samedi 26 novembre 2011

Une belle réflexion de Cunctator sur l'épistolaire

Pour la correspondance épistolaire
Etouffée, ringardisée, méprisée depuis l’essor des nouveaux moyens de communication, cette forme d’échange jadis nécessaire et noble, qui ne résiste encore que dans sa forme administrative (la plus sèche, la plus rugueuse et la moins brillante de ses formes), ne mérite pas le sort qu’on lui fait aujourd’hui, traitée comme une relique d’une époque dont les progrès impressionnants que constituent l’internet, les sms, les tweets, les chats nous donnent l’impression qu’elle avait cours plusieurs millénaires avant notre ère. On ne la voit plus employée que par ces personnes-musées qui pour aucun progrès n’abandonneraient cette forme si belle de communication et d’expression.
Pour être plus efficaces en ce qu’ils garantissent la rapidité, la spontanéité et même la simultanéité des échanges, les nouvelles formes de correspondances, parce qu’elles ne favorisent pas la libre disposition de notre temps, ne permettent pas de poser son esprit, de choisir les moyens, les figures et les images que l’on souhaite communiquer. Le téléphone, les sms et les chats sont le domaine de la spontanéité, ils ne se prêtent pas aux évocations subtiles qu’au premier abord on dirait inutiles, mais qui pourtant font la beauté de l’échange épistolaire. En effet une lettre permet de raconter et de se raconter, car écrire c’est toujours faire passer un peu de soi. A travers le stylo ou le crayon, la pensée que nous sommes allés puiser au fond de notre notre être se coule dans la geste scripturale qui seule transforme la lettre en une sorte d’œuvre du fait de l’originalité qu’elle lui confère. En parlant de sa journée on pourra évoquer l’actualité, le temps qu’il fait au moment où l’on écrit, le lieu où l’on se trouve, les bruits qu’on entend, bref, les impressions que fait sur nous notre environnement. Pour ceux qui apprécient la retraite que propose un banc dans un bois tapissé de feuilles d’automnes, traversé par un ruisseau rocailleux et si clair qu’on peut y voir les poissons se conter fleurette, une lettre écrite depuis cet endroit qui invite au lyrisme sera fortement marquée par l’épanchement de l’âme de l’émetteur. On pourra même évoquer des souvenirs, partagés ou pas, que ravivent la vue de tel ou tel chose. Cette communication n’est pas simple émission et réception avec un interlocuteur, mais elle est aussi introduction de l’autre dans notre intérieur. Intérieur qui sera traduit par des phrases que seul sait constituer le style, c'est-à-dire la personnalité propre de l’émetteur. C’est pour cela qu’il n’y a pas deux lettres d’auteurs différents qui se ressemblent.

Les lettres ont encore ceci de bénéfique qu’elles facilitent l’épanchement. L’âme, il est vrai, entend plus facilement le langage de la musique que la parole et se livre plus facilement au moyen de l’écrit que par le discours. Une conversation, aussi élevée soit-elle, ne prend jamais le tour qu’aurait pu lui donner l’écrit, ainsi la correspondance mémorable de ceux à qui leur génie particulier octroyait le don d’écrire. On met tellement de soi dans une correspondance épistolaire que cette dernière devient une trace que nous laissons. La correspondance des grands hommes et femmes n’est-elle pas un outil d’analyse précieux de leurs personnes, de leurs actions et de leurs œuvres ? En écrivant à un ami on lui parle de ses idéaux sociaux, politiques, philosophiques. On lui parle de ses goûts, de la vision que l’on a de tout ce à quoi nous touchons. La correspondance épistolaire favorise donc l’intimité, c’est pourquoi quelques personnes seulement ont le privilège d’échanger des lettres avec une autre. Elle est en effet le privilège des esprits amis ; elle est un moyen d’entrer dans leur profondeur sans passer par le pont de la fréquentation réelle.



Royaume du temps apprivoisé, les lettres permettent de se mettre à l’ouvrage et d’arrêter quand on ne sait plus quoi dire pour revenir une fois l’inspiration de retour, tandis que le téléphone, les sms et tous ce qui leurs ressemblent, marqués par la rapidité, la brièveté, l’économie, nous font l’impression d’un temps fugace et non maitrisé : on passe vite, on évite les détails et surtout on adopte un langage synthétique et elliptique. Que des informations diluées au maximum, la tendance étance au light et au fast. Il est compréhensible qu’à une époque où la priorité est donnée à la course au temps que d’ailleurs on utilise mal, que peu nombreux soient ceux qui veulent se prêter à un exercice qu’on ne réussit pas sans patience. Coucher des mots, eux-mêmes ne se donnant pas sans effort à la pensée, les choisir les assembler selon l’effet que l’on veut produire ne convient pas aux amoureux des résultats immédiats.


Outre le fait que la lettre permet d’user de son temps à loisir afin d’affiner l’ouvrage et de le rendre plus beau, comme pour une œuvre d’art, bien que dans une moindre mesure, écrire une lettre c’est aussi un acte solennel. Les lettres fussent-elles d’enfants, de méchants scriptes ou de personnes peu éduquées sont rarement lues sans cette sorte de cérémonial auquel s’adonne la personne qui la reçoit. Souvenez vous des lettres de vos parents lorsque vous en étiez éloignés, des lettres de votre amour ; de quelles précautions vous entouriez vous avant de les lire ? Comme tout art, l’art épistolaire amplifie ce que nous négligeons peut-être au quotidien. Les émotions transmises, parce qu’on peut les entendre raisonner et parce qu’elles nous parviennent à un moment particulier, ce moment ainsi que la phrase chargée de ces émotions que nous percevons à la lecture, nous ne les oublierons jamais, ils sont grossis et acquièrent une solennité et une gravité autres. Il suffit que nous soyons traversés par je ne sais quelle humeur pour rouvrir cette lettre chérie, relire et relire le passage qui nous a marqué.

Cunctator.

Vous pouvez également lire l'article de Cunctator ici.

5 commentaires:

Cunctator a dit…

Merci pour l'honneur que tu me fais de placer ce texte sur cet espace que j'apprécie tant.

A bientôt.

Liss a dit…

C'est moi qui te remercie, Cunctator, car avec toi, pas question de ramper, il faut toujours voler dans... et on est bien obligé de faire comme Icare.

Anonyme a dit…

hahahahahahahahahahaha, on verra quand j'aurai publié une oeuvre de fiction.

C.Kiminou a dit…

Bravo à Cunctator pour ce cri du cœur qui me parle vraiment. Bien sûr je n'ai jamais été à l'aise dans l'écrit, mais je relis encore aujourd'hui mes cartes postales d'adolescence, parce qu'il y'a les écritures, les odeurs et que tout de suite les souvenirs sont là. Les messages sur le répondeur, sur les textos dans les mails, ils sont sans saveurs, même imprimés, ils gardent la trace de la machine. La première fois que j'ai reçu un joyeux anniversaire par texto en guise de seul souhait, j'ai pleuré. Je sais c'est ridicule mais çà m'a fendu le cœur.

Je suis contente de t'avoir retrouver et que tu sois passée. J'ai fini ma séance de réponses aux commentaires et de visites. Je pars des liens sur les commentaires pour directement venir sur les blogs.

Ma tête s'est nourrie et rien ne pourra m'ennuyer dans la journée.

bonne journée

CaroLINE

Liss a dit…

"La première fois que j'ai reçu un joyeux anniversaire par texto en guise de seul souhait, j'ai pleuré. Je sais c'est ridicule mais çà m'a fendu le cœur"

Ce n'est pas ridicule, Caro, en tout cas pas pour moi, mais cela montre que tu es sensible, sensible à la générosité, à la chaleur, à toute cette profusion d'émotions qui se dégagent de la vraie correspondance. Je partage l'opinion que tu exprimais sur ton blog : on retrouve un peu ces émotions sur les commentaires de blog, tandis que sur facebook, c'est différent. Ici les amis prennent vraiment le temps, c'est comme si on se rendait vraiment visite et qu'on prenait le temps de causer. Or avec les SMS, chat, messages instantanés, on est justement sur "l'instant" : fugitif, rapide, pas le temps, on est dans l'urgence... bref stressant !