depuis le temps ? Après une longue absence de la toile, je fais un peu le tour de la blogosphère, chez ceux qui fréquentèrent jadis ma petite carterie et avec lesquels j'ai eu plaisir à échanger par blog interposé. Les raisons de mon silence et ma disparition serait tellement long à raconter que j'en ai fais un article. J'espère que ton intérêt pour mes petites créations ne s'est pas trop dissipée et que j'aurais le plaisir de poursuivre nos échanges par commentaires interposés même si tu es plus présente sur Facebook. Pour ma part, j'y reviendrais prochainement. En remontant dans le passé, je voulais mesurer tout ce que j'avais manqué et noter au passage les sujets à lire prochainement.

Merci de m'avoir fait découvrir ce jeune auteur congolais, j'ai noter ses références.

A bientôt j'espère

CaroLINE

Liss a dit…

ça fait du bien de te relire, chère Caroline, nos échanges me font autant plaisir qu'à toi. J'ai bien senti ton absence, sans connaître les détails, l'essentiel est que tu émerges et que tu es toujours la même : toujours aussi sympathique ! Je m'en vais de ce pas te retrouver chez toi !

Caroline.K a dit…

Merci d'être passée sur la carterie chère Liss. Je reviens faire une nouvelle promenade pensant ma pause déjeuner.

(♥) ..♪♪ CaroLINE..♪♪ (♥)

Liss a dit…

Tu es toujours la bienvenue, chère Caro.